Vous ne connaissez peut être pas ni cet auteur, ni ce roman, ni le héros éponyme, je vais essayer de vous les présenter.
Ce roman du plus prolifique écrivain japonais fait parti de la culture nippone, comme Les 3 Mousquetaires chez nous ou Autant en emporte le vent outre Atlantique. Paru de 1935 à 1939 comme roman feuilleton dans un des plus important journal japonais, il a eu, par la suite droit à maintes réeditions, versions scéniques ou séries de télévison et même à un manga.
Miyamoto Musashi a existé. Mais le roman éponyme n'est pas une biographie. Ce n'est qu'une histoire de cape et d'épée relevée d'une quête initiatique et d'une romance. Beaucoup de personnages de l'oeuvre ont aussi existés, comme Takuan, le moine errant qui fut l'abbé du Daitokuji ou maints seigneurs, combattants ou nobles que le héros croisera sur sa route. Mais Musashi les a t'il vraiment rencontrer ? Mystère. Nul ne saurai le dire.
Le XVIème siècle japonais fut une période charnière dans l'histoire du Japon. Les guerres civiles prenaient fin et sous la tutelle de fer des Tokugawa, le pays allait connaître 200 ans de paix, replié sur lui même et sur sa culture. Les guerriers purent se tourner vers les arts de paix tout en ayant le temps de parfaire leur propre technique de sabre. Les Arts Martiaux proprements dits datent de cette époque. Les techniques de combats sont devenues Arts.
Musashi a vécu pendant ce siècle et a participé aux dernières grandes batailles de ce temps. Sekigahara bien sûr mais aussi le combat au château d'Osaka où il lutta avec les défenseurs, et le massacre des chrétiens à Kyushu à l'aurore de sa vie. De combattant en quête de duel et de puissance, il est devenu un artiste. Poete, philosophe, calligraphe, peintre, sculpteur et érudit.
Le roman nous conte sa vie de ses 17 ans, quand il se réveille sur le champ de bataille de Sekigahara à ses 28 ans, moment légendaire où il affronte son rival Sasaki Kojiro et où il nous montre le résultat de ses 10 ans d'entrainement et d'errance. Il est enfin devenu un Guerrier.
Tous les japonais connaissent ce roman. Il s'est vendu a plus de 120 millions d'exemplaires dans le monde et a fait de Yoshikawa un des personnages majeurs de la littérature du pays du soleil levant. Musashi, tel que le conte le romancier incarne l'idéal du héros romanesque, dans la continuité des films de samourais et de la littérature classique. Noble et fort, courageux et réfléchi. Délaissant peu à peu la force brute pour embrasser la pensée Zen, Musashi se rapproche combat après combat, pensée après pensée de la Voie. Comme le Musashi réel, le Musashi de Yoshikawa est un amoureux de la Nature et de la Contemplation. Dans sa quête initiatique, il se rapprochera d'elle et y trouvera la force de poursuivre son chemin. Zen et Contemplation. Toujours ces deux notions.
J'ai trouvé ces romans (oui ces, car en français, Musashi a été divisé en deux romans de 1000 pages, la Pierre et le Sabre, et la Parfaite Lumière), complétement par hasard. Je ne connaissais ni Musashi, ni l'écrivain, je recherchai simplement un bon roman d'aventure se passant dans le Japon féodal. Je ne voulais même pas acheter les deux tomes d'un coup ! Et... le destin a bien fait les choses car je me suis retrouvé en Musashi. J'ai lu ce roman fleuve en un rien de temps, le relisant ensuite maintes et maintes fois, puis je me suis attaqué aux oeuvres du personnage historique. Le Gorin no Sho, ou Traité des 5 roues, sa biographie, ses peintures... Ce personnage est devenu mon Aragorn, d'autant plus qu'il avait existé et qu'il y avait des preuves ou des témoignages historiques de ses actions. Mais était il comme nous le conte Yoshikawa ? Probablement pas. Ce n'était qu'un homme après tout et aussi eveillé qu'il pouvait être, tous les hommes restent faibles et limités. Mais c'est bon de rêver.
Comme extraits, je citerai d'abord le tout début, quand Takezo Shinmen (vrai nom de Musashi, au moins dans le roman) se réveille parmi les cadavres de Sekigahara. Il decidera de ne pas rentrer chez lui et de devenir un Shugyosha, un escrimeur errant. En quête de puissance, il parcourera ensuite le Japon.
Takezo gisait au milieu des cadavres. Il y en avait des milliers.
"Le monde entier est devenu fou, songeait il vaguement. L'homme ressemble à une feuille morte, ballotée par la brise d'automne.
Lui-même ressemblait à l'un des corps sans vie qui l'entouraient. Il essaya de lever la tête, mais ne parvint qu'à la soulever de quelques centimètres au dessus du sol. Jamais il ne s'était senti aussi faible. "Je suis là depuis combien de temps ?" se demanda t'il.
Des mouches vinrent bourdonner autour de sa tête. Il voulut les chasser, mais n'eut pas même la force de lever le bras qu'il avait raide, fragile comme le reste de son corps.
"Je dois être là depuis un bon moment", se dit il en remuant un doigt après l'autre. Il ne se doutait pas qu'il était blessé : deux balles en plein dans la cuisse.
Des nuages bas, sombres, menaçants, traversaient le ciel. La nuit précédente, quelque part entre minuit et l'aube, une pluie diluvienne avait inondé la plaine de Sekigahara. Il était maintenant un peu plus de midi, le quinze du neuvième mois de l'an 1600. La tornade avait beau être passée, de temps à autre de nouveaux torrents de pluie s'abattaient sur les cadavres et sur le visage à la renverse de Takezo. Chaque fois que cela se produisait, il ouvrait et fermait la bouche comme pour essayer de boire les gouttes. "On dirait l'eau dont on humecte les lèvres d'un mourrant" pensa t'il en savourant la moindre gouttelette. Il avait la tête lourde ; ses pensées étaient les ombres fugitives du délire.
Ensuite, fin du premier livre : la Terre. Takezo, condamné et emprisonné dans un chambre pendant 3 ans pour une raison que je vous laisse découvrir n'a qu'une seule chose à faire : lire.
(...) Autour de la table s'élevait une montagne de livres, certains en japonais, d'autres en chinois. Des livres sur le Zen, des volumes sur l'histoire du Japon. Takezo se trouvait pour ainsi dire enfoui dans ces ouvrages d'érudition, tous empruntés à la collection du seigneur Ikeda.
En le condamnant à la réclusion, Takuan avait dit :
- Tu peux lire autant que tu veux. Un prêtre fameux a dit un jour : "Je me plonge dans les Ecritures, et lis des milliers de volumes. Lorsque j'en sors, je constate que mon coeur y voit plus clair qu'avant." Considère cette chambre comme le ventre de ta mère et prépare-toi à renaître. Si tu ne la regardes qu'avec tes yeux, tu ne verras rien de plus qu'une cellule close, non éclairée. Mais regarde encore, et de plus près. Regarde avec ton esprit et réfléchis. Cette chambre peut être la source de l'Illumination, la fontaine de la connaissance qu'ont découverte et enrichie les sages d'autrefois. A toi de décider s'il doit s'agir d'une chambre de ténèbres ou d'une chambre de lumière.
Takezo avait depuis longtemps cessé de compter les jours. Quand il faisait froid, c'était l'hiver ; quand il faisait chaud, l'été. Il n'en savait guère davantage. L'athmosphère demeurait la même, humide et renfermée ; sur la vie de Takezo, les saisons restaient sans influence. Pourtant, il était presque certain que la prochaine fois que les hirondelles viendraient nicher dans les meurtrières du donjon, ce serait le printemps de sa troisième année dans ce ventre maternel.
"J'aurai vingt et un ans", se disait il. Pris de remords, il gémissait : "Et qu'ai-je fait de ces vingt et un ans?" Parfois, le souvenir de ses premières années, implacable, le plongeait dans le chagrin. Il geignait et quelquefois sanglotait comme un enfant. Ces tortures, qui duraient des journées entières, le laissaient épuisé, le coeur déchiré.
Enfin, un jour, il entendit les hirondelles de retour aux auvents du donjon. Une fois encore, le printemps avait franchi les mers.
Peu de temps après, une voix qui maintenant lui semblait étrange, presque pénible à entendre, demanda :
- Tu vas bien, Takezo ? (...)
Dernier extrait, un des nombreux duels parsemant l'oeuvre. Pas le plus important, pas le plus beau mais un qui montre ce qu'est Musashi. Un autodidacte, qui a appris à manier son sabre à "la dure " dans la Nature. Un passage où le héros est encore loin de la Voie mais où il progresse, où il devient Homme et Guerrier.
(..) Silence de mort. La neige s'accumulait sur les cheveux de Musashi, sur les épaules de Denshichiro.
Musashi ne voyait plus devant lui un gros bloc de pierre. Lui même n'existait plus en tant que personne distincte. Il avait oublié sa volonté de vaincre. Il voyait la blancheur de la neige tomber entre lui même et l'autre homme, et l'esprit de la neige était aussi léger que le sien propre. L'espace paraissait maintenant une extension de son propre corps. Il était devenu l'univers, ou l'univers était devenu lui. Il était sans être là.
Les pieds de Denshichiro s'avancaient, centimètre par centimètre. Au bout de son sabre, sa volonté tremblait vers le début d'un mouvement.
En deux coups d'un seul sabre, deux vies expirèrent. D'abord, Musashi attaqua vers l'arrière et la tête d'Otaguro Hyosuke, ou un morceau de sa tête, vola devant Musashi comme une grosse cerise cramoisie, tandis que le corps inanimé chancelait en direction de Denshichiro. Le deuxième cri terrifiant - le cri de guerre de Denshichiro - fut brisé net au milieu ; le son interrompu s'évanouit dans l'espace qui les entourait. Musashi bondit si haut qu'il semblait jaillir de la poitrine de son adversaire. La forte charpente de Denshichiro tituba en arrière et s'effondra dans un tourbillon de neige blanche.(...)
Commencement, étude, duel, ça suffira comme extraits. Mais dans Musashi, il y a aussi vengeance avec la vieille Osugi, l'amour d'Otsu, la poésie d'une cérémonie de thé, l'entrainement et la soif de pouvoir des bretteurs, la faiblesse de l'alter ego du héros : Matahachi, la douleur de la solitude sur la Voie. Tout l'oeuvre est une quête initiatique. Quête que nous devons (ou devrions) tous accomplir un jour pour devenir pleinement Homme