Pour voyager.

Bonjour à tous. Je poste ici le début d'une histoire que j'avais écrite il y a un an. J'en ai actuellement une quinzaine de pages, je les posterais au fur et à mesure si je vois que cela plaît et suscite des réactions. Et, qui sait, peut-être que j'écrirais la suite.
Merci d'avance pour vos critiques éclairées.


~Prélude~

Du haut de la montagne, la voûte étoilée apparaissait dans toute sa splendeur. En des temps plus ordinaires, l’Ancien se serait contenté d’observer cette immensité pendant des heures ; une fois de plus, il aurait tenté de discerner en cette peinture immobile la réalité de l’univers. Mais l’heure n’était pas aux rêveries.
Il avait apporté une lunette astronomique, et ce qu’il observait était bien plus proche que la lumière des étoiles.

« J’ai trouvé le signal. Ils reviendront à l’aube. »
Il s’adressait à la jeune femme allongée près de lui, qui elle aussi scrutait le ciel. Elle utilisait cependant des jumelles plus ordinaires : La lunette de l’Ancien était unique. En entendant ces paroles, la fille sourit : « Tu l’as encore trouvé avant moi. Je suis sûre que tu as mis un dispositif de ciblage dans ta lunette ! »
L’Ancien prit un air faussement gêné. « Un tout petit.
- J’en étais sûre. » Puis elle songea à ce que le signal impliquait. « Combien de fois vont-ils revenir ? Ils vont me rendre folle. Chaque fois à poser les mêmes questions...
- Ne t’inquiète pas. Ils sont intelligents, et ils savent qu’ils sont déjà venus. Ça va les rendre plus prudents. »
Elle réfléchit un moment. Puis, hésitante : « Tu ne penses pas qu’il faudrait les aider un peu ? Par exemple... Je pourrais les accompagner ?
- Non. Je te l’ai déjà expliqué : tu en sais trop. Le monde est arrivé à maturité, mais il faut lui ajouter un catalyseur pour en extraire ce que nous voulons. Or celui-ci ne fonctionnera que s’il ignore tout des coutumes et des traditions... Un regard neuf, voilà l’unique solution. »
Elle soupira. « Je sais tout cela. Seulement, c’est dur d’attendre alors que notre objectif se trouve là, quelque part... » D’un geste, elle embrassa entièrement le paysage.

Ils veillèrent ainsi un long moment, allongés dans l’herbe. Leurs esprits étaient agités par ce qui allait arriver dès le lendemain. Et celui de l’Ancien plus encore : Car il avait le sentiment que cette fois-ci serait la bonne. Il espérait que son intuition ne le trompât pas, car une nouvelle déception lui serait difficile à supporter. Progressivement, le souffle de sa compagne devint lent et régulier. Et, malgré son excitation, le calme et la beauté de la montagne finirent par le précipiter à son tour dans les bras de Morphée.
Il eut un mauvais rêve. Les rêves de l’Ancien, du fait de son grand âge, étaient complexes et faisaient intervenir des lieux et des personnages dont nul, à part lui, ne se souvenait. Quand il se réveilla en sursaut, le jour était déjà levé. Eve n’était plus à ses côtés ; elle était descendue à l’Université pour accueillir les voyageurs.


Premier Chapitre : La descente

Jon Eddil passa un long moment à observer ses mains. Non pas qu’elles soient particulièrement dérangeantes au premier abord. En fait, elles n’avaient aucun défaut. Cela justement le perturbait. Aucune paire de mains n’avait jusque là atteint un tel niveau de perfection, et le fait d’être un précurseur en la matière ne l’enchantait pas particulièrement : ses anciennes mains, tout à fait moyennes, lui avaient très bien convenu jusque là.

Il était en train de se demander si ses pieds étaient aussi parfaits quand Tina entra dans sa cabine.
« Fini de se regarder les pieds. Je suis allé consulter l’ordinateur, et le programme de langue est prêt. Il va falloir s’y coller. »
Jon prit le temps de regarder Tina avant de répondre. Évidemment, elle était plutôt attirante, mais pas autant qu’on aurait pu le croire. Quelque chose manquait. Il prit conscience que la vraie beauté naissait certes d’une symétrie du visage, mais aussi d’une autre chose mystérieuse qu’aucune machine ne pourrait jamais créer. En bref, il préférait l’ancienne Tina.
« Je préférais l’ancienne Tina.
- Et moi, je préfère le nouveau Jon. Il a de belles mains.
- Ne me parle pas de mes mains, gémit Jon. Et d’ailleurs, comment le vaisseau a-t-il pu constituer un programme de langue ? Je croyais que la civilisation industrielle s’était effondrée.
- La civilisation s’est bien effondrée. En fait, nous ne captons qu’une seule onde cohérente, et c’est un cours de langue pour étrangers.
- Quel coup de chance, ironisa le jeune homme. Ils n’envoient qu’un seul signal, et c’est un cours de langue. D’où vient ce signal ?
- De l’ancien centre des Projets. Précisément là où notre navette est censée atterrir.
- Le centre peut-il avoir généré ce cours automatiquement ?
- Je ne sais pas, les ingénieurs ne m’ont jamais parlé d’une initiative de la sorte. Peut-être ont-ils voulu nous faire une surprise.
- Ou alors nous sommes attendus. »

Tina parut mal à l’aise. « Attendus ? Après 5000 ans ? C’est impossible. Non, j’imagine que le centre a été investi par des gens d’aujourd’hui. Après tout, il a été construit pour durer.
Je ne vois pas pourquoi ceux qui habitent aujourd’hui la vallée n’en profiteraient pas. Et peut-être qu’ils organisent des cours dans les bâtiments...
- Des cours qu’ils envoient par radio ? Alors que le reste de la population mondiale ne connaît pas cette technologie ? Non, ça ne tient pas.
- Mais peut-être que... Bon. D’accord. Tu as une autre explication ?
- Non. La seule chose qui me rassure, c’est que si ces gens savent vraiment qui nous sommes, ils ne nous feront pas de mal. Ils sauront que c’est inutile.
- Certes. Espérons juste qu’ils ne nous empêcheront pas de faire notre travail. Maintenant, allons aux visionneuses.

Citation :

En bref, il préférait l’ancienne Tina. 
« Je préférais l’ancienne Tina. 

J'aime beaucoup ce prélude, étonnant, bien mené, qui donne vraiment envie.
Ensuite, j'ai quand même remarqué une petite incohérence : 
J'ai cru comprendre que le vieux manœuvre sa lunette astronomique allongé?
Je pense que c'est assez bizarre et particulier pour mériter une petite explication dans le passage. Je t'avoue que j'ai été gêné par ce point, mais c'est bien le seul.

Premier chapitre maintenant.
Toujours intriguant. Tu poses un thème intéressant de la SF, l'"immortalité" du changement de corps. Je ne sais pas comment tu traiteras le sujet, mais le petit paragraphe où ton personnage se plaint de ses mains me laisse augurer du très bon.


J'attends la suite!

Rebonjour, je vous remercie pour vos retours. Je corrigerais le passage avec la lunette du bonhomme, qui semble avoir provoqué quelques incompréhensions bien légitimes.
Voici la suite.

__________


Les visionneuses consistaient en deux fauteuils allongés, disposés sous un appareillage complexe, de telle sorte que les utilisateurs recevaient un flot d’image et de sons constants par divers écrans et haut-parleurs. Couplées à l’habilité naturelle aux langues des deux voyageurs, ils permettaient d’apprendre n’importe quel dialecte en une vingtaine d’heures. C’était un exercice éprouvant, mais nécessaire, car fractionner l’apprentissage réduisait considérablement l’efficacité du processus. Une fois cette difficile tâche accomplie, il était presque impossible de discerner leur diction de celle d’un indigène. Malgré la pénibilité du processus, ils s’y attelèrent avec soulagement, car le travail intensif les empêchait de penser à ce qui les attendait en bas.
Après avoir appris la nouvelle langue, qui n’avait -comme ils s’y attendaient- rien de commun avec la leur, les deux jeunes gens prirent un peu de repos dans leurs cabines respectives. Le matin d’après (si la notion de matin avait une signification dans les couloirs toujours éclairés), ils se retrouvèrent dans la salle de contrôle. La pièce était située à la pointe d’une tour qui surplombait l’astronef, et un grand hublot donnait sur l’espace. En vérité, l’espace lui-même était très peu visible, car le champ de vision était presque entièrement occupé par la gigantesque masse du vaisseau. Le paysage gris, hérissé en quelques endroits d’antennes ou ponctué de sas de sortie, semblait continuer à perte de vue. Pour Jon, chaque secteur de cette plaine métallique avait une signification. Là, près d’un groupement d’antennes, il y avait les réserves de matériaux pour la réparation. Ici, sous une partie légèrement bombée, se trouvaient les formidables machines qui lui avaient donné naissance, à lui et Tina. Il attarda son regard près d’une série d’ouvertures circulaires : A cet endroit étaient entreposés les Voltigeurs, des petits vaisseaux de surface dont un les emmènerait jusqu’à la planète. Planète, qui malheureusement, restait invisible, cachée par le titan de l’espace.
Jon aimait cette vue austère. Pour lui, elle représentait la sécurité, le terrain connu. Ce fut donc d’autant plus brutalement que Tina le ramena à la réalité.
- « Jon ! Viens voir ! Il manque trois Voltigeurs ! »
Elle pointa du doigt un écran, qui décomptait le nombre de Voltigeurs encore entreposés dans le ventre du mastodonte d’acier. Il en restait 47.
Jon resta un moment interdit. Puis il demanda : « Ont-ils pu être détruits pendant l’attente ? »
- Le vaisseau est censé les reconstituer au fur et à mesure, en puisant dans ses réserves. S’il en manque, c’est qu’ils sont tombés en panne très récemment. Et tous les trois en même temps. Ou alors... »
Elle n’osa pas finir sa phrase. Prise d’un doute subit, elle pianota sur l’écran pour afficher une autre information. Au bout d’un moment, un nouveau compteur s’afficha. Malheureusement celui-ci ne laissait plus de place au doute.
« Nombre de systèmes organiques générés : 4 », lut Jon machinalement. Lentement, il commença à prendre conscience de ce que ces mots signifiaient. Tina, elle avait déjà compris.
- « On est morts 3 fois. » dit-elle d’une voix blanche.

Un silence de mort se répandit dans la salle. Seule le léger ronronnement des machines était audible.
Puis Jon prit la parole avec violence. « On est morts 3 fois sur cette foutue planète. Et on va probablement y mourir une quatrième fois si on y repose le pied. Qu’est-ce qu’on fait ? On se jette une fois encore dans la gueule du loup ? »
Il était vraiment en colère, car il avait peur. Tina aussi était effrayée, mais elle ne pouvait se permettre de céder à de tels sentiments. Elle avait toujours été la plus solide des deux ; et si à son tour elle se laissait aller à la panique, le gigantesque Projet serait paralysé.
- « Oui, dit-elle d’une voix forte. Oui, nous allons encore nous jeter dans la gueule du loup. Nous allons nous poser au centre des Projets, nous allons parcourir la planète, et nous ne mourrons pas. Et si nous mourons, nous reviendrons encore et encore. Ne sommes-nous pas immortels ?
- Jon Eddil est immortel, grogna le jeune homme. Pas moi. »

~~

L’agile vaisseau fendit l’atmosphère à grande vitesse. A l’intérieur, les deux voyageurs étaient solidement sanglés à leurs sièges pour éviter de se retrouver projetés sur la paroi supérieure. L’approche, comme l’atterrissage proprement dit, étaient entièrement automatisés. Aussi patientèrent-ils sans faire un geste.
Si la proue du Voltigeur avait été translucide, ses occupants auraient pu apercevoir le cirque montagneux vers lequel ils se dirigeaient. Celui-ci était coupé du reste du monde par un massif imposant ; au creux des pics, le cirque abritait une petite cité terne, quelques champs, ainsi qu’un étrange bâtiment d’un blanc éclatant. D’une taille colossale ; car il semblait égaler en taille la ville qui le côtoyait. On aurait dit qu’un dieu avait voulu poser là une pierre blanche afin de se rappeler l’importance du lieu.
Le vaisseau décéléra progressivement et se dirigea vers la lumineuse bâtisse, qui était située juste après l’entrée du cirque et semblait en condamner l’accès. Il se posa tout près, sur une esplanade rocheuse d’un noir mat. Malgré les fissures qui parsemaient la surface de granite, elle était plutôt en bon état et semblait avoir été décapée récemment.

Quand les sangles des occupants du Voltigeur se relâchèrent, ils surent que l’atterrissage avait été un succès. Néanmoins, aucun des deux ne manifestait un enthousiasme particulier à l’idée d’en sortir. Jon, le premier, se leva pour aller consulter l’écran de contrôle. Après avoir observé les alentours par caméra interposée, il effectua un rapide contrôle de l’air. Parfaitement respirable. Le jeune homme se tourna ensuite vers sa compagne, qui émergeait à peine de la couchette rembourrée, pour lui faire part de ses observations.
- Il y a un groupe de gens devant la porte principale du Centre. Ils n’ont pas d’armes, pour autant que je puisse en juger à cette distance. La plupart sont jeunes, et ils portent une drôle de robe bleue.
- Une robe ? » dit Tina d’une voix pâteuse. « Même les hommes ?
- Oui, tous. On dirait des membres d’une secte... Ou d’un genre de confrérie. Au premier coup d’œil, je dirais qu’ils sont inoffensifs. Mais il va falloir se méfier. C’’est peut-être ici que nous sommes morts.

Petit up pour que les lecteurs n'oublient pas de commenter

(Je ne t'oublie pas, je viens lire dès que j'ai le temps)

Salut je commence à regarder la première partie, d'abord je fais des petites remarques sur ton texte et après un commentaire en bas.
Je t'explique comment je fonctionne.
Vert:  ce qui me dérange dans ton texte.
Rouge: mes propositions et remarques.
Violet: les répétitions.

Clique ici:

Alors, je dois dire que c'est plutôt pas mal, j'aime beaucoup. Cependant c'est très court, peut-être est-ce voulu?
En tout cas j'attends la suite pour mieux juger, mais là je trouve ça bien parti! Et je reviendrais pour la seconde partie!

Pour voyager, post 2

Citation :

un flot d’image et de sons

images

Citation :

Il en restait 47.

Il faudrait mettre le nombre en lettres.

Citation :

- « On est morts 3 fois. » dit-elle d’une voix blanche.

Un silence de mort se répandit dans la salle

Répétition de « mort »

Citation :

Seule le léger ronronnement des machines était audible.

seul

Petite incompréhension : pourquoi y-a-t-il autant de Voltigeurs, alors qu’ils ne sont que 2 dans le vaisseau ? (surtout si le vaisseau reconstitue les Voltigeurs au fur-et-à-mesure).

Autrement, sur l’histoire, c’est bien mené, l’univers SF est plausible, sans assommer le lecteur avec des détails techniques trop poussés.
Si j’ai tout compris, Jon et Tina seraient une sorte de clone envoyé pour cette mission (mais quelle mission, on n’en sait encore rien ?).
Je lirai la suite avec plaisir.

Je viens de finir les deux parties du texte, Inutile de corriger les fautes, je passe derrière les correcteur =p

J'adore cette histoire ! Je trouve ça original, bien écrit, fluide, même si c'est encore obscur, ça ne donne qu'envie de lire la suite. J'aime bien l'idée de voir la terre ( si c'est bien celle qu'on connait ) à travers le regard de personnes qui la craignent. ( après, j'espère avoir bien compris l'histoire ^^° Le contraire ne serait pas étonnant de ma part )
bref, gros coup de coeur
vivement la suite !

Merci pour vos commentaires, je prends en compte et j'effectuerais des corrections.
Voici la suite. J'en ai encore beaucoup en réserve, donc je n'attends que votre lecture pour en poster plus.




_______

Tina palpa une poche au niveau de sa ceinture, pour vérifier que son brouilleur à rayons était bien là. Elle se sentit envahie d’un frisson. Le moment qu’elle attendait depuis son arrivée au  Projet, des années auparavant, était enfin arrivé. D’un certain côté, cela faisait même des milliers d’années que son esprit et celui de Jon attendaient ce moment... Jon qui, d’ailleurs, ne montrait pas le moindre enthousiasme à l’idée de sortir. Mais c’était son côté prudent, et c’est pour cela qu’elle et lui se complétaient si bien : l’un compensait les excès de l’autre. La jeune femme se leva à son tour, sous le regard indécis de son partenaire : Il n’avait pas l’intention d’ouvrir la porte. Elle se dirigea avec un soupir vers le mécanisme d’ouverture et l’actionna d’un geste ferme.
Un léger chuintement se fit entendre, preuve que l’air à l’intérieur de l’habitacle se mettait à pression ambiante. La lueur de l’aube vint baigner les pieds de Tina, puis grimpa progressivement le long de son corps tandis que l’ouverture s’agrandissait. Ils furent éblouis ; puis le paysage s’offrit à eux.

La plaque où ils avaient atterri était située légèrement en hauteur par rapport aux constructions. Par la blessure rectangulaire découpée dans le flanc du vaisseau, ils voyaient surtout le bâtiment ovoïde : seuls les plus grands pics, de l’autre côté de la vallée, dépassaient de la masse blanche. Non loin sur leur gauche, l’entrée du cirque, où la chaîne montagneuse s’aplatissait jusqu’au niveau des habitations. De l’autre côté on apercevait la cité qui se nichait au creux des hauteurs. Elle paraissait étrangement archaïque ; les maisons étaient de bois, et peu élevées. Il n’y avait pas de clocher, comme dans les villes d’avant l’ère moderne. Son aspect pauvre contrastait avec la magnificence du Centre, recouvert d’une carapace sans défaut.
Après avoir longuement admiré la beauté du lieu, et noté les nombreuses différences avec le souvenir qu’ils en avaient, Tina et Jon dirigèrent leur regard vers le petit groupe qui les attendait. En bas de l’antique escalier qui serpentait vers la gigantesque pièce d’architecture, ils patientaient, massés sur une esplanade qui annonçait l’entrée principale, le regard tourné vers le vaisseau dont ils avaient dû suivre la trajectoire à travers le ciel. Les voyageurs entamèrent la descente, sous une vingtaine de regards qu’ils devinaient curieux.
Quand ils furent suffisamment proches, une femme se détacha du groupe pour venir à eux. Rien dans son habillement ne la distinguait de ses congénères, mais la façon dont elle se tenait et la déférence avec laquelle ses acolytes s’éloignèrent d’elle laissaient entendre qu’elle occupait une haute fonction. Son visage était étrangement familier à Jon. Les traits étaient nobles, certes, mais mâtinés d’une vulgarité plébéienne qui adoucissait la froideur ordinaire de la beauté, pour lui donner un charme qui en appelait plus directement aux sens.

Elle leur fit un signe de la main, celui qui de tout temps avait signifié la paix. Quand ils ne furent plus qu’à quelques mètres, elle inspira, puis prit la parole :
« Bienvenue, voyageurs. Je parle au nom de toute l’Université, qui se trouve derrière moi, et dont je suis la Directrice. Par trois fois déjà vous avez foulé notre sol ; par trois fois, nous vous avons accueillis. Aujourd’hui encore, nous le ferons si vous le souhaitez. L’Université toute entière vous offre son accueil, et nous serons ravis de vous présenter nos recherches, si cela vous intéresse. »

Après cela, elle se tut, attendant une réponse. Le discours était bien préparé, et la femme avait assurément l’habitude de parler au nom de ses pairs. Cependant, derrière le ton protocolaire, Tina discerna une certaine lassitude. « Nous sommes revenus trop de fois à ses yeux, pensa-t-elle, et cela la déçoit. »
Pendant le discours, Jon, muet, fixait intensément le visage de la porte-parole. Enfin il parut reprendre ses esprits et demanda, avec la brutalité qui le caractérisait quand il parlait aux étrangers : « Que faites-vous dans le Centre ? Ne connaissez-vous pas son histoire, pour le considérer comme votre Université ?
- L’Université est notre domaine, et nous y étudions toutes les sciences qui décrivent le monde.
- Connaissez-vous le but du Centre ?
- Nous poursuivons ici notre propre but, celui de conserver et enseigner le savoir.
- Vous ne m’écoutez pas. Je pourrais vous apprendre le passé. Des connaissances inestimables, que même votre grande « Université » ignore. Qu’en dites-vous ?
- Nous savons déjà tout ce qui est nécessaire. Vous nous avez raconté. Lors de votre première visite », précisa-t-elle.

A ces mots, le jeune homme se tut et détourna les yeux, pensif. Evidemment. Leur première visite. Leurs trois premières visites, même. Il comprit l’absurdité de cette conversation qui avait déjà eu lieu,  sûrement de manière identique, à plusieurs reprises.
Voyant Jon se plonger dans ses réflexions, Tina prit la parole, revenant sur des préoccupations plus immédiates. « Quelle est votre nom, Directrice ?
- Mon nom est Eve.
- Pourrons-nous pénétrer dans votre établissement, Eve de l’Université ? Nous, connaissons ce bâtiment, et nous avons des informations à y récupérer.
- Vous pourrez connaître tout ce qui s’étudie dans nos murs, voyageurs. Rien ne vous sera caché. Si vous voulez bien me suivre...

D’un mouvement, elle fit volte-face, et traversa les autres étudiants qui s’écartaient respectueusement sur son passage. Ses deux hôtes tombés du ciel la suivirent, passant au milieu d’une sorte de haie d’honneur formée par les universitaires.
L’entrée de l’édifice était semblable à leurs souvenirs. Une grande ouverture en demi-cercle creusait un trou grisâtre dans la masse blanche, qui descendait en pente raide jusqu’au sol. Seule, l’inscription noire qui désignait le bâtiment comme « Centre des Projets » avait disparu, remplacée par une autre, dans l’alphabet moderne, qui le dénommait par un simple mot : « Université ».
Les trois jeunes gens entrèrent dans le couloir principal, suivis par le groupe silencieux des novices. L’intérieur était agencé très différemment qu’autrefois ; en effet, le bâtiment était entièrement modulable, et les murs blancs légèrement lumineux pouvaient être déplacés au gré des besoins depuis des moniteurs encastrés à mi-hauteur des cloisons. Heureusement pour les voyageurs, leur guide semblait connaître les lieux comme sa poche. Se déplaçant rapidement au milieu des parois courbes, elle les mena vers divers laboratoires où des gens en combinaison grise travaillaient. La plupart ne levaient même pas le nez de leur travail à l’approche des visiteurs, trop concentrés, ou habitués peut-être à ce type d’intrusion. Jon essayait à chaque fois de comprendre les sujets d’étude sur lesquels travaillaient les différents groupes, mais Eve semblait avoir l’intention de ne pas les laisser examiner de trop près ; elle les faisait visiter les salles à un rythme effréné.
Au bout d’un certain temps, le jeune homme murmura à Tina : « Elle nous fait visiter les sections qui l’arrangent. Le Centre est beaucoup plus grand que la zone qu’elle nous fait visiter, et je suis sûr qu’ils font ici autre chose que de la biologie de bas étage.
- Que proposes-tu de faire ? » répondit la jeune femme à voix basse, tandis que la Directrice continuait ses explications sur la croissance des végétaux génétiquement modifiés, quelques mètres devant eux.
- « Tu vois le moniteur là bas ? Quand on sera arrivé à son niveau, part devant et parle-lui de n’importe quoi pour l’occuper. Pendant ce temps, je vais consulter les bases de données. »