Atelier d'écriture Communauté d'écrivains en herbe |
| | Des espoirs carminés | |
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Invité Invité
| Sujet: Des espoirs carminés Lun 13 Fév 2017 - 0:44 | |
| Eh bien voici le prologue. Alors, je l'ai bien travaillé mais le truc, c'est que je ne sais pas s'il est accrocheur... Normalement, la première page doit tout de suite donner envie ! Mais je me dis que mettre des petits indices sur la suite, ça peut être cool aussi... Du coup lecteur, je te laisse juger ! Je suis une chieuse en matière d'orthographe et de syntaxe, alors n'hésite pas à relever mes erreurs ! Je t'attends dans la partie commentaires - Prologue:
Plus éclatante est la lumière, plus sombre est l'ombre.
Les Elfes adulent la lumière, et c'est pour eux que notre père l'a claquemurée. Fascinatrice, elle a suscité nombre de convoitises. Elle a abâtardi leur raison, leur a arraché leurs espoirs et les a déchirés, les noyant dans un océan de remords et d'affliction. Ton amie Bera dit souvent que l'amertume de sa captivité mènera les Alfar à leur agonie et que le fils du feu ne s'en apercevra que trop tard : je souhaite ardemment qu'elle soit dans la vérité.
Plus subversif est l'honneur, plus vil est le supplice.
Le jour où ton royal amant le comprendra, je n'errerai plus sur les rivages seule en pleurant, le dos courbé en raison du poids monumental des regrets. Je viendrai à sa rencontre car, alors que les tourments de la culpabilité et d'un immense chagrin le consumeront, je serai enfin en mesure de le faire trépasser.
Ceci est ma promesse, ma défunte sœur.
La traduction en anglais venait de lui parvenir par mail. Le professeur Kip Thorne avait fait appel à son ami, philologue spécialisé dans la littérature française médiévale et qui enseignait dans une prestigieuse université parisienne, pour l'aider à comprendre le texte à l'origine de tant d'effervescence dans le monde scientifique.
Il gratta les poils blancs de sa barbe, plongé dans une réflexion intense. Il semblait que tout devait être remis en question et cette perspective avait quelque chose d'effrayant.
Des bénévoles avaient découvert cet étrange parchemin sur le chantier archéologique de Trémelin, en France. Il n'avait tout d'abord pas saisi la raison pour laquelle on l'avait contacté. Professeur de physique à Caltech, il était expert dans les applications de la théorie de la relativité générale d'Einstein. La graphologie ne relevait donc pas du tout de son domaine. Mais en lisant attentivement le rapport qu'on lui avait envoyé, il avait enfin compris. Toutes les méthodes inimaginables de datation avaient été mises en application, même celle, extrêmement récente et coûteuse, visant à comparer l'ADN des peaux d'animaux avec celui prélevé sur des centaines d'autres parchemins. Or, toutes s'accordaient sur l'âge du document : XIème siècle après Jésus-Christ... Un problème de taille.
En effet, les historiens, tout comme son ami, étaient formels : la formation des lettres était trop actuelle, la langue employée n'était pas un dialecte ou un patois du Moyen-Âge, mais bel et bien du français contemporain... ce qui portait à croire que quelqu'un avait défié les lois de la physique et avait effectué un voyage rétrograde dans le temps.
Le docteur relut son courriel. Il avait tant de mal à accorder du crédit à cette histoire... Après tout, si le parchemin semblait vieux de près de mille ans, absolument rien encore ne prouvait que l'écriture était si ancienne.
Toutefois, il ne pouvait se retenir de douter.
Kip Thorne retira ses lunettes avant de diriger son regard vers la photographie de Thierry Roy, ce confrère qui n'était plus de ce monde.
Avait-il eu tort de le considérer comme aliéné ?
Dernière édition par nolwel le Mer 15 Fév 2017 - 21:07, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: Des espoirs carminés Lun 13 Fév 2017 - 0:46 | |
| Et voilà donc la première partie du chapitre 1. On est du point de vue de l'Elfe, Hyrson. Il se peut que certaines phrases soient trop lourdes... Je n'arrive pas à les trouver, tu peux me les signaler si à toi, elles n'échappent pas ! - Chapitre 1 (1/2):
Fuir.
Une véritable obsession qui taraudait l'esprit de Hyrson avec un acharnement forcené, alors que les sanglots déchirants de Njóla lui étreignaient douloureusement la poitrine.
S'évader de cette île de malheur. Echapper à ces terres qui empoisonnaient sournoisement les Alfar.
Voilà ce à quoi il aspirait. Il était prince et même s'il était déchu et méprisé, son peuple devrait tôt ou tard se résoudre à marcher dans ses pas.
La femme pencha la tête pour lui dissimuler, au moyen de sa longue crinière, son visage déformé par la maladie et un cruel chagrin. Les cheveux noirs comme l'ébène de son amie lui paraissaient aussi doux que la soie, cette fibre textile que les Hommes importaient de l'Empire romain d'Orient. Hyrson s'était souvent surpris à vouloir y glisser les doigts.
Les sanglots redoublèrent, sans doute l'expression d'une pensée lugubre.
-- Njóla, plus de larmes, je t'en supplie... pria-t-il en maudissant toute l'émotion qui se manifestait dans sa voix. Tu vas me rendre fou...
Ce fut comme si une brise perfide avait porté ses paroles loin des oreilles de la brune. Il semblait que rien ne pouvait l'apaiser. Elle était assise juste en face de lui, sur une chaise de fortune indigne de la noble dame qu'elle avait été. La voir si désemparée lui était de plus en plus insupportable.
Impuissant, il soupira et prit sa main dans la sienne. Attendant patiemment que ses pleurs se tarissent, il observa l'azur à travers l'unique ouverture de l'habitation, une cabane construite avec du bouleau. Il faisait encore jour : sur cette île infernale, le soleil était capricieux et rechignait à se coucher la moitié de l'année. Le spectacle monotone des nuages défilant dans le ciel le tranquillisa un peu. L'Alfe enviait les nuages. Lui aussi aurait aimé se laisser porter en toute confiance par le vent, libéré de ses responsabilités. Il n'aurait plus à prendre toutes ces décisions qui écrasaient sa conscience.
- A l'inverse des Hommes, nous ne devrions pas être destinés au trépas, déclara Njóla d'une voix blanche, chassant aussitôt ses pensées parasites. Je les hais pour ce qu'ils nous ont fait, votre Altesse.
Il eut un sourire triste. Elle était la seule qui lui donnait encore le titre qu'il avait perdu des siècles auparavant.
Le prince déchu tourna la tête vers elle, soulagé qu'elle ait enfin cessé de pleurer. Il déglutit péniblement en découvrant, dans ses yeux bleus embués de larmes, les abîmes ténébreux du désespoir que seuls ceux se sachant condamnés éprouvent.
Assis lui aussi, Hyrson passa sa main libre derrière sa nuque pour coller son front au sien.
- Nous prendrons notre revanche, murmura-t-il pour être sûr que personne d'autre ne l'entendit. Je te le promets, ma tendre Njóla. Rien ne justifie cet épouvantable châtiment. Les êtres abjectes qui prétendent être nos dieux devront répondre de leurs actes : j'y veillerai personnellement.
Il ne fut pas surpris par le rire sans joie de Njóla. D'aussi loin qu'il s'en souvenait, elle avait toujours considéré que leur peine était justifiée. Après tout, n'avaient-ils pas fait preuve d'un profond mépris et d'une impertinence rare en tentant de s'affranchir de leurs créateurs et souverains suprêmes, ceux à qui ils devaient tout ?
L'Alfe chérissait son amie, autant que sa benjamine, mais sa résignation et son inaptitude à réfléchir par elle-même l'agaçaient prodigieusement.
_ Et comment, mon beau seigneur ? railla-t-elle. Useras-tu là aussi de tes charmes pour séduire Frigg l'infidèle en nourrissant l'espoir secret d'occire Odin, notre père et ton ennemi juré ?
Hyrson n'apprécia pas le sarcasme dans sa voix, pas plus que son allusion manifeste au dessein qu'il avait longtemps imaginé et qui, cette fois-ci, ne concernait pas les dieux.
Il s'écarta d'elle, mais n'eut pas le cœur à la réprimander lorsqu'elle lui offrit un pauvre sourire. Il tiqua à la vue de son visage humide autrefois si beau et si fier, désormais couvert de plaques noires, comme s'il pourrissait. Elle avait une tâche qui lui mangeait toute la joue droite et une autre le front. Au fil des jours, elles s'étendraient de plus en plus, jusqu'à gagner tout son corps, sans épargner une seule parcelle de peau. Alors, d'atroces souffrances dévoreraient sa raison et elle périrait au cœur de Nidavellir, la Montagne des Brisés. Ce mal mystérieux était craint et supposé contagieux. On ne laissait pas le choix à Njóla : elle partait, ou on la supprimerait.
- Hyrson, susurra-t-elle, accompagner mes derniers instants dans cette forêt n'était pas ton rôle. C'est Hiti que je voulais ardemment voir devant moi, en ce moment où je dois faire le deuil d'une vie digne. Quelles sont les raisons qui l'ont retenu de me faire ses adieux ? Dois-je comprendre que je compte trop peu pour lui, en dépit des nombreuses années que nous avons passées à nous aimer, ou que la maladie me rend si laide que j'en deviens répugnante ?
- J'espère que ce n'est que l'accablement qui te conduit à avoir des pensées si dures envers mon frère.
Hyrson la vit croiser les bras. Il l'observa lutter contre les larmes et il espéra qu'elle gagnerait ce combat acharné. Mais elle s'avoua rapidement vaincue et laissa à nouveau les sanglots la secouer. Alors, bien que les mœurs de son peuple réprouvent une telle marque d'affection, il lui saisit le bras et l'attira sur ses genoux. Elle enfouit son visage dans son cou.
- Hiti t'adore, déclara-t-il en contemplant avec nostalgie les tableaux accrochés au mur, représentant les paysages colorés de leur contrée natale. Je te l'assure et ne te permets pas d'en douter. Il n'a simplement pas eu le courage de t'affronter en ce jour funeste. Te voir aussi éperdue de tristesse lui aurait été insoutenable. Et puis, il voulait garder de toi le souvenir d'une personne aussi belle qu'indomptable, pas celui d'une femme brisée. Pardonne à mon frère, mon amie. Il ne mérite pas toute cette rancœur.
Soudain, trois coups sourds frappés à la porte retentirent.
- C'est le moment ! cria la voix claire de Blað, l'homme qui accompagnait les malades jusqu'à leur dernière demeure.
Dernière édition par nolwel le Mer 15 Fév 2017 - 21:05, édité 1 fois |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Des espoirs carminés Mar 14 Fév 2017 - 0:48 | |
| Mon petit problème pour cette deuxième partie est le suivant : je suis de point de vue interne. Et je me dis qu'une personne ne pense pas sans arrêt à décrire des lieux... Du coup, il n'y a pas de description de l'endroit où travaille Léna... mais du coup je ne sais pas si je dois changer cet élément. Tu peux éclairer ma petite chandelle si le coeur t'en dit - Chapitre 1 (2/2):
C'est une véritable révolution dans le monde scientifique qu'entraîne cette incroyable découverte, remettant en question le principe-même de la causalité. Notre invité est le bénévole breton qui a trouvé le parchemin sur le site de...
-- C'est quoi, ça, Léna ? fulmina un homme, sa voix de ténor couvrant celle de la chroniqueuse d'RTL, l'unique radio diffusée dans l'usine.
Léna Roy serra les dents avant de relever les yeux vers le tyran des lieux, un pauvre type qui se prenait pour un contremaître du début du XXème siècle.
Les yeux furibonds de son chef étaient rivés sur elle. En observant son visage renfrogné, elle se dit qu'il avait encore dû se lever du mauvais pied. Elle lui aurait bien rasé cette barbe ridicule : peut-être que ne plus ressembler à un hipster raté lui redonnerait le sourire.
Il lui tendait une pomme, ses lèvres pincées indiquant qu'il était très irrité. Dans ces moments, Léna avait juste envie de poser sur lui un regard vide, la bouche ouverte, la respiration forte. En bref : d'adopter l'attitude de la fille débile à qui il pensait s'adresser.
-- Le client veut du 60%, pas du 10 ! T'es conne ou tu le fais exprès ?
Lorsqu'elle avait mis les pieds dans cet enfer pour la première fois, Léna avait été indignée par le manque de respect dont pouvait faire preuve son responsable. Elle avait vite compris deux choses : elle avait besoin de thune, et il y avait beaucoup trop de lèches-bottes dans cette boite pour que les choses changent un jour. Alors, elle se la fermait. Pourtant, le travail à la chaine était une véritable torture. Elle était devenue insomniaque à cause de ses nombreuses douleurs dans le dos.
Ah ! Mais ce qu'elle en avait marre de devoir traîner les pieds dans cet endroit tous les matins à 8h tapantes ! Le bâtiment industriel, entièrement fait de tôles et d'un gris affreux, lui donnait envie de vomir. A vrai dire, il prenait méchamment des allures de centre pénitentiaire. En y entrant, le dégoût que Léna avait pour sa vie rongeait de plus en plus au fil des jours sa volonté de s'en sortir.
Le pire, c'était bien cette machine de malheur devant laquelle elle était stationnée debout, de longues heures durant, contrainte d'effectuer sans arrêt les mêmes mouvements. Observer la pomme, sa couleur, sa maturité, sa taille, la placer dans un alvéole. Observer la pomme, sa couleur, sa maturité, sa taille, la jeter parce qu'elle est trop petite. Observer la pomme, sa couleur, sa maturité, sa taille, sursauter parce que le gros con qui fait office de chef râle encore. C'était abrutissant.
La machine, constituée d'un tapis roulant transportant les fruits à une vitesse folle, n'était même pas ergonomique. Léna aurait bien crevé les pneus de l'ingénieur qui l'avait conçue.
Elle venait de commettre une erreur. Sur la pomme que lui mettait son supérieur sous le nez, la proportion de vert était trop grande.
-- Je suis désolée, marmonna-t-elle.
-- Je suis désolée, l'imita-t-il avec une voix suraiguë. Tu n'es pas assez appliquée.
Il poussa un long soupir, comme si elle était la meuf la plus énervante qu'il n'ait jamais connue, mais la jeune fille savait qu'il se comportait de la même façon avec tous ses employés. Un vrai coq dans sa basse-cour.
Elle ne put réprimer un énième frisson. Ce foutu bâtiment était mal isolé du froid hivernal.Au moins, en ce jour, l'odeur de sueur mélangée à celle de la pourriture n'était pas trop persistante, ainsi elle évitait des haut-le-cœur.
-- Ce n'est pas la peine de revenir demain.
Léna écarquilla les yeux de surprise. Toutefois, elle ne se laissa gagner ni par la panique ni par la colère. Elle savait que péter une durite ne ferait qu'empirer la situation.
Ses yeux s'emplirent de larmes et sa main vint se poser sur l'avant-bras de son boss.
-- S'il te plaît, Eric, je te jure que je ne recommencerai plus...
Le rouquin se dégagea vivement et la fusilla du regard.
Derrière lui, Léna aperçut le cariste qui poussait son trans-palette. La mine renfrognée, le dos courbé, il cherchait visiblement à se faire oublier pour ne pas être la cible des foudres d'Eric. Elle ne pouvait se retenir de penser que cet homme de 45 ans était un pleutre. Il était en CDI depuis de nombreuses années, son profil était recherché par beaucoup d'entreprises, et il se laissait traiter comme un chien. Léna avait envie de le secouer comme un prunier pour qu'il se réveille et s'affirme enfin.
-- Je m'en fous, lâcha Eric. Tu crois que t'es la seule qui veut ce job ? Ça fait plusieurs fois que je te reprends, t'es vraiment qu'une incapable. Les saisonnières, on en a comme on veut alors tu te casses et c'est tout. Ça te donnera une bonne leçon. On n'aime pas le travail mal fait ici. C'est pas comme si on avait des millions de clients.
La jeune fille inspira un grand coup. La fin justifie toujours les moyens. Elle avait vraiment besoin d'argent mais lui, il en aurait rien à foutre de ses galères de fric, alors ce n'était même pas la peine de lui expliquer. C'était parti pour le mélodrame...
-- Je ne suis pas dans mon assiette, aujourd'hui, murmura-t-elle d'une voix mouillée. Hier, j'ai appris que ma mère souffrait d'un cancer des poumons et elle n'en a pas pour très longtemps... Ça ira mieux demain, je te le promets. Me vire pas, s'il te plaît...
Elle attendit patiemment sa réaction, qui serait à n'en point douter guidée par la compassion et la culpabilité.
Léna aimait le mensonge. Il était salvateur et c'était une arme redoutablement efficace. Ce n'est pas pour rien que les dirigeants de ce monde en usent et en abusent. Le mensonge l'avait aidée à se sortir d'une tonne de situations paraissant inextricables, comme celle-ci.
Sa mère n'avait pas le cancer, du moins pas à ce qu'elle sache. A vrai dire, Léna n'était même pas certaine de s'en soucier. Mais si Eric le pensait, elle était sûre qu'il deviendrait tout à coup beaucoup plus indulgent avec elle.
La jeune fille n'avait pas une très bonne estime d'elle-même. Elle songeait souvent qu'elle était profondément mauvaise. Sa vie était aussi pourrie que peut l'être une satanée pomme, alors elle ne voyait pas pourquoi elle, elle ne le serait pas : pourrie. Les cons qui insinuent que les bonnes actions sont toujours récompensées et que les mauvaises se payent n'ont rien compris.
Elle ignora le regard mauvais que lui lança sa voisine. Elle avait vite compris que la trentenaire était une cireuse de pompes et qu'elle ne serait jamais de son côté. Son genou était dans un état désastreux, elle avait subi plusieurs opérations chirurgicales et pourtant, elle refusait catégoriquement d'être arrêtée. Elle souffrait beaucoup mais elle travaillait avec une cadence infernale, et ce tout en affichant un grand sourire dès que les yeux du chef se tournaient vers elle, pour montrer bien sûr à quel point elle était une employée modèle.
-- Excuse-moi, Léna, souffla Eric, des flots de sang lui ayant monté aux joues. Je ne savais pas...
Le pauvre... Complètement déstabilisé, il ne savait même plus où se mettre. Léna avait l'impression que toute sa gêne allait l'étouffer.
-- Je te laisse ta journée pour te remettre de cet événement, finit-il par dire avec une voix mal assurée. A demain.
Elle hocha tristement la tête, se réjouissant intérieurement à l'idée de s'emmitoufler sous une tonne de couvertures, un chocolat chaud entre les mains. En prime, elle échappait à la corvée de nettoyage éreintante du jeudi soir, qui consistait entre autres à évacuer l'eau du sol à l'aide de raclettes et à astiquer ces saletés de machines.
La jeune fille s'excusa auprès de Jennifer, la blonde plantureuse affairée à proximité d'un paloxe. Elle ne pourrait pas la raccompagner chez elle.
Sans plus attendre, elle se dirigea d'un pas rapide vers les vestiaires.
Elle chercha l'heure sur les murs, avant de se souvenir que les patrons de cette usine étaient trop radins pour investir dans des pendules. Léna retira sa blouse qui puait la sueur, sa charlotte qui lui abîmait les cheveux et ses chaussures qui lui faisaient mal aux pieds, optant pour de simples baskets.
Alors, elle s'empara de son sac à main et sortit du bâtiment.
Le froid lui mordit la peau et elle regretta de ne pas s'être davantage couverte. Il devait bien faire -5°C. Elle n'avait jamais été quelqu'un de prévenant.
Elle se saisit de son paquet de Gauloises. Les clopes, ça lui remontait le moral. Elle fumait comme un pompier et il y avait bien plus de probabilité pour que le cancer s'en prenne à elle plutôt qu'à sa mère.
S'appuyant contre la porte, elle alluma sa cigarette et prit une taffe, apaisée par le vrombissement des moteurs des voitures circulant sur la nationale, à quelques pas. Elle leva la tête parce qu'elle ne voulait pas voir les pommiers s'étendant à perte de vue de l'autre côté de la route.
Le ciel était gris, aussi morose qu'elle.
En ce 6 février, la jeune fille venait d'atteindre ses vingt-deux ans... Quinze ans plus tôt, son père fêtait avec elle son anniversaire pour la dernière fois. Elle s'en souvenait comme si c'était la veille. Après lui avoir offert ce magnifique bracelet qu'elle portait toujours au poignet, il lui avait raconté une histoire. En souriant, elle se la remémora.
Il lui avait dit que ce bijou, c'était un Elfe qui l'avait fait pour elle. Un seigneur Elfe qui forgeait les meilleures épées, qui était son meilleur ami et qui avait six adorables enfants. « Les Elfes sont très beaux, grands et forts ! Tu dois être très fière de porter ce bracelet. », lui avait-il confié, après quoi il lui avait affirmé que toutes les nuits, il rejoignait son ami dans ses rêves et que si elle le souhaitait, un jour, il l'emmènerait avec lui.
-- Tu me manques, papa... susurra-t-elle.
Léna n'était pas une pleurnicheuse mais en cet instant, elle dut lutter pour contenir ses larmes.
La sonnerie de son téléphone l'interrompit brusquement dans ses pensées. Elle s'empara de l'appareil et observa l'écran. Numéro masqué. Fronçant les sourcils, elle décrocha.
-- Allô ! lâcha-t-elle.
-- Léna ?
Merde. C'était l'horrible bonne femme qui l'avait mise au monde. Léna hésita à raccrocher, puis elle songea que cette folle était bien capable de contacter sa patronne pour s'assurer que rien ne lui était arrivé.
Léna haïssait la voix chaleureuse de sa mère. Elle ne lui rappelait que trop tout l'amour qu'elle avait refusé de recevoir.
-- Quoi encore ? interrogea-t-elle sur un ton agressif.
-- Je... Je voulais juste te souhaiter un joyeux anniversaire, ma chérie.
La jeune fille poussa un long soupir, excédée, et un long silence s'installa. Joyeux anniversaire, hein ? Cette sorcière avait gâché sa vie et elle lui souhaitait un joyeux anniversaire ? C'était d'une audace rare.
Elle s'apprêta à mettre fin à l'appel lorsque sa mère parla à nouveau.
-- Je viens de voir ta nouvelle photo de profil sur Facebook. Ta teinture de cheveux...
-- Qu'est-ce que tu me veux ?
-- Léna, s'il te plaît, ne sois pas méchante...
-- Qu'est-ce que tu me veux ?
-- Léna, je n'en peux plus de cette situation ! Est-ce que tu pourrais juste passer à la maison... s'il te plaît ? Il faut vraiment qu'on parle. Ma petite fille, je t'aime toujours malgré tout, tu sais...
Léna laissa échapper le petit rire sardonique dont elle avait le secret. Elle en avait assez entendu. Inutile de laisser cette vieille pie se faire de faux espoirs supplémentaires.
-- Qu'on parle de quoi hein, maman ? De la façon dont tu as tué papa ? Ah, à moins peut-être que tu préfères qu'on évoque ma vie de merde autour d'un café ? Cette même vie de merde donc tu es responsable ? Maintenant, tu arrêtes de m'emmerder, tu ne m'appelles plus jamais et tu m'oublies. Pour moi, il y a très longtemps que tu es morte.
La jeune fille ne flancha pas lorsqu'elle entendit les pleurs de sa mère. Cette folle l'avait bien mérité, après tout.
-- Tu es injuste, Léna ! hurla soudain son frère de quinze piges à travers le combiné. Tu devrais avoir honte de faire pleurer maman ! Elle voulait te faire une surprise pour ton anniversaire, elle t'avait acheté une voiture !
Après avoir écouté ces paroles cinglantes, la jeune fille raccrocha et glissa son téléphone dans son sac à main. Léna savait qu'elle pouvait être très dure, parfois. Elle n'y pouvait rien, elle était beaucoup trop amère. Elle se rendit compte que cette conversation l'avait rendue furieuse, autant envers sa génitrice qu'envers elle-même. Elle n'était pourtant pas très émotive, d'habitude.
Elle se dirigea d'un pas rapide vers sa voiture. Elle avait envie de rentrer rapidement dans le petit studio du type qui lui servait de petit ami et de dormir jusqu'au lendemain devant la télévision.
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