Je ne sais pas bien si ces textes sont dans la bonne section, mais je voyais mal ça dans poèsie...
Voici donc trois petits textes assez différents les uns des autres.
A vous de juger.
Je suis certain que vous avez de l’humour
- Vous avez quelque chose contre les jeunes des cités ?
La question était, vous en conviendrez, pour le moins inhabituelle.
C’est pourtant celle que le type m’a posée en préambule de toute chose.
Du reste, il aurait été compliqué de répondre oui… c’était donc bien une fausse interrogation, une question piège comme on dit, qui vous oblige à rester et à écouter ce qu‘il a à dire; car partir… cela serait revenu à répondre oui.
En plus, l’homme ne me donnait guère confiance. Pas plus que ceux pour qui il militait.
Il avait le teint blafard, exsangue, défoncé.
Les cernes jaunies par la drogue, les yeux n’étaient pas forcément rouges pour autant, on ne voyait rien à dire vrai : il les fermait à demi.
En plus, il était looké assez grotesque : un jogging ample en toile, des chaussures diaprées, des chaînes sur les poignets et autour du coup et des dents biscornues, extravagantes.
Bref, il avait un style qui me causait pas.
J’avait donc écouté sa plaidoirie tout du long, des pires bêtises jusqu’au choses un peu plus sensées en passant par les poncifs et les dénonciations péremptoires.
Je me dis que j’aurais du abréger ou me casser d’emblée.
Y’avait pas grand-chose à répondre, ni à retenir.
J’aurais dû lui dire d’aller se faire voir, que j’étais étudiant et que 5 euros représentait vingt cigarettes.
Mais à coup sur, il m’aurait répondu du tac au tac que le matin même il avait reçu 20 euros d’une jeune mère Rmiste.
J’ai donc patienté jusqu’au bout.
J’ai hésité à lui répondre, à rentrer dans son jeu.
A dire ce qu’il ne voulait pas qu’on dise, ce qui nous faisait passer pour des enflures, des chiens, des égoïstes.
Même si je ne le pensais pas.
J’aurais pu lui dire que ces gens m’emmerdaient, qu’ils étaient vulgaires, violents, inconscients, abrutis, que je ne cautionnais pas la violence comme moyen d’expression.
Mais il n’ aurait pigé que dalle et m’aurait répondu naturellement qu’au départ ils n’avaient pas les même chances que moi et qu’il fallait les aider, les pousser vers la culture et le savoir pour qu’ils s’en sortent.
Un peu et il m’aurait parlé du vote et toutes ces conneries.
Donc je lui ai filé 5 euros et je suis parti.
Le vieux
Le vieux avait des rides creusées, vermoulues, suintantes.
On aurait dit du vieux cuir.
Il n’avait guère plus de cheveux sur la tête, mais il utilisait une technique apparemment répandue permettant de paraître velu : il gominait en arrière la large touffe qu’il possédait en haut du front afin que les cheveux recouvrissent presque entièrement son crâne esquinté.
Les sourcils, en ornement de ses yeux neutres, s’effilaient.
Ses bras semblaient difformes et disproportionnés.
Ils étaient excessivement longs. Interminables et bosselés.
Les poils qui s’y trouvaient étaient très étranges, pas comme ceux des autres adultes.
Les siens étaient nombreux mais pas frisés, ils étaient tout lisses et tout blanc.
Il avait des taches marrons sur tout le corps, comme des grains de beautés fondus.
Ca faisait cancéreux.
Son âge ? Aucune idée.
Toute façon, il avait dépassé le cap après lequel on arrête de compter les ans.
Je me disais que lui s’en foutait de ça, qu’il n’ était plus à cinq ans près.
Ce jour là, je m’en souviens bien, il fumait la pipe.
En réalité je me souviens surtout de la préparation lente et fastidieuse.
La sienne - de pipe - sentait le vécu et la tabac mouillé.
Elle était très ancienne, en bois clair, et le bout mâchouillé accumulait la salive et rendait l’acte d’autant plus répugnant.
Il prenais la boite dans laquelle le tabac était déposé.
Puis il commençait à bourrer la pipe en appuyant bien sur le tabac, en le tassant fort, surtout au début.
Il la remplissait quasi jusqu’au bout.
La pipe alors presque remplie, il tassait beaucoup moins et, pour finir, il laissait le tabac tel quel.
Enfin, il l’allumait avec des allumettes. Toujours.
Il s’y prenait alors par plusieurs fois, en crapotant les premières bouffées.
Il en cramait souvent plusieurs avant de véritablement commencer à fumer.
Je voyais la fumée s’élever en volutes bleues.
C’était vachement beau, mais ça puait pas mal son truc.
On parlait pas.
Même en regardant par terre, j’entendais le tabac crépiter dans l’engin.
C’était pas forcément désagréable, mais ça me faisait éternuer toute cette fumée.
Lui s’en rendait pas bien compte.
Il prétextait une crève.
« Prochaine fois, tu penseras à te couvrir, et à prendre un parapluie lorsqu’il pleut »
Il n’aurait pas pigé si je lui avait dit que ça me foutait la honte de me trimballer avec un parapluie au bahut.
Alors je lui promettais de l’emmener la prochaine fois.
Ce jour là…
Il s’est servi un verre de whisky.
Y‘a un regard et de l’amour.
J’ai douze ans alors. Il me dit :
- « tu veux essayer ? »
Consolation.
On marchait et je savais ce qu’il allait faire avant même que cela n’arrivât.
Il ne parlait plus que d’elle depuis des jours entiers.
Rien d’autre n’occupait son esprit malade.
Elle tapissait sa vie comme une peau qui ne mue jamais.
Il fixait devant lui, parlait beaucoup, questionnait aussi sans jamais vraiment écouter mes réponses.
Il voulait simplement parler, j’étais son exutoire, son antidote. Ça me convenait.
Puis ça c’est passé comme je me l’étais imaginé
Il s’est arrêté; on s’est regardé un instant, suspendus.
Puis il s’est jeté sur moi, m’a entouré de ses bras.
J’ai rapproché les miens de son dos. Il pleurait sur mon épaule.
J’étais terriblement mal à l’aise alors même qu’il était mon meilleur ami.
C’aurait pu être un moment terriblement merveilleux.
J’ai failli défaillir.