Un bruit de pneus qui dérapent, un crissement, lointain, plus rien.
Mes paupières se ferment et la réalité disparaît, laissant place à une noirceur sans fond happant mon âme de sa traction si puissante.
Césure.
J’ouvre les yeux. Ce n’est pas ma volonté qui le souhaite, non. C’est un besoin. Une obligation. Ma volonté suit. Devant moi, entre les tâches que fait la lumière sur ma rétine, je vois le chaos. Si proche, si loin, je suis dedans. Plongé.
Un bras. Ensanglanté, pâle. Je plains le détenteur de ce membre qui ne bouge plus, se contentant de gésir, là, sur le sol molletonné et parsemé d’éclats de verre du bus.
Douleur.
Un doigt bouge, lentement, plus comme un spasme douloureux, un dernier hoquet de vie. Une douleur sourde remonte dans mon épaule. C’est le mien. Je gémis.
Ma tête change de position et je tente d’apercevoir ce qui m’entoure entre deux flashs de souvenirs.
D’abord, un siège. Vert. Un dans lequel je me suis assise en entrant, comme tous mes camarades d’ailleurs. Il est couché sur le sol et les affaires qui reposaient dessus sont tombées, s’éparpillant allégrement sous lui. C’est là que je remarque un détail surprenant. Un goût de métal envahi ma bouche. Je ferme les yeux.
Douleur.
Mes hanches sont comprimées. Ma ceinture, trop serrées. Je suis couchée. A terre. Comme le siège vide.
Mon bras bouge dans le silence pesant du bus jusqu’à mon front plein de pensées embrumées. Silence ? Non. Ce n’est pas un silence. Il y a du bruit. J’en suis sûre. Il vient de dehors comme de l’intérieur. Il est partout. Un vrombissement sourd, un gémissement étouffé, une plainte silencieuse. Mais il est là ! J’ai envie de hurler ! De hurler pour qu’il se taise ! Pour qu’il cesse d’alimenter cette douleur poignante qui s’empare de mon être petit à petit ! Car elle est là maintenant, je la sens. Elle se réveille au fur et à mesure que je découvre l’horreur qui m’entoure. Oui, j’ai bien remarqué, derrière le siège vert, les jambes de Charles, le petit roux avec son si beau pantalon jaune. Pantalon déchiré, oui ! Pantalon rouge de son sang, oui ! Et le mal débarque, pernicieux. Mes jambes tordues entre deux fauteuils réagissent enfin, tentant de s’extirper de là au prix d’une douleur en forme de flèche qui file jusqu’à mon bassin. Et je crie. Dans le silence.
Devant nous, la route est encore longue. Longue jusqu’au musée où nous devions aller. Ma mère est loin aussi, mais derrière nous. Elle doit être en train de paniquer. Elle a dû entendre les infos et se torturer l’esprit pour savoir si, oui ou non, sa fille était dans ce bus. Alors oui maman, oui papa. J’y suis. Dommage, non ?
Une larme coule lentement sur ma joue. Je la lèche, essayant vainement d’happer la tristesse, de l’aspirer de mon être, de mon âme.
Ce n’est pas si grave après tout, non ?
Et le car s’enflamme.
La douleur s’efface, docile face à la toute puissance, et mes yeux se ferment de nouveau, définitivement.