Le Grand Dictateur

Il avait voyagé l’esprit léger, à peine accaparé par les paroles de son conseiller qui, d’une douce voix, lui donnait des nouvelles de son pays : émeutes réprimées dans le sang, opposants torturés, et spoliation des biens privés par la milice d’État. Dans l’avion supersonique qui l’avait transporté, il avait surtout pensé à ce qui l’attendait. Bien qu’étant en période d’austérité, la République lui avait accordé tous les honneurs qu'il avait réclamés, car il lui fournissait à bas prix, et en grandes quantités, le précieux liquide dont elle avait tant besoin pour son économie : le kétrolorimbus. Sa sécurité avait été préparée minutieusement : gilet pare-balles, garde du corps sur-entraînés, et résidence surveillée. Le moindre de ses caprices avait été satisfait : écran géant dans sa salle de bain, Rolls blanche équipée d’une chaine stéréo, filles à gogo. Un banquet grandiose avec des éclairages fastueux avait été programmé pour le premier soir de sa visite officielle de quatre jours.

A la lecture de son journal, Jonathan, électricien de l’administration sans poste fixe, ne put réprimer un sourire. On avait retrouvé le corps calciné du Grand Dictateur sous les décombres du Palais de la République, dévasté par un incendie géant qui n’avait pu être maîtrisé. Faute d'entretien régulier, le circuit électrique vieux de plus de cinquante avait failli, et, dans toute la République, on avait cherché les pompiers, sans résultat : ils avaient tous disparu, victimes des coupes budgétaires.