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Sujet: VEGETALE TORPEUR Sam 12 Déc 2020 - 17:32
Je vous livre un petit texte que j'ai écrit dans le cadre d'un atelier d'écriture, dont le thème était le suivant : "Une journée dans la vie d'une plante d'appartement qu'on n'a pas arrosée depuis trois jours" avec une limite de nombre de mots. J'espère qu'il vous plaira, bonne lecture !
Une journée dans la vie d'une plante d'appartement qu'on n'a pas arrosée depuis trois jours:
VÉGÉTALE TORPEUR
Au troisième jour, mes racines sont complètement sèches. Là où quelques heures plus tôt, il restait encore une infime fraîcheur dans une partie de ma terre, maintenant il n'y a plus qu'une sensation d'aridité et je sens sous moi une surface craquelée, dure mais comme friable. Il me semble qu'un gouffre pourrait bientôt s'ouvrir et que j'y glisserais lentement, dans un silence de désert.
Mes racines asséchées, c'est tout mon corps qui se sent faiblir. Si ma tige se tient toujours vers le ciel, portant dignement ma multitude de feuilles disposées en cascade, je sens qu'elle perd progressivement, au fil des heures, de sa verticalité. Au dehors la lumière faiblit. L'énergie me manque, et ce qui était un comportement que j'avais depuis toujours, ordinaire à ma vie – se tenir droit, exposer mon feuillage – devient peu à peu et de plus en plus difficile à maintenir. C'est une lutte qui s'est engagée, une résistance ; et depuis les premières lueurs du troisième jour, tout mon être livre combat.
Je mentirais si je disais qu'une telle épreuve ne m'était jamais arrivée. Depuis les quatre ans que j'étais dans leur appartement après qu'elle m'avait choisie dans un vaste magasin au milieu d'innombrables concurrentes, elle avait déjà oublié de m'arroser à deux reprises. J'avais alors atteint cette même impression de faiblesse, au point que ma tige était presque horizontale et que mes feuilles avaient jauni en leurs extrémités. Mais elle m'avait redonné l'énergie à temps et je m'étais redressée en une nuit, retrouvant ma superbe. C'était toujours elle qui s'occupait de moi, lui jamais. Elle m'arrosait chaque jour, coupait mes feuilles mourantes, tournait mon pot pour que ma totalité se baigne de soleil. Il lui arrivait même de caresser la surface de mes feuilles et lorsqu'elle effectuait ces gestes avec douceur, c'était en projetant un son mélodieux, je sentais alors des vibrations qui me parcouraient toute entière, j'atteignais la félicité. Lui jamais n'avait d'attention à mon égard. Il lui arrivait seulement de me frôler, voire de me heurter, lorsqu'il se mouvait brusquement dans l'appartement, me portant des coups plus ou moins involontaires qui me faisaient trembler et m'enlevaient des feuilles. Lui aussi causait parfois des vibrations qui secouaient tout mon être, mais le son qu'il émettait était souvent fort, grave et brutal et il se mêlait alors à des bruits étouffés et plaintifs qui venaient d'elle.
C'est ce qu'il s'est passé au premier jour. Cela a commencé ainsi : ils étaient tous deux présents dans la cuisine, je sentais les vibrations de leurs sons qui se répondaient, comme souvent. Son son à lui avait soudain augmenté de volume, pendant plusieurs minutes, me tambourinant par sa violence, puis son son à elle, d'abord faible et aigu, s'était également fait puissant, me perçant jusqu'aux racines. J'avais senti un mouvement des corps dans la pièce, puis un son énorme et long s'était fait entendre - il venait d'elle j'en suis sûre - et un bruit sourd contre le sol, mon pot avait tremblé sous moi. J'ai senti que lui me frôlait, j'ai senti un bruit sec, puis plus rien. Plus rien de la journée.
Toujours rien le deuxième jour. Aucun son, aucune vibration. Au troisième jour, il n'y a toujours rien. J'ai attendu, j'ai espéré, j'ai guetté aux premières lueurs, puis au milieu de la journée, enfin au coucher du soleil. Rien. Lorsque je dis qu'il n'y a toujours rien, je veux dire que je ne perçois plus aucun des bruits ordinaires de l'appartement. Manifestement, il et elle ne sont plus là. Néanmoins, à mesure que la vie peu à peu m'abandonne, deux choses inhabituelles m'apparaissent malgré la torpeur.
Au deuxième jour, il m'est apparu que l'air avait changé. J'ai senti contre ma tige, contre mon feuillage comme une épaisseur, comme une brume chargée, un nuage toxique, qui venait s'insinuer entre mes feuilles et se coller contre moi, comme voulant me pénétrer. Cette sensation ne m'est pas totalement inconnue, là encore. Parfois le midi mais souvent le soir, elle se mouvait dans cette cuisine et une forte impression de chaleur, de condensation se faisait alors sentir, l'air était bientôt saturé de vapeurs épaisses, qui m'encerclaient comme une invasion, puis cela disparaissait lorsqu'elle faisait entrer l'air frais du dehors, elle me libérait. Ce n'est pas le même phénomène depuis le deuxième jour : cette masse diffuse qui me submerge, il me semble là que c'est la mort qui envahit l'air de la cuisine, que c'est la mort qui essaie de me gagner, contribuant à m'affaiblir en même temps que mes racines s’assèchent.
Si la sécheresse de ma terre me vide de mon énergie, une étrange sensation, jamais connue jusqu'alors, m'a aussi paru au premier jour. Lorsque j'ai perçu un son énorme et long, puis un bruit sourd contre le sol de la cuisine, il m'est en même temps tombé dessus, sur la surface d'une partie de mes feuilles, de fines gouttelettes visqueuses et chaudes. Il ne s'agit pas d'eau hélas, j'en suis certaine. Ces gouttes n'ont pu me nourrir et à la fin du troisième jour une intime conviction me glisse confusément l'idée, dans la moiteur de l'air et dans le brouillard où ma faiblesse me plonge, qu'elle ne viendra plus m'arroser. Qu'elle ne viendra plus jamais m'arroser.
J'espère pouvoir lire vos impressions en partie Commentaires !
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Sujet: Re: VEGETALE TORPEUR Mer 16 Déc 2020 - 16:29
Bonjour !
J'ai apprécié la lecture de votre texte, merci du partage.
Lorsque l'on écrit du point de vue d'un animal, d'une plante ou d'un objet, il faut faire des choix dans le degré d'anthropomorphisme que l'on s'autorise, et ici les choix faits donnent lieu à une situation de témoin "défaillant", puisqu'il n'enregistre que la lumière, les vibrations, le toucher et les variations d'humidité et de qualité de l'air. Exercice intéressant et réussi selon moi !
Seule "concession" que vous nous "demandez", accepter que la plante "genre" les habitants de l'appartement, mais je crois que nous faire deviner le "elle" et le "lui" sans que la plante les utilise serait très laborieux, soit inesthétique, soit long, soit les deux, et ça ne me semble pas valoir le coup. Je ne sais pas si vous vous êtes posé la question ou si cela vous a semblé "naturel".
L'avant dernier paragraphe fait il bien référence à une fuite de gaz ?
James
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Sujet: Re: VEGETALE TORPEUR Ven 18 Déc 2020 - 19:02
Salut James, Merci pour ton commentaire, content que l'exercice t'ait paru réussi ! Par contre je suis plus soucieux de la bonne compréhension de la chute car non l'avant dernier paragraphe ne fait pas référence à une fuite de gaz, c'est une autre odeur mortifère qui envahit l'air... S'agissant du genre des habitants de l'appartement, effectivement je me suis posé la question, je l'ai résolue de la manière suivante : tout en mettant le "il" et le "elle" en italique de façon précautionneuse, comme si ces mots étaient approximatifs pour le narrateur, je considère que la plante perçoit des sons différents venant d'elle (sons mélodieux, plus aigus, douceur des gestes) par rapport à lui (sons graves, brutalité), donc elle fait bien une différence entre ces deux êtres, même si pour moi la plante ne raisonne pas en terme de "genre".
Merci encore !
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Sujet: Re: VEGETALE TORPEUR Sam 19 Déc 2020 - 15:57
Je suis assez confiant quand à la clarté de ta chute, j'ai simplement mal interprété le fait que la plante faisait l'expérience de cette odeur lorsqu'elle cuisinait, à la relecture je ne comprends pas trop pourquoi je pensais au gaz, ça m'avait déjà semblé bizarre, mais l'idée c'était imposée, comme elles le font parfois, bizarrement.
Merci de ta réponse.
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Sujet: Re: VEGETALE TORPEUR Mer 23 Juin 2021 - 0:42
Salut Huppertg,
J'ai bien aimé to texte et la façon dont tu t'approprie le point de vue de ton personnage pour le moins insolite.
Je trouve également original ta fin ouverte, évasive, mais bien amenée pour faire comprendre à ton lecteur que "il" à tué "elle" dans la cuisine lors du premier jour... (d'où l'odeur et le fait qu'elle ne reviendra jamais arroser la narratrice)