Terrarium

J'ai beaucoup hésité à le mettre dans la galerie SF, parce que j'ai du mal à le classer, mais voici le début du texte d'une nouvelle que j'ai écrite (qui fait environ 6 pages word). Je mettrais la suite plus tard si ça peut intéresser des gens, pour que ça ne soit pas trop indigeste. Ça devient plus SF par la suite. C'est la première nouvelle que je finis vraiment, alors tout commentaire est amplement bienvenu.




22 Mars

Je suis exsangue. Les forces de l'ordre sont parties depuis plus d'une demi-heure au moins, les lampadaires des quais projettent toujours leur halo ondulant sur les vagues du fleuve à proximité des quais. Quelques visages familiers m'entourent, mais je ne mets des noms dessus que difficilement. Quand à mes sensations, je ne les contrôle plus. L'alcool se joue de moi tel un démon capricieux, me soumet à ses flux et reflux qui m'arrachent des grimaces et des accès de nausée. Il doit être deux heures du matin, et j'ai du mal à distinguer la voûte étoilée de l'eau obscure du fleuve. Il n'y a pas eu d'émeute cette nuit-là, mais il s'en est fallu de peu. J'ai cependant, comme trop souvent, bien trop bu.
Je perçois vaguement Julien qui me soulève en me disant « allez, on rentre », avant de sombrer complètement.

23 Mars

Il est 14h lorsque je me lève. J'ai dormi plus ou moins posé sur un sac de couchage. L'intérieur de l'appartement de Julien est encore sombre, les volets tirés, et sent la cigarette. Une armée d'ouvriers de chantier fous est en train de percer ma tête au marteau-piqueur. J'avance en chancelant vers la cuisine, ouvre l'armoire, la fouille fébrilement à la recherche d'un cachet d'aspirine. Je n'en trouve pas, mais avale quand même une pilule d'une boîte vaguement ressemblante, puis essaie de mettre en route la machine à café. En attendant je déplie l'ordinateur sur la table de la cuisine. Il n'y aura rien de nouveau à voir, mais je consulte quand même Facebook. Toujours les mêmes têtes insipides. Le café est prêt, j'ai beau mettre quatre sucres il est atroce. Je suis le pire préparateur de café au monde.
Julien n'est plus chez lui. J'éteins l'ordinateur et rentre chez moi.

Les voies fluviales sont encombrées par l'agitation de mille embarcations au vrombissement d'insecte, au milieu desquelles celle des transports en commun se fraye difficilement un passage. Ma gueule de bois semble empirer. Je ferme les yeux, espère faire passer le temps.

Je nourris toujours secrètement l'espoir, quand j'entre dans mon appartement, qu'il y ait quelque chose d'inhabituel, que quelqu'un soit en train de m'y attendre. Un étranger assis à la table, ou une mystérieuse lettre glissée dans la boîte, ou encore un papier peint mystérieusement refait à neuf, n'importe quoi. Je tourne la clé dans la serrure et ouvre la porte, mais comme d'habitude tout est en place. Après une fouille -brève vu la taille de l'appartement- il apparaît que personne n'est caché dans les placards.

Dépité, je me laisse tomber dans le canapé, allume mon ordinateur, ouvre une canette de bière bon marché et consulte négligemment 9gag. Ô Internet, glorieux héritier de la télévision, divertis-moi.
Un temps indéterminé s'écoule, les mouches tournoient, j'entame une nouvelle bière. Arrive un moment où il est 17h, je me lève, jette l'ordinateur dans un coin, prends mon portefeuille et sors dans la rue.

La corporation se situe dans un quartier intermédiaire de la ville, séparé par le canal central des beaux quartiers et côtoyant les bas districts commerçants. Au dessus de la porte d'entrée d'un bâtiment, une pancarte avec des pièces d'échec signale la présence de l'association. La corporation est, originellement une association de joueurs d'échec, jeu que j'ai toujours détesté. Arrivé au quatrième étage, je retrouve John Wayne, Krylenko, et les autres. Comme près de la moitié de la corporation aujourd'hui, ils méprisent les joueurs d'échec. On appelle John Wayne ainsi en raison de la ressemblance avec l'acteur, Krylenko à cause de son ascendance ukrainienne, mais son vrai nom est Pierre-Emmanuel. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui est un jour à part à la corporation, à en juger par l'ambiance qui règne à mon entrée dans la pièce. Des changements ont été faits dans la disposition des lieux, et les quelques membres présents sont regroupés en cercle autour d'un grand objet rectangulaire en verre transparent, rempli au tiers de terre ; une excitation palpable se lit dans leur regard. Je m'approche et ils me présentent l'objet et son principe. On se met vite d'accord sur le fait qu'il faut commander des pizzas parce qu'on ne rentrera que tard dans la nuit. Je viens de découvrir Terrarium.

Citation :

Les forces de l'ordre sont parties depuis plus d'une demi-heure au moins, les lampadaires des quais projettent toujours leur halo ondulant sur les vagues du fleuve à proximité des quais.

Répétition du mot quai.

Citation :

Quand à mes sensations

Dans ce cas là, le "quand" s'écrit "quant".

Citation :

Il est 14h lorsque je me lève

Les chiffres doivent être écrit en lettres dans un récit. Pour les dates cependant cela passe.

Le premier paragraphe du 23 Mars me plait bien il rend ton personnage vivant quant à ses réactions à son réveil, son passage sur facebook...

J'ai bien apprcié la touche d'humour avec la préparation du café.

Citation :

Je nourris toujours secrètement l'espoir, quand j'entre dans mon appartement, qu'il y ait quelque chose d'inhabituel, que quelqu'un soit en train de m'y attendre.

Personnellement, j'enleverais les deux premières virgules. Elles cassent selon moi la fluidité de la phrase qui peut paraître certes longue, mais quand je l'ai lue à haute voie, je n'aie considéré que la dernière comme utile.

Citation :

Ô Internet, glorieux héritier de la télévision, divertis-moi.

Pas mal, pas mal

Citation :

Arrive un moment où il est 17h

Même remarque que plus haut pour les chiffres.

La fin est très intéressante car on découvre le "pourquoi Terrarium" du titre et on se demande ce qui va se passer, bien qu'on puisse déjà deviner qu'un événement hors du commun, d'ailleurs tant éspérépar la narrateur, va se produire. Dans l'ensemble, ton histoire est assez prenante et bien écrite, j'apprécie ton style. Tout ne va pas trop vite tu mets en place des petites descriptions sympathiques et on est pas tout de suite plongé dans le bain du surnaturel. je découvrirai la suite donc avec plaisir

Voili voilou !

Début de texte plutôt intrigant, j'ai envie d'en savoir plus, à la fois sur ce personnage qui nous parle et sur son environnement extérieur qui n'est que très vaguement évoqué.

J'ai été un peu surprise par l'association de joueurs d'échec dont la moitié des membres n'aime pas les joueurs d'échec... j'ai envie de demander : mais alors, qu'est-ce qu'ils font là ?
J'espère en apprendre plus sur cette mystérieuse corporation dans la suite, ainsi que des événements que va sans aucun doute provoquer ce terrarium.

Sinon sur ton style, je le trouve fluide, ça se lit très vite, et les petites remarques du héros sur sa vie et ce qu'il fait apportent une touche d'humour bienvenue.

J'attends donc de découvrir ce qui va se passer maintenant !

Merci beaucoup pour les retours!

Je vais corriger le quant et supprimer les virgules en trop (effectivement, après relecture c'est plus fluide) ainsi que la répétition.

Par contre j'ai peur que les heures en toutes lettres ça fasse un peu trop formel, que ça donne l'impression que le personnage se rend à un meeting d'affaires.

Voilà la deuxième partie (je pense en faire trois en tout):





30 Mars

Il y a trois règles de base à Terrarium :

-Ne jamais interférer physiquement avec une partie en cours.

-Il est interdit de donner à un insecte une immunité contre un quelconque gaz.

-Tous les nouveaux-nés au cours d'une partie doivent être stériles.

L'arène présente à la corporation mesure deux mètres de longueur pour un mètre de largeur et un mètre cinquante de hauteur, avec un remplissage de terre à hauteur moyenne de cinquante centimètres.

Notre salle a été réaménagée entièrement. Un incubateur est relié par un long câble USB à un ordinateur. L'arrière-salle contient de plus petits dispositifs où sont conservés les reines avec de petites colonies de quelques centaines d'ouvrières. Dans l'arène elle-même, des webcams sont implantées à divers endroits stratégiques, leurs images affichées sur le moniteur du PC, afin que l'on ne rate rien du spectacle.

Il y a ici Nataniel, jeune, ancien joueur d'échec, Krylenko avec une barbe naissante, et John Wayne, déjà bien entamé par l'alcool à cette heure précoce de la journée. Ces deux derniers jours nous n'avons fait presque que coder et tester.

La concentration se lit sur tous les visages qui sont fixés sur le pavé de verre au centre de la pièce. A l'intérieur de celui-ci, la bataille décisive est en train de se mener. Krylenko et moi utilisons une variation sur la fourmi argentine. En face, Nataniel et John Wayne ont des fourmis légionnaires africaines.
Je mâche nerveusement un quignon de pain alors que nos flancs gauches sont en train d'être débordés. Nous avons le nombre - une supériorité numérique incontestable – mais nos soldates ne font pas le poids. Les mandibules des légionnaires ennemies ont vraiment quelque chose de spécial. Les cadavres commencent à s'empiler en nombre près d'une entrée du nid, amas de ridicules corps sans vie, et une file d'assaillants continue d'affluer avec une régularité mécanique, abattant nos défenses dans une succession de spasmes mortels. Les têtes de combattantes arrachées volent dans le petit espace de l'arène.

Je n'ose pas me l'avouer, mais j'ai eu tort dans la stratégie à suivre. J'ai plaidé auprès de mon allié Krylenko une tactique impliquant un feu nourri d'artilleuses, mais leur jet d'acide formique ne vaut rien. Et les légionnaires continuent de décimer nos troupes.
Mes yeux sont tirés, et je tiens encore debout grâce au café mais mes idées commencent à perdre en clarté. Bientôt nous sommes bien obligés de reconnaître notre défaite.
Cela me fait un peu mal car j'ai beaucoup d'estime pour Krylenko. C'est grâce à lui que la corporation est ce qu'elle est devenue aujourd'hui. Surdoué mais psychologiquement instable, il a commencé à fréquenter les locaux de la corporation parce qu'il était l'ami d'un des joueurs d'échec. Lui-même ne jouait pas et se contentait de se poser dans les locaux en buvant bière sur bière et discuter avec tout le monde et n'importe qui. Au fil du temps, les gens fréquentant la corporation se sont mis à être de moins en moins de joueurs d'échecs, mais des jeunes qui à l'image de l'ukrainien étaient talentueux mais pour une raison ou une autre en marge de la société.
Les événements des derniers jours vont certainement amplifier la tendance. Qui a besoin des échecs quand on a Terrarium ?

Dix minutes plus notre reine est morte, son corps ramenée à la surface par les guerrières adverses dans une dérisoire cérémonie de triomphe.

Rentré chez moi, il n'y a toujours personne, sauf que cette fois en plus le frigo est vide. Je sors acheter du jambon et des pâtes à la supérette, en profite pour prendre des cigarettes.


6 Avril

La fourmi de feu (Solenopsis Invicta) est en fait une alternative bien plus viable que la fourmi argentine. Elle présente la même agressivité caractéristique des espèces invasives, un bon potentiel de croissance démographique, et un venin particulièrement puissant administré par un dard, là où, malgré nos efforts pour agrandir le réservoir abdominal et améliorer la précision, l'acide formique ne s'est jamais révélé déterminant dans l'issue d'une bataille.

Un « ami » de John Wayne nous a aidé à acheter un nid de quelque centaines d'individus comprenant une reine, en provenance d'Asie. Les premières batailles sont des défaites cuisantes, face au code bien rôdé de l'équipe adverse. Aujourd'hui, un statu quo semble émerger. Gravé dans l'ADN de chacun de nos insectes est un dispositif de combat en groupe élaboré. L'ennemi avec ses mandibules améliorées est presque invulnérable dans un combat de front, mais une fois isolé il suffit que nos guerrières rouges l'immobilisent à plusieurs en privant tous ses membres de libertés, pour qu'une autre l'achève d'une piqûre à un point vulnérable. Le dispositif a exigé une spécialisation des soldates, entre les combattantes chargées d'engager l'ennemi et le capturer tout en tenant la ligne de front, et les exécutrices dont le venin a été spécialement renforcé.

L'ennemi a attaqué de front, pénétrant en force dans un étroit passage entre deux buttes, à partir desquelles ses artilleuses projettent un tir de couverture. Excellent choix de sa part car il lui permet de profiter pleinement de la supériorité individuelle de ses soldates, l'étroitesse du passage évite qu'elles soient encerclées, cependant les fourmis de feu réagissent exactement comme prévu. Une fois au contact avec un organisme adverse, elles l’entraînent en arrière dans la masse grouillante qui se charge de l'immobiliser et de l'exécuter promptement. Après quelques minutes, malgré la violence de l'attaque ennemie, nos lignes tiennent et les cadavres de légionnaires commencent à s'empiler en masse.

De nouveaux membres ont rejoint notre équipe. Un jeune brun maigre aux yeux verts scrute avec minutie le fonctionnement interne de la colonie sur les images du moniteur de l'ordinateur. Presque une dizaine de membres de la corporation sont présents en tant que spectateurs, les yeux rivés sur le spectacle morbide qui se joue dans un peu plus d'un mètre cube scellé par du verre, où des milliers d'êtres vivants s'entre-tuent avec frénésie.

Nos forces sont en train de renverser le cours de la partie : déjà des troupes d'avant-garde, rapides et légères, sont en train d'investir la butte gauche et d'y massacrer les artilleuses. Les fourmis légionnaires, après une dernière tentative infructueuse, organisent un corridor vivant, les combattantes les plus résistantes coordonnant le repli des plus faibles, et laissent derrière elles un amas informe de petits corps sans vie.

Les fourmis de feu en profitent pour se rassembler et lancent une contre-offensive en essayant de déborder l'ennemi par les flancs. Dans les minutes qui suivent la situation vire à l'anarchie complète, des corps d'armée se tombent dessus au hasard et se mettent à s'exterminer sans ordre de bataille. Nos combattantes ne sont pas conçues pour évoluer dans une mêlée aussi chaotique, leur spécialisation ne va pas les aider ici, la contre-attaque a sans doute été trop précipitée.

Mon cœur manque de s'arrêter quand on voit émerger, en provenance du nid ennemi, des unités d'un genre nouveau : l'abdomen gonflé comme un ballon de baudruche, gorgé d'un liquide inquiétant, d'énormes ouvrières se traînent vers les lieux de combat. Leur démarche a quelque chose de monstrueux. La première de ces machines de guerre, qui déferlent par dizaine, arrive dans la mêlée, et aussitôt, explose subitement. De l'acide sous pression est projeté sur tous les insectes alentours, ceux-ci sévèrement brûlés sont pris de contorsions ridicules. Un frémissement parcourt l'assistance. Après de nombreuses déflagrations similaires, cependant, Krylenko et moi pouvons échanger un regard soulagé : les kamikazes font autant de dégâts dans leurs propres rangs que chez nous. Bien essayé quand même.

En l'état actuel des choses, la confusion devrait finalement désorganiser les défenseurs, qui ne fournissent plus une ligne de défense stable, et dont les artilleuses sont beaucoup trop dispersés pour constituer une quelconque menace. Son flanc gauche dégarni va offrir un boulevard à nos forces.

Je cherche Nataniel du regard. Même l'équipe adverse a l'air de reconnaître sa défaite. Un quart d'heure plus tard, nos insectes pénètrent brutalement dans les couloirs et tunnels du nid ennemi. La marée rouge se déverse dans tous les orifices, détruisant indifféremment tout ce qu'elle trouve, dans une frénésie guerrière insatiable. Les ouvrières restantes tentent tant bien que mal de construire un mur afin de protéger la reine, dans un dernier sursaut désespéré et vain. En ce moment précis, je me sens l'égal de César et Attila.

Un début intéressant et intriguant.

J'aime bien ton style et je lirai la suite avec plaisir.

Les jeux du cirque avec des insectes ont un côté intéressant, mais aussi un peu glaçant avec ces humains qui font s'entre-tuer ces animaux pour leur divertissement. J'en viendrais presque à éprouver de la pitié pour ces pauvres bêtes qui n'avaient rien demandé.

Bon, évidemment, je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux Fourmis de Werber, que j'ai lu il y a longtemps.

Je suis curieuse de savoir comment l'histoire va finir.

Et voilà la suite et fin:



10 Avril

Je passe de moins en moins de temps chez moi. Il ne s'y passe rien de toute façon, et les cloisons mal conçues laissent échapper des courants d'air glacés. Krylenko habite à l'ouest de la ville, dans un appartement excentrique mais confortable devenu notre véritable Q.G d'équipe. Des heures innombrables sont passées à élaborer des stratégies et à taper des lignes de code, en buvant des océans de bière à bas prix. Par chance, comme la copine de Krylenko l'a récemment quitté, il est entièrement dédié à la cause commune.

Ce qui rend Terrarium si addictif, c'est l'incroyable intuitivité de ses commandes. Aucune connaissance poussée en génétique ou informatique n'est requise pour maîtriser correctement le processus. La création n'est donc pas limitée par des contraintes techniques. Une fois maîtrisées une ou deux commandes de base il suffit de s'asseoir devant un clavier et programmer ce que l'on a envie, quasiment les yeux fermés. L'incubateur se charge ensuite de traduire le langage machine en une séquence de A,T, G, et C, et de l'incorporer dans l'ADN d'une reine. On imagine difficilement les prodiges de technologie et d'ingéniosité qui ont dû être nécessaires pour concevoir cette machine de démiurge.

Personne à la corporation ne sait qui a crée Terrarium. John Wayne et Squirrel ont fait acquisition des équipements et des logiciels pour le compte de l'association, mais ils n'ont plus contact avec la personne qui les leur a fournis.

Quand j'erre dans les rues et canaux de la cité, je me prends à être rêveur. Mon regard transforme les immeubles en collines et les voitures en chars d'assaut, compactés en rang serré dans l'attente de la prise d'assaut d'une forteresse. Je me mets à suspecter que dans les feux tricolore se cachent des caméras qui transmettent les images à des yeux attentifs quelque part.

Cet après-midi, je me rends à l'animalerie. En plus des vers de terre et insectes habituels, j'achète un petit serpent, histoire de pimenter l'environnement de l'arène.


16 Avril

NOUS NE SOMMES PAS SEULS. Caché dans les tréfonds d'Internet, le site Terrarium-the-game.org nous attendait. C'est à Nataniel que revient le mérite de l'avoir découvert, après maintes recherches infructueuses, il a eu la chance de taper le nom de domaine exact du site dans la barre du navigateur. Site au design épuré,Terrarium-the-game.org est pour le moins cryptique, et ne contient aucune information substantielle. Seulement, il atteste de l'existence d'une communauté de joueurs. L'onglet « Échanger », seule catégorie vraiment intéressante du site, propose d'échanger un fichier-code contre celui d'un autre utilisateur anonyme.
Rassemblés devant le PC de la corporation, nous sommes dans un état de fébrilité extrême. D'un commun accord, nous nous décidons à joindre un fichier-code ancien destiné à la fourmi argentine. Le site annonce avoir enregistré l'échange. Une demi-heure plus tard, le navigateur lance le téléchargement du nouveau fichier.

Une fois ouvert dans le logiciel de Terrarium, la console indique que le fichier-code s'applique à l'espèce de fourmi esclavagiste Formica Sanguinea.

Nous n'avons pas d'esclavagiste en stock à la corporation. En commandant maintenant, on peut en recevoir sous une semaine. Sanguinea est une espèce intéressante. Son habitude de lancer des raids contre d'autres nids afin de capturer les nymphes et faire travailler les fourmis qui en naissent comme esclaves en font une espèce agressive et expansionniste par essence. J'avais longuement réfléchi aux possibilités stratégiques qu'elle pouvait offrir, mais je n'ai réussi jusqu'ici à en tirer aucune de substantielle, même si des myriades de choses prodigieuses semblent se tenir juste à l'orée de mon imagination. Ce fichier-code nouveau dont l'icône clignote sur l'écran est iréellement excitant.

Nous restons jusque tard dans la nuit à spéculer sur l'identité de ces mystérieux étrangers. Lorsque je sors, une grève surprise a totalement paralysé le réseau de transports en commun. J'ai quatre kilomètres à faire, dans le noir, à travers un dédale de ponts et de ruelles, il fait froid, et il pleut des trombes, mais le rideau de pluie me passe à travers sans que je le sente.


23 Avril

Le sublime est le sentiment de délicieuse terreur qui subjugue l'esprit humain confronté à quelque chose que son imagination jusque là n'arrivait pas à concevoir.
La bataille qui se joue en ce moment sous nos yeux en est un effroyable vecteur. Nous ne sommes pas tant les témoins d'une attaque que d'une symphonie, une œuvre d'art poussée à son plus pur et éclatant aboutissement. Mon corps en est pris de spasmes involontaires. Notre colonie n'a aucune chance face à l'essaim d'esclavagistes qui est une machine de mort, dont le déploiement a le naturel et l'évidence d'une vérité absolue, l'élégance dépouillée d'un ballet classique. Ses unités explosives, troupes aéroportées, sapeurs qui creusent la terre pour ouvrir des brèches, ses épandeuses de phéromones abrutissantes, ne nous laissent aucune chance.

Nous n'avons même pas à nous regarder pour savoir que chacun dans la salle encombrée d'instruments divers est pris du même sentiment. C'est une fascination stupéfaite qui se lit sur nos regards éclairés par la lumière livide de la lampe qui simule le soleil des insectes.

Le soir-même, je suis sur les quais où la fête usuelle bat son plein. Comme chaque jeudi, les bords du fleuve sont un long chaos enivré, où les cris et les lumières crépusculaires se mêlent indistinctement les uns aux autres. Mais quelque chose a changé en moi. La volupté du vin, les reflets vénéneux des réverbères dans l'eau sombre du fleuve, les rencontres étranges et toujours imprévisibles, les paroles éthérées qui sortent des âmes éprises d'alcool et de nuit, la menace policière toujours imminente, ne relèvent que d'une beauté fanée, un sentiment de liberté illusoire et artificiel. Ces gens-là cherchent de toutes leurs forces à éprouver la vie, mais ils ne créent pas. Toute la nuit ils côtoient Dionysos, mais ils ne sont le Dieu de personne.

Une bouteille de spiritueux à la main, je m'assieds au bord de l'eau où je regarde longuement le fleuve s'écouler, indifférent.
Au loin de temps en temps des bruits de sirènes déchirent la nuit.


1er Mai

Le code récupéré sur le site Internet a totalement débloqué mon imagination. Avant de voir les Sanguinea ainsi crées en action, je n'osais pas rêver de choses aussi belles. Mais depuis un mur s'est effondré dans mon esprit, me libérant de ces limites fantasmagorique. Le potentiel de modification génétique de Terrarium est tel que la puissance de destruction ainsi atteignable est pharaonique. Son concepteur imaginait-il seulement de telles choses ?

Les batailles que nous nous livrons à la corporation sont de plus en plus saisissantes. Nous nous rapprochons du niveau de sophistication du code des fourmis esclavagistes.


9 Mai

Cet après-midi, une cohorte de Solenopsis Invicta a commencé à faire fondre la paroi de Plexiglas qui clôt l'arène, grâce à un mélange inflammable. La partie en cours a dû être aussitôt interrompue en euthanasiant les insectes avec le gaz qui sert normalement à les neutraliser à la fin d'une partie.

Nous venons juste également de recevoir un nouveau code par échange. Nous avons particulièrement hâte de le confronter aux nôtres.


19 Mai

Je me suis levé à midi avec une nausée et un mal de tête persistant. J'ai passé ma journée à regarder des vieux DVDs en mangeant un fond de pop-corn qui traînait dans un placard. J'ai vu une deuxième fois consécutive The Most Dangerous Game, qui est décidément un film excellent.
Les heures s'étirant lentement, j'ai tué le reste de l'après-midi sur Internet, radiant la moitié de mes contacts Facebook de ma liste d'ami, par simple caprice. Je m'en sens étrangement soulagé.
Je me couche tôt après avoir pris des somnifères.


21 Mai

Les combats entre insectes ont atteint le summum de leur potentiel. Ils sont désormais grandioses, mais la taille de l'arène limite leur possibilité d'expression, d'autant plus qu'il faut désormais redoubler de précautions pour que les hyménoptères ne s'échappent pas. La symétrie des affrontements, avec des insectes de chaque côté, est lassante. Pourtant, c'est un océan de promesses stratégiques et artistiques que j'entrevois.

Mon nouveau code est finalisé. Il est 23h30, et je tourne la clé dans la serrure qui mène à l'étage des locaux de la corporation, qui sont vides à cette heure-ci. Je n'ai parlé à personne de mon projet, car je suis persuadé d'être le seul ici à avoir compris pourquoi les nouveaux fichiers envoyés par les autres joueurs via le site Internet produisaient des résultats si faibles dans l'arène.

Il faut porter Terrarium à sa maturité. L'enjeu a changé, les fourmis ne sont plus programmées pour tuer d'autres fourmis. Ironiquement, sous cette nouvelle philosophie, l'avantage est qu'il n'est nul besoin d'avoir un terrarium.

J'ai préféré ce passage par rapport au deuxième, sans doute parce qu'il est plus dans la suggestion que dans la description.

Pour le fond de l'histoire et l'évolution qu'elle prend, je ressens toujours une petite sensation glaçante, surtout à l'idée que le narrateur va libérer les fourmis modifiées et qu'elles vont s'attaquer aux humains (et à lui en premier ?) ; la fin ouverte permet de tout imaginer, surtout le pire.

En tout cas, l'idée est très originale et tu nous montres bien l'évolution de l'état d'esprit du narrateur (voire son basculement dans la folie)

Merci.

Je suis content pour la sensation glaçante, c'est ce que j'avais en tête