Dehors

Citation :

Prologue
Aujourd'hui encore, il fait nuit.

Je m'étire et ouvre les yeux, la bouche ouverte. Tout en me frottant les paupières, je m'efforce de trouver la meilleure position pour me lever. L'effort semble impossible à entreprendre et pourtant, j'y parviens. Durant cette fraction de seconde, me voilà digne : je me tiens debout.
L'homme, dans toute sa splendeur. Ce que plus de 4,2 millions d'années d'évolution ont accompli se trouve là, debout. Du moins, jusqu'à la seconde suivante, durant laquelle il essaie tant bien que mal de se maintenir en équilibre. Titubant, il cherche à tâtons un meuble quelconque susceptible de faire office d'appui au genre humain. Enfin, il se redresse. La main gauche sur l'évier, la droite sur la tête, le voici : l'homme. Et cet homme, c'est moi.
Car l'homme, le vrai, est défectueux. En effet, il doit régulièrement entretenir son organisme afin d'assurer la sauvegarde de ses performances, si médiocres soient-elles. Et défectueux, je le suis, si bien que je ne sens point arriver cette réaction quotidienne au réveil de mes sens, cette ancienne coutume aux causes inconnues, ce phénomène inexpliqué et inéluctable qu'est la quinte de toux. Pris au dépourvu, je ploie sous les convulsions et me retrouve à terre, recroquevillé.
Une fois les spasmes disparus, je tends les muscles postérieurs dont je suis pourvu et retourne à ma position initiale. M'aidant des lueurs bleutées artificielles, je tente de rejoindre l'interrupteur qui me permettra d'y voir plus clair en cette obscure pièce. M'avançant aussi prudemment que possible, j'atteins le bouton tant convoité. J'actionne alors le mécanisme.
Et la lumière fuse. Jaillissant de l'unique lampe qui, tel un Dieu inquisiteur, me toise du haut de l'appartement, l'illumination me parvient. Ainsi touché par la grâce divine, je clos mes paupières, aveuglé.
Quelques secondes suffisent à mes yeux pour supporter la vive clarté que libère l'ampoule. J'entrouvre donc les membranes les recouvrant pour contempler mon environnement.

Amusant Bon texte j'aime beaucoup le point de vue.

Citation :

Quelques secondes suffisent à mes yeux pour supporter la vive clarté que libère l'ampoule. J'entrouvre donc les membranes les recouvrant pour contempler mon environnement.
Mon regard se pose instinctivement sur le chemin frayé par les expéditions rituelles que j'ai menées entre le matelas et les toilettes. Au-delà de cette voie s'amoncellent par centaines cahiers, feuillets, dossiers, ersatz de pensées pragmatiques, derniers vestiges de réflexions avortées. Ainsi le domaine est-il à l'image de l'esprit de son unique résident humain.
M'apprêtant à emprunter ce sentier, j'inspire une bouffée d'atmosphère, ce qui provoque une nouvelle quinte de toux dont je tente de modérer la fréquence. Celle-ci achevée, je m'engage dans l'étroit passage menant au lieu d'aisance. Je me garde bien de m'en éloigner, sous peine de me perdre à jamais dans la forêt d'archives qui constitue mon foyer. Loin de m'inquiéter, cette perspective me rassure, car je sais que nul ne se risquerait à s'aventurer en ces lieux en dehors de moi. Je me trouve en un sanctuaire protégé par le dégoût et l'indifférence.
Enfin j'atteins la porte du bastion, dernier rempart tangible entre autrui et moi, que je referme une fois passé le pas de celle-ci.
Comme il est agréable de se sentir ainsi protégé. D'ici, je suis intouchable, et je peux réfléchir à ma guise, sans craindre d'être pris au dépourvu par quiconque. En cette pièce, je suis seul et en sécurité. Y demeurer est apaisant, confortable , et surtout légal, du moins, tant que les charges de l'appartement sont payées.
Tout en laissant l'agréable mélodie délivrée par l'ordinateur pénétrer mes tympans, j'inspire de nouveau.
Je pense.

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Chapitre I
Les nouilles sont toujours trop chaudes.

L'eau bout. Je peux donc la verser dans le bol de polystyrène, duquel jaillit une brûlante vapeur. Lorsque le liquide atteint la marque signalant qu'une telle quantité suffit, je repose l'appareil, me masse les paupières, et attends.
Durant l'hydratation des pâtes, je me demande pour quelle(s) raison(s) il est défendu de consommer des aliments sur lesquels se trouvent de la moisissure tandis qu'il n'est point déconseillé de se nourrir de roquefort. Je tente également de déterminer les causes poussant la plupart des individus à dormir sur des lits occidentaux plutôt que sur de simples matelas. Je suppose d'abord que l'habitude a eu une plus grande influence que la découverte de modes de vie différents, puis je commence à m'interroger sur l'origine de cette pratique. Je note ensuite que nul ne semble avoir inventé un moyen plus efficace que l'usage de la gomme pour effacer les traces laissées par un crayon sur une feuille de papier. Puis je me questionne sur la manière dont la musique inspire ma créativité, indépendamment de la violente quinte de toux qui agite mon enveloppe charnelle.
Arrive alors le moment où j'ignore s'il s'est écoulé plus de trois heures ou moins de vingt secondes, mais où je sais qu'il s'agit du bon moment pour m'emparer de mes baguettes de bois et me repaître des nouilles que l'eau a attendries. La sentence déterminée, je m'exécute.

Citation :

Je porte la pitance à mes lèvres. Au contact des pâtes, ma langue se rétracte, fuit pour trouver refuge le plus profondément possible dans ma gorge irritée. Mais le flot de nourriture synthétique l'accule de telle sorte qu'elle ne peut que pâtir des brûlures que celle-ci lui inflige. Pour ma part, je compatis.
Cette souffrance valide la cérémonie. La lésion sur ma langue, chaque jour plus profonde, confirme l'authenticité du traditionnel repas, rythmant ainsi mon existence d'un repère quotidien. Pourtant, j'ignore si je peux me fier à celui-ci. Il ne s'agit que d'un pressentiment guidé par la faim. Estimant ne pouvoir être certain de quoi que ce soit, je place ma confiance en mes impressions, mon intuition, mon instinct, dussent-ils n'avoir jamais existé.
Il s'agit d'une tâche récurrente, non déplaisante, mais guère appréciable. Remplacer une ampoule, renouveler une batterie, respirer, boire, manger, se nourrir, fournir de l'énergie pour ensuite la consommer. Il s'agit d'un échange, dont l'équivalence dépend de la subjectivité de chaque être humain. Indifférent à cette variable, il est cependant indispensable à l'usage d'une enveloppe charnelle abritant une forme de vie. Ayant décidé de continuer à vivre, je l'effectue.

Ca me fait vaguement penser à la façon dont Bernard Werner présente certains de ses textes.

J'aime beaucoup ce point de vue totalement internalisé.

Le rythme et le style sont bons.

Je demande à en voir plus.

J'aime beaucoup.

J'ai remarqué une répétition fait exprès sur le mot "homme" cependant attention à ne pas tuer le lecteur =x

Une suite?

Citation :

A présent rassasié, je laisse tomber le récipient dans le sac en plastique blanc qui l'avait transporté auparavant. Celui-ci faisant désormais office de sac poubelle, j'en noue les poignées, enfermant ainsi l'amoncellement de bols dont j'ai fait usage durant cette semaine. Je tire alors la trappe en fer située non loin, et y place les déchets. Par ce geste, les produits quittent cet appartement de la même façon qu'ils l'ont pénétré, ne laissant en ces lieux que ce qui m'était utile. Les baguettes, quant à elles, demeureront au même endroit.