Texte écrit en un jour, abandonné immédiatement après. Il est simple, pas trop travaillé...
Bonne lecture
Le regard est perçant. Les yeux d’un gris pâle pénètrent les chairs et les âmes, glacent les hommes les plus braves. Ils sont alertes, ils scrutent.
Ils voient enfin la lumière. Une lumière oubliée depuis trop longtemps. Celle, encore blafarde, du soleil.
La rétine est brûlée, et la douleur, insupportable.
Serait-ce le prix de la liberté ?La souffrance infligée est plaisante : elle fait renaître un espoir de vie. L’homme tente de se masquer les yeux à l’aide de ses avant-bras, mais les chaînes qu’il porte partout l’en empêchent. Il se sent lourd, il se sent faible.
Ses jambes sont endolories par trente années d’immobilisation presque totale. Les os grincent, les articulations hurlent, les muscles se tendent. Le corps tout entier se fend, se détruit lui-même. Les douleurs sont vives. Les douleurs sont aigues.
Mais l’homme tient bon.
Serait-ce le prix de la liberté ?Chaque tintement, chaque pas sonne aux oreilles comme autant de tambours. Un choc brutale à chaque son, un véritable tremblement sonore qui recouvre l’homme. Celui-ci vacille, celui-ci titube.
Mais tient bon.
Trente années. Ni plus, ni moins.
Couché, parfois assis, rarement debout. Lire, écrire, tenter de garder la forme entre ces murs humides de roche, tenter, souvent vainement, d’apercevoir un peu de lueur, un visage – peu importe lequel – ou un mouvement.
Les yeux souffrent. Ils s’habituent tant au noir que la lumière semble aussi distante et désormais aussi étrangère qu’un rose en hiver. Les oreilles s’habituent tant au silence que chaque son – aussi infime soit-il – est aussi puissant que l’explosion d’un volcan.
Les os prennent racines. Les rotules, les coudes, les poignets restent immobiles si longtemps qu’ils perdent la notion de mouvement.
Et les muscles se déforment, s’atrophient, s’amaigrissent, s’assèchent.
Lorsque l’homme bouge, il a l’impression d’endurer toutes les souffrances du monde. Pas après pas, il progresse, il espère, il retrouve une liberté d’agir et de bouger perdue et oubliée depuis longtemps.
Serait-ce le prix de la liberté ?Les yeux se ferment automatiquement, tentent de repousser cette agression inopportune. Les paupières papillotent, essayent de reprendre une habitude lointaine.
L’homme souffre tant. Il a froid, il est faible et malade.
Il ne mange que des racines, des herbes et du pain depuis trente ans. Parfois, lors des jours cléments, il mange un fruit, ou un légume.
Il essaie, malgré tout, de rester en forme. Pompes, exercices abdominaux, contraction des épaules, massages divers…dans sa minuscule cellule, il fait ce que l’espace lui autorise.
Car oui, la cellule est petite. Deux mètres de long, pour un de large et un de haut. Elle est humide, suintante, glaciale et infestée de rats.
L’homme avance encore. Il ne voit ni n’entend rien. Il marche, contracte ses muscles afin de soulever ses os et sa peau fine. Il fait un pas, puis enchaîne l’autre, lentement. Il sent derrière-lui d’autres hommes – sûrement ses geôliers – l’escorter, circonspects, attentifs.
Que risquent-ils ?
Un temps, peut-être, tous tremblaient devant l’homme. Il était craint, et personne ne l’aurait approché. Personne, de toute manière, n’aurait su le maîtriser.
Mais aujourd’hui ? Il est vieux, las, faible, handicapé. A quoi bon tant de vigilance ?
Un vieillard rachitique, arthritique…du gâchis.
L’homme continue d’avancer. Il peut maintenant apercevoir le sol : il est gris, humide, souillé.
Ses oreilles viennent de reprendre du service. Il peut désormais entendre ses pas, et ceux de ses geôliers. Il entend leur souffle…
Puis un coup. Un coup violent, vif, derrière la tête. L’homme sent son esprit divaguer, il ferme les yeux afin d’éviter de vomir ; sa tête tourne, tout tourne autour de lui.
Et puis la douleur. Un douleur bien plus active, nouvelle, violente. Des étoiles filent devant lui, il titube, et amorce une chute.
Mais un bras – puissant – le retient par l’aisselle et le redresse avant qu’il ne touche le sol.
Un braillement. Quelqu’un cri, quelqu’un d’autre hurle. Il ressent un autre coup – dans les reins cette fois-ci – et amorce une nouvelle chute vers le bas.
Personne ne le retient. Il s’écroule, s’écrase sur le sol humide. La douleur le crispe, il serre les dents.
Son estomac éclate. Une énorme botte de cuir vient de s’y enfoncer. Son ventre semble prendre feu. L’homme crache, tousse. Il veut arrêter l’incendie mais la douleur est trop intense.
Il perd connaissance.
Il se réveille. Il va mieux, et n’a plus froid. Le lit est douillet, la pièce est chaleureuse, sèche.
L’homme ouvre les yeux et découvre un plafond. Ses mains tremblantes palpes de douces couvertures.
L’homme se repose. Il ne dort pas, car a trop peur de ne plus jamais se réveiller. Il pense, songe, se demande pourquoi il est enfin dehors.
Du bruit. Beaucoup de bruit. Quelqu’un entre dans la pièce, et l’homme trouve la force de tourner la tête afin de regarder : il s’agit d’un médecin, vêtu d’une tunique ensanglantée, et d’un homme en armes. Ce dernier est grand, large d’épaule. Sa cape virevolte dans l’air et il semble aussi calme que la rosée du printemps.
A sa ceinture pend un petit mais large fourreau, dont la garde qui en ressort se pavane de bijoux et d’or. L’armure est belle, elle scintille.
Le visage, quant à lui, est sombre. Les yeux de l’officier sont petits, ses sourcils froncés. Sa mâchoire est solide et son menton carré. Sa barbe de trois jours recouvre de petites cicatrices et ses cheveux, aussi noirs que du jais, reposent sur ses épaules.
L’homme en arme échange quelques mots avec le soigneur, puis celui-ci repart et referme la porte de bois derrière-lui.
Le vieillard gémit, mais ne bouge pas.
– Comment allez-vous ? saisit-il.
La question flotte un instant. Elle semble figée dans le temps.
– Je sais que vous ne dormez pas, reprend le soldat.
L’homme alité renifle.
– Je…où suis-je ? parvient-il à articuler.
Le soldat ricane.
– Cela n’a aucune importance, vieillard. Vous êtes vivant, et nous avons besoin de vous.
– Be…besoin de moi ? (Il sourit vaguement) Qui ?
– Le gouvernement. Benht a besoin de vous.
Un nouveau silence, pesant.
– Etes-vous prêt, vieil homme, à reprendre du service ?
– Après ce que je viens de vivre, mon garçon, je suis prêt à tout…