Coeur Dormant chapitre 1

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CHAPITRE 1

Toute la journée, ç’avait été repos et papotage dans les salles de classe ; mais la demoiselle qui nous enseignait l’anglais en dernière heure avait bien pris la peine de nous préparer avec amour une longue feuille d’exercices que je n’effleurai pas du bout de mon stylo. Merci bien Madame, mais j’avais autre chose à penser !

La sonnerie interrompit ma rêverie telle l’arrivée d’un ange à l’ouverture de la porte du paradis. Vacances : liberté ! Je bondis toute seule sur ma chaise et empoignai ardemment mes affaires pour les ranger. Une petite voix aigrelette me coupa dans mon élan de bonheur.
- Ai-je donné l’autorisation de vous lever ?
Je me rassis immédiatement, les joues enflammées. Des rires s’élevèrent dans la salle.
- Excusez-moi, madame.
Elle me dévisagea de ses yeux perçants, tordant sa bouche dans tous les sens comme à son habitude. Mon Dieu, je peux pas la supporter.
- Les autres, vous pouvez y aller, déclara-t-elle les bras croisés sans me lâcher du regard. Miss Brean, j’aimerais te parler.
Cela me fit bizarre qu’elle m’appelle « Miss Brean » pour me tutoyer juste après. Elle faisait tout le temps ça, mais moi je ne m’y étais jamais habituée. Je lui répondis oui de la tête. Je rangeai quand même mes affaires histoire de l’énerver, puis je hissai mon sac sur mes épaules et me plantai devant son bureau.
Le sermon dura une bonne minute. Moi, je ne répondais que par oui ou par non, par automatisme ; j’étais plutôt distraite. Lorsqu’elle eut terminé, je ne savais même pas ce qu’elle avait dit. Je sortis sans me retourner. Solène m’attendait devant le collège, les mains dans les poches de son jean, ses cheveux blonds brillant au soleil de cette fin de journée. Je lui effleurai l’épaule en arrivant comme j’avais l’habitude de faire.
- Où sont les filles ? demandai-je.
- Elles sont parties, Sarah voulait pas rentrer trop tard, me demande pas pourquoi. Elle t’a dit quoi, la prof ?
- Je sais pas, j’ai pas écouté.
Solène se mit à rire.
- C’est les vacances !! cria-t-elle ensuite.
- Yeah ! Fini la quatrième ! Tu vas faire quoi, toi ?
- Euh… Je sais que je vais à Paris fin juillet, mais à part ça… Et toi ?
- Je sais pas. Demain y’a des amis à mes parents qui viennent et y’aura leur fils.
Solène me regarda. Elle savait à quoi s’attendre lorsque je me mettais à parler de garçon.
- Il a quel âge ?
- Quinze, ou quatorze, je sais plus.
- Tu le connais ?
- Non, je l’ai jamais vu, Maman m’en a parlé.
- Si ça se trouve c’est vraiment un petit con, lança-t-elle en souriant de toutes ses dents.
J’émis un rire toussotant que je trouvai bizarre.
- Si c’est le cas, il fera pas long feu à la maison, assurai-je.
Décidant que le sujet était clos, nous repartîmes dans nos délires habituels. J’étais tellement pétée que Solène dut se faire aider pour me sortir du tramway lorsque nous étions arrivées.

Au fait, je ne me suis pas présentée. Je m’appelle Mégane Brean et je vais sur mes quatorze piges. Non, je ne suis pas Américaine ; mon nom de famille n’est pas à prononcer comme s’il y avait un « e » à la fin, bien que ce soit l’erreur de la plupart des gens. Moi, je les laisse faire, ce n’est pas mon plus grand soucis du moment. Vous voulez savoir ce que c’était ? Eh bien ce n’étais pas un drame, mais mon occupation principale était surtout le livre que j’étais en train décrire, et comme je n’avais aucune inspiration, je foirais les trois quarts de mes scénarios. Résultat : deux chapitres seulement en trois mois. Ce n’était pas très encourageant, mais comme disait ma grande sœur, tant que j’avançais…

Bref. J’avais encore le visage couleur pivoine en entrant dans le bar.
- Eh ben Mégane, qu’est-ce qui t’est arrivé ?! s’écria Coralie en pivotant sur son tabouret haut, décollant ses coudes du comptoir.
- Disons qu’elle a pété un plomb, expliqua Solène tandis que je reprenais mon souffle.
Elle me tapota l’épaule et me fit asseoir sur un autre tabouret à côté de Coralie.
- J’vois ça, répondit cette dernière.
Elle eut à peine le temps de sourire qu’une forme colorée aux cheveux roux éclatants déboula par la porte du fond en hurlant. Nous n’eûmes pas besoin de deviner de qui il s’agissait.
- Qu’est-ce qui se passe ?! interrogea vivement Solène en saisissant Sarah qui manquait de s’écraser contre le mur.
- ’ME SUIS TUÉE !! brailla l’intéressée plantée sur place.
- Où ça ?
- Au p’tit orteeeeeil !
- Oh mon Dieu, on va tous mourir ! déclarai-je d’un ton effondré.
Notre bordel fut interrompu par Barbe qui revint de la cuisine.
- Vous pouvez pas faire moins de bruit, les filles ? Tout le monde vous regarde…
C’était vrai mais cela ne suffit pas à calmer Sarah.
- Papa, je me suis pété le pied !
- Et t’arrives à courir quand même ?
- Ouais, nan, enfin… Oui mais nan ! répliqua la jeune fille d’un ton ferme.
- Voilà une réponse constructive, pouffa Coralie dans son chocolat chaud.
Barbe, pour préciser, c’était le père de Sarah et le propriétaire du bar. Il était ronchon et imposant mais il nous accueillait avec plaisir… Et nous faisait crédit !
Le carillon de la porte me fit tomber à la renverse.
- Ouah !
Coralie me rattrapa de justesse.
- Va y’avoir des morts un jour ! lança Solène qui s’était précipitée face à moi de l’autre côté du comptoir.
Je me mis à rire et tournai la tête pour voir qui venait d’entrer. Comment décrire ce gars ? Très fin, oui. Voire un peu féminin. Une longue queue de cheval blonde, un air sombre et doux à la fois, accentué par deux grands yeux noirs dans lesquels je faillis me perdre. Environ seize piges, d’après moi… C’était difficile d’évaluer dans ces conditions. Il avançait les mains dans les poches d’une démarche légère.
- Hey, je vais pas tenir longtemps, tu sais, me souffla Coralie.
- Oups.
Tandis que je m’agrippai au comptoir pour me redresser, le garçon se plaça à ma gauche et interpella Barbe.
- Qu’est-ce que tu fais là ? s’étonna ce dernier en se dirigeant vers lui, un torchon à la main.
- Y’a encore eu un incendie…
- Et Laurent voudrait que je l’aide à faire le pompier, je suppose ?
- Le flic, plutôt.
Barbe leva les yeux au ciel puis regarda en notre direction. Je tournai la tête en rougissant.
- Vaut mieux ne pas en parler ici, entendis-je derrière mon dos.
Il s’éloignèrent vers le fond du bar.
- Vous le connaissez, ce gars ? interrogea Coralie.
Je secouai la tête.
- Non, répondit Solène. Je l’ai déjà croisé dans le tram, mais à part ça…
- C’est le fils d’un ami à Papa, je crois, coupa Sarah en surgissant de la cuisine. On l’appelle Ed mais je pense pas que ça soit son vrai prénom. En général il vient plutôt le soir, c’est la première fois que je le vois avant la fermeture.
- Et tu sais pas d’où il vient ?
- Non plus, ils parlent pas beaucoup devant moi.
Je soupirai sans savoir pourquoi. Barbe et le dénommé Ed revinrent vers nous.
- Tu diras ce que tu veux à Laurent, je peux pas lâcher le bar tout de suite, expliquait Barbe. Je viendrai tout à l’heure.
- Si tu veux, répondit Ed. Bonsoir les filles.
Il nous adressa un signe de la main auquel on répondit et il sortit.
- Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Sarah à son père.
- Des gamins ont foutu le feu en bas chez eux. Rien de grave. Y’a pas eu de dégâts.
- Rien de grave… marmonna Solène. Un incendie, quand même… Je suppose qu’ils sont d’Ajou ?
- Oui.
- Sérieux ?! m’écriai-je en bondissant sur le tabouret.
- Faut croire, s’enquit Coralie qui observait le ventilateur du plafond.
J’en restai sous le choc. Ajou, c’était les quartiers chauds d’ici. Racailles à tout coin de rue, bâtiments pouilleux - sans parler des appartements qu’ils contenaient -, et puis que des cons. En fait, je n’y étais jamais allée, mais j’en avais assez entendu parler pour m’étonner qu’un mec aussi classe puisse habiter là-bas. Solène changea de sujet.
- Anna ne devait pas venir ?
J’allais répondre quand le carillon retentit à nouveau.
- Aaaah ! Mais ils veulent tous me tuer, c’est dingue ! hurlai-je.
- Ma pauvre, compatit Solène avec un sourire en coin. Tiens, Anna !
- Salut les filles ! lança la Anna en question en se précipitant vers nous.
Elle nous colla à chacune une bise rapide puis elle se tourna vers moi.
- purée Mégane, t’as encore oublié de prévenir !
- Ça va je suis pas à Barcelone non plus !
- Bah ouais mais moi j’ai failli me faire défoncer, tu sais quoi ! Allez cocotte on rentre j’ai encore du boulot à terminer et je pense que Papa en a encore plus.
Anna, c’était ma frangine. C’est-à-dire une grande perche de dix-sept piges qui a toujours l’air de se forcer à sourire. Un peu nerveuse peut-être - quoique, à côté de moi…
Bref. J’embrassai les copines et on sortit toutes les deux côte à côte, ce qui avait sûrement dû faire bizarre. Anna et moi, on se ressemblait énormément. Les mêmes boucles châtains, les mêmes yeux verts, la même façon de se maquiller, la même peau blanche… Elle avait tout de même moins de joues et moins de boutons. Moi j’étais l’exemple type de l’adolescente rondouillette et ornée d’acné que j’avais l’habitude de dissimuler sous une tonne de crèmes poisseuses… Et inutiles. Anna me répétait que c’était l’âge et j’espérais qu’elle avait raison. Voyez-vous, j’étais du genre très complexée.
Donc nous nous engagions dans la grande avenue, celle qui longeait la plage. Nous avions la chance d’habiter en face de la mer même si nous n’y allions jamais très souvent.
- Alors qu’est-ce que t’as fait aujourd’hui ? demandai-je.
- Rien de spécial. J’ai travaillé sur un dessin.
- Lequel ?
- Un que t’as jamais vu. Je te le montrerai en arrivant.
Je souris. Anna dessinait beaucoup. Et elle était même vachement douée.
Aveuglée par le soleil couchant, je tournai la tête et nous ne dîmes mot avant d’être arrivées à la maison.

Si une ptite suite vous dit c'est sans problème

Est-ce une autobiographie fictive ? (je t'invite au passage à lire "récit d'un ado", de moi ^^, je trouve que les textes se ressemblent un peu).

J'ai accroché, et je pense que c'est dû au fait que le lycée n'est pas très loin derrière moi, et que je me retrouve un peu dans ton histoire... (surtout pour l'acné ^^)

Toutefois, je n'ai pas compris pourquoi l'héroïne a pété un câble, et devient folle chaque fois qu'elle entend le carillon...

Je veux bien la suite, en tout cas ! ^^

Hakkrat a écrit:

Est-ce une autobiographie fictive ?

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(je t'invite au passage à lire "récit d'un ado", de moi ^^, je trouve que les textes se ressemblent un peu).

Citation :

Je veux bien la suite, en tout cas ! ^^

Moi aussi je veux la suite!

Félicitations pour cette première partie, j'ai tout de suite été charmé! En fait j'ai un faible pour tes dialogues, ils sont bruts, naturels, vraiment conformes à la réalité, et tellement drôles des fois! Surtout "Ça va je suis pas à Barcelone non plus !", ne me demande pas pourquoi, ça m'a fait rire! Ton héroïne est très attachante, j'ai hâte de voir ce qu'elle nous réserve.

Par contre j'avoue que j'ai été perturbé par le début de la scène dans le bar. L'introduction un peu brutale de tous ces personnages m'a un peu perdu!
Mais ça n'a pas duré je te rassure, et ça ne m'a pas empeché de continuer et d'apprécier.

Bref, bravo et à la prochaine partie!

J'avoue que j'aime bien aussi,c'est très naturel et on se retrouve sans problèmes.
juste la toute fin qui fait bizarre "nous ne dîmes mot"alors que tout le reste du texte est plutôt familier,ça fait un décalage un peu dérangeant.
mais mis à part ça,c'est sympa