Chien de guerre.

Vivre pour combattre, vivre puis mourir. J’arrache ton cœur avec mes dents, je me baigne dans ton sang. Je te regarde m’implorer, ton existence est entre mes mains. Prie moi, supplie moi, aime moi.
Tant de batailles, tant d’effroi pour en arriver là. La guerre est terminée, je suis en manque, j’ai peur, je tremble, je deviens fou.
Le pays a retiré ses troupes. Notre ennemi a baissé les armes et des milliers de soldats ont été démobilisés. Le silence de la paix a remplacé les bombardements.

La paix… la paix, je n’espérais plus la revoir un jour. Dix ans de guerre, ça ne s’oublie pas comme ça. Chaque jour, on se réveillait pour tuer, chaque instant de notre vie était un combat. On était l’élite, là où notre commando passait, il ne restait plus rien. On attaquait, on pillait, on violait, on massacrait, tuait, détruisait, on s’amusait bien. C’était notre boulot, nous, tous les garçons paumés, les asociaux, les criminels, les guerriers qui n’avaient pas leur place dans le monde moderne, étions réunis sous la même bannière, flambeau de notre pays. Pour la justice, pour les droits de l’homme, mais surtout pour le fun.

J’ai accumulé des médailles, suis monté en grade. On refilait à mes hommes les pires besognes. C’était à nous qu’on ordonnait de faire le sale travail. Villages à brûler, assassinats, tortures d’otages… c’était le bon temps, mes compagnons et moi avions enfin trouver quelque chose en lequel on était doué.

On pensait que ça durerait jusqu’à ce qu’on crève tous, jusqu’à ce que le dernier de la Meute aille en enfer, mais cette foutue paix est arrivé de nulle part et nous a brisé nos rêves.

Il fait si sombre. J’entends la pluie tomber au dehors, je tremble. J’ai froid, je m’ennuie, j’ai soif, ma tête me fait si mal. Mes hommes me manquent. Pussycat, Alf’, Spider, Whisky et les autres… où sont-ils maintenant ? Pourquoi je me retrouve tout seul ? Les gars… Je hurle, je crie et un seul gémissement me répond. Je ris. Dans la pénombre, je vois ma veste de caporal, enluminé de tant de distinctions. Elle me nargue, tout ça me rappelle mon ancienne vie. J’étais un héros, un sous-officier d’élite, chef d’un bataillon de fauves prêts à tout. Tous nous craignait, on passait notre vie dehors dans les bois à attendre, dans la peur et la boue, prêts à vendre chèrement notre carré de territoire. Même nos supérieurs tremblaient en notre présence. Les messagers qu’ils nous envoyaient repartaient la queue entre les jambes. On était les plus forts. Et aujourd’hui ? C’est nous qui avons bâti cette foutu paix, c’est grâce au sang que nous avons versé qu’il y a pu avoir une discussion. C’est sur notre m***e que ce pays va être reconstruit !

Je bois encore un verre, et encore un autre. C’est ma dernière bouteille. Ma dernière solde a disparu en boisson, c’est tout ce qui me reste. Dix ans de combats, et me reste qu’une purée de bouteille de rhum à moitié vide et cette stupide veste boutonnée d’argent !
L’état nous a oublié. Ils nous ont dit de fermer nos gueules. Si on raconte à quelqu’un ce qu’on a fait là bas, ils nous retrouveront. Personne n'a protesté, la Meute est dispersée, on est plus que de vulgaires chiens errants. Saleté, j’ai lancé ma dernière bouteille contre le mur. Elle s’est brisée, je hurle.

J’ai soif, tellement soif. Je me réveille au milieu de la nuit et il fait encore plus noir. Prisonnier des ténèbres, je m’assois sur la planche qui me sert de lit, les genoux entre les bras. Mon corps est agité de spasmes, ma gorge est si sèche. Je suis comme un drogué en manque.

Je la vois soudain, comme si mes yeux fonctionnaient à nouveau. Mon tremblement s’accélère. Elle a réussi à s’endormir, elle est si jolie. Sa peau a l’air si douce, ses cheveux doivent sentir merveilleusement. Est-ce que son sang est rouge ? Je me lève lentement, dans l’obscurité je m’avance, elle me sent, elle se souvient, elle essaye de se débattre. Trop tard. J’ai besoin de ma dose, il faut que je tue, il faut que je fasse mal. Je plante un morceau de verre brisé dans sa chair tiède et frémissante, elle crie, je me retrouve. Pendant quelques minutes, je serai de nouveau moi-même. Mon corps renait, mon esprit s’éveille, prêts à profiter de sa trop courte agonie.
Tuer, tuer, tuer… je bois ta souffrance, je me repais de ta douleur. On m’appelle démon, je me dis guerrier.