Récit d'un ado

1.

Je ne sais pas encore pourquoi, mais à ce moment, je me suis penché vers cette femme qui, bras tendu, attendait de moi non pas les paroles que j'allais prononcer, mais seulement une pièce de monnaie.
- Parlez-vous français ?
La femme, sans doute habituée à ce qu'on l'ignore, parut surprise que je lui pose la question.
- Parlez-vous français ? ai-je répété.
Je l'avais entendue me demander de l'argent, mais je craignais qu'elle fasse partie de ces étrangers qui apprenaient trois mots de français pour pouvoir mendier "correctement". Même si la misère, selon moi, se passe de langage oral et se comprend avec les yeux et les tripes.
La femme devait avoir la quarantaine, le visage ridé et un peu rose, enveloppé dans un vieux foulard mauve. Elle était agenouillée sur un bout de carton. Autour d'elle traînaient des bouteilles de bière vides, des sachets froissés d'un fast-food du coin et quelques mégots de cigarettes. Après m'avoir dévisagé un instant, elle a acquiescé.
- Oui. S'il vous plaît, vous n'auriez pas un peu d'argent pour manger ?
- Je n'ai que des billets.
Je me suis alors accroupi, car je voulais que mon visage soit à la hauteur du sien, que nos regards se croisent à l'horizontal. Et les mots sont sortis d'eux-mêmes :
- Est-ce que vous voulez manger avec moi ?
En même temps que je lui proposais de dîner, je me demandais furieusement ce que j'étais en train de faire, là, juste là. Etais-je réellement en train d'inviter une mendiante ? Moi ?
Pas plus tard que la veille, pour rentrer à mon appartement, je faisais les détours habituels afin d'éviter tous ces gens qui ont besoin de mon argent. Les premiers temps, quand je venais d'emménager en ville, je me laissais aborder. Ce furent d'abord les jeunes des cités et leur volonté d'aider les banlieusards à sortir de leur situation grâce au sport qui m'ont accosté. Puis il y a eu Green Peace. Puis Médecins du Monde. Puis une association de lutte contre le sida. Puis une association contre l'excision en Afrique. Et bien entendu, toujours les mêmes mendiants, toujours aux mêmes endroits. Je devais ainsi franchir tous ces péages de l'humanité, comme je les ai surnommés, marmonnant chaque fois de faux prétextes sur le temps qui presse. Et les mois passant, lassé de ce manège quotidien, par lâcheté, par incapacité de regarder en face tout ceci, j'ai commencé à chercher des ruelles vides par où passer, vides de gens dans la misère, vides de gens qui veulent enrayer cette misère.
Et me voilà, agenouillé devant cette femme que j'invite à manger.
- Vous n'auriez pas plutôt une pièce ? a-t-elle insisté.
- Non, je n'ai que des billets. Venez, on va s'installer sur une terrasse.
Elle n'a pas osé dire non, mais j'avais senti son hésitation. Quelque part, au fond de moi, je souhaitais qu'elle refuse, qu'elle me renvoie et que j'oublie cette proposition soudaine que je venais de faire. Qu'est-ce qui m'avait pris ?
Elle m'a lancé un dernier regard - peut-être avait-elle peur de se faire battre ? cela lui était probablement déjà arrivé - et voyant que je n'avais rien de dangereux, elle a décidé de se lever.
- C'est gentil, Monsieur, a-t-elle dit une fois debout.
- Je m'appelle Stéphane.
J'eus droit à un sourire de sa part.
- Et vous, vous vous appelez comment ? ai-je demandé.
- Carole.
- C'est vrai ? Je connais une fille qui s'appelle Carole. Elle est très gentille.
Je ne savais pas pourquoi je mentais. Je ne connaissais aucune Carole. Je voulais simplement la mettre en confiance. Comme si le fait que je connaisse une Carole gentille suffisait à ce qu'elle, le soit aussi. Elle me semblait si fragile - et si peureuse -, j'avais envie de la rassurer.
On s'est posés quelques mètres plus loin sur la table d'une sandwicherie. Je l'observais du coin de l'œil s'asseoir, l'air parfaitement à l'aise. Apparemment, elle n'avait pas toujours connu la rue.
Je lui ai tendu la carte où était inscrit le menu.
- Prenez ce que vous voulez. Mais pas tout quand même !
J'ai imité un rire pour accompagner cette dernière phrase. Le silence qu'elle m'a rendu m'a fait me sentir idiot.
Après avoir passé commande, j'ai profité de l'attente de l'arrivée des sandwichs pour lancer la discussion - pour briser ce silence infernal.
- Depuis quand êtes-vous SDF ?
Je me suis dit que je repasserai pour la discrétion et le tact.
- Oh, pas très longtemps, m'a-t-elle répondu sans me regarder.
- Comment est-ce arrivé ? Je n'ai jamais parlé avec d'autres SDF auparavant. Comment en arrive-t-on là ?
- Oh, vous savez, la vie est dure. Et la société est merdique.
Elle soupira :
- On vit vraiment dans une société de m***e.
J'ai supposé qu'elle éludait mes questions par honte. J'avais joué la carte de la franchise, le coup des cœurs ouverts, espérant que cela allait déverrouiller quelque chose. Intérieurement, je me suis moqué de ma naïveté.
- Vous semblez nerveuse.
- Moi ? Non, non.
- Vous regardez à droite, à gauche. Vous êtes inquiète ?
J'aurais mieux fait de me taire. Demander à quelqu'un d'inquiet s'il est inquiet, il n'y a rien de pire pour le rendre plus inquiet encore.
Du coup, elle m'a regardé droit dans les yeux. J'en eus presque peur.
- Combien vous me donnerez ?
- Pardon ?
- Combien vous me donnerez, quand je vous aurai satisfait ?
J'ai cessé de respirer un instant. Je ne savais si c'était à cause de son ton soudain brusque ou de l'énorme sous-entendu que je voyais venir.
- Je ne comprends pas, ai-je dit. Quand vous m'aurez satisfait ? De quoi ?
- Vous voulez mon corps, n'est-ce pas ? Combien vous me donnerez ?
- Votre... ? Mais jamais de la vie ! Je n'ai que vingt ans, comment pourrais-je vous demander une chose pareille ?
Elle a continué de me fixer. Je lisais sur son visage qu'elle tentait de déterminer si j'étais sincère. J'ai essayé de refouler l'abasourdissement qui m'envahissait -presque autant que le dégoût - et de garder mon calme.
- De toute façon, je suis pédé, ai-je asséné.
Cette fois, ce fut elle qui parut surprise.
- Alors pourquoi vous m'offrez le repas ? a-t-elle demandé.
- C'était pour vous aider. Par gentillesse. Et puis, je ne voulais pas manger seul.
Elle a grimacé.
- Je vous respecte, ai-je continué. Mais vous devriez vous respecter, vous aussi.
- Vous me faîtes la morale ?
- Peut-être. Je vous aide.
Avec un raclement de chaise, elle a quitté la table et s'est apprêtée à partir avec son sandwich. Je lui ai attrapé le poignet d'une main.
- Ne partez pas !
Elle s'est débattue. J'ai immédiatement lâché prise, ne voulant pas qu'elle se sente agressée.
J'ai couru derrière elle tandis qu'elle s'enfuyait.
- Pourquoi ? lui ai-je crié.
Trop tard. Elle avait déjà disparu au détour d'un centre commercial.
- Pourquoi ? ai-je murmuré pour moi-même. Je voulais seulement vous aider.

J'ai tout lu avec un certain intérêt. C'est écris dans un bon style, il n'y a rien de passionnant et pourtant, je ne sais pas pourquoi (mais ça, c'est tout moi) j'ai quand même accroché et je suis arrivé au bout sans m'en rendre compte ! Mais la question qui m'a poursuivie tout au long de ma lecture, c'est : s'agit-il réellement d'un texte autobiographique ou d'une nouvelle fiction ? Tu énonces quelques vérités te concernant, mais cette scène, l'as-tu vraiment vécue ou inventée ? Je sais, je suis curieuse, mais ça me permettra de voir le texte d'une certaine façon plutôt qu'une autre, et je préfère être au courant...
A part ça, si tu veux poursuivre, ne te gêne pas. Tu auras au moins une lectrice qui te fera les commentaires.^^

Nighthaven, c'est pareil pour moi.
ce n'est pas n txte super passionant en tant que tel mais je l'ai lu jusqu'au bout, ca m'a plu !

Ca permet de réfléchir un epu sur la vie qui nous entoure . beau style aussi !

Merci. C'est vrai que je ne raconte pas grand-chose. Mais la rencontre en elle-même est passionnante quand même, non ? En fait, c'est un mélange de ma vraie vie et d'une fiction. Ce quotidien que je raconte, c'était celui que je vivais à Montpellier en prépa. Et un jour, lorsqu'une mendiante m'a demandé des sous, j'ai failli lui proposer de venir manger avec moi. J'aurais voulu lui poser des questions, sur sa vie... Mais je ne l'ai pas fait. Alors j'ai imaginé ce que ça aurait pu donner.

Donc je dirais que c'est un récit autobiographique fictif ! ^^

Le narrateur porte en tout cas mon prénom...

Eh bien c'est une idée très intéressante. Imaginer ce qu'aurait donné tel ou tel événement si on avait OSE. Si on avait pris telle décision plutôt qu'une autre. Très bon. J'espère que tu nous posteras la suite, ou d'autres épisodes du style... ^^

Tu dépends bien la scène où tu décris la SDF! J'ai bien aimé le texte dans sa globalité. C'est une bonne nouvelle

oui, c'est un super texte, j'ai beaucoup aimé, et ton idée est intéressante

Luciole

Idée interressante !!
Pas mal dutout !

Merci !

...

Que dire d'autre ? ^^

je vais et dire mon ressentiment

on dirait Jule vales du livre l'enfant
c'est pas une grosse intrigue.... mais on accrcohe et ce genre de livre malgré que ce ne soit pas de la fantasy j'adore

Là hakkrat je te félicite j'ai adoré

Bravo

Bon, à quand la suite alors ???
Tu vois bien que tout le monde aime alors vite vite !!!

Beuh... Je me concentre sur l'Apprenti Nécromancien en ce moment... et sur ma rentrée aussi ! ^^

Désolé. Plus tard !!! Merci pour vos encouragements, en tout cas.

allé la suite j'adore ce genre de lecture

tu peux travaillier 30/24 sans dormir non? xD

bon la suite arrive ?

hate de lire la suite

Roooh, j'ai posté d'autres textes, Petit Asticot (tu as drôlement mordu avec cette histoire, apparemment !).

Je suis quasiment sûr de revenir à cette histoire un jour ou l'autre... C'est un peu comme écrire un journal intime, et quand j'en ressentirai le besoin (et je le ressentirai), je réécrirai. Sinon, ça ne donnera pas un truc beau... et authentique.

Donc patiente un peu (un peu beaucoup...). :S

un peu beaucopup? tu habites ou RIL?

Petit Asticot a écrit:

tu habites ou RIL?

De quoi ?

IRL je voulais dire^^

???? Asticot exprime toi mieux! ^^

ouai pas fait expret :p

IRL = ?

si tu veux on parle de "bon retour IRL" quand un jouer sur ogame perd sa flotte et arete le jeu^^

c'est de coutume xD, mais laisse tombé ^^

Toujours rien compris, m'enfin, c'est pas grave...

En fait, j'ai
la suite... Enfin, UNE suite possible de mon texte. Mais je la trouve
trop personnelle pour être suffisamment intéressante. Je la mets, mais
il se peut que j'en invente une autre, ou que je mette le bout qui suit
plus loin.

Disons que je satisfais Petit Asticot qui me fout la pression, hein ! ^^




2.

Je m’appelle Stéphane. J’ai vingt ans.
J’aime
penser que je suis quelqu’un de spécial, et que je vis une existence
spéciale. C’est sans doute pour croire que ma vie sort du commun. Ce
qui est le cas, et ce qui ne l’est pas vraiment : comme on dit, tout le
monde est spécial, donc personne ne l’est.

3.

- Elle s'est barrée en courant ?
- Ouais. Elle a pris son sandwich et elle a levé les voiles.
- Mais quelle pute !
- Ne dis pas ça, c'était une pauvre femme.
- Je rigole !

Après ma rencontre avec la mendiante, plutôt que de rentrer directement
chez moi où quelques devoirs de classe, une bonne vaisselle et la
solitude m'attendaient impatiemment, j'ai décidé de rendre visite à
Marc, un ami.
Les cheveux en bataille, de longs favoris à la Elvis
Presley et un gris de barbe omniprésent, un peu renfermé et diablement
intéressant, Marc, c'est le grand écart entre le vulgaire et
l'attendrissant, le sensible et l'orgueilleux, des contrastes non pas
contradictoires mais complémentaires. Pour caricaturer, dites-vous que
Marc est le genre de personne qui aurait dans sa bibliothèque des
magazines people juxtaposés aux dix-huit volumes d'une encyclopédie
philosophique. J'ai parfois l'impression, lorsque je le regarde, de
voir une sorte d'homme des cavernes à qui une bonne fée aurait insufflé
un zeste de ce qu'il faut de civilité, d'humour et d'intelligence pour
qu'il ne soit pas totalement un simple et sombre sauvage.
- Quel
temps de m***e, a-t-il marmonné en jetant un œil à la fenêtre de sa
chambre où s'écrasaient en continu d'épaisses gouttes de pluie. C'est
la pure loose !
Oui, enfin, une bonne fée dont la baguette magique était quelque peu défectueuse, peut-être.
- La pure loose, ai-je répété, amusé. Ca ne veut rien dire !

Il a pris une serviette et me l'a envoyée. Je l'ai rattrapée et me suis
essuyé le visage et la nuque. La pluie m'avait bien trempé.
- Et toi, comment ça va ? m'a-t-il demandé. Tu as le peps ?
- Oui, oui. Un peu stressé, comme d'habitude. Et toi ?
- Tranquille.

Tout en me séchant les cheveux, je remarquai que Marc portait les mêmes
pantoufles que mon grand-père. "Tranquille", c'était le mot.
- Je ne voudrais pas te déranger trop longtemps, ai-je dit. Si tu veux travailler...
- T'inquiète pas, choupinette. Tiens, un bout de chocolat aux écorces d'orange. Tu aimes ?
- Je ne sais pas, je n'ai jamais goûté.
Il m'a observé tandis que je déballais le chocolat.
- Qu'est-ce qu'il y a ? ai-je demandé.
- Tu goûtes facilement ce que tu ne connais pas ?
- Oui. Toujours. Toi non ?
Il désapprouva d'un hochement de tête négatif.
- Si je n'aime pas l'apparence, je ne goûterai pas, et même si je le fais, j'aurai tendance à ne pas aimer.
- C'est débile.
- Entièrement d'accord.

J'ai rigolé. J'appréciais sa sincérité avec lui-même - une qualité
tellement rare chez les jeunes de notre âge. Quand il se trompait, Marc
était le premier à le reconnaître. Une si bonne appréhension de
l'erreur lui conférait, à mes yeux, une aura de confiance. Je n'avais
jamais peur de son jugement. C'est pour cela que nous sommes amis.
- C'est super bon ! me suis-je exclamé après avoir croqué un carré de chocolat.
Il a écarté les bras de contentement.
- Tu me fais plez', mec.
J’ai souri.
Nous avons encore discuté un peu, puis lorsque la pluie a cessé, j’ai pris congé de mon ami et suis rentré chez moi.

Euh, c'est bizarre, sur mon ordi, les lignes de mon texte ne vont pas d'un bout à l'autre de l'écran. Normal, ça ? Pour le premier post, ça le fait (les lignes vont d'un bout à l'autre), pour tous vos posts aussi, mais pas pour celui-là...

Bon, tant pis.

Non, je vois pareil... Là c'est pas toi! X3

Tant pis. C'est sympa aussi, comme mise en page ! (on dirait que mon post est plus long )

J'espère qu'Asticot est content !!!!!!!!!