le dernier gouter

Le dernier gouter

Nos chambres sont individuelles, mais nos vie deviennent rapidement communes en clinique psychiatrique.
Sympathie ,amitiés, voir liaisons, naissent a l'abri du parc et de ses bancs, été comme hiver.
Dès le matin, avant même la toilette, encore en pyjama, nous nous cherchons.
Parler
Parler
Ou fumer
Nous sortons la première cigarette à partager.
Il faut parler, raconter:
-du réveil trop brusque de l'infirmière
-du somnifère sans effet
-de nos cauchemars
Prendre en commun nos premières résolutions du jour: se laver, s'épiler ou se raser, se manucurer, enfin être présentable...
tout demande tant d'efforts
Encore une cigarette, celle qui donne le courage.

Le groupe , matière vive, se sépare et se reforme, sous le soleil qui se lève, après le passage des psychiatres.
Après le passage du médecin nous avons tant à dire : les bons points, les gros couacs, l'incompréhension.
Le groupe toujours, avant le repas, après le repas.
Apres...Il règne comme un certain ennui, une certaine langueur que rien ne dissout.
C'est le moment de l'attente aussi, pour ceux qui le peuvent, c'est l'attente de l'heure de la sortie.
Chacun s'organise, les sortants prennent les commandes des restants pour des choses indispensables :les cigarettes et le nescafé le plus souvent.
L'après midi chacun trace son chemin
Il y a le refugié derrière les murs blancs, en divorce avec le monde, son éternel brouhaha, son éternelle indélicatesse ,son indifférence indécrottable.oui, on peut être un refugié de la vie, tout simplement. Sur le banc, à l'abri des ifs et des buis, à l'abris du soleil il caresse les chats qui hantent le parc.
Et moi aussi, J'ais caressé les chats et ramassé les escargots, histoire de causer au monde.

Doucement la nuit encercle le parc, notre petite brousse s'amasse a nouveau, clopin- clopan, pleins des aventures de la ville.
C'est l' heure des grands compteurs ,ceux qui savent colorer nos petites pérégrinations, brodeurs d'histoires.
Toujours sur nos bancs, autour la table de jardins, nous écoutons, nous les canards boitillants ,sous Valium, Seresta, Lexomil, Prozac, coincés dans nos petites bulles médicamenteuses.
C'est l'heure des sagas, le conte de nos hauts faits et petites misères. L'heure aussi de nos grandes colères où sourdent de toutes nos larmes de douleur.
L'hostilité du monde aux ailes un peu brisées
Et plus encore:
le social qui fout le camp
-les assistantes sociales dépassées
-des enfants que l'on cherche au commissariat, tant la perte de boussole de l'adulte noie toute la tribu, les enfants en premier.
C'est l'heure des invocations:
-du courage, encore et encore
-à la résistance
-à l'endurance
Il est indispensable de tisser un peu d'espoir contre le précaire
Aussi , nous sortons tout ce que la clinique autorise :
-Fanta, Cola, jus d'orange
-pop corn, Tuc, Chips
-cacahouètes ,noix ,fruits secs
beaucoup de fraises tagada, d'oursons en guimauves
que sais je encore...
Nous ratissons les superettes du quartier, faisons la nique au diététicien de la clinique.
Une orgie de graisse, de sel et de sucre, mélangés à la fumée des cigarettes.

Nous ne maigrissons pas, mais pour beaucoup, il faut être en vie avant que d'être beau.
(Enfin de celle des magazines, celle qui rayonne sur un papier glacé indifférent,
celle qui en rajoute toujours)
Nous ratissons les Liddles et les Leaders Prices, plus encore pour ceux dont la sortie est programmée au lendemain, tradition oblige.
la sortie programmée:
un peu de joie et pas mal d'angoisse

Vous avez compris, Ici tient notre clan.
Dehors c'est la solitude face aux dangers du mondes, à ses trous noirs et ses abimes:
-pole emploi et office d''hlm
-un couple que la maladie use
Nombreux sont en luttes dans le monde dit du travail, un peu moins en forme, un peu plus terne, un peu moins résistant, moins enthousiaste.
Etre le fusible qui saute et que l'on renvoie
Etre celui qu'on oublie et qui finit par disparaitre
Certes, l'autorisation de sortie est gage d'une remise en forme.
Nos neurones dopés sont sensés résister a un minimum de rounds de combats...jusqu'au retour au tapis de nos âmes blessées.

Alors devant nos paquets de biscuits éventrés, nos verres de sodas, nous nous étreignons ,nous nous embrassons, nous rions ,nous pleurons ,nous nous bénissons.
Notre nombre rend aisé la prière à des dieux et saints divers, à l'échange de gris-gris.
Oui nous avons les dents gâtées et la peau dure.

Pourtant ce soir fut silencieux.
Chacun mâchait sa peine en silence.
Dans un mois, les bâtiments seront détruis.
Dans un mois une vingtaine de chambres, celles aux tarifs sécurité sociale, partirons en fumée par application de normes sanitaires: nous avions de toilettes et douches commune.
Le bâtiment va être abandonné.
Dans la rue en face un nouveau bâtiment se dresse flambant neuf, couleur pêche, chambres à 150€ la journée.
Chambres dont notre petit groupe ne pourra profiter, en relégation dans les hôpitaux psychiatrique pur et dur, dans un mélange général.
Ce soir, nous goutions en silence.
les cigarettes se consument sans un mot.
Nombreuses sont les maladies qui amènent à des hospitalisation cyclique , même si croyons toujours au dernier soir.
Nous grignotons doucement, sans bruit.
Notre naturelle inquiétude de l'avenir fait de survies et de plongeons, notre inquiétude était encore alourdie.
Dans le soir un hérisson trottinait, traversant le parc.
Comme lui nous allions devoir trouver une nouvelle adresse...

ps: ce texte est extrait d'un journal de bord, il y a quelques mois...
l'actualité médicale m'a incité à retravailler mon texte
j'ai réalisé des croquis en aquarelle des lieux






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oups, j'ai scanné les croquis 2 par 2
la premiere image est à l'envers,milles excuses!