Rôdeurs (titre provisoire) [roman?]

Cambesia, 18 mai de l’an 200 après l’ère des lumières. Les ténèbres envahissent le monde. Nous ne pourrons survivre si cela s’éternisait. Les animaux meurent, les plantes ne poussent plus, nous sommes condamnés. Le roi Arselon nous a envoyé chercher les cristaux de Landsard. Je m’appelle Joshua Lemman et je suis un rôdeur. Avec nombre de mes semblables, je pris la route pour obéir au roi. Mes trois frères Ascelyon, Guth, et Landford m’accompagnent vers l’inconnu. Rin et Tissia Margery, nos cousins, font eux aussi partie du voyage. Nous ne savons même pas si les cristaux existent vraiment ni si nous saurons les reconnaître. Nous arpentons, le royaume de Greyst du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Il nous faudra sans doute traverser le rideau de feu pour aller dans les cités mortes. Une magicienne Laya nous guide, mais ses pouvoirs s’amenuisent. Si nous échouons, nous sommes perdus.  
Tels sont les derniers mots griffonnés à la hâte dans le carnet découvert par Dexter Normann. De ces rôdeurs, plus personne n’a eu de nouvelles. Qu'étaient-ils devenus ? Etaient-ils morts ? C’est ce que Dexter va tenter de découvrir en devenant à son tour un rôdeur du royaume de Greyst. Retrouver leurs traces le conduira peut-être jusqu’à son père.


    Dexter ferma avec lassitude le journal qu’il avait découvert sur le pas de la porte de sa maison. Qui pouvait l’avoir déposé là et pour quelle raison ? Flatty son chat grimpa sur ses jambes et il le caressa machinalement. Pour quelle raison quelqu’un pensait-il qu’il serait intéressé par le récit de ce rôdeur dont il ne connaissait pas l’existence ? Pourquoi le déposer devant chez eux ? Cette histoire remontait à quinze ans, jour pour jour, et ce journal se terminait précisément le jour de son anniversaire. Il se leva, malgré le mécontentement de son chat qui venait de s’allonger paresseusement et s’approcha de la fenêtre. Dehors les gens s’activaient. Il apercevait sur la place, Calmine, la fille de la voisine, qui préparait son étal de fruits et légumes. La place résonnait déjà sous les cris des marchands. Une charrette avança parmi les chalands, se frayant tant bien que mal un passage, sur la place pavée. Des gardes approchaient sur le cheval, précédés d’un héraut jouant tambour pour annoncer leur arrivée.

    Dexter, se rua dans l’escalier en courant et bouscula sa mère dans la salle à manger. Il prit à peine le temps de s’excuser et se précipita à l’extérieur. Il effraya un cheval et manquant faire vider les étriers au cavalier qui l’invectiva.
 Le tambour se tut. L’homme, engoncé dans un justaucorps violet qu’il portait au dessus de chausses de même coloris, déroula un parchemin et se mit à crier.
 « Oyez ! Oyez braves gens ! » Les marchands, les fermiers, le petit peuple interrompirent leurs occupations et s’approchèrent des envoyés du roi. De leurs fenêtres des femmes et des jeunes filles observèrent cet inhabituel tintamarre.Les soldats mirent pieds à terre. Ils donnèrent ordre à leurs serviteurs d’installer des tables; de simples tréteaux sur lesquels étaient posée une planche et des chaises.
Ils recrutent. J’ai l’âge, je vais m’inscrire. Mère ne va pas être contente...
 Le crieur attendit que silence fut fait. Des enfants sautillaient sur place pour voir de quoi il retournait.Ceux un peu plus âgés, étaient juchés sur les socles des réverbères.

« Oyez, Oyez braves gens ! Par ordre de Sa Majesté le roi Arselon, le recrutement de rôdeurs a repris.
 Attendu que nous sommes sans nouvelles des derniers rôdeurs, partis pour de nouvelles contrées où nous pourrions vivre. Malgré l’envoi de plusieurs troupes de gens d’armes, d’espions, et de baroudeurs , de l’autre côté, nous n’avons trouvé aucune traces des derniers rôdeurs.Pendant, une quinzaine d'années, la croissance de la ville s'était stabilisée, du fait de la grande famine. maintenant que la croissance reprend du terrain,
notre ville, devient surpeuplée. La bulle magique, créée par les sorciers, s’amenuise et n'est plus à même de maintenir l’écosystème que nous étions parvenus à mettre en place, pour sauvegarder l’humanité et toute vie animale.
  Nous devenons de plus en plus nombreux.La bulle magique pouvait, naguère, s’agrandir au fur et à mesure du développement de notre population. Désormais elle a atteint sa capacité maximale. Nos besoins deviennent plus importants. Nous allons finir par manquer de terres cultivables pour nourrir nos animaux et planter nos céréales.

Par la présente, sa Majesté, nous demande de recruter de nouveaux rôdeurs afin de reprendre les recherches de nos disparus. Ils devront nous trouver des endroits où nous pourrions vivre, cultiver et pratiquer l’élevage. Pour survivre dans ces lieux arides, où l’eau et la nourriture sont rares, demandera un entrainement exceptionnel. Vous devrez dompter votre corps au delà de ses limites, l'habituer à se contenter de moins de nourriture, de moins d'eau et de sommeil. Nos savants ont découvert que les cristaux de Landsard, selon une prophétie, seraient aptes à redonner vie au royaume de Greyst et à nous permettre de vivre sans cette bulle magique. Hommes et femmes seront les bienvenus. Qu’ils s’unissent, procréent, survivent, et ne reviennent qu’en possession des cristaux ou dans le cas contraire de bonnes nouvelles. L’âge minimum requis est de quinze ans le maximum selon la possibilité de chacun. Quatre groupes de rôdeurs seront envoyés tous les deux mois, si les précédents ne réapparaissaient pas. »

 Des brouhahas de voix se firent entendre.
 «  Qu’allons-nous faire en attendant ? Nous tourner les pouces ?
 — Prier. Si nous devenions trop nombreux, nous serions dans l’obligation d’abréger les souffrances des blessés, des malades et abréger la vie des vieillards, dès lors qu’ils seraient dans l’incapacité de travailler. »
 Un vieil homme, d’âge respectable, approcha tremblotant. Il jeta un regard sur les gardes. Et annonça d’une voix chevrotante.

 «  Si vous devez en venir à supprimer les personnes âgées, commencez donc par moi. Je n’y vois presque plus, suis incapable de faire quoi que ce soit seul. La mort s’obstine à ne pas vouloir de moi. et ma petite-fille ne profite pas de la vie due à son âge. Je suis trop âgé pour vous être utile à quoi que ce soit. J’ai assez vécu alors, prenez ma vie. J’aurais au moins été utile sur ce coup là...
 — Est-ce vraiment ce que vous désirez répondit un garde en dégainant déjà son épée.
 — Grand-père non ! » Une jeune fille se précipita près de lui. Il la regarda avec ses yeux presque vide, ne la voyant qu’au travers un brouillard qui ne le quittait plus.
 « J’ai assez vécu, ma petite. J’ai vu mourir ton père, ta mère de la grande maladie alors que tu n’étais qu’une enfant. Ta grand-mère a rejoint, elle aussi,  les plaines calmes. Il est plus que temps que je les y rejoigne. » Il se tourna vers le soldat. Le garde jeta un œil à son capitaine qui acquiesça.
 « Puisque c’est ce que vous demandez et que rien ne puisse vous faire changer d’avis, nous allons satisfaire à votre demande. »
Le garde planta son épée dans le cœur du vieillard, qui partit en souriant.
 « Cet homme n’était pas une victime. Un monument sera érigé en son nom. Il a fait son choix, nul ne pourra nous le blâmer, vous êtes tous témoins. »   Le capitaine s’adressa au crieur

 «  Continuez.
— Pour ceux et celles qui se porteraient volontaire pour devenir rôdeur, faites la file devant chaque table ici présente, déclinez votre nom et votre âge. » Dexter se tourna vers sa maison. Il aperçut sa mère à la fenêtre, observant toute cette agitation, écartant les rideaux, lorsqu’elle l’aperçut, elle ouvrit le vantail, se pencha pour lui crier quelque chose.

Elle va venir m’en dissuader, il faut que je m’inscrive vite. Pensa-t-il lorsqu’il la vit  disparaitre à sa vue. Il y avait deux personnes devant lui. Le jeune homme près du garde, un blondinet, les cheveux en bataille, semblait hésiter. Qu’il se presse. Finalement il déclina son nom, apposa sa signature et laissa la place à la jeune fille derrière lui, puis ce fut son tour.
 
 « Nom ?
 —Normann Dexter
 — âge ?
 — Quinze ans aujourd’hui. »
 L’homme leva la tête et le dévisagea longuement, triturant sa moustache rousse, puis reprit
 «  Marié ? Des enfants ?
 — Rien de tout cela.
 — Pourquoi voulez-vous devenir rôdeur ?
 — Mon père faisait partie des derniers qui ont été envoyés il y a une quinzaine d’années. »
Il examina le candidat une nouvelle fois.
«  Hum, dans ce cas... Vous ferez partie de mon groupe. Mon fils  faisait partie de l’expédition.
 — Comment s’appelait-il ?
 —  Yori Tanji. Il est parti laissant une femme enceinte derrière lui. Elle a accouché depuis d’un gentil petit gars, Malcom. Il a ton âge et nous accompagne. Beaucoup sont partis abandonnant femmes et enfants...
—Dexter !! »
 Il se retourna devant l’appel de sa mère, avant de reprendre
« Nous partons quand ?
— Demain pour le fort d’Ellen, apprendre le maniement des armes et la survie. »
Il salua l’homme et avança vers sa mère.
 « Tu t’es inscrit ? » Il baissa la tête, n’osant la regarder en face.
 « Oui. » Il avait répondu d’une petite voix, craignant la réaction maternelle. Elle lui remit une mèche rebelle en place.
 «  Tu es comme ton père... je savais que ce jour viendrait tôt ou tard. Tu pars à cause de ça ? »
Elle lui tendit le journal, dont la couverture de cuir avait perdu de son éclat mais il devait être rouge, avant. Nombre de ses pages étaient cornée, certaines un peu effacés mais toujours lisibles.
 «  Oui.
 — Où l’as-tu eu ?
 — Je l’ai trouvé près de la porte d’entrée hier soir en revenant de la pêche.
 — Il a été écrit de la main de ton père. Je reconnaitrais son écriture entre mille. »
Joshua avait une façon bien particulière d’écrire. Il mettait en guise de point sur les i un petit cœur, sans qu’il ne sache d’où lui venait cette manie. Il avait hésité à suivre les rôdeurs, mais son épouse avait tellement insisté qu’il avait accepté. Florine regarda songeuse son fils. Il avait bien grandi et lui ressemblait de plus en plus.
 « Je suis heureuse pour toi mon fils. J’espère que tu auras de bonnes nouvelles à me rapporter à propos de ton père et de tes oncles. Ce carnet n’a pas était déposé devant chez nous par hasard. Il y a quelqu’un qui sait. Retrouve ton père, mort ou vif.
 — Oui mère. Je trouverais Père, ou ce qu’il est devenu. Je te le promets. »  Elle l’embrassa sur les deux joues et lui remit un autre carnet.
 «  Sur celui-ci tu noteras les récits de ton voyage. »
 
 Dexter, la remercia de le laisser prendre la route sans chercher à le retenir. Il la regarda s’éloigner souriant, tournant et retournant le petit carnet qu’elle venait de lui remettre et le rangea soigneusement dans la petite sacoche qu’il avait toujours avec lui, puis il laissa son regard errer sur les files des  futurs rôdeurs et remarqua que Calmine, était dans la première file, il savait que son frère ainé avait lui aussi prit la route des rôdeurs, avec son père. Il y avait une grande chance qu’elle fasse partie de son groupe.
Il prit place sur un banc, laissant son esprit vagabonder, s’imaginant déjà sur les routes, réconfortant la jeune fille, et apprenant de nouvelles choses. La survie de l’humanité dépendrait de leur courage et de leurs actions. Tout à sa rêverie, il ne s’était pas rendu compte qu’elle fût venue s’asseoir près de lui et lui tenait la main.