Une souris verte.

« Une souris verte… Qui courait dans l’herbe…»
Dans ma tête, passe cette chanson en boucle. C’est vite pénible mais ça me donne l’air joyeux. Pensez-vous, un gars, la trentaine, mécano de son état, chantant une comptine pour enfants, y a de quoi sourire. Pourquoi cette musique ? Je n’ai pas de gosse, ni de femme, pas même un chien, c’est dire.

« Je l’attrape par la queue… Je la montre à ces messieurs…»
Et mes cordes vocales qui semblent ne jamais vouloir s’arrêter de vibrer ! Le couple qui vient d’amener sa voiture en révision me sourit lorsque je passe devant lui. Après tout, je m’en moque, qu’ils pensent ce qu’ils veulent.

« Ces messieurs me disent… »
Je me demande quand même d’où elle peut bien venir. Il doit y avoir une raison expliquant cette soudaine envie de montrer mes talents de chanteur. Je me repasse intérieurement le fil de la journée. Rien de bien extraordinaire.


Il est sept heures quarante-huit ce matin lorsque Sylvain, un brin alcoolisé la veille, émerge brutalement. Le téléphone sonne à quelques centimètres de sa tête, faisant se dissiper toute idée de grasse matinée. Il décroche et grommelle une incitation à justifier un tel appel. L’homme, au bout du fil, a la voix grave et une intonation qui ne lui est absolument pas étrangère. Du boulot en perspective et rapidement en plus.

Il se prépare en vitesse et enfile ses vêtements de la veille trainant encore parmi les mégots de cigarettes et les cadavres de bouteilles. Sa destination se trouve rue des Camélias à peine à quelques minutes d’ici. En sortant, il attrape le trousseau de clefs sur la console d’entrée, il ne peut bien sûr pas partir les mains vides pour ce qu’il a à faire.

Trois étages plus bas, il retrouve son outil préféré qu’il récupère dans le coffre où il est rangé. Un semi-automatique des plus efficaces du marché. L’affaire sera bientôt réglée et il pourra se rendre tranquillement à son boulot de mécanicien.

Comme annoncé par la voix, la cible se trouve à l’intérieur d’un café. Accoudée au bar, la jeune femme boit ce qui semble être un cognac en discutant avec le barman. Un peu surpris par la boisson à cette heure matinale, Sylvain n’en oublie pas pour autant sa mission et se poste à quelques mètres de là, attendant le moment propice. Celui-ci arrive finalement assez vite lorsqu’il aperçoit sa future victime sortir du bâtiment. A grandes enjambées, néanmoins discrètes, il se rapproche d’elle avant de lui plaquer son arme dans le dos. La fille se raidit alors qu’il lui ordonne d’avancer.

Il la conduit un peu à l’écart de l’agitation matinale de la ville et s’apprête à tirer. La jeune femme, apparemment peu encline à mourir en se laissant faire, se dégage brutalement et commence à s’enfuir. Sylvain la poursuit, il ne veut pas perdre une balle à essayer de toucher une cible mouvante. Elle court un peu en zigzagant et étonnamment vite sur de tels talons. Cela amuse presque le mécanicien qui laisse échapper un rictus. Dommage pour elle, il n’y a personne pour l’aider. Elle s’arrête soudainement et fait mine de se retourner mais Sylvain est juste derrière. Elle est dans une impasse et dans ses yeux, on peut nettement lire sa terreur. Comme dans les films, il la fait reculer peu à peu jusqu’à ce que son dos rencontre la brique froide du mur. Elle pleure maintenant, elle qui avait essayé de paraître forte, éclate en sanglots. Elle supplie l’homme impitoyable qui s’apprête à la tuer mais celui-ci n’en a cure. Sylvain sourit à nouveau et tire en direction de la tête. Le silencieux fait son effet et seul un dernier hurlement résonne plusieurs secondes encore dans l’impasse, longtemps après que le corps soit tombé.

S’il y a bien une chose plaisante avec ce boulot, pense Sylvain en quittant paisiblement les lieux, c’est cette dernière lueur dans l’œil de la victime. Celle de la souris piégée par le chat.