Sourire d’été.
J’étais sur la terrasse, le soleil me brulait la peau. J’aimais cet endroit, plus que tous les autres dans la grande maison, dans la ville, peut-être même dans le pays. J’aimais cette terrasse carrelée d’octogones rouges, qui nous colorait les pieds lorsqu’on ne mettait pas nos tongues. J’aimais regarder la rue où les enfants s’amusaient. Ils étaient tous assis sur un bout de trottoir et chantaient une veille chanson à tue tête. Insouciants et vif, ils me rappelaient ma propre enfance lorsque je chantais dans la rue moi aussi et que nous allions à la chasse au grenouilles. Je me souviens qu’une fois, lors d’un concert en plein air organisé à l’occasion d’un mariage, nous avions capturé plusieurs grenouilles et que nous les avions jetés à la figure de quelques femmes pas assez gentilles à nôtre goût. Elles s’étaient mise à hurler, ça avait mit une grande pagaille dans la foule. Heureusement, on ne s’était pas fait attraper.
Elle me donna un coup de coude. Ah ! Oui, c’est vrai je n’étais pas seule. Elle était là, ses grands yeux un peu bridé posés sur moi. Je l’adorais, mon amie pour toujours. C’était une très belle fille, grande et mince, les cheveux noir ébène et la peau blanche. Ses yeux marron étaient magnifiques, et sa bouche pulpeuse légèrement rosée. Je l’appelais Mulan à l’époque, elle détestait ça.
C’était une belle journée qui se terminait doucement, le soleil se couchait tout au bout des petites ruelles pavées d’en face. J’avais trop chaud, je me dirigeai vers le robinet jaune qui sortait du mur, au fond de la terrasse. Je l’ouvris au maximum et me mis à genoux pour passer ma tête en dessous, qu’est ce que ça faisait du bien. J’avais l’impression d’être cuite, prête à être mangée ! J’envoyai de l’eau vers elle. Mulan recula et me toisa sévèrement. Je savais que j’étais exaspérante parfois mais elle finit par rire et se vengea. La bataille ne dura pas très longtemps, la pompe avait cessé de fonctionner deux étages plus bas et l’eau ne montait pas jusque là sans moteur. Nous retournâmes à la contemplation de la rue.
L’atmosphère était plus lourde que tout à l’heure, les enfants ne chantaient plus. Ils étaient toujours assis sur le trottoir mais ne bougeaient plus dans tout les sens et parlaient tout bas. Je jetai un petit regard à ma Mulan, son visage était aussi serein que d’habitude. J’étais rassurée, je me faisais encore des idées. Pourtant, je posai les yeux de nouveau sur la rue et croisai ses yeux, un petit garçon brun à la peau dorée. Il me regardait comme s’il était désolé, je n’aimais pas ça. A son regard s’ajoutèrent bientôt ceux de tous les autres enfants.
Un cri retentit dans l’escalier. On avait crié mon prénom comme on appelle au secours. Mon sang se glaça.
_Grand-mère est morte, cria-t-il.
Je perçu ses sanglots étouffés sans le voir, pauvre enfant qui était venu m’annoncer la terrible nouvelle. J’aurais voulu le prendre dans mes bras mais j’étais bloquée. Pauvre enfant qui avait perdu sa grand-mère, ma grand-mère. Tout était froid en moi, je m’assis calmement sur le carrelage en me répétant "C’est la vie, tu n’y peux rien. C’est la vie, tu n’y peux rien. C’est la vie…" La main de ma chère amie vint se poser sur mon épaule, je levai les yeux.
Et là, je lui ai souris.
Le plus gros mensonge de ma vie.
On l’a enterrée quelques temps après.
J’ai frôlé la folie, un sourire gelé aux lèvres.
Le sourire est une douceur, alors je souris et apaise leurs pleurs.