Planning [Cali]

Planning


Quelle journée de m***e. Purée, mais vraiment. De m***e, quoi. Pourtant il ne se souvenait pas s'être levé du pied gauche. Ni être passé sous un échafaudage. Ni avoir croisé un chat noir. Ni brisé un miroir ou enfilé la chaussette gauche avant la droite. Bref comme dit le proverbe, il aurait mieux fait de rester au lit.
Quoique concernant son boulot, ça n'aurait sûrement rien changé. Ben ouais, ils bossent pas en même temps que nous les japonais. Faut qu'ils dorment ! Pis nous aussi.
Le matin même, Paul avait perdu une opportunité de marché avec une grosse boîte de Tokyo. Il avait lu avec trois jours de retard un mail concernant l'issue d'une vidéoconférence à laquelle il avait participé une semaine auparavant, avec ses homologues japonais. Ce jour-là déjà, le local de l'entreprise avait eu un gros problème de connexion internet. Comme par hasard. Et puis, allez faire comprendre à un japonais ce que c'est qu'un bug informatique. Ils avaient eu le choix : soit ils mentaient en disant que trop d'ordinateurs mobilisaient la connexion, et dans ce cas les japonais croyaient que l'entreprise était vraiment mal équipée pour une boîte qui bosse dans l'informatique ; soit ils disaient la vérité, à savoir que le local est perdu en pleine cambrousse et que, eh oui, des fois ben on capte pas bien internet. Alors là ce serait peut-être encore pire.
Ensuite il était parti en stage à la maison mère pendant quelques jours. Il avait dû recevoir le mail pendant cette période là. Ah... Paul adorait les intérimaires. BREF. Il avait perdu le marché avec les japonais, ce qui n'avait pas mis son patron de très bonne humeur. La boîte avait de plus en plus de mal à trouver des clients même en France, alors ils ne pouvaient pas se permettre de laisser filer des contrats à l'étranger.

Le déjeuner avait été tout aussi amusant. Un de ses collèges l'avait invité dans un de ces restaurants dits gastronomiques où on salive à mort devant la carte – à condition de la décoder, évidemment – et où finalement on sort en crevant de faim.
Paul avait pu réviser l'opinion qu'il avait de son collègue. Grand bourgeois prétentieux, lui – au moins – avait semblé apprécier les haricots verts sauce royale à leur juste valeur. En fait, Paul avait eu l'impression de se trouver dans un dîner de cons, mais à deux. Tout au long du repas, ce bourge lui avait glissé des piques du genre « Mais c'est bizarre que t'aies pas pu vérifier tes mails » ou encore « C'est dommage, ces japonais avaient l'air d'être pleins aux as, et ils auraient pu nous ouvrir le marché nippon tout entier ». Nippon. Oh, c'est bon hein, j'ai pas besoin que tu m'étales l'étendue de ton vocabulaire. En plus j'étais dans la jungle à essayer de survivre au milieu de tous ces rapaces parigos. J'avais autre chose à faire que répondre à un vieux chinetoque de m***e. REBREF.

Et les ados. Ah, les ados. Incroyable. Pourtant, il se souvenait pas avoir été aussi insupportable pendant sa crise d'adolescence. Ben oui, parce que quand votre fille, adolescente de quatorze ans, fait sauter les plombs de tout un étage de la maison en voulant aller aux toilettes la veille à vingt-trois heures, forcément, ça coince. Il y a conflit d'intérêt, comme on dit. Évidemment, Paul n'y connaissait pas grand chose en électricité. A moitié endormi en plus, à cette heure-ci. Mais la demoiselle avait fait un caca nerveux pour qu'il s'en occupe tout de suite. A votre service, ma Dame. Ouais ben je te le dis moi, ton futur mari, ben il va en ch***.

Paul sortit du restaurant vers treize heure trente. Évidemment, il avait la dalle. Un Mac Do lui sauva la vie. Bon allez, on va éviter le cheveu dans le sandwich, ça ferait vraiment trop chargé, hein ? Non, laissons-lui son sandwich, à ce brave homme.
Laissons-lui son après-midi, quand même. Laissons-le souffler... laissons-le espérer. Oui parce que, quand il sortira de son bureau, il voudra rentrer chez lui, et il tombera en panne sur la route - évidemment déserte. Comme par hasard. Alors il consultera son téléphone portable et soupirera de désespoir en voyant qu'il ne capte pas de réseau.

Mais heureusement, Paul a une maîtresse. Il l'avait connue un jour où il n'avait pas la poisse. Disons qu'il s'agissait d'une entente purement sexuelle. Elle était seule, et la femme de Paul n'était pas au courant. Ceci dit, avec la chance qu'il a, si ça se trouve elle le trompait de son côté, elle aussi. C'est pour ça qu'il n'avait jamais beaucoup de remords en reboutonnant sa chemise.
Et, Dieu merci – Paul ne croit pas en Dieu, mais l'expression rend bien son soulagement – sa maîtresse habitait à quelques centaines de mètres de là où il avait abandonné sa voiture. Donnons-lui un nom, à cette dame. Mathilde, tiens.
Paul a donc rejoint Mathilde. A l'improviste évidemment, puisque son portable ne captait pas. Elle était chez elle, et acceptait de l'accueillir pour quelques heures. Finalement il avait dîné chez elle après avoir prévenu sa femme qu'il ne rentrerait pas de la nuit. En fait, il avait même oublié d'appeler la dépanneuse. Tant pis, il le ferait le lendemain.
La soirée avançait, et Paul était relax. Il avait hâte de se retrouver au lit avec Mathilde. La franchise était de mise entre eux. Quand elle s'avança vers la porte de sa chambre, il lui demanda clairement. Enfin, tendrement, quand même. Sensuellement. Mystérieusement. Il se mit dans son dos, écarta légèrement la bretelle de sa robe et lui baisa les épaules, la nuque. Il était désormais certain de passer une nuit agréable. Mais elle se retourna et le coupa :
- Tu as une capote ?
- Non. Mais ce n'est pas grave, on n'en...
- Si, c'est grave. Je me suis gourée dans mes jours avec ma pilule. Je veux pas de gosses... Tant pis pour toi !

Hum. Franchise, avions-nous dit ?

Tiens, pour une fois je trouve la nouvelle comique, c'est toujours plus facile du rire du malheur des autres quand on ne s'y identifie pas :p

( mais c'est vrai que pour une journée foireuse, du début à la fin du texte ^^ )