Le bout du monde

- Aki, viens avec moi voir le bout du monde !

Hak fit un signe de la main à la petit fille en bleue qui se tenait derrière les arbres.

- Allez, viens ! C’est bientôt l’heure où le soleil se couche.
- J’arrive, dit la petite fille.

Elle repoussa le rideau de feuilles émeraude de sa main et courut rejoindre Hak. Ses cheveux châtain roux brillaient à la lueur du crépuscule et tressautaient au rythme de ses pas.

Dans sa course, Aki buta contre un caillou et roula dans l’herbe. Des pétales rouge carmin voletèrent dans les airs sur son passage, et des pissenlits flottèrent comme des étoiles autour de son corps étendu sur le sol. Hak la rejoignit dans un éclat de rire.

- Eh, Aki, fais attention ! Tu ne t’es pas fait mal ?
- Non, ça va. Je suis une dure à cuire !
- Tes jambes sont trop petites pour éviter les cailloux !

Hak ne vit pas le regard triste d’Aki lorsqu’il dit cette phrase, et il n’en eut pas le temps, trop pressé de voir le soleil couchant.

- Dépêche-toi, ou on va le rater ! fit-il.

Il tendit la main à Aki. Ensemble, ils traversèrent les hautes herbes qui menaient au bout du monde. À cette heure-ci, on aurait dit qu’ils traversaient une mer pourpre agitée par des vagues frémissantes.

- Le voilà ! s’écria Hak, quand ils arrivèrent.

Ils posèrent leurs mains d’enfant sur la vitre du bout du monde. Derrière, le spectacle vespéral leur emplit les yeux et le cœur d’une douceur infinie. Les nuages s’étendaient en un vaste manteau doré, irisé par le feu solaire, et le ciel déployait de magnifiques dégradés de jaune, d’orange et de rouge, avec quelques rares teintes roses, comme tracées au pinceau sur l’immense tableau céleste.

- C’est beau, souffla Aki.

Elle oublia un instant la vitre qui la séparait de ce paysage merveilleux. Elle se voyait voler entre les nuages, elle sentait le vent frais lui chatouiller le visage, elle pouvait caresser le soleil et s’y chauffer doucement les doigts. Elle était un oiseau, elle battait des ailes et se perdait dans la beauté crépusculaire.

- Je suis sûr que tu t’imagines plein de trucs de fillette, fit Hak en la voyant, l’air rêveur.

Aki retomba brutalement dans la réalité. Le contact froid de la vitre contre sa paume la révulsa. Elle tourna vers Hak des yeux sombres.

- Ne dis plus ça, murmura-t-elle froidement.

Hak perdit son sourire. Jamais Aki ne lui avait paru aussi sèche.

- Ca ne va pas ? demanda-t-il.
- Tes mots sont un peu durs, dit Aki sur un ton un peu moins frais.
- Pardon. Je ne voulais pas te vexer.

Hak s’assit dans l’herbe, les bras autour des genoux. Il attendit qu’Aki fasse de même, mais la petite fille resta debout, d’un air fier, et pourtant mélancolique.

- Je n’aime pas qu’on dise que j’ai de petites jambes, dit-elle soudainement. Ne te moque plus de ça.

Hak était étonné.

- Je pensais que tu savais que je plaisantais, dit-il, penaud.
- On ne plaisante pas avec tout.
- Désolé. Je croyais que tu étais forte, et que mes moqueries ne te touchaient pas. Je ne les pense même pas.
- Etre forte ne signifie pas être insensible.
- D’accord. Je ferai attention.

Aki décida finalement de s’asseoir à côté de Hak. Ils regardèrent le soleil mourir peu à peu derrière l’horizon enflammé.

- Y a-t-il d’autres choses que j’ai dites et qui t’ont fait mal ? demanda Hak.
- Oui. Tu te moques généralement trop des filles. Ca me dégoûte.
- Ah…

Le soleil avait maintenant disparu, et la nuit commençait à grignoter de son bleu le rouge du crépuscule.

- Tu sais, Aki… Je préfère les garçons.
- Je le sais. Et alors ?
- Je les préfère parce que j’aime leur côté bourru, maladroit et pas franchement subtil.
- Tu dis n’importe quoi. Tous les garçons ne sont pas comme ça.
- Et toutes les filles ne sont pas des idiotes.
- Encore heureux !
- Tu sais, je ne te considère pas comme une de ces filles.
- Peut-être. Mais quand je te vois avec d’autres filles, je me dis que tu es un goujat.
- C’est faux. J’aime les embêter, parce qu’elles réagissent plus que les garçons.
- Embêter n’est pas manquer de respect.
- C’est parce que tu interprètes mal que tu crois que je manque de respect.
- Tu as un drôle d’humour, alors.
- Oui.

Hak se tut. Aki le regarda. Le nez en trompette du garçon luisait d’une lumière orangée, mais ses yeux noisette, en amande, paraissaient éteints.
Elle baissa les yeux. Et sursauta.

- Hak.
- Quoi ?
- Qu’est-ce que tu t’es fait ?
- Hein ?
- Là, sur tes bras. Qu’est-ce que… Tu t’es coupé ?

Hak retroussa les manches de son pull. Des plaies à peine cicatrisées lacéraient sa peau. Aki comprit.

- Tu t’es… Tu t’es mutilé ?
- Laisse tomber.
- Mais pourquoi ?

Hak plongea son regard dans celui d’Aki.

- Certains garçons sont plus sensibles que les plus idiotes des filles. C’est mon cas.
- Ca n’a pas de sens.
- Quand j’ai mal, j’ai besoin de faire ça. C’est ma manière de gérer mes problèmes.
- Ca ne règle rien du tout !
- Je sais. Mais ça m’apaise.

Il remit son pull le long de ses bras meurtris, pour cacher ses blessures.

- Je suis très sensible à ce que disent les autres, et surtout sur ce qu’ils pensent de moi. C’est bête, mais c’est comme ça. Je m’attache vite à eux, et je leur donne une grande place dans ma vie. Une trop grande place, parce que je manque d’affection. Des garçons qui en aiment d’autres, c’est difficile à trouver. Alors je comble comme je peux. Et s’il y a bien une chose dont j’ai horreur, c’est de les blesser.

Il se tut. Aki et lui restèrent silencieux quelques secondes. Le vent artificiel qui soufflait sur les hautes herbes produisait un bruit de fond désagréable.

- Ca ne te donne pas le droit te moquer, dit finalement Aki. Chacun a ses problèmes.
- C’est ma manière d’aborder les autres. Les écouter, voir sur quoi ils sont sensibles, et les toucher avec ça. Pas de manière méchante, mais avec humour. Avec mon humour. C’est pour prendre de la distance sur ce qui les attriste et leur montrer que l’on peut rigoler avec sans que ça blesse. Mais je n’y arrive pas toujours. Presque jamais, en fait.
- Change de méthode, alors.
- J’essaie. J’essaierai encore.

L’image de Hak et d’Aki devint tremblotante. Le paysage se tordit, et s’effaça peu à peu.




Hak tapait sur son clavier. Il venait d’écrire une histoire, suite à une dispute avec Aki. D’un clic de souris, il se dirigea vers un forum, ce forum même où, un mois plus tôt, il l’avait rencontrée. Il y laissa son histoire.
Aki la lut. Et lui dit :

- Pourquoi me balances-tu ton problème de l’homosexualité et de l’automutilation à la gueule ? Pour me faire culpabiliser ? Ca ne prend pas.

Hak sourit, et Aki aussi.

- Et puis d’abord, comment oses-tu prendre la liberté d’inventer des dialogues que je ne ferai jamais avec toi dans la réalité ? enchaina-t-elle.
- C’est ça, le pouvoir d’écrivain, répondit Hak en rigolant.
- Mouais. Alors, la réponse ?
- Je ne sais pas. C’est venu comme ça. Je voulais te montrer que j’étais sensible, et surtout que j’accordais énormément d’importance aux gens que je rencontre. De ce fait, jamais je ne leur manquerai de respect, en pensées ou en intention. Sauf si je ne les aime pas, mais dans ce cas, je ne leur parle pas.

Ult, un garçon du forum, intervint dans la conversation.

- Quelqu’un veut-il un petit joint, histoire de détendre l’atmosphère ?

Aki ferma les yeux et poussa un soupir désespéré.

- Et Ult, il vient faire quoi, dans l’histoire ? demanda-t-elle à Hak.
- Il te l’a dit lui-même : détendre l’atmosphère.
- Ca me donne simplement l’impression que tu n’accordes pas tellement d’importance au fait que tu m’aies vexée.
- Si. Mais je ne le montre pas. Et je te fais même penser le contraire. À mon grand regret. C’était pour illustrer ces derniers propos que j’ai mis Ult.
- Bien sûr, dans ton histoire, tu ne vas pas dire que tu es celui qui est en tort.
- On peut aller loin : je peux aussi me faire passer pour celui qui ne veut pas se faire passer pour celui qui veut se faire passer pour la victime. Et puis, bien sûr que si, je me sens en tort. En tort parce que j’ai vexé quelqu’un, sans m’en rendre compte.

Mor, une fille du forum, s’immisça brièvement à son tour dans la discussion.

- Hak, si tu me donnes encore un cachet d’aspirine pour mon mal de tête, je te hache menu.
- D’accord, Mor.
- Haha, tu fais bien attention de ne plus l’appeler « Femme », hein ? dit Aki.
- Oui.

Hak mit un clin d’œil. 

- Pour revenir au sujet, et faire une petite moralité de l’histoire, je voulais te montrer qu’au travers de ce texte que j’ai mis une heure à écrire, j’étais sincèrement touché par ce que tu m’as dit, honteux de moi-même, triste aussi, que j’étais quelqu’un de sensible et de pas du tout macho, et que je savais faire de l’eau de rose mieux que toi.
- Mouais. Ca ira pour cette fois, alors.

Aki inscrivit entre astérisques : « Yeux de Fen » et Hak sourit. Il répondit :

- Enfin, j’espère que tu diras un truc comme ça en vrai.
- Hak, fit Ult, tu es en train de nous perdre dans ta pseudo-histoire qui se mélange avec le vrai. Abrège.
- Oui. Ben voilà, c’est à peu près tout. J’espère quand même qu’Akira me croit, maintenant.

Hak s’apprêta à quitter son clavier. Il laissa, dans le dernier message, un mot à Iro, l’administrateur du forum.
« J’ai mis ce texte dans science-fiction parce que c’est une fiction, et pour que ça ressemble plus à de la SF, j’ai mis une vitre derrière le paysage et un vent artificiel. Je ne voulais pas mettre ce texte dans le flood, parce que c’est un écrit fait avec l’élan du cœur (je n’aime pas cette phrase cliché mais c’est ça en gros). Tu peux le supprimer si tu le souhaites. Du moment qu’Aki l’a lu, ça me va. »

*applaudit, les yeux embués de larmes*
On fête quand le mariage.

Non sérieusement bravo, c'est superbe et je ne vais pas critiquer ce texte magnifique et plein de sentiments.

Quelqu'un veux un joint?

Merci. J'espère qu'akira aimera autant que toi...

Etant donné que j'ai presque participé à la dispute, je l'espère aussi mais je ne vois pas pourquoi elle n'aimerai pas. Tout le monde aime que quelqu'un écrive pour lui

Tout simplement magnifique. Le texte est au bon endroit, puisqu'il n'existe pas encore sur le forum la catégorie "chef d'oeuvre".

Je suis très touché, Iron. J'avais peur que tu ne le prennes mal.

Au fait, je précise que je ne m'automutile pas. J'y pense juste, de temps en temps, c'est plutôt rare. Je voulais le dire, au cas où... Faut pas s'inquiéter. ^^

J'attends toujours Aki...

Je répondrai d'une autre manière...

Il n'est besoin de nul prince charmant pour me faire rêver, un texte emplit d'émotion comme un couché de soleil en bonne compagnie suffit à faire sombrer le fiel et la déconvenue pour faire surgir la tendresse et l'humilité.
On dit du rêve qu'il est la ressurgissance de notre conscience intime et impudique de notre aventure personnel. Je ne suis pas d'accord.
Un texte qui nous transporte reçoit en nourriture notre pensée pour réhausser l'âme déversée par l'auteur. Plus particulièrement, quand on se reconnait dans un écrit ou encore quand il est écrit à notre intention, le destinataire fusionne dans l'esprit du penseur.
Cette nuit, je serais songeuse.
Mais d'une manière bien différente à celle de mes habitudes, car, à ce niveau, il me serait bien égoïste de croire que je sois la seule à éprouver.
Cette nuit, je ne serais pas seule dans mon rêve.
Cette nuit, j'aurais découvert une image insoupçonnée de moi-même. Et je dois reconnaissance pour cette connaissance.

***

Une petite fille est seule dans le noir, yeux fermé, esprit ouvert. Le vent s'engouffre dans ses fins vêtements, elle ne réagit pas...
Une heure plus tard, elle n'a pas bougé, une fine pellicule de rosée ou de bume dense s'est déposé sur son corps. L'éclat lunaire joue avec ces perles et fait scintiller ses cheveux.
La nature elle-même se pare des lueurs mystiques, l'océan de blés ondule et frisonne, la terre chaude s'humidifie et prend consistance.
La tête tombe.
Un écho de mélopée se laisse deviner.
Une gestuelle s'anime.

Un temps prend fin. Elle se lève et reprend un chemin semé d'embuches, libérée.

"Estime"

***

Tu sais mon avi sur ton texte. Tu as vu en image la réponse attendue.
Tu sais aussi que parmi la grande justesse de tes mots, certaines choses nous ont encore étrangères l'un à l'autre.

Que cela dure !

Je n'ai pas compris tous les sens cachés de ta réponse, mais bon, tu as toujours été un peu mystérieuse voire obscure pour moi.

Je crois comprendre que tu as apprécié, voire aimé. Ca me suffit.



Merci.

C'est pas vrai Hakkrat tu as eu quoi comme éducation?
Bon sang de bonsoir, lis entre les lignes.
Sa réponse est moins longue, tellement plus implicite mais néanmoins aussi belle que ton texte.
Heureux que la petite friction ait cessé mes AMIS

Bon, il va falloir que je fasse l'autre partie de ma réponse.

Ah
C'était pas fini?
Bon alors poste vite

Ben j'ai compris l'avant-texte, et la dernière phrase du texte qui fait allusion à une citation qu'Aki affectionne particulièrement. Mais l'histoire de la petite fille seule dans le noir et de la pellicule de rosée ou de brume, je n'ai pas compris.

J'attends donc la suite de l'histoire, puisqu'apparemment, il y en a une.

Elle n'est sans doute pas telle que vouvous y attendez...

peut-être comprendras tu le sens de "une gestuelle s'anime"...

Je m'attends à tout alors ^^

Pour troublefêter un tantinet, je dirais ce que j'en pense, même si cela n'est pas souhaité.
Nous sommes tous nourriture pour un texte s'il est posté ici, et cela importe beaucoup, d'une part pour le geste, d'autre part pour l'intention.
Le geste est détourné, s'il est large. Lire par là qu'on ne sait que penser d'une confession qui, dans le fond, ne nous est pas destinée... moi-même, je me sens un peu sale d'avoir posé mes yeux sur ces lignes.

Et l'intention est étrange : ni fictif, ni réel, ce texte est l'image d'une intention qui oscille entre deux univers. Et je trouve cela dangereux.

Bon, évidemment, je dramatise. Ce texte est sublime, mais d'une beauté procurée par le sentiment d'existence, et donc, de tragédie vivante.

Je ne m'autorise donc pas à donner d'avis sur le sentiment qu'évoque ce texte. Il est "hors catégorie", presque trop secret pour exister sous autant d'yeux.

...

Ne t'inquiète pas, c'est tout ce que j'ai à dire...

Et je suis triste de te faire te sentir sali.

Non, ce n'est pas ça... je crois simplement que ce n'étais pas à moi de lire ce texte. Mais en partant du principe que c'est toi qui l'a posé ici, alors, il n'y a pas à s'en vouloir.

En ce cas, je ne m'inquièterai pas. Et puis je te sais raisonnable ^^

J'arrive en peut être au mauvais moment....

Mais vous nous faites profiter de très beau textes.

Merci