Bonjoir à tous
!
Je me permets de commencer à poster - brique par brique - un roman de mon cru. Rassurez-vous, ô mes bons amis de la fiction scientifique, il n'y aura rien de très transcendant là dedans.
Je ne dévoilerais pas grand chose de l'intrigue (c'est à dire ... rien, en fait), simplement je tiens à mettre en garde les plus jeune : certains descriptions peuvent être un peu trash, donc bon...
Coté ambiance, réglez vous vers 2090, heure française, en pleine guerre civile. Des personnages hybrides, des intelligences artificielles plus perverses que leurs créateurs, des paysages virtuels sorti tout droit d'un tableau de Dali, et pas mal de questionnements.
Qu'est un humain, lorsque son corps disparaît sous la technologie ?
Prenez place, attention à la fermeture automatique des portes, attention au départ !
ALTER EGO
1.
Paris, janvier 2090
Zone de combat n°17Il neigeait. Un ciel gris, surréaliste, avec cette teinte si particulière que lui donnaient les flocons hivernaux. Et nous, nous étions là. Une simple poignée d’hommes dans une zone démilitarisée parisienne, coincée dans ce qui autrefois fut l’arène des émotions. Aujourd’hui, tout était vide. Un toit de tôle, éventré par l’épée invincible du temps. Nous, assis sur d’antiques chaises en plastiques, à ne rien faire qu’attendre.
— Sergent.
— Oui, Dugommier ?
— C’est l’heure sergent.
— Parfait, alors pliez bagages. Dans cinq minutes, nous devons être prêts à partir.
— Bien, sergent.
Et ce fut comme ça que tout a commencé. Une longue journée qui nous attendait.
En bon sous-off’, je n’ai pas décollé mon cul de cette chaise. Comme par miracle, tout avait fini par se retrouver rangé : les quelques tentes et le matériel se faire remettre en ordre de bataille, quelques duvets soigneusement pliés, les unités de contact satellites éteintes, et tout un tas de petits plaisirs qui ne me servait plus désormais. Des rations de combats, un semblant de douche, quelques fusils sniper dernier cri. Moi, j’avais déjà tout embarqué. Pas grand-chose, mais assez pour tenir un mois sans se réapprovisionner : trois tubes nutritifs à haute concentration, une paire de mains mécaniques de rechange, une cape motif treillis que je ne quittais jamais, et un générateur plasma de secours, pour faire fonctionner ce corps qui n’en était plus un.
Je m'appelais Christian. Matricule Kris-30.06.66. Sergent de l’unité B-R59. Et j’étais là. Au milieu de ce putain de merdier.
Je me lamenterais pas. Ça serait complètement inutile, et dangereux pour ce qu’il me reste d’humain. Mais aujourd’hui, cela faisait trois ans. Joyeux anniversaire, ô toi la France qui n’est plus que l’ombre de ton passé. Trois ans depuis le début. On assassine l’Innocence d’une paix éphémère à coup d’attentats meurtriers dans le métro, lentement, avant que tout n’explose. Paris en guerre civile. Paris sous la mitraille. Paris ou la guerre des gangs. Paris ou l’impuissante. Trois ans à se surveiller sans arrêt, à boucler les quartiers « sensibles » sous un important dispositif militaire, à déclarer des zones « interdites » car suspectes. Trois ans à jouer au chat et à la souris dans une ville qui tombe en poussière. Il y avait Sarajevo à la fin du vingtième siècle. Mais notre Sarajevo, à présent, c’est elle. Bâtiments refaits façon mitrailleuse gros calibre. Tour Eiffel décapitée. Assemblée nationale emmurée. Barrages à n’en plus compter. Lignes de métro coupées. Et le silence. Souvent. Il y a eu tant de morts pour rien, tant de sacrifices vains qui ont, à jamais, détruit l’image rose bonbon de l’ancienne capitale des cons. On m’a éjecté dès le début dans ce trou à rat. Jamais ils ne te mettront en première ligne m’avait dit un sergent anonyme, la veille du grand soir. Mais la roue du progrès a tourné. Et je suis devenu un poids mort qu’il fallait rentabiliser. Un pauvre militaire formé au rabais qu’on avait vendu aux armées françaises, en même temps que des dizaines d’autres. Trois ans déjà.
On était six. Comme tous les matins, on levait le camp. La zone de combat dix-sept, la Saharienne comme on l’appelait, c’était un désert humain. Un grand quadrilatère coincé entre le quai et le Boulevard de Bercy, la rue de Charanton, jusqu’au périph’ Sud. C’était grand. Très grand. La seule porte d’accès au nord, c’était le palais omnisports de Bercy, prisonnières des plaques de bétons de cinq mètres sur trois posées à la va-vite. Alors avant de patrouiller, on allait voir les collègues. La Saharienne, c’était plutôt calme. Quelques infiltrations de temps à autre, mais on reprenait vite le contrôle de la zone. Une routine usée, alors on essayait de s’occuper un peu. Mes gars prenaient un café le matin, vers neuf heures et demie. C’était un rituel, presque sacré, et je me faisais engueuler s'ils n’y avaient pas le droit. Et ce vingt janvier, je n’ai pas dérogé à la règle. Ambiance bonne enfant, sourires fades sur les lèvres, on est sorti de ce maudit ventre de ferraille qui pourrissait dans le vent. Dix minutes plus tard, on était sur les marches, juste à côté de l’entrée de métro pas encore condamnée. L’unité B-R63 était au complet, soit neuf hommes, tous soldats de seconde classe, des paumés comme nous, et à leur tête, le sergent Armestri. C’était devenu un excellent ami, et on se tutoyait. Lui en avait bientôt trente-cinq ans, moi tout juste vingt-quatre. Julio de son prénom. Un fils d’immigré qui rêvait d’ascenseur social, et qui se retrouve à éponger la merde des Français bien lotis. Tous ceux qui avaient pu étaient partis au-delà de la petite couronne, à dix kilomètres de là. Le gouvernement s’était réfugié sur Lyon, maintenue artificiellement par l’omniprésence militaire. La loi martiale courait toujours, officieusement. Avec ses avantages comme ses inconvénients. Mais toute cette propreté, c’était loin de nous. Une forme dans la brume, qui tentait d’exister. Un flou artistique à coups de fusils à pompe, de décharges de tazzer, d’anesthésiques en fléchettes, et parfois de balles ionisées. Mais c’était loin. À jamais, ça resterait loin de nous.
Lui, il était brun, bien foutu et blagueur. Un sacré sens de la rpartie comme de l’insulte sarcastique. Moi j’étais blond, un corps métallique, et plutôt réservé. J’évitais la confrontation quand lui n’hésitait pas à narguer les membres de gangs. C’était vraiment quelque chose d’incroyable, surtout quand il racontait ses anecdotes. Lui il aimait cette guerre sans fin, quand elle m’avait volé ma vie passée. Mais on était là, au hasard des affectations. Il fumait tranquillement une cigarette quand nous sommes arrivés dans le kiosque à journaux, un lieu de rendez-vous prisé parce que l’un des rares ou l’on pouvait trouver de l’électricité gratuitement. L’odeur du café chaud, c’était un vrai délice. Même moi qui ne pouvait plus goûter ce plaisir, j’avais du mal à m’en passer.
— Hey ! Christian ! Comment ça va ?
— On dira que j’ai vu pire …
Il ne dit rien, se plongeant dans la couleur ambrée du café noir encore bouillant. La nuit semblait tenir la partie avec le jour. Une semi-pénombre à peine troublée par la météo chaotique. Alors, on se tassait à quinze dans huit mètres carrés. Ça tenait chaud, et puis le café n’était pas loin. Les immeubles à côté n’étaient pas d’un grand secours. La plupart blessée, ou complètements détruits par les bombes d’un ancien combat. Le ministère des Finances tenait encore debout, miracle ou hasard des tirs.
— Cigarette ?
— Oui, merci.
Il me tendit un long tube blanc, un peu tordu et qui sentait le tabac humide. Il alluma le briquet, et j’inhalais profondément la fumée bourrée à la nicotine, un shoot de plaisir léger qui courut dans mon cerveau. Les habitudes dangereuses sont les meilleures. Même celles qui prennent quarante ans à vous liquider.
— La nuit a été calme.
C’était un simple constat.
— Pour nous aussi. Et la journée semble bien partie sur la même voie.
— C’est tout le mal qu’on peut lui souhaiter.
— Eh ! J’en ai une bien bonne à te raconter.
Je souriais. J’allais encore savourer ce délicieux plaisir de racontar. Je buvais déjà sa voix chaude un peu rêche. Ce petit caillou méditerranéen qui lui roulait sur les dents, si discret et si mélodieux.
Un sifflement. Sa tête explosa, dans un horrible bruit. Un regard halluciné, figé, et il s’écroula d’un bloc sur le sol en lino.
— Sniper ! À terre ! criai-je