The number Two :La quatrième sphère d'Aesphydill
Respire.
Doucement.
Ne te presse pas.
Tu as tout le temps que tu veux.
Reste concentré.Les conseils s’enchaînent dans ma tête alors que je tente d’assimiler ce que je vois. Bon. De toute évidence, c’est ce qu’Ils avaient nommé comme étant un « piège magique de piètre qualité »
Piètre qualité ?! Ils se sont foutus de moi ou quoi ?Les sphères incandescentes virevoltent dans la pièce, formant une arabesque changeante, ravissant l’œil.
Et carbonisant ceux qui les regardent bêtement.
Réfléchis.
Regarde.Au bout de quelques minutes, je finis par apercevoir un motif redondant. Oui ! C’est ça. Leur déplacement est cyclique, donc avec un brin d’observation… Le chemin à suivre se dessine petit à petit dans mon esprit, les endroits où il faudra courir, ceux où il faudra s’arrêter. Tout retenir. Une fois dans la pièce, il sera impossible d’appréhender totalement ce qui se passe.
Et puis, la position est assez inconfortable, recroquevillé que je suis dans un étroit conduit d’aération. Je m’étire lentement, muscles après muscles, tout le long de mon observation. C’est le moment !
D’une poussée des bras, je m’éjecte. Allez, c’est pas le moment de flemmarder ! Sauts, roues, salto, équilibre précaire… Tout mon répertoire de mouvements et d’acrobaties y passe. Lorsque j’arrive devant la grande porte en chêne, mon souffle se fait court, précipité.
Respire.
Calme-toi. Voilà…Je m’agenouille et commence à observer le mécanisme d’ouverture. Typique de ceux venant de chez Maître Hussenlord, Ils avaient raison. Ce qui veut donc dire que je vais passer une bonne demi-heure, au moins, à m’échiner sur cette porte. Plus encore si des petits malins ont voulu jouer aux apprentis sorciers.
Apprentis, apprentis… Vu le nombre et la taille des boules de feu, ils doivent être beaucoup, ces apprentis !M’autorisant un sourire, je sors de ma poche un petit cube métallique de quelques centimètres de côté. Un petit gadget particulièrement utile pour les gens de ma profession : un détecteur de magie de contact et d’intensité, d’une portée de quelques mètres. Bien évidemment, la face tournée vers moi, et donc vers les boules de feu, s’éclaire aussitôt d’un joli bleu foncé. Par contre, la face donnant sur la porte reste grise, terne.
Mieux vaut s’assurer au maximum.Ainsi, je rapproche le cube de la porte et en fait le tour avec. Rien. Bien ! Je range le cube dans une des nombreuses poches de mes vêtements. J’enlève alors mon sac en toile et l’ouvre. Sur le sol s’étalent maintenant mes outils, parfaitement manufacturés, prêt à l’emploi.
En avant, maestro !Les gonds, parfaitement huilés comme il se doit, n’émettent pas l’ombre d’un bruit lorsqu’enfin je pénètre dans la dernière salle. Au centre de la pièce, un autel. Flottant à une vingtaine de centimètres de l’autel, mon objectif.
Presque trop facile…Chassant de sombres idées de mon esprit, j’avance. Au dernier moment, un frisson me parcourt l’échine. Rapidement, je ressors mon cube. Noir. Il était temps… Cela veut dire qu’un enchantement se trouve à quelques centimètres de moi. Je recule et cherche une faille dans le sort. Il doit y en avoir une, pour accéder facilement à l’autel sans tout faire sauter.
Je la trouve finalement, un couloir d’un mètre de large, serpentant dans toute la pièce pour terminer en son centre. Devant l’autel et le précieux artefact, je me repasse en boucle toutes mes informations. Rien n’a été laissé au hasard, tout était vrai. Je n’ai pas commis d’erreurs. Ma main se tend vers la boule de lumière, semblable à de l’air et pourtant bel et bien tangible.
A main nue !Au dernier moment je retiens mon geste. Mon cœur bat soudainement à cent à l’heure. Il faut toucher l’objet à main nue, sinon, ma mort ne sera pas enviable. Enfin, c’est ce qu’Ils ont dit. Et, jusque maintenant, Ils ont toujours été fiables.
Pourtant…Oui, pourtant, je ne sais pourquoi, on dirait que cette fois est différente. Quelque chose cloche. Quelque chose qui n’était pas là les trois autres fois…
Trop à perdre. Qui vivra verra.Ma main empoigne Sérafyil, la quatrième sphère d’Aesphydill.
Le monde s’effondre sous mes pieds.
Noir.
Non, rouge.
Ou serait-ce bleu ?
Les couleurs explosent tout autour de moi, mes yeux souffrent. Le monde n’est plus que lumière, sous toutes ses formes. Mes yeux sont deux lances de flammes qui me percent le cerveau. Je vais devenir fou…
Me concentrer, fermer les yeux et me concentrer. Où suis-je ? Je ne sais pas. Que faisais-je avant d’être ici ? La sphère, Sérafyil, dans ma main.
Ma main ! Je n’en ai plus ! Ni de bras à vrai dire. Seulement cette… sensation. Fallait-il vraiment enlever mon gant ? Je ne sais plus. Je ne sais plus rien. Mal, trop mal.
Calme.
Respire.
Ta main. Cherche ta main. Ignore tes yeux.Le calme me revient. Mon esprit remonte ce qui était jadis un bras, jusqu’à ma main. Rien ! A part… cette sensation, toujours. Comment pourrais-je sentir quelque chose si je n’ai plus de bras ?
La lumière s’adoucit.
Mes doigts bougent, raffermissant leur prise sur quelque chose. Sérafyil.
J’ouvre les yeux.
Je vois.
Mieux, je renais.
Mes yeux se posent partout et redécouvrent le monde. Tout à pris du… relief. Il me faut un moment pour comprendre que je vois à travers les murs. Je pousse mon regard plus loin encore. Des hommes arrivent. Ils ont senti quelque chose d’anormal.
Moi.
Moi et Sérafyil.
Nous avons réagi l’un avec l’autre, je puise dans ses capacités à volonté. Voilà ce qui changeait des trois autres sphères. Aucune n’avait voulu de moi !
Partir. Loin.J’acquiesce sans m’en rendre compte, puis tourne mon regard vers le plafond. Tout vient instinctivement. Je visualise le ciel et le mur se désagrège tandis que mes pieds quittent le sol. Le vent me frappe en pleine face. C’est désagréable…
Une marée d’énergie me traverse. Le vent est devenu une douce brise. A vrai dire, plus aucun arbre ne s’agite à des kilomètres à la ronde. Impressionnant.
En bas, les cris se font plus forts. Qui sont donc ces fourmis pour importuner le possesseur - que dis-je, le seigneur ! – de Sérafyil, quatrième sphère d’Aesphydill ?! Autour de moi, l’air s’agite de nouveau, se compresse. Les éclairs pleuvent par dizaines, frappant sans merci les misérables mages.
Ah ! Ils pensaient me reprendre mon bien ? Risible. Maintenant, je suis tout puissant, plus rien ne m’arrêtera. Même pas Eux.
Les trois autres. Je les ai volées. Elles sont à moi !Même si, sur le moment, les trois premières sphères d’Aesphydill n’ont pas voulu de moi, elles verront bien quel homme puissant je suis, avec Sérafyil. Oui ! C’est cela qu’il faut faire.
A l’instant même où j’en viens à cette conclusion, je sens la sphère – ma sphère – chanter dans ma main. Oui, elle est d’accord avec moi. Et ensuite, je chercherais les cinq dernières. Rien ne nous menacera, pas même le temps.
Pouvoir.
Richesse.
Une nouvelle chance…Mon vol se fait de plus en plus rapide. Les kilomètres s’enchainent, un océan est dorénavant sous mes pieds.
Vite, plus vite ! Mes sphères m’attendent. Elles attendent leur maître. Et ensuite je ferais payer à ceux qui m’ont fait souffrir. Et je rendrais justice. Les gens m’aimeront. Et me craindront.
Enfin.Le sol se rapproche. Le trajet jusqu’à l’île n’a pas prit plus de vingt minutes, alors qu’un bon mois aurait été nécessaire avec des moyens normaux. Mais dorénavant, je ne perdrais plus jamais de temps.
Plus rapide que le vent, plus puissant que la nature même.
Une nouvelle ère commence à dater de ce jour.
Ils sont là Eux aussi. Un joli comité d’accueil on dirait : tous sont réunis, les Neuf. Quel dommage qu’aucun n’ait réussi à se faire accepter par mes sphères… Je vais être obligé de me débarrasser d’Eux, puis de porter leur « fardeau » tout seul. Quel dommage.
Pouvoir.
Plus de pouvoir ! - Je vois que vous avez joué votre rôle avec brio, dit un des hommes – celui portant le signe de Sérafyil. Vous serez payé comme convenu, une fois que Sérafyil sera entre mes mains bien entendu.
Le sourire en coin qu’a cet homme ne me plaît pas du tout. Ils paieront tous pour lui. Quel dommage, Ils payaient plutôt bien, pour des magiciens sans sphère…
Richesse.
Plus de richesse, toujours plus !D’un air nonchalant, j’ordonne à Sérafyil de me décoller du sol de quelques centimètres. Le vent fait voler mes habits, danser mes cheveux dans le ciel. De leur côté, les Neuf clignent des yeux devant la soudaine clarté.
L’effet rend particulièrement bien, il faudra que je le réutilise plus tard. Peut-être avec des éclairs en plus.
Pouvoir. - Au cas où vous n’auriez pas compris, je ne désire pas vous rendre MA sphère ! Ployez le genou devant votre nouveau maître, remettez moi mes trois autres sphères et je déciderai peut-être de vous épargnez.
- Votre sphère ? s’interrogea l’homme vêtu de rouge, porteur d’Alksyel – première sphère d’Aesphydill. Sérafyil a déjà un maître et cela depuis des années.
- Oui ! Moi !
C’en est trop. Qu’ils meurent ces incapables. Sérafyil est mienne, ils sont jaloux, Eux qui n’arrivent à rien malgré leurs pouvoirs. Alors que je rassemble toutes mes forces en une attaque cataclysmique, Sérafyil émet un sifflement.
Les lumières explosent à nouveau. Une douleur atroce me traverse. Comme si mon cœur venait de m’être arraché au travers de mon bras.
Lorsque je recouvre la vue, c’est pour contempler ma sphère dans les mains d’un des Neuf. Elle siffle de bonheur. Traîtresse.
- Aesphydill a crée ces sphères il y a longtemps vous savez. Il nous les avait destinées. Mais Elles sont bien volages et aiment voir ailleurs avant de nous revenir, de temps en temps. Ne leurs en voulez pas.
Non...
Pourquoi ? - Je comprends votre détresse. A partir d’aujourd’hui, vous serez augmenté. Considérablement.
Richesse ? - Vous sentez vous d’attaque pour repartir ? Nous avons repéré Kasyera, la cinquième des sphères. Mais je vous préviens, cela ne sera pas de tout repos.
Que faire… Passer si près d’un pouvoir inimaginable et retomber aussi bas. Et pour quoi ? Comment se concentrer sur une tâche aussi futile qu’un minable vol, après avoir tenu Sérafyil dans la main ? A moins que…
Richesse ?
Pouvoir ?Et si Kasyera partageait aussi son pouvoir ? Elle ou une autre. Il y en a encore cinq en liberté.
- J’accepte.
Et cette fois-ci, je ne commettrais pas d’erreurs…