« Hé ! Akeru, lança Galwe ! En v’là d’autres pour toi !
-Encore ? M’indignai-je.
Pas moyen d’avoir la paix trois minutes dans ce foutu pays ! Fais chier ! »
J’enfilais ma cape à toute vitesse et sortie du bâtiment A. Le froid me saisi aussitôt. Non seulement on ne me laissait pas de répit, mais en plus, il gelait à pierre fendre ! Et après on se permettait de prier les dieux…Si ils existaient vraiment, le monde ne serait certainement pas ce qu’il est aujourd’hui.
Mais bon, pour l’instant, je n’en ai strictement rien à faire !
J’ouvris la porte du bâtiment C d’un coup de pied. Immédiatement, des dizaines de paires d’yeux apeurés se tournèrent vers moi.
Seule une paire était restée de marbre, bien trop habituée à mes accès d’humeur.
« Akeru… commença-t-il d’une voix grave…
Et merde ! J’avais oublié le sermon !
Il reprit lentement :
-Je t’ai déjà dit cent fois de ne pas shooter dans cette fichue porte…hein, Tawa ?
Je me raidie.
- Je suis désolé Emaël… soupirais-je. Mais c’est bon, ce n’est qu’une porte… Tu vas pas en faire tout une histoire quand même !
-Akeru ! hurla-t-il. »
Changement d’ambiance.
La silhouette noire d’Emaël bougea légèrement lorsqu’il se tourna vers moi.
Ces cheveux blonds, cachés sous sa capuche, retombaient en mèches éparses sur son front et ses yeux lançaient des éclairs foudroyants. Je pouvais presque apercevoir des émanations de colères s’échapper de sa bouche encore entrouverte.
« Tu sais ce qu’il se passera la prochaine fois n’est-ce pas ? reprit-il. »
Je baissai la tête. Je détestai ces actes de soumission envers ce peuple de crâneur. Mais si je voulais un jour partir loin d’ici, et peut-être me venger, il fallait que je reste docile… Enfin, dans la limite du possible…
« Oui… Je le sais.
-Je ne serais pas aussi clément la prochaine fois. Méfis-toi ! Termina-t-il en se re-concentrant sur sa tache. Maintenant, occupes-toi d’eux et ne me gène plus ! »
Je me tournais vers le groupe derrière moi, un peu déboussolé par mon entrée en scène et cette dispute soudaine, en serrant les poings.
« Suivez-moi, grommelais-je. »
Je les guidais jusqu’aux fond de la salle n°1.
Ils étaient neuf.
Un père et sa fille, une grand-mère et sa petite fille, sans doute, trois jeunes hommes, une mère de famille et une blondasse.
Mauvais topo. Il y aurait beaucoup de morts. Beaucoup trop…
« Salut, commençais-je, tout en les scrutant. Moi c’est Akeru. Je serais votre guide. »
La petite fille était déjà partie dans son monde de papillon et la vieille n’était pas loin de la rejoindre.
« Vous êtes tous ici par choix. Vous avez tous voulu que je vous guide, en ces temps troubles, jusqu’à une terre où la paix règne. Pour l’instant du moins… Vous savez que vous n’en seriez pas capables seuls, et c’est pour cela que vous êtes ici. En bref, vous avez besoin de moi. Donc, pour votre survie, vous devrez faire tout ce que je vous dis, que ça vous paraisse absurde ou non. Quand on sera dehors, dans cette cité détruite, en ruine, et dans laquelle rodent encore toutes sortes de dangers, si je vous dis de sauter dans le vide, vous sautez. Si je vous dis de vous bouffer le bras, vous le faîte, ok ? »
Un rire. Un seul rire a le don de me mettre hors de moi. Ridicule n’est-ce pas ?
Pourtant, quand on se moque de ce qu’il se passe en ce moment tout ça parce qu’on part dans un endroit où l’on ne s’entredéchire pas encore, j’ai envie de frapper tout ce qui bouge ou qui se trouve devant moi. Comment peut-on rire de cette situation ?
Un royaume anéanti, un peuple massacré… Comment peut-on se moquer de l’histoire de ce pays ? De mon pays ?
Il y a cinquante ans de ça, les chefs d’Etats ont trouvés qu’il y avait trop de déchets, d’assassins, de mauvaises filles, de voleurs, et j’en passe, dans leurs royaumes. Ils ont donc organisé une conférence afin de trouver une solution à ce problème car les nuisances dont il était question donnaient une trop mauvaise image de chaque royaume. La solution, la voici :
Parquer tous ces pauvres gens entre quatre murs.
Pour ce faire, chaque souverain mit la main à la pâte.
Ils ont emmené de gré ou de force les hommes de tous les villages de leurs propres royaumes et les ont fait construire des murailles. Chaque royaume a sacrifié une partie de son territoire, limitrophe à ceux des autres, et les hautes murailles infranchissables ont cloisonnées le tout.
Ont été enfermé par la suite à l’intérieur tous les criminels et les indésirables que leurs nations pouvaient compter.
Puis, ils ont attendu. Ils ont attendu que les déchets s’entretuent.
Malheureusement, il se passa une tout autre chose que ce à quoi ils avaient pensé.
Au lieu de s’assassiner mutuellement, les indésirables ont instauré petit à petit des lois. Des lois barbares, imaginées par des assassins et des voleurs, mais des lois quand même. Enfin de compte, ils avaient un code moral entre eux.
« Loi 1, Acte fondamental, décret 1 des indésirables :
Tous les assassins, voleurs, mauvaises filles, violeurs, truands […] présents dans le Royaume des âmes déchues s’autoproclame Nation des indésirables le 12 Yun de l’année du Tigre. »
Royaume des âmes déchues : Cité fortifiée de la Nation des indésirables.
« Loi 1, Acte fondamental, décret 2 des indésirables :
Toute personne se trouvant pour une raison X ou Y dans l’enceinte de la cité fortifiée, appartenant à la Nation des indésirables, sans faire partie de son peuple se verra assassinée dans les plus brefs délais. »
« Loi 4, Acte fondamental, décret 12 des indésirables :
-Tout assassin ôtant délibérément la vie d’un de ses concitoyens se verra ôté la sienne et celle d’un de ses proches par un assassin du Royaume des âmes déchues.
-Tout voleur dérobant un quelconque objet se verra volé un quelconque objet de trois fois la valeur de l’objet initial par un autre voleur du Royaume des âmes déchues.
[…] »
Les autres peuples avaient finis par oublier l’existence de ce Royaume des âmes déchues et menaient leurs vies de tyrannie et de despotisme tranquillement, quand ce qui devait arriver arriva.
Première guerre inter-pays depuis soixante ans.
Le roi Jahal le coupeur de tête régnant sur l’Inong, l’une des principales puissances de l’est, accusa l’actuel tyran de Karuul, pourtant son plus fidèle allié depuis la guerre du Jhinn, coupable de l’assassina prémédité de son fils héritier, Hamel le séparateur de corps.
Akmar Thoog, chef de Karuul, pays du nord, n’étant pas du genre à se laisser accuser de la sorte, engagea la guerre contre l’Inong. Mais ces deux pays avaient de nombreux alliés, et ceux-ci ne tardèrent pas à se jeter dans la mêlée sanglante.
Eclate alors la grande guerre de l’année du Tanuki.
Il y a onze ans, la guerre s’étendit jusqu’aux portes du Royaume des âmes déchues. Les assassins ne sont pas des guerriers, pas plus que les voleurs d’ailleurs. Le peuple est ravagé. La cité est réduite en cendres et partout résonne des cris et des pleurs. L’odeur de sang est sans cesse présente et des corps jonchent le sol. La Nation des Indésirable est balayée en deux mois, et les armées reprennent leurs avancée.
Cela fait vingt ans que la guerre a commencé, et toutes les personnes s’étant réfugiés dans les ruines du Royaume des âmes déchues en espérant être plus à l’abri on été capturées et séquestrées par un des pays en conflit, Arinam. Pour gagner leur liberté, ils sont contraints de devenir passeur. Ils font office de carte routière d’un pays à un autre en faisant traverser des gosses de riches et des grosses dames. En d’autres thermes, ils étaient les esclaves des Ariniams. Et j’en faisais malheureusement partie…
Malheureusement, ces pseudo-passeur ne connaissaient, pour la plupart, que la ruine dans laquelle ils s’étaient réfugiés et n’avaient donc aucune chance de faire passer un groupe en un seul morceau jusqu’à Idgar, le pays d’accueil, le pays neutre, le but de tous les voyages, le paradis.
Alors, quand j’entends un rire, ou que je vois ne serait-ce qu’un sourire à propos de la boucherie qui se déroule encore, je pète littéralement un câble !
Une durite. Un boulon, enfin ce que vous voulez quoi !
Le père. C’est le père qui c’est permis une raillerie sur ce sujet sensible et, pour ma part, entièrement miné !
Je me tourne lentement, et espère pour lui qu’il sent bien à quel point ce qu’il vient de faire était stupide et qu’il le regrette très fort !
Mais non, il ricane de plus belle, sa coupe au bol ondulant sur son crâne.
« Non mais, pour qui elle se prend celle-là ? s’écria-t-il. Elle croit vraiment qu’on va écouter une petite guide qui est là seulement pour nous montrer le chemin ? »
Sa bouche laissait entrevoir des dents noires ou jaunies. Ses yeux fuyants de rats passaient leurs temps à aller et venir de tous côtés et les mains du petit homme se tordaient dans tous les sens.
Plus vite que la lumière, je saisie son col à une main sans qu’il ait eu le temps de remarquer quoi que ce soit.
« Ecoute-moi bien enfoiré, crachais-je en plaçant mon visage à deux centimètre du sien. »
Avant de poursuivre je l’acculais violemment au mur du fond. Il gémit, les yeux exorbités. Sa fille pleura.
« Si tu ne veux pas, libre à toi de ne pas me croire, mais, même si je ne suis qu’une simple guide, tu es obligé de me suivre pour connaître le chemin exacte qui ne vous mènera pas à votre perte. Or, qui te dit que je vous conduirais obligatoirement à l’endroit voulu, minaudais-je en baissant la voix ? Je peux très bien vous conduire dans un guet-apens et faire passé cela pour un petit, petit, tout petit accident. Tout dépend de la tête du client. D’ailleurs, ce ne serait pas la première fois… »
Il dégluti bruyamment.
« Vous… Vous ne feriez pas ça… n’est-ce pas ?
J’affichais un sourire carnassier.
« Comment tu t’appelles vieux ? Grinçais-je.
-Ro…Roleek… »
Ces yeux cherchaient un autre point d’accroche que les miens et je senti qu’il allait perdre pied.
« Vois-tu, Roleek, enchaînais-je. Ce qu’il y a, c’est que moi, pour la survie du groupe, les emmerdeurs, je m’en débarrasse. Et le pire, c’est que j’ai tout à fait le droit de le faire… »
Je me tournais enfin pour m’adresser au reste du groupe.
Le regard dans le vague, certains étaient horrifiés, quand d’autre ricanaient de la maladresse de Roleek. Sans doute avec une pointe de terreur et d’appréhension dans les yeux.
« Vous avez bien compris vous autres ? »
Acquiescement général.
« Bien, je vais vous conduire dans le baraquement où vous passerez la nuit. Je viendrais vous réveillez avant l’aube. Vous n’aurez qu’à prendre les affaires que nous aurons déposées pour vous au pied de votre couchette, et ensuite, nous partirons. Compris ? »
De nouveau, acquiescement général.
Nous sortîmes par la grande porte.
J’ouvris la porte d’un coup de pied, que je fis aussi fort que possible et gueulais, à qui voudrait m’entendre :
-Debout là-dedans !
Et vlan !
La porte venait de percuter une maudite barre de fer qui se trouvait malheureusement sur mon chemin. Merde, Emaël allait encore péter un câble…
-Ahhhhh !
La blondasse…
Elle s’était redressée d’un coup en se prenant une poutre en plein milieu du front. Je soupirais de désespoir… C’était ça que je devais ramener en vie à Idgar ?
Le reste n’eu aucun problème pour se lever, sûrement en raison de mon regard mauvais et de mon coup de pied magistral.
« Vous avez une minute pour descendre.
-Sinon ? demanda la grand-mère.
Je tournais lentement la tête et sifflais :
-Sinon mamie, j’vous abandonne.
Je souris.
…
Cinquante-cinq secondes plus tard, ils étaient tous en bas. Tous, sauf un. Une.
La blondasse… Même pas capable d’être à l’heure !
« Ne bougez pas, je reviens, grognais-je ! »
Je grimpai prestement les escaliers et défonçai une nouvelle fois la porte de fer qui se vit graver d’une nouvelle cicatrice.
Stupéfaite, je me figeais.
La… La blondasse…
Elle avait du perdre la totalité de ses neurones en se cognant cette cruche !
Elle… elle était en train… de se… BROSSER LES CHEVEUX EN CHANTONNANT UNE CHANSON NIAISE !
Mon dieu quelle conne !
Ses yeux bleus se détachaient sur son visage et sa bouche entrouverte était aussi rose qu’une souris venant au monde. Ses longs cheveux blonds passés méticuleusement au peigne faisaient l’effet d’une cascade d’or.
Je m’avançais jusqu’à elle. En la prenant par surprise, je l’agrippai par le cou. Elle déglutit bruyamment et s’arrêta net.
« Mais, qu’est-ce que… »
Elle eu à peine le temps de le dire que déjà, hors de moi, je l’abattais contre le mur en un bruit sourd et enfonçais mon poing gauche dans son estomac. Elle cracha.
« Qu’est-ce que tu fais ? Sifflais-je.
-Je… je ne comprends pas, balbutia-t-elle.
-Ah oui, tu ne comprends pas ? »
Mon visage était maintenant à deux centimètres de son joli minois. Elle avait un si joli nez … Un nez qui d’ailleurs ne lui servirait à rien la ou on irait… Un nez parfait à trancher…
« Tu te souviens de ce que je vous ai dit hier ? Tu te souviens ? Criais-je, n’y tenant plus.
-Euh…oui…Oui oui. »
Elle était perdue. Je voyais bien qu’elle n’était pas à l’aise avec une jeune femme qui n’était absolument pas de son monde ni de sa catégorie sociale, sous ses yeux.
Je m’efforçais de me calmer avant de reprendre, un peu moins mauvaise :
« Comment tu t’appelles petite ?
-Alise.
-D’accord Alise. Ecoute-moi bien. Tu sais pourquoi vous êtes là, hein ? »
Elle acquiesça.
« Et maintenant, tu sais pourquoi je suis là moi, hein ? »
Nouvel acquiescement.
« Non, repris-je, je vais reformuler. Sais-tu pourquoi je suis ici pour vous, moi, et pas un autre ?
-Ben… parce que les autres sont déjà en mission, essaya-t-elle ?
-Négatif. »
Je la lâchais pour aller m’appuyer contre une poutre basse. Elle s’affaissa avec un drôle de bruit, mais ne pipa mot. Heureusement…
« Je suis ici parce que tes parents, ou je ne sais quelle personne, à payer le prix fort pour que tu t’éloignes de ce pays en guerre. Ils ont payer encore plus cher que pour les passeurs habituels. Parce que je suis la meilleure.
-Ah ! Ah ! Ah ! Pouffa-t-elle. »
Les yeux exorbités, je la fixais, sans réussir à sortir un mot tellement ma sidération était grande.
« Ça va les chevilles ? Pas trop grosses, clama-t-elle ? »
Elle était là, prostrée au sol, ruisselante de larmes tant elle riait. Qu’avais-je dis de si drôle ? En quoi est-ce que cette histoire tragique était drôle ? Mes mains tremblaient d’indécision, ainsi que ma tête.
« Non mais, reprit-elle, une esclave comme toi ne peux être la meilleure !
-Une… esclave ? Relevais-je, incrédule devant sa cruelle franchise.
-Esclave, parfaitement ! J’en avais des tas, des comme toi, avant. Maintenant je vais être obligée de tout faire toute seule ! Comparé à toi, ma vie est triste et tragique, digne d’un roman, tandis que la tienne n’est rien. Tu n’es qu’un déchet parmi tant d’autre qui n’a aucune conscience du monde qui t’entoure ! »
Mes mains se crispèrent. Je n’avais pas le droit de faire de scandale parce que, oui, j’étais une esclave, mais j’avais envie de l’étriper, de l’égorger, puis de la pendre avec son insolence ! Quelle peste arrogante et imbue de sa personne ! Plutôt que de se demander comment elle allait faire sans ses esclaves, elle ferait bien de penser à ce que eux ils vivaient, si ils n’étaient pas encore morts, et à ce que j’allais lui faire si elle ne se taisait pas !
Je fis un pas en avant, bouillante de rage.
« Alors non, tu n’es pas la meilleure, et tu en est même très loin ! Je pourrais tout aussi bien nous conduire à travers le… enfin… jusqu’à l’endroit où l’on va quoi ! Toi, tu ne devrais pas avoir le droit de me toucher, et encore moins celui de me parler car je…
-ALISE ! ÇA SUFFIT ! »
Figées. Nous étions figées. Alors que je m’apprêtais à me jeter sur elle, cette voix sortie de nulle part avez résonné dans la salle comme elle l’aurait fait dans un gouffre sans fond et au parois abruptes.
C’était un membre du groupe.
Il était à la porte de fer que j’avais martyrisé par deux fois en l’espace de deux minutes.
Il était grand, mince, et il portait un large pull et un pantalon tout aussi noir que ce dernier. Des bottes de cuir complétaient son attirail, assez similaire à celui d’un maraudeur. Ses cheveux de jais, en bataille, retombaient sur son front et lui donnait un air mystérieux, que n’aidait en rien sa tenue. Son oreille gauche était ceinte d’un anneau noir. Il en portait d’ailleurs un similaire sur son annulaire droit. Il aurait pu passer inaperçu n’importe où tant il était sombre et discret. On aurait dit un félin.
Seuls ses yeux attiraient l’attention. Ils étaient d’un bleu étonnant. D’un bleu étrangement lumineux. On aurait même put déceler à l’intérieur, si il ne s’était pas trouvé dans une famille assez riche pour lui faire effectuer le voyage Arinam-Idgar, une lueur solitaire et espiègle. Un peu comme celle qui brille dans les yeux d’un assassin.
« Alise ! Tu n’as pas honte ? »
Totalement coupée de mes réflexions, je me repris en une fraction de secondes.
« Qu’est-ce que tu fais là ? Ne vous avais-je pas intimé de m’attendre en bas ?
Il se tourna vers moi pour la première fois.
…
Je me tournais vers notre guide. Elle portait un manteau noir, qui se rapprochait plus d’une cape d’ailleurs, et une tunique sombre, auxquels venait s’ajouter une paire de bottes en cuir brun. Des cheveux blonds tirant sur le blanc encadraient son visage. Ses yeux étaient bleus avec des petites taches grises de-ci de-là. Son nez était arqué et ses lèvres pleines. Elle était incontestablement jolie, ah ça oui, mais son caractère avez tendance à repousser.
« Tu nous l’avez demandé, en effet, mais voyant que vous m’étiez du temps à revenir, j’ai été désigné pour venir voir ce qu’il se passait et, si possible, éviter un homicide. Et je crois avoir eu raison, grommelais-je plus bas.»
Elle se dirigea vers moi, mais ne fit aucun commentaire.
Je continuai :
« Alise, qu’est-ce qui te prends ? »
Comment pouvait-elle déblatérer de telles inepties ? Etait-ce possible une pareille bêtise ? Une telle immaturité ? Elle dépassait clairement les bornes, et, bien qu’elle n’en ai pas conscience, j’étais arrivé à temps pour éviter un meurtre.
« Pffffeu… Elle se dit la meilleure ! Tu te rend compte ? Une esclave, la meilleure ? Ils mériteraient tous de crever dans d’atroces souffrances, comme les chiens qu’ils sont ! Non, poursuivi-t-elle, il ne mériteraient même pas de voir le jour ! Tu entends ? Tu ne méritais même pas de naître ! Mais bon, je suis prête à te pardonner car, c’est sûrement par manque d’intelligence que tu te proclames la meilleure ! Alors qu’en vérité, c’est moi ! »
Aussitôt, notre guide se détourna de sa route et se jeta sur Alise. Cette dernière, prostrée à terre, ne vit rien venir. La jeune femme atterrie de tout son poids, bien que minime, sur son ventre. De sa main gauche, la passeuse broyait littéralement le bras de la jeune fille, tandis qu’avec sa main droite, elle l’étranglait.
Je m’élançais.
« Qu’as-tu dit, hurla-t-elle ? Qu’as-tu osé dire ? Cracher ainsi sur tout mes frères et toutes mes sœurs qui sont sous votre emprise depuis des lustres et qui souffrent dans la nuit, tu n’as pas honte ? »
Plus elle serrait et plus Alise perdait pied. Ses yeux gonflaient et se bouche tremblait.
« Que sais-tu de cette vie de dur labeur où tout nous est interdit et où l’on se bat pour notre liberté ? reprit-elle. Que sais-tu de la vie tout court ? Rien. Tu ne sais rien. Tu ne sais absolument rien…»
Ma dextre s’abattit sur son bras droit et j’enserrai son buste de mon bras libre. Malheureusement, elle était trop forte pour moi, car j’avais beau tirer de toutes mes forces, je n’arrivais pas à la bouger, ne serait-ce d’un pouce.
« Arrête ! Arrête-toi ! La priais-je. Elle est stupide, certes, mais ce n’est pas de sa faute ! Elle est née dans ce monde et elle fait partie de ce monde ! Ne vois-tu pas quand réagissant de la sorte, tu lui donne raison ? »
Plus je parlais et plus elle desserrait sa prise.
Elle finit par la lâcher complètement au bout d’interminables secondes.
Tête baissée, elle contemplait les traces bleus-rouges laissées par ses doigts sur le cou de sa victime.
Celle-ci haletait, les yeux dans le vague et les larmes aux yeux. Ses mains tremblantes n’arrivaient pas à agripper un quelconque objet et ses jambes ne la portait plus.
Notre guide, elle, se releva souplement et se dirigea vers l’unique fenêtre de la vielle salle remplie de débris. Ses épaules étaient secouées de spasmes et elle se frottait les bras énergiquement.
« Vas t ‘en… Vas t’en… »
Sa voix était faible mais on sentait bien que si la jeune fille ne lui obéissait pas, elle la tuerait.
Alise n’hésita pas un seul instant. Elle se releva en quatrième vitesse et fila par la porte sans demander son reste.
« Vas t’en ! Ne me parle plus ! Vas-t’en…
-Elle est partie, c’est bon… »
Je m’avançais prudemment.
Quand je fus à sa hauteur, je découvris avec stupeur qu’elle pleurait. Des larmes perlaient sur sa joue et ses yeux étaient embués. Elle, pleurer ? Cela me semblait impossible voila cinq minutes !
« Comment t’appelles-tu ? murmura-t-elle.
-Assad. Assad Tilan. Et toi ? L’invitais-je à continuer. »
Elle déglutie.
« Akeru… Je m’appelle… Akeru…
-Tu es sûre ? la coupais-je. Je n’ai pourtant pas l’impression que ce soit ton nom. »
Pendant une minute elle resta là, les bras le long du corps, sans rien dire, et j’eu peur qu’elle ne se soit fermée pour de bon quand elle répondit dans un souffle :
« Akeru... Akeru… c’est mon nom d’esclave. C’est celui qui me retient ici. Ce sont mes chaînes. Je n’en ai pas d’autre. »
Je la fixais longuement. La tristesse se lisait sur tous les pores de sa peau. La perte aussi. Et la souffrance, et la douleur. Que lui avait-on fait ?
Tout à coup, l’idée qu’on ai pu la maltraiter me répugna. Après tout, elle ne devait pas être beaucoup plus âgée que moi !
« Je crois que tu mens. Que tu me mens et que tu te mens à toi-même, repris-je doucement. Tu as un nom ! Un nom précieux que tes parents t’ont offert ! Renier ce nom reviendrait à les renier eux, où qu’ils soient désormais. »
Elle tressaillit imperceptiblement. Je repris néanmoins :
« Je crois qu’en plus, si tu le dis, si ton nom franchit la barrière que forme tes lèvres, ça reviendrait à un espoir. Or je crois que tu as peur d’espérer pour être déçue ensuite. Pour trahir cette promesse que tu te serais faîtes à toi-même. Mais, poursuivis-je presque en murmurant, si tu me dis ton nom, ce sera une promesse que tu m’auras faîtes. Une promesse que jamais je ne pourrais briser et sur laquelle je veillerais. Je veillerais à ce que tu gardes espoir…
Elle tourna lentement la tête, ses yeux brillant d’une infime lueur nouvelle. L’espoir. L’espoir d’un avenir meilleur. Voir, d’une autre vie.
« … Amaere… Amaere…Tawa. Je… Je m’appelle… Je m’appelle Amaere Tawa. Je m’appelle Amaere Tawa ! »
Elle riait désormais et, je voyais bien qu’elle n’avait pas ri depuis des millénaires. Cela se lisait dans ses yeux, ainsi que l’immense soulagement qu’elle ressentait présentement.
J’acquiesçais en silence.
Elle se redressa soudain.
« Mais que fait-on encore là ? S’exclama-t-elle en regardant de tous côtés. »
Son ton avait changé. Il était redevenu froid et moqueur comme hier et ses yeux s’étaient de nouveau parés de leur barrière blindée.
Et en se tournant vers moi :
« Ne crois surtout pas que ta petite tirade va t’attirer mes faveurs. Tu es un noble après tout , cracha-t-elle. Vous êtes tous les mêmes, vous cherchez toujours profit de tout ! Vous êtes pathétiques. Votre politique principale est : Ecraser les autres pour aller plus haut ! »
Je souris.
« As-tu conscience que tu tiens à peu près les mêmes propos qu’Alise ? »
Elle releva lentement la tête, les yeux écarquillés d’indécision.
…
« Bien. Maintenant que vous êtes tous rassemblé, commençais-je en fixant durement Alise, nous allons pouvoir y aller. Vous avez tous vos affaires ? »
Tout le monde acquiesça.
Alors je me dirigeais vers la route Est.
Cela faisait deux bonnes heures que l’on marchait dans le silence le plus total et le soleil commençait à peine à se lever quand je brisais ce silence presque cérémonial avec la première question de la matinée :
« Etant donné que nous allons rester ensemble un petit moment, que diriez-vous de se présenter ? »
En jetant un petit coup d’œil derrière moi, je vis mon groupe s’échanger des regards hésitants. Il me voyait sûrement comme une personne cruelle, et ils avaient incontestablement raison - le mot gentillesse étant banni de mon vocabulaire -, alors le fait que je propose de faire connaissance devait leur paraître bien étrange.
Heureusement ce fut le garçon de tout à l’heure qui, en me jetant un petit regard malicieux, brisa ces interrogations incessantes en disant assez fort pour que tous puissent l’entendre :
« Je m’appelle Assad Tilan. Je viens de Ganesh et j’ai vingt ans. »
Puis il rajouta légèrement plus bas :
« Et vous ?... »
Alors, l’un après l’autre ils prirent la parole.
« Ilisy, commença la jeune fille. Ilisy Ad’Miran. J’ai seize ans. Je viens de Sourihk avec ma grand-mère Sulesia. A ces mots, la vieille s’approcha.
« Je pense, murmura-t-elle d’une voix chevrotante et douce à la fois, que la grande question sur le secret de ma longévité sera encore plus nimbé de mystère si mon grand âge reste inconnu de tous… »
J’esquissais un sourire sous ma capuche et quelques rires fusèrent. Intéressant.
Ilisy ressemblait à une poupée tant elle était pâle et semblait fragile. Ses yeux étaient un étrange croisement de gris et de vert et ses cheveux bruns retombaient en cascade sur ses frêles épaules. On eu dit que chaque pas était pour elle un calvaire tellement elle était fine et osseuse.
La vieille, elle, était emmitouflée dans un grand manteau noir couvert de fourrures et de pierres multicolores. Ses yeux étaient cachés par sa capuche et tout ce que l’on pouvait distinguer de son visage était ses nombreuses rides et sa bouche cornue.
Le père prit la suite :
« Comme vous le savez déjà je m’appelle Roleek Alguerian, je suis le seigneur des terres basses. Voici ma fille, mon unique héritière, Oléana Alguerian, finit-il en la suspendant à bout de bras. »
J’éclatais de rire.
Tous se tournèrent vers moi, Roleek plus vite que tout le monde, de la rage dans les yeux.
« Ton titre ne te serviras à rien là où nous allons chéri ! Tu peux bien te pavaner autant que tu veux avec ton titre à la noix et ta fille comme descendante, mais si tu es là ça signifie bien que les terres basses ne sont pas près de te revenir. »
La petite, avec ses couettes brunes, ne ressemblaient absolument pas à son père. Elle en avait de la chance ! Ses yeux étaient d’un doux vert et sa bouche mince souriait constamment. Innocente.
Un mouvement attira mon regard sur ma droite. Je me retournais instantanément et me détendis imperceptiblement en découvrant celui qui fut le sixième à se présenter. Grand, le teint basané, les cheveux bruns sombres, il avait un certain charme. Il AURAIT PU avoir un certain charme si ses yeux n’avaient pas trahi une méchanceté et une sournoiserie sans bornes.
« Tu peux m’appeler chéri moi aussi ? Minauda-t-il.
-Fais pas le malin toi… grognais-je. Contentes-toi de te présenter ! »
Il sourit.
« Je m’appelle Karilan Altara. J’ai vingt ans et j’ai grandi dans les Iles d’Owis. Je suis arrivé sur le continent il y peu et j’y ai…
-Ne déblatère pas ta vie la fouine, je n’ai pas demandé à l’entendre. Seulement ton nom, ton âge, et, à la limite, d’où tu viens. Mais je ne t’ai sûrement pas demandé de raconter ton parcours politique, artistique et encore moins merdique, finis-je, inique.
-Oh, déjà des surnoms entre nous ? Tu es rapide dis-donc, minauda-t-il en m’octroyant d’un clin d’œil. »
Je soupirais. Cela promettait d’être compliqué avec lui. Une voix coupa le fil de mes pensées en disant d’un voix perchée :
« Moi, c’est Alise Suleman et j’ai seize ans. Je suis la digne héritière du compte Suleman. »
Ah je l’avais oublié celle-là…
« Ça alors, une aristo ! Grommelais-je… »
Assad me fixa, un petit sourire aux lèvres, mais ne releva pas.
Vint le tour de la mère de famille :
« Je m’appelle Arya. »
Sa voix était emplie d’une infinie tristesse et ses yeux étaient hagards. Elle ne rajouta rien d’autre, mais son intervention avait jetée un grand froid entre nous.
Enfin le dernier se décida à prendre la parole :
« Je m’appelle Dorean Silefar. J’ai dix-sept ans et je viens de Raku. »
Le jeune homme était d’une pâleur défiant toute concurrence. Ses cheveux noirs offraient un contraste étonnant et ses yeux bleus limpides n’étaient pas en reste. Mais ce qui sautait aux yeux était sa taille incroyable !
Alors que je n’étais pas spécialement petite, il me dépassait de deux bonnes têtes. Impressionnant…
« Et toi ? demanda Ilisy. »
Je ne compris pas tout de suite à qui la jeune fille s’adressait et je scrutais tous les visages afin de m’en faire une idée quand je compris.
« Moi ? M’étonnais-je.
-Oui, bien sûr ! dit-elle en souriant. Il serait utile de te connaître si nous devons, comme tu le dis si bien, rester ensemble pour un temps indéfini.
-Tu as du mal comprendre, murmurais-je. Je ne fais pas ça pour que vous vous attachiez à une quelconque personne ici. L’attachement mène à l’anéantissement et je…
-Présentes-toi juste, me coupa-t-elle. Nous n’en voulons pas plus. »
Elle affichait un sourire à la fois franc et timide qui pétillait de malice. Ses yeux n’étaient que le reflet de ce qu’elle ressentait. Etait-ce possible une telle innocence ?
Je finis tout de même par lui répondre, sans doute de jalousie envers cette innocence qui m’était inconnue :
« Je m’appelle Akeru. J’ai dix-neuf ans… avouais-je timidement. »
Leurs yeux étaient braqués sur moi et ceux d’Assad brillaient de cette incroyable promesse scellée quelques heures plus tôt.
Je détournais les yeux
Je toussotais pour casser l’étrange atmosphère s’étant installée entre nous. Puis, remarquant enfin que nous avions finis par nous arrêter, je décrétais d’un ton qui se voulait sans réplique :
« Reprenons la route. Nous sommes loin, TRES loin, d’être arrivés ! »
Et la troupe repris son avancée lente et monotone.
Je dû me caler sur le rythme de mon groupe car la plupart d’entre eux avançaient lentement. Nous traversâmes ainsi la vaste plaine dîtes des « Perdus » car, en raison de son immense taille beaucoup se perdaient, tournaient en rond, puis finissaient par mourir d’épuisement, de faim ou encore de soif. Pour ma part, j’avais tellement l’habitude de la traverser depuis que j’avais dix ans que j’aurais pu traverser cette plaine les yeux fermés. Après deux nouvelles heures de marche, alors que nous sortions à peine de la plaine, j’intimais la première halte de la matinée. Il était maintenant sept heures et demie.
Ils accueillirent avec bonheur cette première pause et s’assirent à même le sol afin de reposer leurs pauvres jambes qui venaient de se manger une dizaine de kilomètres.
« Je suis fourbu, clama égoïstement le père. »
Comme si il était le seul : à peu près tous les membres du groupe étaient dans un état similaire, ou bien pire encore… Alise, par exemple, s’était allongée dans la poussière, sans plus penser à l’étiquette. Et voila, il y a quelques heures encore elle clamait toujours sa noblesse et sa pureté. Qu’en était-il maintenant ?
Les seuls qui avaient l’air plus en forme que les autres étaient Dorean, Arya – qui l’eu cru ! -, Karilan et Assad. Je sentais pourtant un début de faiblesse chez Assad. Etonnant. Je pensais pourtant qu’il serait le plus endurant de la bande.
Je me pris à repenser aux évènements du matin. Comment avais-je pu montre une telle faiblesse devant un membre d’un groupe ? De MON groupe ! De l’avant-dernier groupe que j’aurais en charge avant ma libération ! Je ne pouvais pas craquer maintenant !
J’effleurais ma joue. Je n’avais pas pleuré depuis des millénaires… Et il avait fallu que cela arrive devant quelqu’un qui devait à tout prix m’obéir ? Quelle stupidité !
« Ouvrez la première poche de votre sac, ordonnais-je. Vous-y trouverez des rations. Dans la seconde, il y a des vêtements et deux trois trucs qui vous serons utiles.»
J’attendis un moment que tous ai ouvert leur sacs avant de poursuivre :
« Ceci est le minimum que vous aurez à manger pendant le voyage qui pourra durer de un mois à cinq mois. Cela signifie que, à moins que l’on trouve des choses à manger ici, expliquais-je en écartant les bras, vous n’aurez que ça.
-QUE ÇA ? s’écrièrent-ils tous. »
Les yeux grands ouverts et la bouche béante, ils me fixaient.
On eu dit que le temps s’était figé d’un coup. Chacun s’était figé, la tête tournée vers moi, mais le corps encore dans la position qu’ils avaient avant d’entendre cette dure nouvelle. J’adorais ce moment. Je ne m’en lassais pas !
Ces foutus aristos ne connaissaient vraiment rien à la faim. Ce vide qui vous étrennait le ventre tellement fort que tout votre corps s’en voyait contusionné !
Cette faim sans cesse croissante que la moindre petite miette difficilement ingurgitée empirait !
Le sac en question contenait dix tranches de bœufs séchées, deux outres d’eau, un pain déjà rassie, une douzaine de Panacos (voir plus bas) , et dix pommes.
« Tu veux dire, commença Dorean, que nous n’avons que ça pour tout le trajet ? »
Je poussais un soupir en levant les yeux au ciel.
« Je parle quelle langue bon sang ? m’exaspérais-je. Oui vous n’aurez que ça, sauf si nous trouvons autre chose durant le voyage ! Vous avez compris maintenant ? »
Le silence prit place une fois ma tirade achevée.
Chacun se regardait, le visage blême et les yeux écarquillés d’incompréhension.
« Continuons, clamais-je. »
Et je démarrais.
Ils ne me suivirent pas immédiatement.
Puis, un à un, le pas pesant et le regard dans le vague, ils se levèrent et reprirent leur chemin.
…
Panacos : Biscuit composé d’un assemblage de graines et de plantes du sud. Très dur et dense, il suffit pour une journée entière et ne se périme pas.
P-S : Je suis désolé, c'est très long !