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 Et une Reine vint au monde.

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MessageSujet: Et une Reine vint au monde.   Et une Reine vint au monde. Icon_minitimeLun 27 Aoû 2012 - 20:39

(Certains d'entre vous se souviennent de ce texte. Je l'avais proposé à un concours du forum il y a quelques temps -concours où nous n'étions que deux participants-, et ce soir j'ai décidé de le ressortir. Pourquoi ? Et bien, tout d'abord parce que c'est une de mes nouvelles les plus abouties de l'année. Et aussi parce que j'ai également l'intention de retravailler ce monde et cet univers, faire d'autres nouvelles plus ou moins longues dans ce style pour en faire une œuvre cohérente et aboutie.
Je suis incapable d'imaginer des peuples, des noms ou des scénarios compliqués. Le monde que j'utilise est le nôtre, notre antiquité mais en le maniant à ma guise, en y introduisant de la magie, du mysticisme, des dieux et des démons et en n'hésitant pas à changer le cours des événements (Hector qui vainc Achille ? Alexandre qui continue sa progression vers l'Orient, au delà de l'Inde ? Les Perses qui soumettent la Grèce ?).
J'essaye de retrouver le rêve et l'imagination qui me caractérisait il y a quelques années avant que que je rencontre Adrien Roediger, et ceci est la première ébauche qui tend vers cet objectif. Considérez ça comme un défouloir !
Et une Reine vint au monde, où le croisement le plus improbable entre le Salammbô de Flaubert et le Conan de Robert E.Howard. Bonne lecture !)


Et une Reine vint au monde
:

C'était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d'Hamilcar.
Valérius émergea d'un sommeil peuplé de mauvais rêves. Autour de lui, tout était silencieux. Il mit quelques instants à prendre conscience de la réalité, puis le souvenir de la veille et la vision des formes prostrées à ses côtés se rappela à lui.

Il se leva, regarda autour de lui et soupira. Les jardins d'Hamilcar étaient en ruine. Brûlés les beaux figuiers, les nobles sycomores, les cotonniers aux boules blanches et les vignes éclatantes. Tout comme les cyprès dont les troncs se balançaient encore au vent, nus, noircis, ou les platanes qui ne veillaient plus que sur un champ de roses calcinées.

Valérius fit quelques pas. On n'avait pas encore enlevé les cadavres, et Carthaginois, mercenaires barbares et soldats romains s'entrelaçaient dans la mort, les uns sur les autres, dans un ballet obscène et figé. Il enjamba les hommes en armure, reconnu ça et là des guerriers de son régiment, et dans une demi-inconscience marcha droit devant lui.
Il se souvenait. Les deux images des jardins qu'il connaissait se superposait à ses yeux. Il revoyait les statues de marbre, les fontaines d'ivoire, ré entendait le gazouillis des oiseaux exotiques qui peuplaient ce lieu, le frétillement des ruisseaux qui se perdaient dans les hautes herbes pour s'épanouir en cascades un peu plus loin, ressentait la douceur du soleil sur sa peau, le parfum de sa belle, la fraîcheur de ses lèvres sur les siennes... et par contraste, errait dans ce massacre, ce champ de bataille à ciel ouvert qu'il avait contribué à créer. Par Junon, qu'avait-il fait ?

C'était un enfer, un véritable enfer. Les portes de l'Hadès s'étaient ouvertes sur le monde des hommes, et c'était lui qui avait tiré la poignée. Valérius pleurait, en proie à un torrent d'émotions qui se déversait en lui. La fierté d'avoir mené sa légion à sa victoire, la tristesse d'avoir perdu de valeureux soldats, mais plus encore le désespoir qui meurtrissait son âme. Le jeune capitaine s'arrêta pour vomir. Il se sentait souillé, rabaissé à un état pire que l'animal. Il tituba sur ses jambes, tout autour de lui, charognards et insectes se repaissaient des cadavres. Un corbeau, qu'il n'eut pas la force de chasser dévorait les yeux d'un enfant, un des derniers défenseurs de Carthage. Valérius le connaissait, il était un des serviteurs de sa dame. Il se souvenait des visages morts qu'il croisait, et il savait qu'il serait hanté pendant tout le reste de son existence par cette vision.

Le légionnaire se rapprochait du palais. Le marbre jaune était strié de taches noires, les fenêtres étaient brisées, les portes défoncées. On s'était battu jusqu'à l'intérieur. Les longs escaliers, en bois d'ébène étaient rougis du sang de ceux qui étaient morts en les protégeant. Les grillages d'airain, les portes rouges ornées de croix noires, solennelles, aussi impénétrables que le visage d'Hamilcar avaient été détruits. Il ne restait plus qu'un gouffre béant, menant aux ténèbres les plus profondes.

Rome avait une fois de plus vaincu, Valérius n'en doutait pas. Il imaginait déjà ses généraux festoyer sur les ruines du palais, brandissant bien haut la tête d'Hamilcar, sa fille donnée en pâture aux soldats survivants.
Sa fille... la fleur du désert. Salammbö. Douce, belle, le capitaine en était fou amoureux. Il la connaissait depuis son plus jeune âge, et ne rêvait que de se montrer digne de l'épouser. Fils d'un marchand qui faisait régulièrement voile entre les deux cités rivales, le jeune homme était entré dans l'armée, avide de hauts faits, de gloire et d'honneur. Son seul moyen pour conquérir le cœur de sa belle était de devenir un puissant général. Quelle ironie que sa première mission en tant qu'officier eut été le siège de Carthage !

Tout ça pour ça. L'opulence du palais d'Hamilcar n'était plus qu'un mirage. Les quatre étages, l'escalier de cinquante huit marches, le beau jardin, les hauts remparts étaient en ruine, et la ville entière avait subi le même sort. Une horrible fumée grisâtre montait d'un peu partout, et une odeur de charogne et de cendre froide emplissait l'air. Nul n'est sensé tenir tête à la puissance de Rome, et Carthage était revenu à la place qui était la sienne.

Valérius marchait sur les décombres de son bonheur. Il avait grandi, vécu, aimé dans ces jardins, et voilà qu'il avait tout piétiné. Et pourquoi ? Pour la grandeur de Rome, pour satisfaire son ego et sa gloire éternelle ? Le capitaine, son armure brillante constellée de taches sombres, sa grande cape en lambeaux, le corps meurtri par les combats s'avança vers les marches. On allait s'étonner de le voir vivant, le féliciter pour sa bravoure, lui promettre monts et merveilles, et plus il y pensait, plus il s'en moquait. Il s'était engagé pour Salammbô, il n'y avait qu'elle, le reste ne comptait pas. Il voulait la revoir, la serrer dans ses bras. Il connaissait des marchands du désert, ils pourraient s'enfuir ensemble, les rejoindre et changer de vie. Oublier. Aller d'oasis en oasis, loin de Rome et de sa folie, de la guerre, de la jalousie, quelle existence formidable cela serait !
Mais était-ce encore possible ? Salammbô vivait-elle encore ? Le regard brillant d'une nouvelle détermination, Valérius gravit le long escalier d'ébène. Il vivrait, et la femme qu'il aimait aussi. A la faveur de la nuit, ils partiraient le plus loin possible de Carthage dévasté.

Il arriva enfin aux portes. Essoufflé comme après une longue lutte, le jeune capitaine s'arrêta pour respirer. En haut de l'escalier des galères, le premier des quatre, il se retourna et regarda en arrière. Le champ de bataille s'étendait à ses pieds. Des formes paraissaient bouger un peu partout, tandis qu'à l'est, le soleil se levait doucement, rougeoyant sur le désert et ses mystères. C'est là-bas qu'ils iraient. Carthage la Noble survivra, elle sera reconstruite, et payera un lourd tribu à Rome. Une cité vassale parmi tant d'autres. Mais eux seraient loin, en paix, quelque part au delà de l'horizon.
Mangonneaux, trébuchets, béliers... Cadavres dans les rues, palais détruits, temples pillés. En dehors de la ville, l'encerclant comme un étau, une forêt rouge et or : le campement des trois légions. Combien restait t-il de soldats ? Et où étaient-ils donc ? Pourquoi tout était si calme ?
Des ombres se mouvaient pourtant, silencieuses. Valérius les vit s'activer, se rapprocher de l'enceinte des jardins d'Hamilcar, mais rien, pas un bruit. Si ce n'est le croassement des corbeaux et le vent qui sifflait dans les cyprès dénudés.
C'était un paysage de mort et de désolation, bien différent des champs de batailles du nord que le jeune homme avait déjà parcouru. Quelque chose clochait. Les centuries devaient patrouiller dans les rues, les mercenaires détrousser les cadavres, les mendiants errer, les filles de joie tenter d'attirer le chaland, les auberges résonner de chants et de bris de verre... drôle de victoire. Les deux camps se seraient-ils entre-tués pendant qu'il était inconscient ?
Un frisson parcourut l'échine du soldat, faisant se dresser les courts poils de sa nuque. Un mauvais pressentiment l'étreignit et il décida d'abandonner sa contemplation pour entrer dans le bâtiment. Grégorius, son mentor, général des trois armées l'informerait des événements.

Des cadavres, toujours des cadavres. Soldats romains, guerriers carthaginois, et hommes de toutes nations, mercenaires des Baléares, de Gaule, de Grèce, Nègres ou Lusitaniens, Égyptiens ou Cantabres, barbares de toutes origines en armure hétéroclite formaient un tableau horrible mais pourtant hypnotisant. Valérius ne pouvait se détourner de la scène. Ce lieu, autrefois si beau, si parfait était taché de sang. Le marbre était souillé d'écarlate, des corps se balançaient dans les bras des statues, le dallage était arraché, des guerriers barbus étaient fichés dans des lances, des têtes noires couvertes de peinture étaient détachées de leur corps. Tous festoyaient maintenant ensemble en Enfer. Ils avaient tués, ils avaient pris la vie, et continuaient maintenant à se battre de l'autre côté. Que Jupiter ait pitié d'eux...

Un son le détacha enfin de sa sinistre extase. Une musique, un étrange bruit de clochettes qui tintaient dans les étages supérieurs. Il y avait donc encore de la vie dans ce palais ? Cette seule pensée donna à Valérius le courage nécessaire pour se détourner et rejoindre un nouvel escalier. On l'appelait.
Le jeune homme se sentait nu. Son casque, son bouclier, son épée, sa lance avaient été perdu, et il avançait sans arme, sans protection. Il ramassa une dague qui traînait par terre et la passa dans sa ceinture. Sa cuirasse de bronze pesait des tonnes, cabossée de toutes parts, il remarqua aussi qu'il lui manquait une sandale. Il avait froid, étrangement froid, un souffle glacé provenait du haut des marches. Ses jambes tremblaient, les forces l'abandonnaient, mais un pouvoir le poussait en avant. Il se sentait léger.
Et plus il avançait, plus cette sensation s'imposait à son esprit. Bientôt, ses yeux se voilèrent, il les ferma quelques instants et quand il les rouvrit, une étrange brume rosâtre flottait tout autour de lui. Il marchait dans un océan de nuages, et le tintement de clochettes se faisait de plus en plus fort. Il arriva enfin au second niveau, et comme dans un songe, se dirigea vers les appartements qu'il ne connaissait que trop bien.

Le brouillard devenait de plus en plus opaque. Une senteur de jasmin montait dans l'air, et le jeune soldat se surprit à sourire, de retour dans ses souvenirs, à une autre époque, où tout était plus simple et plus joyeux. Dans les jardins d'Hamilcar, avec la fille qu'il aimait tant. Il serra la poignée de sa dague. Le contact glacé du manche le ramena à la réalité, et les ombres qui bordèrent ses yeux disparurent.

Le couloir continuait encore tout droit, mais Valérius était arrivé. La musique venait de derrière cette porte. Il ne pensa pas à l'étrangeté de la scène, à cette brume qui l'emprisonnait, à ce doux parfum qui surpassait la puanteur des cadavres brûlant au soleil, non son esprit était ailleurs, aux portes d'un royaume que nul mortel ne pouvait arpenter sans y perdre la raison.
Il n'avait pas peur, ce n'était pas du courage non plus, mais quelque chose d’au-delà. Le jeune homme priait ses dieux, Junon, Jupiter, Mars de l'aider, mais soit ils ne l'entendaient pas, soit les pouvoirs à l’œuvre étaient bien supérieurs à ceux des puissances célestes.
Sa main bougea toute seule vers la poignée ouvragée de la porte. Il la reconnaissait. C'était ici qu'il revenait toujours dans ses rêves, l'endroit où il voulait être. Les appartements de Salammbô.

Il entra, et la brume qui le suivait pénétra dans la pièce pour l'envahir et voleter en paix, tout autour des personnages qui y étaient. Car il y avait des gens, et Valérius les reconnut. Grégorius, Hadrien, le vieux Hector et un enfant, Maximus, l'aide de camp de son général, étaient assis sur un lit de coussins, des coupes et des paniers de fruits renversés à côté d'eux. Ils souriaient béatement, regardant droit devant eux, et en suivant la direction qu'ils fixaient, le jeune soldat lâcha un hoquet de surprise.
Il y avait une femme voilée qui dansait. Vêtue avec la splendeur barbare d'une femme du désert, elle virevoltait devant les quatre hommes, ses clochettes d'airain à ses chevilles, tintant à chacun de ses pas. Les joyaux qui ornaient sa chevelure et son pectoral, et les chaînettes les maintenant en place, étincelaient à la lueur des quelques torches. Des anneaux d'or étaient passés autour de ses poignées, qui en s'entrechoquant apportaient à la musique une nouvelle harmonie. De lourds bracelets ornées de gemmes et des boucles à ses oreilles complétaient l'ensemble, alors que le reste de son corps était quasi-nu, à peine masqué par une jupe si transparente qu'elle en devenait impudique.

Et elle dansait, ses bras jouant avec des voiles de soie, le visage caché par un carré sombre qui lui laissait à peine les yeux visibles. Chaque déhanchement de son corps était une invitation à l'enlacer. Son regard dardait des rayons écarlate, ses mouvements étaient fluides, limpides, lascifs et merveilleusement enchanteurs.
Elle bougeait au rythme de la musique produite par son corps, et cela en était envoûtant. Valérius était hypnotisé, il ne savait combien de temps il la regarda, mais quand il revint à la conscience, elle s'était rapprochée des généraux, qui comme lui, ne parvenaient à détacher son regard de cette beauté.
La pièce était sombre, les torches qui flambaient, étrangement ne diffusaient qu'une faible lumière et la brume omniprésente la renvoyait sous un arc-en-ciel de couleurs. Rose, vert, rouge, orange, la déesse dansait dans les nuages.

La danseuse se détourna ensuite de ses invités, recula de quelques pas, et d'un signe du doigt fit signe au jeune Maximus de s'approcher. Comme en transe, celui-ci s’exécuta. Il se leva, doucement, lentement, et pendant un court instant, la vie reflua dans le corps de Valérius. Il sentit une érection, son visage s'empourpra de rouge et une sorte de sourde rage monta en lui. La déesse au teint pâle jouait avec l'adolescent, dansa avec lui, l'enferma dans ses voiles. Et juste au moment, où la jalousie envahissait l'esprit du capitaine, et où celui-ci fit le premier pas pour mettre fin à la mascarade, la danseuse murmura quelque chose à l'oreille de l'enfant, qui sourit, prit entre ses mains un poignard que la femme lui présenta et se le plongea dans le ventre jusqu'à la poignée. Il cracha du sang, tomba à genoux, ses yeux se voilèrent soudain, mais il souriait toujours.

La danse n'était cependant pas terminée, et Valérius, aux frontières de l'enchantement ne parvenait toujours pas à bouger. Il voyait la scène, son esprit criait, lui disait de fuir, de courir le plus loin possible, mais son corps ne répondait pas.
La démone se rapprochait maintenant de ses autres convives. Ses victimes. Elle ne virevoltait plus, la musique s'était tue. Lassée sans doute de ce jeu, elle marcha droit devant, vers les trois hommes, passant devant le jeune soldat, sans le voir, et d'un autre poignard qu'elle retira de sa ceinture, trancha d'un coup sec la gorge des généraux romains. Ceux-ci, toujours figés, hagards, ne réagirent pas, et comme l'enfant, se vidèrent de leur sang, heureux, emmenés en enfer par un diable à la beauté sans pareille.

Le charme ne se rompit pas, et Valérius qui regardait encore le spectacle était horrifié par ce qu'il venait de voir, mais ses jambes refusèrent d'avancer. La brume le retenait, piégeant toute possibilité de fuite. Et quand la femme damnée dirigea son regard vers lui, il sentit qu'il allait mourir.

Elle marcha vers lui, et le soldat essaya de bouger sa main. Il avait une dague, il devait s'en servir, la tuer avant qu'elle ne le tue. Mais... mais il ne pouvait pas. Et il la reconnut enfin. Sa peau blanche comme la neige, ses cheveux d'ébène, ses yeux, son corps, son ventre si fin, ses courbes, ses formes, ses seins, son parfum. Le jasmin, cette odeur qui emplissait ses rêves. C'était elle, Salammbô. Il l'avait retrouvé, elle était vivante, et malgré tout ce qu'il venait de voir, malgré la magie, la peur, le sang, il voulait l'embrasser, la serrer contre lui, lui dire qu'il l'aimait.

- Salammbô ! Salammbô ! Loué soit Jupiter, alors tu es en vie !

Valérius pleurait des larmes de joie. Il réussit à faire un pas, puis un autre jusqu'à enlacer sa compagne. Celle-ci tenait toujours son poignard ensanglanté dans sa main droite.
Tout était terminé. Ils partiraient maintenant, peu importe ce qu'elle pouvait avoir fait, avant que les légions romaines n'arrivent, avant que...

- Valérius...

Elle parla. Sa voix était bizarre, éraillée, vieille. Le jeune homme se recula, et regarda le visage de la femme qu'il aimait. Ses yeux, autrefois si rieurs, si joyeux ne souriaient pas. C'était un puits sans fond, noir comme l'Hadès, et quand il respira une nouvelle fois, une nouvelle odeur s'imposa à ses narines. Derrière le parfum de jasmin omniprésent se sentait une puanteur de charogne.
Le romain avança les deux bras, toucha les traits de Salammbô, caressa son visage et enleva lentement le voile de soie qui lui recouvrait la bouche. Il le laissa aussitôt tomber, en retenant un hurlement de terreur.

Il n'y avait rien. A la place du menton, des lèvres pleines et rouges, des dents si blanches, des joues parfaites se trouvait un vide. La chair à nu, écarlate, seul restait. Il lui manquait toute la partie inférieure du visage. Le reste de langue pendouillait mollement, la gorge était striée de veines battantes et une bave brunâtre suintait de cet orifice.

- Salammbô ! Pourquoi... comment... ? Qui ?
- C'est votre faute, vous les romains. Je n'avais pas le choix. Les Djinns, je leur ai offert ma beauté pour vous repousser. Les Esprits du désert m'ont offert leur pouvoir. Je les ai prié, oh oui, tellement prié, et ils m'ont récompensé. Je suis puissante, j'ai vaincu Rome. Je t'ai vaincu, Valérius, et ce n'est que le début. Car ils arrivent, tous, oui, ils répondent à mon appel !

Comment parlait-elle encore ? C'était un mystère, mais Valérius s'en moquait éperdument. La femme qu'il aimait était devenue une sorcière. Que devait-il faire ? La tuer, lui pardonner, continuer à l'aimer, fuir ? Il ne savait pas, mais son corps lui fournit la réponse. En une fraction de seconde, sa main droite passa dans sa ceinture, attrapa sa dague et il enfonça sa lame dans le cœur de Salammbô.
Pour Grégorius, pour Rome, pour ses dieux, pour lui-même, il le devait. C'était une infamie, une abomination de la nature, ce n'était plus la femme qu'il avait aimé.

La Sorcière tomba dans ses bras, et dans un dernier souffle murmura :

- Valérius... pourquoi ? Nous aurions pu vivre.. ensemble... enfin... pourquoi mon amour ?

Le guerrier pleura. Il ferma les yeux de sa dame, et attendit. Il était trop faible pour bouger, trop faible pour faire un geste. Il ne savait comment réagir, il voulait mourir ici, maintenant. Quel intérêt de vivre sans Salammbô ? Mais il devait rentrer, informer le Sénat de ce qui s'était passé ici. Rome devait agir, il devait voir les prêtres, quelqu'un devait lui expliquer à lui. Tout ceci n'était pas normal, irréel... Plus le désert, jamais, son pays lui manquait.

Ce fut finalement la peur qui poussa Valérius à faire le premier pas. Il porta la femme jusqu'à ses appartements, la posa sur sa couche, regarda une dernière fois les victimes de la Sorcière et se détourna. Il avait encore une longue route à faire.

La brume s'était dissipée, et le romain fit le chemin en sens inverse. Il arriva aux escaliers, les descendit, et retourna à l'extérieur. Le vent soufflait fort, une tempête de sable se levait, et Valérius pesta contre ce contretemps. Il aurait bien aimé mettre autant de kilomètres possible entre lui et la ville avant la nuit, mais cela paraissait maintenant impossible.
Se protégeant le visage avec la main, il descendit la première marche, et tout à coup s'arrêta. Des formes bougeaient dans les jardins d'Hamilcar. Des centaines de formes. Le capitaine cria :

- La Sorcière est morte, le charme s'est brisé !

Mais les ombres avançaient toujours. Elles ne répondaient pas. Elles étaient nombreuses, si nombreuses. Et les premières arrivaient déjà dans les escaliers. Valérius fit quelques pas en arrière, jusqu'à sentir quelque chose dans son dos. Et il les vit. Des dizaines de créatures, les soldats tombés au combats, morts dans le palais et revenus à la vie par on ne sait quelle obscure magie. Les organes vitaux transpercés, des membres en moins, des épées enfoncées dans leurs entrailles, ils avançaient inexorablement. Le guerrier romain était bloqué. Des deux côtés progressait une armée de morts-vivants. Il empoigna sa dague, terrifié.

Une voix arrêta pourtant ce cauchemar. Un rire. Et les morts-vivants du palais se poussèrent soudain, laissant apparaître une nouvelle vision d'horreur. Salammbô, la poitrine ensanglantée, marchait au devant de Valérius, entouré d'un halo d'obscurité. Elle rit, et ce son sembla résonner dans tout Carthage.

- Je suis immortelle, Valérius. Tu aurais pu gouverner le monde à mes côtés, nous aurions pu marcher sur Rome, créer un nouvel Empire et vivre éternellement, mais tu as préféré porter la main sur moi ! Sur moi ! Regarde mon pouvoir, mortel, contemple mon armée ! Aujourd'hui est le début d'un nouvel âge ! Je suis Salammbô, pour toujours, belle et jeune, et tous s'inclineront devant moi !

La tempête redoubla de puissance, se réunissant autour de la Sorcière, et des formes apparurent furtivement dans les vents. Des démons, des serpents, des animaux, des éclairs, des yeux... Les Esprits du Désert avaient couronné une Reine, et à travers elle, ils domineraient l'univers.
Le guerrier romain sut que tout était terminé, et la dernière odeur qu'il ressentit, avant que les hordes de morts-vivants se déchaînent et le déchiquettent de leurs crocs, fut un parfum de jasmin.
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Elann
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MessageSujet: Re: Et une Reine vint au monde.   Et une Reine vint au monde. Icon_minitimeLun 27 Aoû 2012 - 23:04

Hé hé, dans mes pérégrinations forumesques, j'avais déjà lu ce texte.

En fait, y a un truc que je n'ai pas compris, Valérius, un romain a marché sur Carthage avec son armée (jusque là, ça va) mais pourquoi évoque-t-il des souvenirs à Carthage, et un amour ancien pour Salammbô, ennemie normalement ? (j'espère que la question n'est pas totalement stupide...)

Sinon, dire que c'est bien écrit et fluide me parait un peu dérisoire.
Je trouve que le début fait bien ressentir l'atmosphère post-combat, lourde (l'atmosphère, hein, pas l'écriture ^^) mais soudainement calme après les fracas de la guerre.
En fait toute la montée des escaliers (avec le début de l’envoûtement) jusqu'à la danse avec le garçon, j'ai vraiment bien imaginé la scène. Ça fait terriblement penser à un conte des mille et une nuits. Après, ça devient plus """gore""" mais ça ne jure absolument pas avec le reste, comme on est envoûté, bah... ça passe nickel, si j'ose dire.

Sans être un thème que j'apprécie particulièrement, j'ai vraiment aimé cette nouvelle de par son écriture et cette espèce d'hypnose que l'on ressent à travers le personnage. (suis-je clair ? hum... non)
J'ai bien conscience que ce commentaire n'est pas fort constructif mais bon...

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MessageSujet: Re: Et une Reine vint au monde.   Et une Reine vint au monde. Icon_minitimeMar 28 Aoû 2012 - 15:06

Ah c'est cool de voir quelqu'un qui prend de son temps pour commenter, et qui n'est pas juste ici pour flooder et parler de ses chaussettes !

En fait, tu peux imaginer beaucoup de choses sur la relation Rome/Carthage dans cette uchronie. Pour cette nouvelle, ça ne sert à rien d'expliquer des masses, et laissons le lecteur inventer.
Par exemple, Carthage était peut être alliée à Rome, ou devait lui payer un tribut, ce qui explique la présence )d'une garnison romaine ou de relations commerciales entre les deux cités, et un jour, la ville a pu peut être vouloir se rebeller, ou l'attitude de Rome a pu changer à cause de la puissance que développait sa soumise, et a un jour pris les armes pour réfréner ses ardeurs et son ambition renaissante ?

Tout sera peut être expliqué un jour dans une autre nouvelle !

Merci pour ton commentaire (surtout que je vois que tu lis et commente à peu près tout, ça prend du temps, et j'aimerai beaucoup que d'autres suivent ton exemple).
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MessageSujet: Re: Et une Reine vint au monde.   Et une Reine vint au monde. Icon_minitime

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