Mon oiseau voyageur [Cali]

Mon oiseau voyageur

Elle aurait dû être là, à l'heure qu'il est. Assise sur cette chaise, en face moi... ou bien de l'autre côté du salon, sur ce canapé. Ce canapé pour lequel elle s'est battue comme une lionne il y a un peu plus d'un an – je ne voulais pas cette couleur. Finalement, elle a gagné. Elle devrait être en train de se plaindre sur la cuisson des pâtes que je lui ai préparé, pensant qu'elle aurait faim après plusieurs heures de voyage. La nourriture des compagnies aériennes n'est pas connu pour être la meilleure... Elle devrait être en train de me raconter mille histoires sur sa vie là-bas. Je dis là-bas, loin de moi, en Afrique.

En Afrique, où elle est partie il y a six mois. Elle s'est engagée comme humanitaire au Sénégal. Je n'aurais rien pu faire pour l'en empêcher. Je l'aimais trop pour ça. La femme que j'aime est un pigeon voyageur... Et puis, six mois, ça passe vite, non ? Elle m'a déjà fait le coup il y a plusieurs années. Elle était partie étudier à la fac à Barcelone. Moi, je suis resté en France. Je crois même que si je n'avais pas été là, elle ne serait jamais retournée en France. Trop de choses à voir, ailleurs. Oui, moi, j'étais son point d'ancrage. Celui qui l'a reliait à ses racines.
Celui avec qui elle a emménagé il y a un an. Celui qui l'a demandé en mariage il y a huit mois. Celui qui l'aimait... Celui qui voulait vivre pour toujours à ses côtés. Celui qui voulait plein d'enfants, parce que les enfants, c'est dans la suite des choses quand on aime, non ? Plein d'enfants... Elle voulait des enfants aussi. Mais, pas tout de suite, on a le temps, tu sais. Je veux d'abord finir mes études, et puis qu'on ait une situation stable...

Ces derniers mois ont été parmi les plus difficiles de ma vie. Seul, dans un appartement tout récemment rénové, dans une chambre décorée par celle que j'aime, dans ce lit dont j'ai tout de même obtenu le choix. Les compromis, vous savez ? Ce truc que tout le monde dit qu'il faut en faire pour être heureux en couple. Ben même moi, j'en fais... Bon, sauf que dans ce cas, de toute façon, elle voulait le même modèle de lit. Banané...

Pour elle ça a dû être moins dur. Je l'espère du moins. Avec toutes ces choses nouvelles, son job qu'elle adorait... Les dernières nouvelles remontent à il y a trois jours. Elle n'avait pas encore fait ses bagages. Voilà ce qu'elle m'a écrit :

Mon cher Sam,
Tu me manques. Dans quatre jours, je serai dans tes bras. Dans le confort de notre petit nid.
J'ai sûrement déjà dû t'en parler, ici ce n'est pas exactement les mêmes conditions de vie ! Tu te souviens de ce que je t'ai dit à propos de l'eau courante ? Eh bien, j'ai une petite anecdote pour toi. Ici il fait très chaud depuis un mois maintenant. Et il n'a pas plu depuis deux semaines... Alors, on fait avec. Je suis très prise par mon travail. Tu le sais, ce n'est pas une corvée pour moi : j'adore être aux côtés des enfants sénégalais.
Ces deux derniers jours étaient tranquilles. J'étais de repos. J'en ai profité pour partir en randonnée avec des amis. On a été accueilli dans un village un peu plus haut dans la montagne, où j'ai rencontré un sage qui avait prédit de la pluie pour hier. Tu nous connais, moi et mon esprit d'européenne cartésienne ; je ne l'ai pas cru... Et hier après-midi donc, on a improvisé une partie de football. Les jeunes contre les adultes du village. Tu vas adorer la suite: l'orage a commencé à gronder, et une énorme pluie s'est abattue sur le village. Le sage avait raison ! Tout le monde s'est rué vers son sac à dos et a sorti du savon ! C'était vraiment marrant. Maintenant, je réfléchirai à deux fois en écoutant les prévisions des sages... !
Voilà pour mes aventures. Je n'ai pas encore commencé mes bagages, mais c'est pour bientôt maintenant ! Dans quatre jours, je serai dans tes bras. Tu vois comme je suis, il aura fallu que je parte loin pour te trouver un album de Norah Jones. Je sais que apprécies sa musique. Ce n'est pas exactement de la musique locale ! Mais ne t'inquiètes pas pour ça non plus, je vais en ramener.
Je t'aime, ne l'oublies pas.
Lili.

A l'heure qu'il est, elle devrait être là, en face de moi, passionnée par ses récits d'aventures. A l'heure qu'il est, elle devrait être en train de défaire se bagages. Pour de bon.
Sauf que c'est moi qui me retrouve à défaire ses bagages. Il y a eu un problème à l'aéroport de Dakar, et sa valise est partie dans le vol suivant le sien. C'est la seule chose que la compagnie aérienne a su me ramener. Vous connaissez le pourcentage d'accident d'avion ? Moi non plus. M'enfin vous voyez le tableau, quoi. Pas beaucoup... Et il a fallu que ca lui tombe dessus. Ma Lilianne...
Alors oui, je l'ai ouverte, cette valise. Et la première chose que j'y ai trouvé, c'est cet album de Norah Jones.

Je trouve celle là plus triste que les autres, peut être parce que je suis un garçon et donc je m'identifie plus facilement à lui qu'au personnage féminin.
Pour l'accident d'avion, on le voit venir, pas forcément au début mais petit à petit ça devient une certitude. Je saurais pas dire si c'est bien ou mal , je fais juste la remarque XD

J'aime toujours les phrases finales de tes textes par contre, sa clôture en beauté.

Merci pour les com's