Ah bah y a pas forcément quoi que ce soit à comprendre
Voici un poème en prose.
Le voyez-vous, cet homme qui descend au village? Il a les bras chargés d’un lourd panier de fruits, et d’une gerbe de blé. C’est un blé jeune et tendre, il est déjà doré par le soleil timide de l’aurore. Troisième lune du mois : c’est le temps des récoltes. La lumière pointe à peine par-delà les montagnes.
Le voyez-vous, cet homme qui descend au village ? Il a le corps tanné par la chaleur d’été. Le labeur l’a courbé : il est comme bossu. Deux bœufs tranquilles tirent une charrette de bois, il les guide de sa main sinueuse. Raisins, viande fumée, fruits secs et sucrés… Son chargement respire le bonheur.
Le voyez-vous cet homme qui descend au village ? Il a les mains jointes en signe de prière, et la tête baissée. Il marche pieds nus, avec un franc sourire. Point de colère dans ses yeux mi-clos : il regarde ailleurs, par-delà les collines, les fleuves et les plaines. Chaque montagne est son riche palais, chaque être son ami. Il embrasse la nature comme une douce compagne.
Le voyez-vous cet homme qui descend au village ? Son visage est caché par un chapeau trop grand. Il a les mains cendrées, couvertes de poudre noire. Ses yeux brillent dans l’ombre, et il a dans sa main une longue tige noircie. Il porte sur son dos des dragons, des oiseaux, jouets multicolores, visages grimaçants. Ils sont légers et impatients, ils veulent s’envoler dans une nuit étoilée. Le temps d’un soupir, d’un regard dérobé, ils s’évanouissent dans une gerbe de joie.
Le voyez-vous cet homme qui descend au village ? Son regard pétillant ravive les esprits. Il est vieux et ridé, mais un sourire de jade orne encore son visage, joyau brut au milieu d’une mine épuisée. Son épaule supporte un sac de cuir grossier, noué en toute hâte. Des bouteilles d’argiles pointent le bout de leur goulot. Une odeur entêtante se répand alentours… On apporte la joie, il apporte l’ivresse.