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 Pluie écarlate [roman]

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MessageSujet: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 16 Avr 2014 - 21:28

Après un ou deux commentaires pour la reprise, je commence à poster un peu mon propre récit.
Il est déjà passé par un autre forum, mais chaque forum étant différent et ayant souvent sa propre conception de ce qui importe ou pas dans un écrit, je vais le mettre parallèlement ici.
je joins un petit dessin que j'ai fait de mon héroïne :
Spoiler:


1. TEMPS DE VIE, TEMPS DE MORT


La jungle résonnait de mille bruits indistincts, cacophonie de chants et de râles, symboles du cycle éternel de la vie et de la mort.
Une lame courbe au fil aiguisé trancha d’un coup un passage dans la débauche de lianes barrant la sente. La rupture soudaine des végétaux imprima un balancement aux branchages plusieurs mètres au-dessus. Le mouvement dérangea un oiseau à la queue empanachée de couleurs vives. Il s’envola en piaillant d’un air offusqué, son œil rond fixé sur les quatre intrus en contrebas.
L’homme qui ouvrait la marche, un dénommé Eyllu, coupa encore une branche épineuse, puis fit halte un instant pour souffler et essuyer d’un revers de bras son visage luisant de sueur. Cette dernière dessinait des sillons brillants sur son torse brun que ne couvrait qu’un pectoral de métal doré aux éclats de malachite. Ses muscles endoloris par de rudes journées dans la moiteur inhospitalière de la jungle se rappelaient à lui à chaque geste. Sans doute n’était-il pas le plus mal loti. Derrière lui, ses deux compagnons peinaient à progresser. Chaque pas représentait une épreuve sur l’étroit chemin encombré de racines, d’autant que les semelles de bois de leurs sandales ne se prêtaient guère à traverser un terrain accidenté. Entre les murs vivants d’écorce et de feuilles, transporter une litière ainsi qu’ils y étaient contraints, relevait de l’exploit.
Seul le quatrième marcheur, un guerrier-crapaud, avec son masque de jade à figure d’amphibien, avançait avec aisance. La chaleur gorgée d’eau plaquait ses raides cheveux noirs le long de la pierre verte contre laquelle, à chaque pas, se heurtaient les ornements d’oreille de même matière. Le masque lui conférait l’air inhumain de l’esprit qu’il servait, Acash, protecteur des zones  humides et de la cité d’Ishu, construite au bord des marécages.
L’un des deux porteurs trébucha, faillit choir, recouvra son équilibre assez promptement pour ne pas lâcher les brancards de bois sculptés de silhouettes animalières.
La secousse imprimée à l’élégant mais rudimentaire moyen de transport provoqua un petit cri de femme derrière le fin dais de laine ocre et jaune aux broderies géométriques de fils d’or.
— Nous y sommes presque, encouragea Eyllu en s’approchant de la litière.
Il n’osa soulever le riche tissu. Nul homme du commun ne devait lever les yeux sur une épouse d’Uacacha, le Vapac – grand prêtre et roi de la cité d’Atasuyo –, durant tout le temps de sa grossesse. C’était la coutume, intransigeante. Et le guerrier d’Acash s’assurerait qu’elle soit respectée. En voyant l’éclaireur à proximité de la litière, il avait d’ailleurs affermi sa main sur sa courte lance à l’épaisse lame d’onyx et, malgré l’absence de sentiment de la face de jade, la contraction de ses muscles trahissait sa tension.
Une autre coutume tout aussi impossible à contourner était celle qui amenait ces quatre hommes et cette jeune femme à traverser la jungle inhospitalière. Elle exigeait qu’Uacacha quittât son palais chaque hiver, après la saison des pluies, pour épouser une princesse d’une autre cité et l’engrosser, puis que cette princesse rejoignît Atasuyo juste avant terme. Si la mère survivait à la dureté du voyage, si elle ne donnait pas naissance à un nourrisson mort-né, elle devenait reine, couverte d’honneurs, et son enfant célébré comme fils ou fille du dieu Soleil. Mais si, pour son malheur, elle achevait l’expédition en vie sans avoir su conserver l’existence du bien précieux qui croissait dans son ventre, alors on la renvoyait seule, à pied, à travers la jungle. Une gourde d’eau et une galette de maïs lui étaient confiées comme maigre richesse, car le dieu avait signifié qu’il ne voulait pas d’elle. Les autres cités se pliaient à cette dure loi. D’abord parce qu’elles se soumettaient à l’autorité de la puissante Atasuyo, ensuite parce qu’Uacacha était l’unique représentant craint et respecté du Soleil, enfin parce qu’après tout, ce n’étaient jamais que des femmes dont l’utilité se résumait à procréer. Si elles échouaient à cette tâche, alors leur existence demeurait sans valeur et c’était une grande honte pour le peuple qui les avait fournies de n’avoir pu plaire au Vapac en lui donnant le cadeau sans prix de fils ou de fille du Soleil.
Acclasi était la huitième à parcourir ce chemin semé d’embuches. Si elle trouvait la force de le surmonter, elle deviendrait la troisième reine, car deux enfants mâles faisaient déjà la fierté de la cité.

— Nous arriverons avant le soir, affirma Eyllu plus pour lui-même que pour la princesse avant de reprendre sa place en tête d’expédition.
L’idée de passer une cinquième nuit sans sommeil dans la jungle, à guetter les serpents dissimulés dans les lianes ou les jaguars aux yeux luisants lorsque, audacieux, ils s’approchaient des torches, ne l’enthousiasmait guère.
Soudain, devant lui, la jungle sembla s’ouvrir et un flot de soleil entra pour venir caresser les hommes de ses réconfortants rayons. Ils atteignaient un bras du fleuve. Le long serpent d’eau verte s’accompagnait d’une trouée dans la canopée, ou plutôt, d’un amenuisement du plafond végétal au travers duquel on percevait des fragments de ciel. Eyllu soupira de soulagement. Il leur suffisait de suivre le ruban mouvant, en gardant un peu de distance cependant, car les berges envasées s’avéraient piégeuses et les caïmans y rôdaient souvent. Les moustiques aussi, beaucoup plus nombreux qu’au cœur de la forêt. Le marcheur se réjouissait à l’idée de voir bientôt apparaître, entre les frondaisons, la forme familière du temple-palais qui surmontait la cité. Il imaginait déjà celle-ci, majestueuse, en forme de gigantesque pyramide à degrés, semblable à une montagne rousse auréolée de lumière par les rayons solaires. Tous les tourments et les peines s’effaceraient à la vue des mille toits d’or qui faisaient la réputation légendaire d’Atasuyo.
La joie anticipée de l’homme s’estompa avant de faire place à une peur vague. La jungle devenait à chaque instant plus sombre alors que l’heure de la nuit n’arrivait pas encore. Son œil exercé en devina la raison à travers les feuillages légers. Les oracles qui annonçaient plusieurs jours cléments avant la saison des pluies se fourvoyaient. De gros nuages s’amoncelaient lentement au-dessus de la tête des voyageurs. Bientôt, la cime des arbres se noierait dans ce lourd plafond spumescent.
Comment avait-il pu ne pas sentir la montée de ce péril ?
La pluie…
Quand tomberait-elle ? Leur laisserait-elle le temps ?
Derrière lui, le premier porteur avait sans doute fait les mêmes constatations, car il murmura :
— Ce sera une averse normale, tout ce qu’il y a de plus normal. De la bonne eau qui amène la vie.
Sa voix sourde, un peu tremblante, le trahissait : il ne croyait pas lui-même à ses propres paroles. Comme Eyllu, il voyait les reflets grenat parcourant les volutes sombres.
— Une pluie écarlate, balbutia le second porteur, blême. Les larmes d’Ipacheta.
Il n’avait nul besoin d’en dire plus. Quand bien même ses compagnons eussent-ils ignoré le sens de cette menace, la terreur qui sourdait de ces quelques mots suffisait à en donner la mesure.
— Nous pouvons avoir le temps de rejoindre Atasuyo en nous pressant, espéra Eyllu.
— Pas avec la litière.
— Alors, on la laisse ici.
— Mais… et la princesse ?
Eyllu accueillit la protestation les mâchoires serrées, les traits durs. Il parlait sans un regard pour les deux hommes soutenant leur charge, mais les yeux fixés dans ceux du guerrier qui brillaient derrière le masque. Il osa, sur un ton provocateur :
— Faites ce que bon vous semble. Moi, je préfère affronter la colère du Vapac que les larmes d’Ipacheta.
Sans perdre plus de temps, il partit au pas de course et disparut, avalé par la jungle obscure. Les porteurs échangèrent une grimace d'effroi. Posant leur fardeau sans plus de manière, ils se précipitèrent à sa suite. Le guerrier-crapaud demeura seul, immobile, la main serrée sur sa lance. Il n’esquissa pas même un geste de fuite, mais la sueur glacée qui enveloppait ses muscles tremblants d’être trop contractés, ne résultait pas de la chaleur.
Une première goutte frappa une large fougère non loin de lui, éclaboussant la feuille de rouge. L'homme eut le temps de compter jusqu’à dix avant qu’une autre goutte isolée ne pénétrât entre les frondaisons. Elle toucha la protection d’épaule gauche en argent, rebondit, et glissa lentement avant de s’écouler sur le bras. Lorsqu’elle entra en contact de sa peau, le guerrier poussa un hurlement et s’enfuit en courant dans la direction prise par les porteurs.
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 17 Avr 2014 - 19:54

Un début très prometteur, avec un univers qui fait penser aux civilisations précolombiennes dans les personnages et l'univers que tu nous fais connaître au travers de ce premier chapitre.
J'aime beaucoup le mélange entre l'action que l'on suit et les informations que tu glisses au fur et à mesure.
La dernière partie est intrigante, je me demande ce qui va arriver à la princesse à présent que son escorte l'a abandonnée sous cette étrange pluie, mortelle semble-t-il.

Très beau dessin pour illustrer ton héroïne, j'ai une petite question à son propos, s'agit-il de la princesse Acclasi ou d'un autre personnage qui va intervenir dans la suite ?

En tout cas, je trouve ce début très prometteur et je lirai la suite avec plaisir.

Et cerise sur le gâteau, même pas une faute à corriger, juste le plaisir de la lecture, bravo Smile
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 17 Avr 2014 - 20:09

Merci pour ton passage, Abigaelle

Non, le dessin ne représente pas Acclasi, qui n'est pas l'héroïne mais sert juste à introduire l'histoire.

Au passage, j'aime bien ta version de l"'homme est un loup pour l'homme". C'est de toi?
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 17 Avr 2014 - 21:02

Non, j'ai trouvé ce logo sur le site loup.org il y a quelques années, avec cette image, et j'ai tellement aimé cette phrase que j'en ai fait une de mes signatures :

Spoiler:
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Rosgann
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeDim 20 Avr 2014 - 20:43

Bonjour à toi Barla,

J'ai choisi au hasard ton roman pour mon premier commentaire que voici :

Barla a écrit:
La jungle résonnait de mille bruits indistincts, cacophonie de chants et de râles, (très bien ça) symboles du cycle éternel de la vie et de la mort. (trop Pocanhantas cette partie, non ?)
Une lame courbe au fil aiguisé trancha d’un coup un passage dans la débauche de lianes barrant la sente. La rupture soudaine des végétaux imprima un balancement aux branchages plusieurs mètres au-dessus. Le mouvement dérangea un oiseau à la queue empanachée de couleurs vives. Il s’envola en piaillant d’un air offusqué, son œil rond fixé sur les quatre intrus en contrebas.
L’homme qui ouvrait la marche, un dénommé Eyllu, coupa encore une branche épineuse, puis fit halte un instant pour souffler et essuyer d’un revers de bras son visage luisant de sueur. Cette dernière dessinait des sillons brillants sur son torse brun que ne couvrait qu’un pectoral de métal doré aux éclats de malachite. (si son torse est couvert de ce pectoral, on ne peut pas voir ce qu'y dessine la sueur) Ses muscles endoloris par de rudes journées dans la moiteur inhospitalière de la jungle se rappelaient à lui à chaque geste. Sans doute n’était-il pas le plus mal loti. Derrière lui, ses deux compagnons peinaient à progresser. Chaque pas représentait une épreuve sur l’étroit chemin encombré de racines, d’autant que les semelles de bois de leurs sandales ne se prêtaient guère à traverser un terrain accidenté. Entre les murs vivants d’écorce et de feuilles, transporter une litière ainsi qu’ils y étaient contraints, relevait de l’exploit.
Seul le quatrième marcheur, un guerrier-crapaud, avec son masque de jade à figure d’amphibien, avançait avec aisance. La chaleur gorgée d’eau plaquait ses raides cheveux noirs le long de la pierre verte contre laquelle, à chaque pas, se heurtaient les ornements d’oreille de même matière. (les bijoux de jade [ou nom de la pierre] qui ornaient ses oreilles) Le masque lui conférait l’air inhumain de l’esprit qu’il servait, Acash, protecteur des zones  humides et de la cité d’Ishu, construite au bord des marécages.
L’un des deux porteurs trébucha, faillit choir (s'il trébuche, il manque de tomber donc pas besoin de "faillit choir"), recouvra son équilibre assez promptement pour ne pas lâcher les brancards de bois sculptés de silhouettes animalières.
La secousse imprimée à l’élégant mais rudimentaire moyen de transport provoqua un petit cri de femme derrière le fin dais de laine ocre et jaune aux broderies géométriques de fils d’or.
— Nous y sommes presque, encouragea Eyllu en s’approchant de la litière.
Il n’osa soulever le riche tissu. Nul homme du commun ne devait lever les yeux sur une épouse d’Uacacha, le Vapac – grand prêtre et roi de la cité d’Atasuyo –, durant tout le temps de sa grossesse. C’était la coutume, intransigeante. Et le guerrier d’Acash s’assurerait qu’elle soit respectée. En voyant l’éclaireur à proximité de la litière, il avait d’ailleurs affermi sa main sur sa courte lance à l’épaisse lame d’onyx et, malgré l’absence de sentiment de la face de jade, la contraction de ses muscles trahissait sa tension. bon passage, tant sur la coutume que sur l'homme
Une autre coutume tout aussi impossible à contourner était celle qui amenait ces quatre hommes et cette jeune femme à traverser la jungle inhospitalière. Elle exigeait qu’Uacacha quittât son palais chaque hiver, après la saison des pluies, pour épouser une princesse d’une autre cité et l’engrosser (un peu rude, détonne par rapport au reste), puis que cette princesse rejoignît Atasuyo juste avant terme. Si la mère survivait à la dureté du voyage, si elle ne donnait pas naissance à un nourrisson mort-né, elle devenait reine, couverte d’honneurs, et son enfant célébré comme fils ou fille du dieu Soleil. Mais si, pour son malheur, elle achevait l’expédition en vie sans avoir su conserver l’existence du bien précieux qui croissait dans son ventre, alors on la renvoyait seule, à pied, à travers la jungle. Une gourde d’eau et une galette de maïs lui étaient confiées comme maigre richesse, car le dieu avait signifié qu’il ne voulait pas d’elle. Les autres cités se pliaient à cette dure loi. D’abord parce qu’elles se soumettaient à l’autorité de la puissante Atasuyo, ensuite parce qu’Uacacha était l’unique représentant craint et respecté du Soleil, enfin parce qu’après tout, ce n’étaient jamais que des femmes dont l’utilité se résumait à procréer (avant le rôle des femmes, tu expliques tout comme si tu décrivais des coutumes, mais là, tu montre l'avis du garde, peut-être nuancer le passage sur les femmes en disant qu'elles "sont considérées comme" et non pas "sont" bonnes qu'à procréer). Si elles échouaient à cette tâche, alors leur existence demeurait sans valeur et c’était une grande honte pour le peuple qui les avait fournies de n’avoir pu plaire au Vapac en lui donnant le cadeau sans prix de fils ou de fille du Soleil.
Acclasi était la huitième à parcourir ce chemin semé d’embuches. Si elle trouvait la force de le surmonter, elle deviendrait la troisième reine, car deux enfants mâles faisaient déjà la fierté de la cité.

— Nous arriverons avant le soir, affirma Eyllu plus pour lui-même que pour la princesse avant de reprendre sa place en tête d’expédition.
L’idée de passer une cinquième nuit sans sommeil dans la jungle, à guetter les serpents dissimulés dans les lianes ou les jaguars aux yeux luisants lorsque, audacieux, ils s’approchaient des torches, ne l’enthousiasmait guère.
Soudain, devant lui, la jungle sembla s’ouvrir et un flot de soleil entra pour venir caresser les hommes de ses réconfortants rayons. Ils atteignaient un bras du fleuve. Le long serpent d’eau verte s’accompagnait d’une trouée dans la canopée, ou plutôt, d’un amenuisement du plafond végétal au travers duquel on percevait des fragments de ciel. Eyllu soupira de soulagement. Il leur suffisait de suivre le ruban mouvant, en gardant un peu de distance cependant, car les berges envasées s’avéraient piégeuses et les caïmans y rôdaient souvent. Les moustiques aussi, beaucoup plus nombreux qu’au cœur de la forêt. Le marcheur se réjouissait à l’idée de voir bientôt apparaître, entre les frondaisons, la forme familière du temple-palais qui surmontait la cité. Il imaginait déjà celle-ci, majestueuse, en forme de gigantesque pyramide à degrés, semblable à une montagne rousse auréolée de lumière par les rayons solaires. Tous les tourments et les peines s’effaceraient à la vue des mille toits d’or qui faisaient la réputation légendaire d’Atasuyo.
La joie anticipée de l’homme s’estompa avant de faire place à une peur vague. La jungle devenait à chaque instant plus sombre alors que l’heure de la nuit n’arrivait pas encore. Son œil exercé en devina la raison à travers les feuillages légers. Les oracles qui annonçaient plusieurs jours cléments avant la saison des pluies se fourvoyaient. De gros nuages s’amoncelaient lentement au-dessus de la tête des voyageurs. Bientôt, la cime des arbres se noierait dans ce lourd plafond spumescent.
Comment avait-il pu ne pas sentir la montée de ce péril ?
La pluie…
Quand tomberait-elle ? Leur laisserait-elle le temps ?
Derrière lui, le premier porteur avait sans doute fait les mêmes constatations, car il murmura :
— Ce sera une averse normale, tout ce qu’il y a de plus normal. De la bonne eau qui amène la vie.
Sa voix sourde, un peu tremblante, le trahissait : il ne croyait pas lui-même à ses propres paroles. Comme Eyllu, il voyait les reflets grenat parcourant les volutes sombres.
— Une pluie écarlate, balbutia le second porteur, blême. Les larmes d’Ipacheta.
Il n’avait nul besoin d’en dire plus. Quand bien même ses compagnons eussent-ils ignoré le sens de cette menace, la terreur qui sourdait de ces quelques mots suffisait à en donner la mesure.
— Nous pouvons avoir le temps de rejoindre Atasuyo en nous pressant, espéra Eyllu.
— Pas avec la litière.
— Alors, on la laisse ici.
— Mais… et la princesse ?
Eyllu accueillit la protestation les mâchoires serrées, les traits durs. Il parlait sans un regard pour les deux hommes soutenant leur charge, mais les yeux fixés dans ceux du guerrier qui brillaient derrière le masque. Il osa, sur un ton provocateur :
— Faites ce que bon vous semble. Moi, je préfère affronter la colère du Vapac que les larmes d’Ipacheta.
Sans perdre plus de temps, il partit au pas de course et disparut, avalé par la jungle obscure. Les porteurs échangèrent une grimace d'effroi. Posant leur fardeau sans plus de manière, ils se précipitèrent à sa suite. Le guerrier-crapaud demeura seul, immobile, la main serrée sur sa lance. Il n’esquissa pas même un geste de fuite, mais la sueur glacée qui enveloppait ses muscles tremblants d’être trop contractés, ne résultait pas de la chaleur.
Une première goutte frappa une large fougère non loin de lui, éclaboussant la feuille de rouge. L'homme eut le temps de compter jusqu’à dix avant qu’une autre goutte isolée ne pénétrât entre les frondaisons. Elle toucha la protection d’épaule gauche en argent, rebondit, et glissa lentement avant de s’écouler sur le bras. Lorsqu’elle entra en contact de sa peau, le guerrier poussa un hurlement et s’enfuit en courant dans la direction prise par les porteurs.

Je n'ai pas fait attention aux fautes d'orthographe (s'il y en a) pour me concentrer sur le fond et je dois dire que je suis admiratif. L'ambiance est bien rendue et le background se dévoile lentement avec maîtrise.
Par contre, j'ai du mal à saisir de quel point de vue nous voyons l'Histoire. En le nommant d'emblée et en se concentrant sur lui, tu fais d'Eyllu ton personnage principal mais il semble au vu de ce qui se passe lorsque la pluie tombe, que le guerrier-crapaud soit ce personnage principal.

Peut-être ai-je simplement mal compris, c'est très possible Smile En tout cas j'adhère complètement à cette narration, même si je ne suis pas super fan des civilisations pré-colombiennes. Continue !
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMar 22 Avr 2014 - 20:03

Bonjour Rosgann, 

Pour l'instant, il n'y a pas de personnage principal. Ce chapitre 1 est un sorte de prologue (je n'en ai posté que la moitié).
Par contre, au niveau du choix narratif, j'utilise toujours presque exclusivement du point de vue interne (en changeant de personnage selon les besoins), en l’occurrence, ici, c'est surtout celui d'Eyllu.
Ce qui explique aussi le vocabulaire employé dont le connotation n'est pas en rapport avec ma propre vision mais avec celle du monde dans lequel évoluent les personnages (d'où le "engrosser", ou "ce n'étaient jamais que des femmes"). Ce n'est heureusement pas mon point de vue de Barla, encore moins de femme, bien sûr  Wink 

Citation :
même si je ne suis pas super fan des civilisations pré-colombiennes
moi non plus. Je n'avais pas du tout prévu de situer mon histoire dans ce genre de monde, je voulais une simple forêt au départ, mais il s'est mis en place tout seul. Du coup, depuis, il a bien fallu que je me renseigne un minimum sur ces peuples, et sur la faune et la flore des lieux ^^.

Merci encore pour ton passage sur ces lignes et pour ton avis.  Very Happy 
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sombrefeline
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 23 Avr 2014 - 16:17

Alors, pas de fautes relevées dans ce passage, un style plaisant, assez élaboré, mais fluide à lire.

J’ai bien aimé cet extrait qui nous plonge vraiment dans l’ambiance. Je trouve que tu parviens bien à nous faire découvrir cette civilisation précolombienne, sans assommer le lecteur de trop de détails. Les enjeux sont clairs, les personnages identifiés, on sait pourquoi ils se trouvent là et où ils se rendent.
La description de la jungle est bien menée et donne vraiment une réalité, un décor à cette histoire.
C’est original en tout cas de prendre pour cadre une civilisation d’Amérique du Sud, ça change du moyen-âge européen (même si je dois avouer mes très maigres connaissances au sujet de ces civilisations).

Le texte est bien mené et très accrocheur (mais quelle est donc cette pluie écarlate), toutefois, je me permettrai de relever deux éléments qui m’ont un peu gênée :
— On passe trop vite à mon goût du « c’est merveilleux, nous arrivons » à « par tous les dieux, fuyons si nous tenons à notre vie ». Je pense qu’il faudrait une transition un poil plus longue entre ces passages, et planter dès le début du texte des éléments inquiétants, qui rappellent qu’ils courent quand même un grand danger à se balader dans la jungle.
— Les guerriers, notamment celui au masque de crapaud, sont quand même censé protéger la princesse, et je trouve qu’ils l’abandonnent assez vite, pour des hommes aguerris aux dangers de la jungle et du combat. Je pense qu’il faudrait un peu plus insister sur la terreur qu’ils ressentent et sur l’aspect absolument horrible des pluies, qui font qu’ils préfèrent risquer un châtiment que de rester là.

Voilà, voilà, autrement, je lirai la suite avec plaisir.
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 23 Avr 2014 - 16:26

Bonjour Sombrefeline, et merci beaucoup pour ton avis.

Je ne vais pas toucher à ce que j'ai posté pour l'instant, mais je ne tarderai pas à mettre la suite. Tu me diras si ça diminue l'impression que tu as eue pour les deux éléments gênants ou pas, une fois face aux effets de la pluie.

à bientôt  Wink 
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 30 Avr 2014 - 13:25

chapitre 1 (2)

La princesse Acclasi tressaillit, une douleur vive transperça son ventre lorsque la litière dans laquelle elle se tenait à demi allongée heurta le sol trop brusquement. Elle n’avait pas saisi les paroles des hommes qui l’accompagnaient, car, élevée dans un temple avec la mise au monde d’un enfant du Soleil comme unique horizon, elle ne connaissait que la langue sacrée et non celle du commun.
Elle se contorsionna avec difficulté pour atteindre la tenture brodée. Alors qu'elle allait écarter le fin lainage, un cri effrayant retentit qui la repoussa, pâle et tremblante, au fond de sa couche. Il s'écoula quelques secondes avant qu’elle n’osât renouveler sa tentative et découvrir le paysage que lui dissimulait le voile ocre. Autour d’elle se dressait la forêt, menaçante dans son bruyant silence, et l’eau glauque du fleuve.
Elle appela, d’abord timidement, puis plus fort quand aucune réponse ne vint la rassurer. Que se passait-il ? Alors qu’elle cherchait une explication, ses yeux distinguèrent les gouttes encore éparses, perles de rubis qui sautaient de feuille en feuille pour s’échouer sur le sol fangeux ou qui dessinaient des petits ronds que le courant du fleuve effaçait vite.
Elle comprit. La pluie écarlate. Ils avaient fui, ils l’avaient abandonnée.
Acclasi faillit céder à la panique. Elle était perdue. Le dais ne retiendrait pas l’eau maudite et nul ne survivait jamais à telle exposition.
La jeune femme s’adossa aux coussins qui adoucissaient sa couche et respira profondément pour se calmer un peu. Elle n’avait que dix-sept ans, mais les seize premières années de sa vie passées dans le temple destiné à former des épouses de haute naissance obéissantes et résignées lui avaient appris le contrôle d’elle-même et l’acceptation d’un sort injuste. Elle se recroquevilla autant que le permettait son état et attendit.
Quelques secondes à peine s’écoulèrent avant que le léger crépitement des prémices de pluie vint rebondir sur le plafond de tissu. Acclasi resserra ses bras sur son ventre.
Non loin, au cœur de l’épaisse jungle retentirent des cris inhumains. La mortelle eau rouge avait mis moins de temps à tomber que les porteurs ne le pensaient. Ceux-ci ne rejoindraient jamais plus la cité.
Une contraction brutale plia la princesse en deux. Le travail avait débuté depuis quelques heures déjà, mais elle n’avait osé se plaindre – cela n’eût servi à rien – et avait souffert en silence, en se mordant les lèvres. Les manifestations de douleurs n’avaient pas leur place dans la vie d’une femme de son rang. Depuis sa plus tendre enfance, on s’était acharné à le lui apprendre sans ménagement. Et maintenant, bien qu’elle fût seule, elle gardait cette habitude de toujours de prendre sur elle et ne pas s’abandonner au mal. Des larmes perlèrent à ses yeux fardés de noir.
Soudain, les tentures rouge et or s’écartèrent et une énorme silhouette hirsute s’engouffra dans la litière.
Acclasi poussa un petit cri. Face à elle, un loup arboricole gros comme un homme, le poil ébouriffé, les babines légèrement retroussées en rictus menaçant sur des dents aiguës, fixait sur elle ses iris orangés. La jeune femme n’avait jamais vu telle bête, mais en connaissait l’existence par ces légendes qui traversaient même le silence des temples. Le loup des arbres, si rare que peu pouvaient se vanter de l’avoir aperçu, vivait, disait-on, en lisière de bois. Grâce à ses griffes rétractiles et à sa souplesse de félin, il se hissait dans les cinchonas pour attendre sa proie sur laquelle il se jetait du haut de son observatoire. Son pelage ocellé semblable à celui du jaguar lui permettait de se fondre dans la végétation.
L’animal ouvrit à demi la gueule, découvrant des dents aiguës comme des lames alors qu’il hérissait l’épaisse crinière s’achevant en crête poilue le long de son échine.
La pauvre princesse songea que, finalement, ce ne serait pas la pluie maudite qui arracherait sa vie, mais cet effrayant animal sauvage. Elle sentait déjà l’haleine chaude de la bête, imaginait avec un frisson d’épouvante les crocs déchirant sa chair.
À sa grande surprise, le prédateur, le regard toujours empreint de méfiance, se coucha près de ses pieds avec un léger grognement.
Parce que quelque chose dans son attitude faisait écho à ce qu’elle-même éprouvait, Acclasi devina : le loup était une femelle, et une femelle qui allait mettre bas incessamment. Elle n’avait pas évité les premières gouttes. De petites taches rouges maculaient son pelage et son expression qui avait d’abord effrayé la princesse était plus de souffrance que d’agressivité. Elle paraissait épuisée, mal en point, peut-être moribonde déjà, pour avoir essuyé le départ de pluie. D’habitude, les animaux la sentaient venir et se réfugiaient dans des abris sûrs. Mais la louve s’était avancée trop loin dans la jungle qui n’était pas son territoire de chasse habituel et son état ne lui avait pas permis de rejoindre à temps sa tanière.
— Nous sommes prisonnière du même piège, toutes les deux, murmura Acclasi. Nous mourrons à l’heure même où nous devrions donner la vie. Chez nous, les hommes, existe une légende qui raconte que les bébés naissant sous les larmes d’Ipacheta n’ont rien à craindre, qu’ils recevraient aussi des pouvoirs fabuleux. Peut-être nos petits vivront-ils.
Bien qu’elle parlât laborieusement, essoufflée par les efforts croissants de son corps pour libérer l’enfant, son ton était apaisé. Elle acceptait la situation. Le Soleil ne l’abandonnait pas dans cette triste jungle puisqu’il lui offrait une compagne pour partager l’ultime souffrance qui lui ouvrirait la porte des esprits. Là se trouvait son destin.
La louve avait semblé écouter les paroles de cette femme aux cheveux noirs. Les oreilles dressées pour entendre la mélodie de cette voix douce, elle avait à demi fermé les paupières sur l’éclat de son regard sauvage.
Au-dessus d’elles, des auréoles sombres s’étendaient sur le tissu. Une première goutte de sang perla, puis tomba sans bruit sur les coussins qui garnissaient la litière et, bientôt, cette dernière fut prise dans un même déluge que l’extérieur, dont le martèlement noya les vagissements d’un enfant nouveau-né.
Sur les berges du fleuve, au sein des plantes colorées de grenat, dansait une femme nue aux longs cheveux verts.

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Niko
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 30 Avr 2014 - 15:45

Je n'ai pas lu les autres commentaires pour ne pas être influencé par les autres avis, donc je n'excuse par avance si je fais de la redite.

D'abord, c'est très bien écrit, on sens que tu as passé du temps à réfléchir à tes personnages et à l'environnement que tu souhaitais développer.
On rentre bien dans l'histoire et cela permets de s'inquiéter pour tes personnages sans avoir besoin d'avoir un long exposé sur leur motivations et leurs passés.

Par contre, un point qui m'a gêné à la lecture : je trouve que dans l'ensemble, tu as tendance à faire des phrases un peu trop longues. J'avais parfois du mal à tout intégrer à cause de cela.

Voilà, j'attends la suite avec impatience.

::crazy::
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 30 Avr 2014 - 17:30

Bonjour Niko,

merci pour ton passage.

Citation :
je trouve que dans l'ensemble, tu as tendance à faire des phrases un peu trop longues
ça a des chances de ne pas changer, j'aime bien les phrases longues  Wink Mais je m'applique toujours à ce qu'elles soient syntaxiquement et grammaticalement justes (enfin, j'essaie). C'est selon le contenu aussi, quand il s'agit d'action, les phrases sont plus courtes. C'est en fonction du rythme de lecture que je veux donner au lecteur.
Après, c'est une question de goût, je conçois qu'on puisse ne pas apprécier.

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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 30 Avr 2014 - 23:54

Je viens de lire la seconde partie du chapitre 1, bravo, je suis toujours prise dans l'histoire et j'ai hâte d'en découvrir la suite.

J'ai trouvé cette scène poignante, tant par la situation de la princesse que par l'irruption de cette louve qui, finalement, est condamnée comme elle. On devine la naissance de l'enfant de la princesse, je me demande si l'enfant de la louve naît aussi.
Je suis également intriguée par ce qui va arriver à ce (ou ces) enfants, allons-nous les retrouver dans la suite de l'histoire, ou s'agit-il juste d'une illustration de cette terrible pluie écarlate ?

Sur le reste, je n'ai pas grand-chose à rajouter, ton style se lit toujours aussi bien (étant adepte des phrases longues, je ne vais pas critiquer ce point Wink ) et j'ai très vite avancé dans ma lecture.

Bon courage pour la suite, j'ai hâte de la découvrir.
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 1 Mai 2014 - 11:13

Citation :
Je suis également intriguée par ce qui va arriver à ce (ou ces) enfants, allons-nous les retrouver dans la suite de l'histoire, ou s'agit-il juste d'une illustration de cette terrible pluie écarlate ?
ah, ah, il faut attendre la suite  Wink Mais même si tu poses la question, tu as sûrement une idée de la réponse.

Merci pour ta lecture
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 1 Mai 2014 - 12:48

Niko a écrit:
Par contre, un point qui m'a gêné à la lecture : je trouve que dans l'ensemble, tu as tendance à faire des phrases un peu trop longues. J'avais parfois du mal à tout intégrer à cause de cela.

J'ai eu le même problème (je me sens moins seule :P).

Certaines phrases m'ont parues un peu confuses :

Citation :
L’idée de passer une cinquième nuit sans sommeil dans la jungle, à guetter les serpents dissimulés dans les lianes ou les jaguars aux yeux luisants lorsque, audacieux, ils s’approchaient des torches, ne l’enthousiasmait guère.

Quand tu le lis pour la première fois, ce "yeux luisants lorsque que" est vraiment déroutant. J'ai du relire la phrase une ou deux fois pour que ce soit clair. En fait, je ne suis pas sûre que ce soit grammatical, en tout cas c'est très inhabituel.
Je me permets de donner un exemple de phrase qui fait passer à peu près la même chose en étant plus fluide pour le lecteur : (on peut toujours débattre sur les yeux qui luisent d'audace, mais l'idée est là ;) )

Citation :
L’idée de passer une cinquième nuit sans sommeil dans la jungle, à guetter les serpents dissimulés dans les lianes ou les jaguars dont les yeux luisaient d'audace lorsqu'ils s’approchaient des torches, ne l’enthousiasmait guère.

D'autres phrases sont un peu surchargées :

Citation :
La secousse imprimée à l’élégant mais rudimentaire moyen de transport provoqua un petit cri de femme derrière le fin dais de laine ocre et jaune aux broderies géométriques de fils d’or.

Si tu la lis à voix haute, tu verrais que c'est assez difficile de ne pas s'arrêter pour reprendre son souffle (et qu'il y a une rime entre transport et or qui n'est pas très élégante dans un texte en prose). "Moyen de transport" est un peu lourd aussi, tu dois pouvoir trouver un synonyme plus court (un mot traditionnel peut-être ?). En fait, même sans "élégant" et "rudimentaire", on a déjà les deux idées dans la phrase : c'est un... bidule... à deux porteurs (qui subit une secousse), ça reste assez primitif. Ensuite, on a "fin dais de laine ocre et jaune aux broderies géométriques de fils d'or", qui contient la notion d'élégance et de raffinement. Du coup, si tu veux une longue phrase, tu peux peut-être utiliser cet espace pour rajouter des éléments descriptifs, nous raconter quelque chose sur le palanquin... Et si "rudimentaire" signifie "rudimentaire par rapport à d'autres palanquins", tu dois pouvoir expliquer ça aussi.

Citation :
Ils atteignaient un bras du fleuve. Le long serpent d’eau verte s’accompagnait d’une trouée dans la canopée, ou plutôt, d’un amenuisement du plafond végétal au travers duquel on percevait des fragments de ciel.

Si ça n'est pas "une trouée dans la canopée", ne dis pas que c'est une trouée dans la canopée ;)Et du coup, si tu n'utilises pas "canopée" dans la première partie de la phrase, tu peux l'utiliser ensuite au lieu de "plafond végétal", qui n'est, je trouve, pas aussi évocateur (et plaisant à l'oreille).
Bon, je vais te refaire le coup de la reformulation, ne me tape pas ;)Evidemment, ton style n'est pas le mien, donc tu l'écrirais différemment, mais voici ce que tu peux faire pour simplifier cette description en gardant tous ses éléments :

Citation :
Au dessus du long serpent d'eau verte, la canopée se faisait moins dense et laissait apercevoir des fragments de ciel.

C'est beaucoup plus facile à comprendre et, encore une fois, ça te laisse de la place pour autre chose (tiens, maintenant que j'y pense, tu décris les bruits de la jungle au début du récit, et puis ils disparaissent : ce serait un bon moment pour les mentionner à nouveau).


Autre chose :

Citation :
D’abord parce qu’elles se soumettaient à l’autorité de la puissante Atasuyo, ensuite parce qu’Uacacha était l’unique représentant craint et respecté du Soleil, enfin parce qu’après tout, ce n’étaient jamais que des femmes dont l’utilité se résumait à procréer.
Citation :
Elle n’avait que dix-sept ans, mais les seize premières années de sa vie passées dans le temple destiné à former des épouses de haute naissance obéissantes et résignées lui avaient appris le contrôle d’elle-même et l’acceptation d’un sort injuste.

Je pense que si tu évoquais ces points sans les rendre trop explicites, le texte en gagnerait en subtilité. Show, dont tell - si tu laisses le lecteur découvrir que c'est une société extrêmement machiste, ça n'en aura que plus d'impact. Pour la deuxième phrase, tu peux avoir quelque chose "l'acceptation de son sort" en laissant injuste de côté. En plus, je ne suis pas sûre que quelqu'un qui n'a connu que ça, et n'a pas reçu une éducation moderne (mais une éducation sacrée dont le seul but est d'en faire une bonne pondeuse), le conçoive comme "injuste" plutôt que quelque chose d'immuable qu'on ne pense pas à questionner, voire comme un honneur. Bien sûr, ça dépend de ton personnage, mais j'avais vraiment l'impression de voir un regard assez anachronique pointer sous la narration.

Donc, plus généralement :

- J'ai trouvé que beaucoup de phrases étaient inutilement compliquées, comme expliqué plus haut. On a un peu l'impression que tu essayes de tartiner, c'est dommage. Penses aussi à relire ton texte à voix haute pour voir si ça "coule bien".
- Dans la première partie, la jungle manque un peu de descriptions non-visuelles. Si tu pouvais rajouter des sons, des odeurs, on s'y croirait encore plus (même si c'est déjà assez efficace).
- C'est vraiment rafraîchissant de lire de la fantasy non-européenne. J'ai beaucoup aimé l'histoire et j'ai bien envie d'en savoir plus. A quand la suite ? :)
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 1 Mai 2014 - 14:22

Bonjour 147 (ça y est, c'est arrivé, nous ne sommes plus des hommes, juste des numéros  :silent:)

Tu as raison pour le "injuste" qui est une appréciation de valeur que, finalement, la princesse ne devrait pas avoir (d'autant que je ne crois pas qu'elle montre la moindre révolte par rapport à son sort dans le reste du texte. Il faut que je relise la fin du passage).

Pour le reste, c'est histoire de goût. Personnellement, je préfère les phrases longues et fouillées, même si elles doivent de ce fait être complexes syntaxiquement (mais toujours justes au niveau grammatical, j'y prends garde), notamment dans des phases lentes comme cette partie de texte. Et, certes, je les dis à haute voix (d'autant plus qu'elles sont dictées avec un logiciel de reconnaissance vocal, ça me permet de voir si le rythme convient ou pas), mais ça reste des phrases écrites, avec une construction de phrases écrites, et faites pour être lues silencieusement.
Donc en fin de compte, même si tes réécritures se lisent facilement et se comprennent sans doute plus rapidement que mes phrases d'origine, non seulement elles ne me ressemblent pas, mais j'aime moins  Wink . Chacun son style, heureusement, et du moment qu'il reste juste dans l'utilisation de la langue, seul joue le goût personnel.
cependant, je simplifie les phrases quand il s'agit d passages plus actifs, j'aime quand la langue s'accorde au rythme des émotions.

Je ne détaille pas trop tout ni n'en montre trop dans ce chapitre, car même si je le nomme "chapitre 1", il relève plus d'un prologue dans sa construction. Donc les détails, voir vivre la société... tout cela se fera plus tard, je ne veux pas trop m'étendre dès les premières pages d'où le fait de donner certains points sans plus les expliciter ou les montrer (cependant, certaines infos me semblent importantes à situer tout de suite).

Voilà, voilà... En tout cas, merci pour ton passage, j'apprécie d'avoir des avis différents (même si c'est pour me dire que c'est tout pourri, si c'est justifié, je prends  Razz ) et la suite va venir bientôt. J'espère que tu l'apprécieras.
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 1 Mai 2014 - 19:17

Ton texte, ton choix. Des relectrices expérimentées ont apprécié le style, et j'ai commenté surtout parce que je n'étais pas entièrement d'accord - comme tu le dis, des avis différents, c'est toujours intéressant.
Du coup, je commenterai la suite, mais en me concentrant sur les questions narratives, si ça te va ?
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 1 Mai 2014 - 19:43

C'est comme tu veux, tu peux tout à fait signaler quand tu trouves que ça ne va pas au niveau du style. Même si je ne change pas forcément directement, j'en tiens compte dans le sens où je trouve important et enrichissant de connaître des avis variés et pas forcément avec ma façon de voir.

De toute façon, mon texte n'est pas gravé dans du marbre, et me connaissant, il y a encore loin avant la version définitive. Si ça se trouve, les phrases litigieuses à ton goût auront disparues d'ici là  Wink 
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMar 13 Mai 2014 - 18:12

Citation :
Elle n’avait pas saisi les paroles des hommes qui l’accompagnaient, car, élevée dans un temple avec la mise au monde d’un enfant du Soleil comme unique horizon, elle ne connaissait que la langue sacrée et non celle du commun.
La formulation me pose un peu problème. Je pense qu’on pourrait faire passer les infos avec plus de subtilité, et peut-être insister sur le fait que, si elle n’a pas compris les paroles, elle a parfaitement saisi, à leur tonalité, qu’il y avait un problème.

Citation :
un cri effrayant retentit qui la repoussa
Formulation un peu lourde

Citation :
Il s'écoula quelques secondes avant qu’elle n’osât renouveler sa tentative et découvrir le paysage que lui dissimulait le voile ocre
Question stupide : si c’est un voilage qui l’entoure, elle voit un peu de la forêt autour ? Genre les ombres des arbres… Si c’est le cas, ce serait pas mal de le préciser.

Citation :
La jeune femme s’adossa aux coussins qui adoucissaient sa couche
Chipotage, mais « adossa » et « adoucissaient » sont très proches niveau son.

Alors, je me pose quelques questions au sujet de ce chapitre
— Pourquoi la princesse ne songe-t-elle pas, même une seconde, à sortir du dais et tenter de trouver refuge quelque part dans la jungle ? Parce que les animaux doivent quand même trouver des cachettes pour survivre, non ?
— Quels effets a la pluie écarlate ? Corrosif ? Empoisonné ? J’ai du mal à me représenter.

Autrement, dans les remarques annexes, je trouve que quand la pluie démarre, tu pourrais plus insister sur le ressenti de la princesse, et surtout sur ce qu’elle entend et perçoit de la jungle (le bruit de la pluie, les cris des animaux…).

Sinon, c’est un bon extrait, bien écrit. L’histoire est assez prenante et donne envie de savoir la suite.
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMar 13 Mai 2014 - 20:48

Bonjour et merci pour ta lecture et tes commentaires.
Je retiens tes remarques pour une future correction.

Pour répondre à tes questions:
- non, le voilage n'est pas translucide. J'ai utilisé ce terme pour ne pas répéter "tissu" si mes souvenirs sont bons.
- La princesse n'a jamais rien vu, n'est jamais sortie d'où elle a été élevée, de plus elle est fataliste comme le sont la plupart des  peuples non occidentaux. Son destin est son destin (il faudrait peut-être que j'insiste plus dessus). Donc, non, elle ne cherche pas à trouver un refuge dans la jungle dont elle ne sait rien (et en plus, elle n'est pas vraiment en état)
-
Citation :
tu pourrais plus insister sur le ressenti de la princesse, et surtout sur ce qu’elle entend et perçoit de la jungle (le bruit de la pluie, les cris des animaux…)
même si de prime abord, je suis d'accord, je reste partagée pour l'instant. Déjà, parce que quand je commence à me lancer dans du descriptif, j'en ai pour des pages  Rolling Eyes or je voulais garder pour ce début un rythme quand même suffisant pour se rapprocher d'un prologue plus que d'un chapitre. Juste une mise en route, une amorce, donc pas trop de détails. De plus, une bonne partie du roman doit se situer dans la jungle, donc des descriptions par les cinq sens, il y en aura. Il risque même d'y en avoir un peu trop. Et je veux éviter les répétitions d'idées, voire de formulations (c'est un défaut dont j'ai du mal à me débarrasser, j'ai tendance, à redire trente-six fois les mêmes choses, surtout quand ça me plait, mais s'en m'en apercevoir). Du coup, comme je n'ai pas de plan et que je ne sais pas encore à quoi tout ça me mène exactement, je préfère attendre d'avoir bien avancé pour tout reprendre ensuite et tout harmoniser, ajouter des détails là où ils manquent, en enlever ailleurs, réécrire un lien un peu douteux... C'est pour ça aussi que pour l'instant, je ne me focalise pas sur un mot, une sonorité ou une répétition, parce que je sais bien qui, finalement, me connaissant, il y a de grandes chances que ça change encore pas mal d'ici la version finale  Razz 
C'est ma façon de fonctionner, quand j'écris, j'écris vite, je me laisse emmenée sans savoir où je vais et je reprends l'ensemble une fois que tout est fini.


Quant à l'effet de la pluie, c'est normal que tu ne saches pas ce qu'il est pour l'instant. Mais il arrive, il arrive  Wink
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMar 13 Mai 2014 - 20:50

chapitre 1 (fin)

Quelques heures s’étaient écoulées, laissant une nuit traversée des cris de prédateurs nocturnes régner sur la jungle. La pluie écarlate avait cessé aussi brusquement qu’elle avait commencé, remplacée par une averse d’eau tiède et bienfaisante. Les traces sanglantes avaient disparu. Ne subsistaient que les restes misérables des bêtes piégées hors de leur abri.
Un homme seul marchait dans la végétation qui dégouttait sur ses épaules, un guerrier d’Atasuyo avec sa coiffe de plumes aux teintes chaudes qui dessinait une couronne de flammes au-dessus de ses raides cheveux noirs. Il se frayait laborieusement un chemin, car les branches, alourdies par leurs feuilles gorgées d’eau, entravaient particulièrement sa progression. L’air moite demeurait étouffant et sur sa peau sombre, pareille à un cuir tanné, la sueur s’unissait à la pluie. De temps à autre, un fragment de soleil perçait à travers les nuages, se glissait difficilement entre les épaisses frondaisons et venait jouer avec les gouttes pour en faire des diamants multicolores. Parfois aussi, la lumière heurtait les ornements métalliques que le marcheur portait sur la poitrine, les bras et les jambes en l’honneur de l’astre du jour. La terre bourbeuse exhalait ce parfum particulier propre à la jungle, mélange de senteurs fleuries et de pourriture qui s’infiltrait dans les narines et y demeurerait longtemps.
Sinta, le guerrier, envoyé pour retrouver d’éventuelles traces de la princesse, avait découvert, à peine franchis les murs de la cité, les dépouilles mortelles de trois êtres humains. Ainsi, il ne s’attendait plus guère à ce qu’Acclasi eût survécu, sachant que ses deux porteurs et leur guide l’avaient abandonnée. Cependant, il remplirait sa mission consistant à s'en assurer. Sinta n’aimait guère se trouver isolé dans la jungle, mais, comme l’avait rappelé le Vapac, si sa femme demeurait quelque part sur la piste, il n’était pas besoin de gaspiller la force de plusieurs hommes, un seul suffirait. Et si elle était ailleurs, dans l’épaisseur de la forêt sauvage, alors les cent meilleurs guerriers ne pourraient retrouver sa trace. La jungle était un piège dans lequel on évitait de s’aventurer, une zone qu’il fallait parfois traverser pour accéder à d'autres cités, mais dont le Soleil lui-même n’atteignait pas les recoins les plus profonds.
Un petit rayon pourtant dansait devant Sinta, lui rappelant que, même dans les endroits perdus, le dieu guidait le destin de tous ses enfants. Le rayon fit soudain luire quelque chose dans la boue. Le marcheur se pencha et ramassa un masque de jade à l’image de l’esprit-crapaud. Son regard fouilla les environs. Un instant lui suffit pour déceler les restes du guerrier d’Ishu.
— Lui aussi t’a abandonnée, princesse, murmura-t-il.
Il soupira et lança la face de pierre verte dans les fourrés. L’envie de rentrer à la cité plutôt que de continuer cette vaine exploration le poursuivait, mais, contrairement à celui qui avait eu en charge la protection d’Acclasi et avait fui son poste, lui remplirait son devoir.
Il découvrit la litière sur l’étroite piste, posée de guingois sur les racines émergeant d’une mare fangeuse, à proximité du fleuve. Le tissu toujours beau, les brancards aux sculptures noircies par la pluie, ne laissaient rien présager de ce qu’il trouverait à l’intérieur. Mais c’était inutile. Il le savait déjà. Le dais avait dû être transpercé très vite par le liquide mortel. Un autre que lui eût peut-être fait demi-tour pour annoncer la mauvaise nouvelle, offrant à la jungle le soin de faire disparaître ces tristes témoignages. Cependant, sa famille était une famille d’aucahuas et comme son père ou son frère, s’il n’avait été guerrier, il serait devenu mage et astrologue. Il croyait aux légendes, même à celles qu’on ne contait plus que pour divertir les enfants. Tout n’était que signes. Lorsque les faits, les bonheurs et les malheurs ne semblaient pas interprétables, c’était uniquement parce que les hommes n’étaient pas assez savants pour les comprendre. Une pluie sanglante alors que la saison humide n’avait pas commencé revêtait un sens, quelque chose de fort et d’inégalable.
Il repoussa d’une main ferme le tissu ocre détrempé.
Les larmes d’Ipacheta, la malédiction de l’esprit des bois qui touchait bêtes et gens, avaient fait leur œuvre sinistre. Elles avaient rongé chairs et sang, laissant intacts habits et cheveux, découvrant des ossements si parfaitement nettoyés que leur blancheur en paraissait surnaturelle. Le squelette de femme dégageait une impression à la fois inquiétante et paisible, figé dans les linges délicats et les riches coussins.
— La légende dit vrai, murmura Sinta. Je le savais. L’enfant a été épargné.
Le bébé, minuscule et chiffonné comme un vieillard, dormait dans le nid formé par les fémurs de sa mère. L’homme le souleva et, alors qu’il allait sortir de la litière, un très faible piaillement attira son attention. Il réalisa, surpris, que ce qu’il avait pris pour une fourrure était en réalité les restes d’un loup arboricole. Et, au sein du poil rêche qui ne couvrait plus que des os, se tortillait une petite chose bien vivante. Difficile de croire qu’elle deviendrait, adulte, un prédateur gigantesque et dangereux.
Les légendes, encore. Qui pouvait prouver avoir vu cet animal étrange ? Certains chasseurs se prétendaient capables de le débusquer et de le tuer, mais nul ne ramenait jamais de trophées de cet exploit.
Sinta cala le bébé sur un bras et se saisit du louveteau de l’autre main. Ce dernier n’avait pas la fourrure ocellée de jaune feu et de noir, mais un poil blanc semé de taches beigeâtres.
— Ô grand dieu Soleil, tu ne cesses d’envoyer des signes tous plus formidables les uns que les autres. Je comprends ta volonté. La pluie a enlevé une princesse, mais a offert une première fille à Uacacha. C’est un bien précieux. Toi, le loup, ta clarté de lait fait de toi un être sacré. Nul homme n’osera ravir ta vie. Tu veilleras sur l’enfant pour qu’elle atteigne l’âge où devra s’accomplir sa destinée d’aînée du Vapac. Je veux croire à tous ces présages qu’elle sera celle qui mettra fin aux pleurs d’Ipacheta.
Abandonnant la litière et son funèbre contenu aux éléments qui les dévoreraient vite, son double trésor dans les bras, il reprit le chemin de la somptueuse cité d’Atasuyo.

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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMar 13 Mai 2014 - 22:32

Fin du chapitre lue (dévorée même Smile ) et j'accroche toujours autant à l'histoire.

L'effet de la pluie rouge est saisissant, je ne m'y attendais pas du tout, une idée vraiment originale, bravo.

J'ai ma réponse maintenant sur la naissance des enfants (surprenant que la pluie ait mangé les chairs et le sang des mères, en laissant les enfants intacts, je me demande s'il y aura une explication à ce sujet dans la suite de l'histoire) et on voit que le destin va les faire grandir ensemble.

J'attends de découvrir la suite avec impatience, je me demande si ces enfants seront les héros du reste de ton récit, ou s'ils en seront des personnages secondaires (je pense toujours à ton dessin de ton héroïne, est-ce l'enfant d'Acclasi ou non ?)

Sur la forme, je n'ai rien de particulier à dire, ton style se lit toujours aussi bien et je n'ai rien relevé.

Bon courage pour la suite Smile
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 14 Mai 2014 - 17:41

Pas de fautes relevées sur ce dernier chapitre. On apprend enfin les effets de la pluie écarlate (même si j’ai encore du mal à comprendre : si c’est corrosif pour les chairs, pourquoi ça n’attaque pas le bois ou les tissus ? ). Les descriptions de la jungle sont bien, on sent la vie qui reprend après l’épisode de la pluie et j’ai facilement accroché à ce nouveau personnage, qui nous fournit quelques informations sur sa culture et la manière dont ils perçoivent les choses.

Le seul reproche que je ferais est au niveau de l’aspect « prophétie » du texte. Je ne t’apprends rien en te disant que c’est un thème rebattu en fantasy. Mais ton univers est original et jusque là, j’apprécie le traitement de l’histoire, alors je suis curieuse de voir ce que ça va donner.
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeMer 14 Mai 2014 - 18:39

Merci à toutes les deux pour votre lecture.

Citation :
même si j’ai encore du mal à comprendre : si c’est corrosif pour les chairs, pourquoi ça n’attaque pas le bois ou les tissus ?
c'est comme ça, c'est magique  Razz Si ça attaquait tout, il ne resterait plus de jungle, plus rien.
je plaisante, mais la source de cette pluie explique cela en partie (dans la suite).

Citation :
Le seul reproche que je ferais est au niveau de l’aspect « prophétie » du texte. Je ne t’apprends rien en te disant que c’est un thème rebattu en fantasy.
ce serait un sacré manque de chance que ça ressemble à quelque chose qui existe déjà. Parce que, je sais que c'est a priori très prisé en fantasy, mais pour être honnête, je n'en lis pas ou très très peu, donc je ne suis jamais tombée sur ce thème. Mon inspiration vient plutôt des légendes et contes traditionnels.
Normalement, dans ce que je prévois, c'est plus un aspect "légende" qu'un aspect "prophétie", c'est à dire que tout s'appuie sur un mythe de création du monde, mais ce mythe étant interprété de différentes façons selon les peuples (humains, animaux), qui avec leurs propres intérêts, n'en ont qu'une vision parcellaire. Ainsi, chaque interprétation a ses failles, ses vérités ou ses erreurs, et l'aspect prophétique est lui-même sujet à interprétation, parfois fausse.
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Niko
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Niko


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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeLun 2 Juin 2014 - 13:50

Bon, fin du chapitre lu.
Pas grand chose à en dire car je m'attendais un peu à quelque chose dans ce gout-là.

Le style est toujours aussi agréable à la lecture et décrit assez bien l'environnement (Diable, j'aimerais vraiment être aussi efficace dans mes descriptions !).
Je n'ai pas relevé de fautes à la lecture du chapitre, donc rien à dire de ce côté-là.

J'attends la suite pour en apprendre plus sur tes personnages.

::crazy::
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeLun 2 Juin 2014 - 18:50

Merci pour ta lecture, Niko.

Citation :
Diable, j'aimerais vraiment être aussi efficace dans mes descriptions !
merci, c'est flatteur  Embarassed 

Il faudrait que je mette la suite, mais je n'ai pas beaucoup de temps pour commenter, et je ne veux pas poster en sens unique, sans prendre le temps à mon tour sur les textes d'autrui.
Je vais essayer de rectifier ça rapidement, avec un peu de chance dans la semaine.
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MessageSujet: Re: Pluie écarlate [roman]   Pluie écarlate [roman] Icon_minitimeJeu 19 Juin 2014 - 20:19

2. LOUVE DES PLUIES




Au commencement des temps, seule la Terre Mère existait sous la voûte céleste. D’elle naquirent océans et lacs, montagnes et forêts. Mais elle s’ennuyait, seule, dans ce monde immobile. Alors, de certaines plantes qui couvraient son corps, elle fit des animaux capables de courir sur le sol, de grimper dans les arbres, de glisser dans les airs ou de nager dans l’eau. Puis d’une poignée de feuilles trempées dans un lac, elle tira des nymphes folâtres, filles de la nature. Enfin, pour veiller sur toutes ces merveilles nouvelles, elle créa les esprits vaporeux, gardiens invisibles et éternels. Or, elle constata vite que dans le noir et le froid, les animaux dépérissaient, les nymphes légères ne jouaient pas et pleuraient souvent, et les esprits ne s’intéressaient à rien. Lasse d’un ciel toujours noir qui n’apportait que chagrin, elle lança en l’air un disque d’argent extrait des profondeurs des montagnes. Ce dernier devint lune et fit jaillir sa lumière. La Terre n’en fut pas satisfaite, parce qu’elle souhaitait un peu de gaieté et la lune ne l’inondait que de tristes rayons blancs. Alors, elle envoya au-dessus d’elle des poignées de petites pépites d’or qui s’accrochèrent à la voûte céleste pour constituer des milliers d’étoiles. Cela ne suffisait toujours pas. La Terre arracha alors de son sein la plus grosse des pépites, la modela en un visage rond et éclatant et en fit le Soleil.
Ce dernier, aussitôt, anima toutes choses de son souffle brûlant : des lacs s’en allèrent de par le monde sous forme de rivières, des marées agitèrent les océans, le vent se leva, les plantes poussèrent, les animaux s’ébattirent en joyeux désordre, les nymphes chantèrent et dansèrent et les esprits… les esprits, nul ne le sait, car personne ne les voit jamais. La Terre aima cela, mais le Soleil trouva toutes ces créations fort déplaisantes, car aucune ne l’honorait. Les animaux ne connaissaient nul dieu, les nymphes avaient le cœur aussi libre que les bêtes sauvages et les esprits, se suffisant à eux-mêmes, ne priaient pas. Or l’orgueilleux Soleil voulait être adoré au-delà de tout.
Pour cela, il tissa alors dans le plus brûlant de ses rayons un être qu’il nomma Homme.
Et l’homme, tout de suite, le reconnut comme dieu, lui fut reconnaissant et soumis, se para d’or et organisa des sacrifices pour le célébrer. Le Soleil s’en réjouit et le prit sous sa protection, délaissant les œuvres de la Mère.
L’homme se sentit fort de cette préférence et entreprit de dominer le monde. Il se multiplia à la surface de la Terre, asservit les animaux et les plantes à sa guise. Plus le temps passait et plus il était sûr de lui, plus il creusait la montagne pour trouver l’or et l’argent, plus il détournait les cours d’eau et défrichait la forêt pour faire des cultures et nourrir ses nombreux enfants.
Les nymphes, qui vivaient en communion avec la Terre, tiraient leur force vitale de cette nature et la voyaient chaque jour un peu plus massacrée, aussi choisirent-elles de se rebeller. Elles soulevèrent les eaux pour détruire les barrages, elles offrirent des abris aux bêtes poursuivies par les chasseurs, elles replantèrent des arbres à la place des cultures. La nymphe Azqui, la plus belle de toutes avec son teint d’une limpidité d’eau de source et ses longs cheveux verts comme les fougères, avait pris leur tête.
Les hommes, alors, décidèrent de se débarrasser de ces créatures encombrantes auxquelles ils ne comptaient pas laisser de place dans un monde qu’ils jugeaient leur. Ils prièrent le Soleil, lui sacrifièrent trois jeunes filles et trois jeunes garçons de sang royal, s’armèrent de lances et d’arcs et s’enfoncèrent dans la jungle. Le Soleil entendit leurs prières. Comme il aimait à être honoré de la sorte et à voir le sang versé pour lui, il guida leurs pas. Les animaux effrayés fuyaient à leur approche, mais le héros Kaharac, le plus rusé des hommes, trouva qu’ils seraient d’utiles auxiliaires. Il faut dire qu’en ce temps-là, fort lointain, hommes et bêtes usaient du même langage. Aussi, leur parla-t-il ainsi :
— Frères sauvages, nous ne sommes pas vos ennemis, mais vous connaissez notre puissance. Notre dieu à tous, le Soleil, nous soutient. Ne vous opposez pas à nous. Si vous nous aidez à détruire ces êtres qui nous nuisent, alors nous serons à jamais alliés. Nous cesserons de vous chasser. Nous nous nourrirons de baies et de maïs uniquement, pour laisser grandir vos enfants, nous ne détruirons pas vos abris et vous respecterons. Indiquez-nous leur cachette et nous vous serons redevables à jamais.


Le vieil homme interrompit un instant son conte pour remarquer :
— Bien sûr, les hommes ne tinrent pas leur promesse. Mais comme les animaux ont perdu l’usage de la parole depuis, ils ont oublié.
Il hocha la tête, pensif, puis reprit le cours de son récit.


Les animaux aimaient les nymphes, leurs sœurs, cependant ils craignaient les hommes et le Soleil plus encore. Ils pensèrent que les joyeuses courses-poursuites entre les arbres, les ris et les farandoles leur manqueraient, mais que cela valait mieux que de se faire de si puissants ennemis et d’y risquer leur vie. Alors, ils devinrent éclaireurs. Le tamandua et l’olinguito explorèrent chaque arbre, le caïman et le boto chaque étendue d’eau, le tapir et le boa retournèrent chaque parcelle de terrain, la chauve-souris se faufila dans les troncs d’arbres morts. De la sorte, les hommes trouvèrent vite toutes les nymphes et les tuèrent une à une, car elles ne pouvaient échapper à ces mille yeux. Bientôt, ne resta plus qu’Azqui.
Un jour, un magnifique ara bleu vint à Kaharac, se posa sur son épaule et lui confia que la dernière nymphe avait été vue au bord des grandes cataractes marquant la fin du monde des vivants.
Tous préparèrent leurs armes.
Seule une petite tayra qui n’avait jamais participé à la traque, dressa sa tête beige et osa intervenir :
— Vous ne devriez pas, hommes. Azqui est le grand amour d’Ipacheta, l’esprit des bois. Les esprits sont libres comme le vent, éthérés comme des songes et ne se mêlent pas des choses de ce monde. Mais notre mère la Terre les a créés pour protéger tout ce qui vit, nul ne sait leur puissance. Ne les dressez pas contre vous.
Mais les hommes rirent de cette petite bête qui osait s’opposer à eux.
— Vous ne devriez pas, frères animaux, dit encore la tayra. Le Soleil n’est pas notre dieu. Notre mère est la Terre et nous devons la respecter et respecter les nymphes, ses filles.
Mais Kaharac demanda alors :
— Que fait la Terre pour vous ? En quoi mérite-t-elle d’être honorée ? Le Soleil, lui, nous offre lumière et chaleur, il fait courir les rivières pour nous abreuver, pousser le maïs et mûrir les fruits. Il est plus puissant que la Terre, il est le seul vrai dieu. Nous sommes ses fils et vous, créatures des bois, des airs et des eaux, vous pouvez le servir avec nous pour prouver votre reconnaissance et obtenir sa protection.
Et les animaux dirent que c’était vrai, que le Soleil les réchauffait et leur donnait bien de la joie, qu’il était plus puissant que la Terre silencieuse et qu’il était préférable de se soumettre à la volonté de ses enfants. Alors, un peu inquiets tout de même, accompagnèrent-ils les hommes dans leur chasse.
Azqui les attendait près des chutes sans fin qui tombaient dans un fracas assourdissant. Elle se tenait debout, digne, seulement vêtue de ses longs cheveux verts si souples qu’ils paraissaient doués d’une vie propre. Elle tendit les mains en signe de paix à ceux qui venaient armés vers elle. Les arcs se dressèrent.
Avant que les flèches ne volent, la tayra sauta dans ses bras pour la protéger, vain sacrifice face aux pointes d’onyx sacré.
Quand la première pierre noire toucha la nymphe, celle-ci se mua immédiatement en cette eau verte dont elle était née jadis, une eau libre comme les rivières des bois qui chut dans le précipice infini, entraînant la tayra avec elle.
Et pour la première fois, Ipacheta pleura la perte de son aimée, les hommes connurent le prix à payer pour dominer la nature, et les animaux celui de leur lâcheté. Depuis ce jour, seules les tayras ne craignent pas les pluies écarlates et on prétend même qu’elles ont obtenu pour leur sacrifice une aptitude à la divination. Mais on les chasse assidument, car elles ont préféré le monde sauvage des nymphes et des esprits à celui des fils du Soleil.
On raconte aussi que parfois, quand pleure Ipacheta, on voit le fantôme d’Azqui danser sous ses larmes de sang. Elle protège de son amant les nouveau-nés innocents et leur offre un don particulier.
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