Le Gardien

« Mes amis, j'écris dans ce cahier, le récit incroyable et pourtant véridique d'un jeune homme qui vient d'atteindre sa vingt-cinquième année. Vous allez découvrir dans ces pages comment par le fait d'une simple rencontre, sa vie fut bouleversée...

S'en fut fini de son immaturité. Avant cette histoire, le jeune homme en question était connu pour être quelqu'un d'irresponsable, se moquant de toutes choses et de toutes personnes. Seule sa misérable existence comptait. Comment a-t-il bien pu changer, me direz-vous? Je vais vous donner la clé du mystère. Voici donc l'histoire de ce jeune homme... Voici donc ce qui fut et restera MA VIE. »


La porte de la chambre s'ouvre pour laisser entrer une femme qui porte dans ses mains un plateau dans lequel reposent un verre de jus d'orange et une assiette de biscuits. C'est une dame d'une quarantaine d'année. Elle porte une veste de laine bleu-foncée et un pantalon d'un bleu clair. Son visage est tiré sous le coup de la fatigue et de la tristesse. À ses yeux rougis, on peut voir qu'elle vient de pleurer, il n'y a pas très longtemps.

Elle se retourne et se dirige vers le lit où se trouvent deux personnes. L'une est assise sur une chaise et l'autre est allongée dans ce lit. En approchant, on aurait pu croire que la jeune fille dormait. Mais ce sommeil est bien trompeur. En réalité, la jeune fille est plongée dans un coma profond. Les médecins s'interrogent sur son cas et rien au monde ne peut justifier son état. C'est pour cela qu'après bien des examens, ils ont autorisé la famille à ramener leur fille chez eux. Sa maladie, dirent-ils, n'a rien de commun avec toutes celles existantes. Ses fonctions vitales sont opérationnelles et elle peut sortir de son coma à tout moment. La seule chose qui reste à faire, est d'attendre. Et pour Madame Lastore, attendre est au-dessus de ses forces, car elle doit regarder sa fille dépérir à longueur de journée.

L'autre personne qui attend, est un jeune homme de vingt-deux ans, habillé simplement. Son regard triste est dirigé vers la jeune fille et on peut voir qu'il s'attend d'un moment à l'autre à ce qu'elle ouvre les yeux.

« Ce jeune homme blond, c'était moi à l'époque. Maintenant trois ans se sont écoulés et beaucoup d'eau à coulé sous les ponts depuis...Mais revenons où nous en étions. »

̵ Je te remercie de passer la voir tous les jours, déclare madame Lastore en posant le plateau sur le bord de la table de chevet.
̵ Ce n'est rien, répondais-je. Votre fille compte énormément pour moi.

La femme soupire et je peux voir sur son visage qu'elle s'apprête à libérer un poids qui la travaille depuis un moment.

̵ Mikel, sois franc avec moi, supplie-t-elle. Que s'est-il passé ce jour-là? Lorsqu'elle est partie de la maison, elle s'inquiétait pour toi. À l'entendre, tu étais en grand danger. Alors, dis-moi ce qui est arrivée à Justine. Qu'est-il arrivé à mon bébé?

Madame Lastore éclate en sanglots.

̵ J'ai le droit de savoir. Que lui est-il arrivé?

Cette phrase me cingle le visage comme l'aurait fait une gifle magistrale. Soudain, tout s'obscurcit devant moi et la voix étouffée entre deux sanglots de la mère de Justine me parvient à peine à mes oreilles. Et des choses terrifiantes me reviennent en mémoire, surtout une voix spectrale.

« ̵ Tu ne perds rien pour attendre! Me crie cette voix. Un jour ou l'autre, je me vengerai!!! »
Après la voix, je suis submergé par un flot d'image. Tout d'abord un vieil homme flottant dans les airs, me menaçant. Puis sa paume se met à briller d'un vert intense. Derrière moi, des cris venant d'une personne de sexe féminin. Il s'agit de Justine. Je vois des personnes qui l'accompagnent, tous, vêtus d'armures. Quelqu'un tente vainement de la retenir, puis un éclair jaillit de la main du vieillard. Le projectile se dirige vers moi et à ce moment-là, Justine s'interpose et reçoit la décharge. Je me mets à hurler et je tombe à genou, le corps de Justine dans les bras.

̵ Mikel! Mikel! Que s'est-il passé?

À ce moment-là, je reprends conscience de la présence de madame Lastore. Que puis-je bien lui dire? La vérité? Non, elle ne me croirait pas.
̵ Elle m'a sauvé la vie, lui répondais-je les larmes aux yeux. Ce jour-là, elle m'a sauvé la vie. Je traversais la route et je n'ai pas vu la voiture qui fonçait sur moi. Justine est alors apparue et m'a poussé sur le côté. J'ai bien cru que la voiture allait la renverser... Cependant le chauffeur a pu freiner à temps. Justine a alors perdu connaissance. Elle a eu un sacré choc émotionnel.

Aujourd'hui encore, je ne sais si la mère de Justine m'a cru ou pas. Toujours est-il qu'elle a hoché la tête et s'en est allée, me laissant seul dans la chambre.

Me maudissant pour lui avoir menti, j'attrape un biscuit tout en songeant à la peine que je viens de lui infliger, car tout est de ma faute. D'un geste maladroit, je fais tomber sur le sol un carnet dont la couverture est en cuir. En me penchant pour le ramasser, il me semble voir le visage de Justine se détendre, voire même sourire. Ce doit-être mon imagination. Le carnet m'intrigue et je ne peux résister à l'envie de l'ouvrir. Il s'agit en fait de son journal intime. Bien que ce soit mal de lire les pensées secrètes de quelqu'un, le passage écrit sur le carnet retient mon attention. Elle parle de moi dans son journal! En reprenant plus haut, je vois qu'il s'agit de notre rencontre.

« Lundi 22 août.
Hier, j'étais invitée à un anniversaire. Je ne connaissais presque personne. C'était un peu terrifiant, mais j'ai fait une rencontre inattendue. Il s'appelle Mikel, c'est un gentil garçon, presque aussi timide que moi. Pourtant, nous avons pu discuter librement ensemble. En fait, il est incroyable. Plus tard dans la soirée, il m'a embrassé. J'espère que l'on se reverra et que ce n'était pas pour une soirée seulement. »

Je ne peux m'empêcher de sourire en lisant ce passage. Il est vrai que cette rencontre fut inattendue, mais je dirai plutôt imprévue. Au moment des faits, j'étais célibataire. Il faut dire que je n'ai jamais eu de chance avec les filles, même si certains de mes amis prétendent que certaines filles seraient prêtes à tout pour sortir avec moi. De mon point de vue, je n'ai eu que des désastres. Il y a eu trois filles dans ma vie...

La première était folle de moi et sous l'effet de surprise, puisque c'était ma meilleure amie, je n'ai pu agir qu'en mec... Je me suis tiré en courant. Depuis, plus de nouvelles. Il est vrai que j'ai abuser sur ce coup.

La deuxième s'est légèrement servi de moi pour se débarrasser de son ancien copain un peu trop collant à son goût. Une fois qu'elle eut ce qu'elle voulait, elle s'est empressée de me jeter. Mais la troisième, avec qui je pensais que tout aller bien, m'a envoyé paître un beau jour par téléphone sans que je puisse comprendre quoi que ce soit.

Ah! Que c'est dur une vie de garçon! Fort de ses expériences, je me suis juré de ne plus entendre parler de filles pendant une année entière. Vous devez rire sans doute. Une année entière sans filles, c'est ridicule, 'est-ce pas? Pourtant, je m'y suis tenu... Enfin presque.

Tout a basculé le jour d'un fameux anniversaire. Étant invité à l'anniversaire d'une copine, je n'ai pu qu'accepter. Seulement voilà, je ne connaissais personne et j'appréhendais un peu cette journée. Les jeunes présents furent sympathiques et je pus me fondre dans la masse sans trop de problème. Tournant la tête, j'aperçus une fille assise sur un banc. Qu'est-ce qu'elle était belle! Seule, mais belle. Au moment où je m'apprêtais à la rejoindre et entamer la conversation, je me fis coiffer au poteau par un autre gars. Après tout, ce n'étais pas grave et en plus, cela me permettait de rester en accord avec mes principes. Et oui, j'ai un code d'honneur, un peu comme les samouraïs, mais en moins douloureux.

1.Ne JAMAIS piquer la nana d'un autre gars ou celle déjà vue par quelqu'un d'autre!
2.Pas de nana plus jeune que soi!
3.Plus de nana pendant un an!

Et oui, il faut dire que dans ma tête, plus de petite amie signifiait moins de problèmes. Ceci étant dit sans être macho.

On passe ensuite à table et voilà que le destin se met à jouer avec mes nerfs. Il fallait qu'elle s'assoie juste en face de moi. Mais le pire restait à venir. Par malheur pour moi et pour elle, il se trouvait que deux bougies se trouvaient entre nous. Notre hôtesse vint nous rejoindre pour s'assurer que tout se dérouler à merveille.

̵ Mikel! Tu as intérêt d'être gentil avec elle ou tu auras des ennuis! Me mettait-elle en garde.
̵ Oh tu me connais! Répondais-je en souriant.

Le regard qu'elle me lança alors, signifiait bien des allusions. L'incident aurait très bien pu en rester là, mais ce n'était pas sans compter sans l'aide du gars qui avait tenté une approche un peu plus tôt.

̵ Regardez comme c'est mignon! Ils se font un dîner en tête-à-tête!

Je l'aurai volontiers tué sur place. Justine devint rouge comme une pivoine et j'avoue que je ne devais être pas plus mal.

̵ Ha ha ha! Très drôle! Lançais-je.

Puis, je me suis tourné vers Justine et pour la première fois, je m'adressais à elle.

̵ Oups! Je crois qu'ils nous ont grillé... fis-je en lui adressant mon plus beau sourire. J'avais dit aux violonistes de ne pas passer, mais on dirait qu'ils ont oublié d'enlever les bougies.

Je n'aurais peut-être pas dû dire ça, mais je voulais tant lui arracher un petit sourire. Entendant ma réflexion, deux copains se pointèrent à notre table et l'un alluma les bougies et le second singeait un violoniste. Ce fut le coup de grâce et enfin, elle éclata de rire. Dès ce moment-là, la soirée fut très animée.

Tout le long de la soirée, je n'eus d'yeux que pour elle. J'étais fichu, car je me trouvais sur la pente qui me conduirait inéluctablement à ma perte. J'étais en train de briser tous les interdits que je m'étais fixé. À la fin du repas, nous restâmes en bande et j'en appris un peu plus sur elle.

CRAC! Tous les interdits furent brisés en l'espace d'une seconde. Un seul de ses regards eut raison de moi.

Soupirant, je tournais la page pour découvrir la suite.

« Mardi 23 août.
Je suis trop heureuse, Mikel m'a envoyé un message. J'avais peur qu'il est oublié mon existence. Il m'a invité samedi pour aller à la fête foraine. Vivement samedi!!! »

La fête foraine! Je n'oublierai jamais, c'est là-bas que mon destin s'est joué. Si seulement, je n'avais pas ouvert cette boîte. Rejetant mes mauvaises pensées, je feuillète le carnet jusqu'à samedi. Le reste des pages n'étant pas intéressant, j'ai préféré aller à l'essentiel. Je dois dire que savoir le fond de la pensée d'une fille est une chose bizarre. On a l'impression de la trahir.

« Samedi 27 août.
Que de choses à raconter! Je ne sais pas par quoi commencer. J'ai rejoint Mikel à la fête foraine. On s'était donné rendez-vous sur la grande place. Je pensai qu'il ne serait pas là à mon arrivée et que je devrai l'attendre... Il faut dire que la plupart des garçons sont toujours en retard à leur rendez-vous. Grande surprise, il était déjà là et guettait mon arrivée. On s'est éclaté à la fête. Les manèges étaient bien, mais le fait de marcher avec lui, main dans la main, rendait ce moment magique. Ensuite, nous avons fait un petit tour sur la grande roue? Je n'avais jamais vu un spectacle plus fantastique. Pour terminer, il m'a emmené dans la roulotte d'une voyante. C'est là qu'un truc bizarre nous est arrivé... La voyante m'a mise mal à l'aise et Mikel m'a semblé agité. Dans l'ensemble, ce fut une merveilleuse soirée. »

Je tressaille en lisant ce passage. C'est vrai qu'on peut tout faire pour oublier un événement dramatique, mais parfois, il y en a qui reste et vous hantera toute votre vie.