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 Les Majeurs

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MessageSujet: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeVen 29 Juin 2007 - 11:10

Voici le début de l'un de mes livres (j'ai eu bien du mal à l'écrire !), n'hésitez pas à dire que c'est nul si cela l'est :| (ce que je crains)

Une salle, sur un monde nommé Rès.
Cette salle se situait sur une terre émergée. Sur Rès, cette particularité, au demeurant extrêmement rare, rendait la possession de cette ridicule portion de sol un exploit, si bien que seules quelques communautés immensément riches possédaient assez de puissance pour faire de ces terres les leurs.
En l’occurrence, il s’agissait des sorciers de la Confrérie.
Jusque-là, rien de bien nouveau. Mais pour une raison inconnue ces sorciers tenaient conseil en ce moment même. Des dizaines de bulles éclataient sur le rivage de l’île minuscule et des hommes habillés de toges noires en sortaient. À vrai dire, cette image prêtait plutôt à rire mais, c’est une particularité bien connue, chez les personnes les plus influentes d’une planète rien n’est risible.
Puis tous les sorciers entrèrent dans la petite salle. Le cuisinier de l’île, prévenu de la réunion au dernier moment, n’avait pu préparer que quelques petites pâtisseries pour l’occasion, largement insuffisantes pour les palais fins et délicats des mages. Cela ne fit qu’accentuer le mécontentement général car, comme chacun sait, les sorciers tiennent tout particulièrement à la nourriture de qualité, transformant chaque repas en un moment d’exception.
– Inutile de nous perdre en de vaines paroles, déclara l’homme à l’extrémité de la table en partie pour quitter le plus vite possible cet endroit sinistre et privé de nourriture. Nous sommes ici présents pour la même raison, à savoir la grande catastrophe qui vient de ravager Rès.
– Vous exagérez, répondit un autre sorcier paré de magnifiques atours, dérogeant à la règle voulant que les sorciers portassent des toges sombres. Mais il s’agissait bien d’un trouble dans le tissu du monde tout à fait perceptible, voire même perturbant.
– Eramit jam, renesca zamat, soupira le Sorcier d’Adrias qui ne s’abaissait jamais à s’exprimer autrement qu’en langage Utinam.
– Exactement, Sorcier d’Adrias, reprit le premier homme. Il y a de cela quinze ans, souvenez-vous, une autre distorsion, mineure celle-ci, survenait. Cela correspondait à la naissance de l’enfant. Nous ne comprîmes pas ce dont il s’agissait ce jour-là.
« Mais aujourd’hui le Majeur Feu vient, sans contestation possible, de s’emparer de l’adolescent. Si nous n’agissons pas, le Majeur Feu pourrait bien reprendre ses droits sur Rès. Il faut éliminer l’enfant. N’oubliez…
– Une question de vocabulaire, sorcier présidant, demanda le Pourfendeur d’Azur, le sorcier littéraire. Pourquoi l’appelez-vous « enfant » ? Techniquement, c’est une âme rouge, d’après Ernax…
Le sorcier présidant la réunion était tellement plongé dans ses pensées qu’il corrigea sa phrase sans même penser à faire remarquer que les mots adaptés à la situation passaient en seconde priorité.
– Il faut éliminer l’âme rouge. Ce n’est plus qu’un pantin. Pour résumer et dramatiser le compte-rendu que vous écrirez sûrement bientôt, Pourfendeur d’Azur, l’avenir de Rès est entre vos mains. Bien. Ne prolongeons pas plus cette réunion. Que les Majeurs veillent sur vous.
Puis il ajouta avec une pointe d’humour :
« Excepté celui du Feu, bien entendu. »

***

À plusieurs endroits sur Rès, diverses communautés rassemblant des sorciers décidaient de prendre des mesures adéquates ressemblant à celles de la Confrérie. Il s’agissait d’une première : les trois principaux clans de mages s’accordaient sur un point.

Merci d'avance pour vos commentaires
::rolling::
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeVen 29 Juin 2007 - 18:21

Une remarque que je pourrais faire, c'est que tu ne rentres pas de suite dans l'histoire, on commence par une description.

Mais voila, c'est fait avec une écriture très fluide, et surtout, c'est écrit comme si la personne qui sait déjà cela... Comme si on vivait déjà dans ce monde ! Et, en cela, c'est réussi, car l'on accroche.

Ensuite, le monde est très original. Un monde quasiment aquatique à 100%, il fallait trouver ! J'attends la suite !! cheers
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeVen 29 Juin 2007 - 20:29

Hé hé c'est là qu'est l'astuce... le monde n'est pas aquatique. Je poste la suite, tu vas comprendre.
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeVen 29 Juin 2007 - 20:38

Je poste par petites parties, l'énigme de l'eau n'est pas encore résolue


Dans les rues de Sinum, un adolescent marchait, tête baissée. On lui aurait donné quinze ans. Il présentait un visage allongé, presque banal, mais avec un je-ne-sais-quoi sortant de l’ordinaire. On ne pouvait lire son état d’esprit sur sa figure, car il ne s’exprimait que rarement par le corps et peu souvent par la parole.
Il était à vrai dire fort préoccupé et ne prêtait aucune attention aux passants. Les planches de bois d’hirem grinçaient sous ses pas. Il progressait vers le centre de la ville-galère, en direction du donjon. Pour songer à autre chose, car des pensées désagréables voltigeaient dans sa tête, il fixa le ciel uniforme et s‘accorda une réflexion sur la météo actuelle. Le début de la belle saison approchait et cela le remplissait d’aise. Il s’était même dispensé de passer une veste, bien que le fond de l’air fût frais, car il ne doutait pas que des températures plus clémentes arrivassent bientôt. Les dangers de colères du meau diminuaient considérablement avec la chaleur, à moins qu’un phénomène magique ne se produise. Magique…
Brutalement, ses pensées de l’instant précédent revinrent. Il ne pouvait les éviter. Cet entretien… Et pourquoi n’a-t-il pas marché ? pensa-t-il. Pourquoi ? Je n’avais jamais entendu parler d’envoûteur qui ne sache pas trouver la fonction d’un matron ! Il avait organisé chaque passage de ce rendez-vous mentalement, durant ses nombreuses rêveries. Il avait même décidé qu’il s’agirait du plus beau jour de sa vie sans même en attendre la fin pour décider. Et l’axe principal en était retiré…
Dès qu’il passa la porte, l’odeur du donjon prit ses narines d’assaut. Il haïssait cette senteur qu’il devait chaque jour retrouver, mélange de bois d’hirem frais utilisé pour les nombreuses rénovations, du parfum peu appétissant des cuisines et de diverses sortes de produits censés cacher le reste. Sa grande sœur, Fressale, se rua sur lui, s’exclamant :
– Mad ! Si tu savais à quel point je suis désolée que la cérémonie se soit passée ainsi !
Jean soupira. Sa « sœur », ainsi qu’il l’appelait, persistait toujours à l’appeler par le nom qu’elle lui donnait auparavant (c’était bien la seule, car pour le monde entier Jean n’avait aucun nom) : Madrille. Combien de fois lui avait-il dit qu’il se nommait désormais Jean Sorfeu ? Ce nom lui avait pourtant donné assez de fil à retordre ! Mais il était désormais presque sûr d’être le seul à s’appeler Jean sur Rès. Un nom terriblement original. Quant à Sorfeu, c’était un mot avec une consonance magique, et rien ne pouvait plus plaire à Jean.
Pourtant il ne dit rien et laissa sa sœur l’appeler Madrille. La suite des paroles de Fressale lui revint alors à l’esprit. Elle ne pouvait bien entendu pas influencer l’issue de l’entretien, alors à quoi servaient ses regrets ? Elle lui avait même fait le plus beau cadeau de sa vie en prenant un rendez-vous avec l’envoûteur de Sinum afin de trouver la fonction de son matron, et ce malgré les interdictions, bien que Jean doutât qu’il y eût une loi pour lui, bouffon de la fille de la Duchesse, si méprisable que nul n’éprouvait le besoin de se soucier de sa personne. Pourtant Fressale le savait tellement attaché à la magie qu’elle avait bravé les codes sociaux pour cet entretien maudit. Jean se dirigea vers la cuisine en frôlant les murs de ses doigts et murmura :
– Pas la peine de s’apitoyer. J’ai déjà eu plus que ce que je ne méritais. Maintenant je dois en subir les conséquences.
Fressale ferait encore une fois de son mieux pour éviter une punition trop sévère à Jean, mais le courroux de la Duchesse serait terrible. La Duchesse ne tolérait aucun viol de ses règles strictes. Toutefois, Jean n’avoua pas à Fressale qu’il espérait désormais que des sorciers s’intéressent à son cas. En effet, ces mages pourraient venir voir de quoi il retournait en entendant parler d’un envoûteur incapable de trouver la fonction d’un matron, et alors peut-être le sortiraient-ils de la ville afin de faire de lui un sorcier. Ceci néanmoins restait et resterait sans doute l’un de ses nombreux rêves et espoirs fous. Mais cette illusion lui fournissait toujours une note d’espoir dans sa vie détestable.
– Mais comment… bredouilla Fressale. Pourquoi cet envoûteur n’a-t-il pas réussi ? Ce n’est pourtant pas chose difficile, d’après ce que j’ai entendu dire !
– Je ne sais pas. Qui sait, peut-être que mon matron est de feu !
Fressale poussa un grand cri et frappa Jean de la paume de la main. « On ne plaisante pas avec ces choses-là ! ». Son ton était réprobateur, presque accusateur. Sa mère, la Duchesse de Sinum, l’avait bien élevée dans les croyances idiotes. La seule erreur dans l’éducation sans faille de la Duchesse, c’était Jean. En effet, celui-ci ne se révélait pas le docile jouet censé tenir compagnie à Fressale. Il répliqua :
– Mais non, tu sais bien que je plaisante. De toutes manières, le Majeur Feu serait bien incapable de s’approprier le matron d’un humain. Quoi qu’il ait tenté contre les autres Majeurs, il le paie bien.
– Tu ne vas pas le plaindre, tout de même !
– Oh, ces histoires de dieux, il n’y a rien de plus ennuyeux.
Pour la centième fois au moins, Jean se demanda pourquoi il aimait tant sa sœur. Sans doute à cause de sa grande naïveté. Même après dix-sept ans au contact de la Duchesse, Fressale gardait tellement de cette innocence si navrante que l’on ne pouvait que l’aimer. Elle transparaissait même à travers l’éducation déplorable visant à faire d’elle une Duchesse.
Il lui vouait un amour sans faille également parce qu’elle était la seule personne à le traiter en humain et à lui parler comme à un être doué de conscience, alors qu’elle était censée l’utiliser comme un esclave. Elle reconnaissait ses talents en duel à l’épée, car Jean était ou du moins se considérait comme le meilleur de Sinum à ce jeu-là, et ils bataillaient souvent de longues heures de suite en de vains duels à l’issue incertaine. Elle seule aussi le croyait quand il déclarait devenir un grand sorcier plus tard, même si tout ceci n’était que rêve, encore et toujours.
Mais ce qu’il appréciait le plus chez Fressale la desservait dans tous ses projets d’avenir. Bien trop naïve, elle ne mesurait pas toujours la portée de ses actes, et les Majeurs savaient qu’une Duchesse doit toujours tout peser avant de prendre une décision. Fressale pourrait mener la ville à sa perte en seulement quelques années de règne chaotique.
Jean avala distraitement une tranche de pain de mila puis Fressale l’emmena dans sa chambre. Elle tenait absolument à lui montrer son dernier dessin. Fressale peignait adroitement et, comme il s’agissait d’un passe-temps acceptable pour une Duchesse, elle pouvait y consacrer du temps. Elle dévoilait toujours ses œuvres à Jean.
Le dessin représentait un sorcier entouré d’éclairs et de tornades de toutes sortes. Ce genre de tableau se faisait beaucoup en ce moment dans Sinum, bien qu’il ne représente absolument pas ce qu’un véritable sorcier accomplissait. La figure du mage correspondait point pour point à celle de Jean. Fressale, comme à son habitude, représentait ce qu’elle voulait que l’on voie au lieu de la réalité, mais par la faute d’un sentiment qu’il jugeait idiot Jean se sentit très touché.
– C’est superbe ! s’écria-t-il pour cacher son trouble. Allez, je le prends avec moi. Je suis sûr que tu deviendras une grande artiste avec le temps.
– Et toi un grand sorcier !
Ces paroles obtinrent l’effet inverse de ce qu’elles étaient censées provoquer. Le désespoir envahit lentement Jean, sournoisement, sans prévenir, le désespoir de la réalité qui le rattrapait. Lui qui abordait toujours les problèmes avec insouciance, lui qui passait une bonne part de sa vie dans des rêves absurdes, il se trouvait confronté à un sentiment d’impuissance tétanisant. Il avait essayé d’ouvrir les yeux le plus tard possible ; mais à l’instant, la lumière pénétrait à flots dans son esprit et l’aveuglait sans pitié. Seuls les Majeurs savaient ce qu’il deviendrait une fois Fressale au pouvoir, mais il avait autant de chances de devenir sorcier que de plonger sous le meau et en ressortir vivant.
Jean s’apitoyait souvent sur lui-même, en laissant les autres s’occuper de leurs problèmes qui ne le touchaient absolument pas, et sans se voiler la face il admettait qu’on ne pouvait guère faire mieux que lui en matière d’égoïsme. Mais sur l’instant, il désirait juste être seul, que l’humanité le laisse sur le bord de la route afin qu’il puisse oublier. Les hommes l’exaspéraient à chaque instant. Il ne voulait plus voir la décadence du monde, et alors peut-être sa propre décrépitude intérieure s’effacerait.
Les deux amis qui se considéraient comme frère et sœur redescendirent l’escalier de bois sans échanger un mot. De temps à autre, une petite fenêtre laissait passer la lumière extérieure et l’on pouvait apercevoir la cité gigantesque qui s’étendait sur son sol en bois d’hirem. Le donjon ne possédait pas de meurtrières comme certaines villes, car Sinum devait être l’une des villes-galère les plus calmes sur Rès, et par conséquent l’une des plus prospères. Cependant, du fait même de cette richesse, les brigands ne tarderaient plus à venir déranger la tranquille Sinum, et l’on se préparait déjà à une attaque.
Jean eut pitié de sa sœur en la voyant redescendre gaiement. Elle serait privée de tout amusement, elle qui aimait tant les jeux enfantins, et aurait pour seule occupation la vue de sa cité prospérant, ou, plus probablement, périclitant. On ne choisissait pas une telle vie, on la subissait, et pourtant Fressale donnait l’impression du contraire.


Dernière édition par le Sam 30 Juin 2007 - 15:00, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeVen 29 Juin 2007 - 22:00

Wooow, superbe ! Si ce n'est pas de l'eau, c'est quoi ? scratch de l'azote liquide ? ::rolling::

En tout cas, c'est toujours aussi bien. Juste un petit truc.

Citation :
Je n’avais jamais entendu parler d’envoûteur qui ne sache pas trouver la fonction d’un matron !

Quasiment la seule chose que j'ai relevée. Tu passes à la première personne. Sinon... bah, les petits trucs habituels je pense... Donc, je ne peux pas t'aider... Smile
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeVen 29 Juin 2007 - 22:48

Belle écriture mais il y a mieux....

Histoire assez original,mais si ça se passe pas dans l'eau ça se passe ou?egnime comme le début c'est bien ça(ben moi aussi enigme dès le début^^)

Continue, quand mêm a retravaillier un petit peu mais continue Wink

Petit asticot :ecrire:
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Niko
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeSam 30 Juin 2007 - 14:08

J'ai vraiment accroché avec ton histoire, Mad.
Je n'ai pas d'autres commentaires à faire que ceux qui ont déjà été fait.
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeSam 30 Juin 2007 - 14:59

pour le passage à la première personne, en fait, c'est les pensées du personnage, et sur le traitement de texte elles sont en italique, ce qui permet de bien les repérer. Je vais les mettre en italique dorénavant...

Merci pour tous vos commentaires !
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeSam 30 Juin 2007 - 15:08

La suite... avec la réponse à l'énigme ! (Je poste lentement parce qu'en fait je n'ai même pas encore terminé le deuxième chapitre, bien que je sois dessus depuis 3 mois lol! )


Citation :
On ne choisissait pas une telle vie, on la subissait, et pourtant Fressale donnait l’impression du contraire.

La Duchesse l’attendait au bas des marches. Nul doute qu’à présent Jean allait subir des représailles. On lui imputerait sûrement l’existence du rendez-vous interdit. Le fait même que la Duchesse s’intéressât à son cas ne présageait rien de bon : elle le considérait comme trop minable pour lui prêter attention.
La femme se retourna brusquement en les entendant arriver et son ventre proéminent ballotta avec de petits soubresauts. Elle ne montait presque jamais les escaliers, prétextant que cet effort l’épuisait trop. Sa bouche s’ouvrit démesurément pour ne laisser passer qu’une minuscule voix fluette et complètement dépourvue d’autorité : « C’en est trop ! »
Si la Duchesse en elle-même n’inspirait pas le respect, ses nombreux gardes se chargeaient de cette besogne à sa place et l’on remarquait vite que le moindre de ses ordres, même insignifiant, pouvait conduire à de nombreuses répercussions aussi grotesques que terrifiantes.
– Il n’y peut rien, mère ! intervint Fressale.
Bien sûr que si, j’y peux quelque chose ! songea Jean. Pas à cette cérémonie, d’accord, mais je fais tout pour vous desservir, ma très chère Duchesse, et Fressale le sait bien. Jean tenait souvent de longs monologues intérieurs, mais dès qu’il ouvrait la bouche, ses paroles se muaient en un cafouillis indigne de lui.
– Cet idiot ne mérite pas ton intention, Fressale, répliqua posément la Duchesse.
Fressale, en fille obéissante qu’elle était, partit sans mot dire. Un silence que nul ne voulait rompre s’installa. Toutefois, s’il était censé imposer du remords à Jean, il tomba à plat.
– Tu vas déguerpir de ma ville, reprit la Duchesse. Je ne sais pas pourquoi je te garde encore, après toutes ces années de désobéissance volontaire.
Jean rit intérieurement. Si la Duchesse elle-même ne savait pas pourquoi elle lui permettait de rester, cela posait problème. En effet, elle avait voulu adopter Jean très jeune, vers l’âge de deux ans, le même que Fressale, au lieu de le prendre à un âge responsable pour qu’il puisse s’occuper de sa fille, comme le voulait la coutume. Bien entendu, personne n’avait osé contredire la volonté de la Duchesse, si bien qu’aujourd’hui encore Jean ne connaissait pas la raison de sa présence à cet endroit.
– Et Fressale ? Je ne peux pas lui dire au revoir ? demanda Jean.
– Non ! rugit la Duchesse. Ne viens plus contaminer ma fille !
Votre soi-disant fille, corrigea Jean in petto, car vous l’avez adoptée tout comme moi. Vous ne pourrez jamais avoir de vraie fille, car il faut vous conformer à la tradition, et cela doit vous énerver, n’est-il pas ? Enfin, il est vrai qu’à la taille de votre ventre, on pourrait vous prendre pour une femme enceinte, ajouta-t-il méchamment.
Mais la réjouissance de Jean fut de courte durée. La Duchesse le chassait sans autorisation, si bien que désormais tout un chacun recevrait une prime pour l’abattre. Les contrevenants n’avaient jamais une espérance de vie très longue. Condamnés à s’embarquer clandestinement, ou bien à rejoindre des tribus éloignées de la civilisation, les criminels ne se voyaient plus accepter dans aucune ville, sans exception.
La Duchesse repartit à grands pas en faisant trembler le plancher, annonçant à Jean qu’il disposait de six heures à passer dans Sinum, après quoi il serait considéré comme un bandit. Jean fixa le plancher comme s’il entretenait un discours avec lui-même. En dépit de son optimisme inébranlable, il ne parvenait pas à voir un seul avenir où la mort ne ferait pas luire l’éclat de sa faux. Pourtant, à bien y réfléchir, cette punition semblait le seul choix logique qu’aurait pris la Duchesse. Il se demanda pourquoi il n’avait pas prévu ce qui arriverait. Sans doute par la faute de son optimisme omniprésent et incurable qui brouillait toutes ses vues pessimistes du futur. Il sortit du donjon.
Quoi qu’il arrive, il errerait jusqu’au dernier instant dans les rues de la ville. La vie tranquille et sans grandes questions existentielles des agriculteurs de Sinum lui faisait toujours prendre du recul par rapport à sa situation et il parvenait souvent à oublier ses soucis en déambulant. Il ne se résignerait pas, mais vivrait les prochains instants plus intensément que d’ordinaire, car son espérance de vie venait de diminuer considérablement.
Dès qu’il sortit du donjon, il entendit le raffut des travailleurs qui s’employaient sans doute à amarrer la ville. Il décida d’aller observer le spectacle. Très heureux de ne pas participer à la tâche, car l’on risquait de tomber au meau à tout instant, il avança d’un pas vif en direction de la périphérie. Les salles de trime, vides, dégageaient force relents de sueur. Elles ne se rempliraient plus avant le prochain départ de la ville.
Puis il parvint à destination. Le soleil se reflétait sur le meau qui, comme à son habitude, ne présentait aucune couleur particulière. Cet énorme océan de savoir, duquel l’homme avait soutiré le langage, constituait la barrière mortelle qui empêchait les habitants de quitter la ville sans navire. Il fallait le dire, les hommes n’étaient pas faits pour l’intelligence… Personne ne pouvait immerger sa tête sous le meau sans mourir. Peut-être certaines espèces vivaient-elles en dessous du meau, mais jamais elles ne prendraient la peine de venir voir la misérable espèce que l’on nommait homme et qui restait ignare malgré une vie passée sur une mer d’érudition.
On pouvait observer des centaines d’hommes qui attendaient avec des cordes, assemblés derrière les barrières à tempêtes. La tension montait. Jean s’assit pour observer.
Les champs défilaient toujours, énormes treillis de bois horizontaux, certains contenant du mila, d’autres du nel qui étendait ses immenses tentacules dans les profondeurs, ou encore diverses plantes marines utiles à la consommation. Tous ces champs attachés entre eux formaient l’immense réseau ancré qui permettait à Sinum de survivre indéfiniment.
Enfin le moment désiré arriva car l’agriculteur principal donna l’ordre de lancer les cordages. Les centaines de câbles partirent, s’enroulèrent autour des treillis, puis il y eut des frottements, des grincements, des sons aussi incongrus que désagréables, et dans une cacophonie de cordes s’étirant à leur maximum la ville perdit de la vitesse et s’immobilisa. Des filins retenaient la cité des deux côtés qu’elle partageait avec les champs.
L’ancre fut jetée. Il ne resterait plus, dans les semaines qui suivraient, qu’à récolter ce qu’il fallait récolter et à semer ce qu’il fallait semer, puis à repartir de nouveau pour continuer la récolte de la saison froide. Et une fois revenus à leur point de départ… eh bien, ils feraient la récolte de la saison chaude !
Sinum ne connaîtrait jamais d’autre vie. C’était ceci que Jean exécrait dans la société : les habitudes. Enfin, pensa-t-il, maintenant je vais sortir des habitudes. Majeur ! Qu’ai-je fait ! Et je n’ai même pas pu revoir Fressale !
Tout son ressentiment éclata alors et la douleur, aussi bien physique que mentale, le plia en deux. Pourtant, à sa grande consternation, il ne pleura pas ; non, il éclata de rire. Un rire sans aucune trace d’hystérie : un rire normal, comme s’il réagissait à la meilleure blague de Rès. Toute sa vie se montrait sous la forme d’une immense mascarade sans but, terriblement hilarante. Peu à peu des larmes vinrent et se mêlèrent au rire, qui monta dans l’aigu avant de s’estomper. Enfin il ne resta plus que le vide et les souvenirs.
Il revit Fressale lui affirmant qu’il existait un monde au-delà de Sinum, que cette ville n’était pas la seule chose sur ce qui avait pour nom Rès. Fressale lui avait donné la lumière qui chassait maintenant encore les ombres de son esprit. « La connaissance, c’est la clé de tout », avait-elle dit, « et elle dépend seulement de la volonté ». Il s’agissait du meilleur enseignement que Fressale lui avait apporté.
Pourtant, ils ne se reverraient plus. Un long moment se déroula sans qu’aucune pensée ne vienne éclore dans l’esprit de Jean. Puis il songea : Tout compte fait, elle était vraiment bête, aussi. Sans doute répétait-elle de vieilles phrases apprises par cœur lorsqu’elle m‘a dit ceci. Il fallait tout le temps lui expliquer plusieurs fois. Oui, comment ai-je pu la supporter ? De tels esprits bornés devraient travailler en silence plutôt que de disperser mes pensées, à moi qui suis plus perspicace que la moyenne. Finalement, j’ai bien fait de la quitter. Enfin, je ne l’ai pas décidé, bien entendu, mais…
La partie de son cerveau qui aimait encore Fressale se tut bien vite. Il pouvait maintenant la quitter sans verser une larme. À quoi bon pleurer pour une imbécile comme il en existait des milliers ? Il se leva donc, plein d’une nouvelle vigueur qui se renforçait à chaque instant. Il se sentait tout prêt à détester le monde dans son ensemble, les rares aperçus qu’il avait eus de l’âme humaine l’ayant découragé. Il cessa de penser à Fressale, considérant que les idiots ne méritaient pas son attention. Sinum revint dans son champ de vision.
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeSam 30 Juin 2007 - 21:10

Shocked

On peut dire que tu en as de l'imagination pour créer un monde comme celui là !!!

(par contre, à ma grande honte, j'ai une question... Je ne comprends pas trop ce qu'est Rès... peut-être que ça m'a échappé, mais ce n'est pas clair pour moi)
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Morrigan
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeDim 1 Juil 2007 - 17:43

Je n'avais pas spécialement accroché avec le premier extrait mais je dois avouer que la suite me plait beaucoup par contre.
C'est accrocheur et bien écrit.
Mais comme Ellias je n'ai pas tout à fait compris ce qu'était Rès...
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeDim 1 Juil 2007 - 18:20

Ah mais Rès c'est le monde où il sont (première phrase : "Une salle, sur un monde nommé Rès"). Il n'y a pas à en avoir honte, si tu ne comprends pas c'est de ma faute Wink

Et pour l'imagination c'est sûr je préfère faire un monde totalement original, je trouve ceci beaucoup plus intéressant. D'ailleurs c'est ceci qui me prend du temps : j'écris le premier chapitre, puis voilà qu'une nouvelle idée géniale (comme le meau) me tombe dessus et je dois tout recommencer....

Merci pour tous vos encouragements ! Vous m'avez même redonné l'envie d'écrire. Ces temps-ci je délaissais un peu mon traitement de texte, mais en voyant que cela plaît tellement je m'y suis remis.
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeDim 1 Juil 2007 - 18:55

Ah oui... ça m'était sorti de l'esprit, vu qu'on lit tout petit à petit... Ce n'est pas ta faute.

Et je compte bien que tu continues cette histoire !!!
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeDim 1 Juil 2007 - 20:17

Je fais patienter un petit peu pour la suite... Afin de mettre du suspense.
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeDim 1 Juil 2007 - 20:57

Roooh, c'est cruel ça ! study study
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeLun 2 Juil 2007 - 11:12

Et voici la suite !


Dans le dernier épisode de notre passionnant feuilleton... a écrit:
Il cessa de penser à Fressale, considérant que les idiots ne méritaient pas son attention. Sinum revint dans son champ de vision.

Les premiers bateaux commerçants pointaient leur poupe dans le chenal dégagé passant entre les champs. La ville se réapprovisionnerait bientôt en métaux de toutes sortes, en graphite, en bois d’hirem, bref en tout ce que les navires marchands trouvaient à récolter dans leurs pérégrinations sur le meau. On avait constaté ces temps derniers une augmentation des vaisseaux de commerce, et quelques personnes profitaient de cette occasion pour se moderniser : de plus en plus de plaques de métal apparaissaient sur certaines maisons bourgeoises. Visiblement, le métal était la plus belle chose que l’on puisse posséder, d’après les conversations des puissants de la ville tels que la Duchesse.
Soudain un clapotis se fit percevoir. De l’eau coulait sur le meau, filant tout droit vers les soutes grandes ouvertes de la ville qui recueillit cet apport d’eau potable avec quelques gargouillements discrets. Une bulle d’eau devait sans doute venir d’éclater à la surface du meau puis, prise dans la dépression que causait la ville sur la substance intelligente, elle avait coulé en suivant le dénivelé. Encore un moyen de retarder l’évidence : l’humain ne pouvait survivre sur Rès sinon par des moyens précaires et instables.
Jean repartit d’un pas vif. Il marchait en synchronisation avec la douce musique de Sinum : les marchands débordés, les agriculteurs fourbus, le four banal qui, la belle saison arrivant, lui parut suffocant, alors qu’en hiver il le trouvait chaudement accueillant, les échoppes proclamant : « Ici, nourriture digne d’un sorcier ! ». Étrangement il changeait d’humeur de seconde en seconde : tantôt il considérait Sinum comme le plus bel endroit sur Rès, tantôt il voyait l’humain comme un monstre idiot et sans intérêt. Le seul sentiment qu’il conservait invariablement, c’était la solitude. Désormais, il ne faisait plus partie de la société. Il se sentait alors tantôt heureux de ne plus appartenir à la race humaine, tantôt triste de devoir quitter le monde si rapidement.
Il venait de déboucher sur l’artère principale quand un homme s’arrêta devant lui avec un sourire au coin des lèvres. On ne le remarquait pas au milieu de la foule. Ce détail choqua Jean par la suite : que l’homme passe inaperçu à côté de paysans. Il semblait dans son milieu. Les sourcils de l’homme se haussèrent à des hauteurs vertigineuses et il dit :
– Foutretas ! Je savais bien que je finirais par te tomber dessus.
Jean dut prendre une expression quelque peu indignée car l’homme se reprit :
– Excuse-moi. Lorsque je me retrouve au milieu des paysans, je reprends d’anciennes habitudes. Viens avec moi.
– Donnez-moi une raison de vous suivre, déclara Jean qui avait décidé d’abandonner la rationalité pour aller droit à l’essentiel, lassé des questions sans intérêt et des longues conversations.
– As-tu quelque chose à perdre ? se contenta de répondre le personnage.
La résistance de Jean à emboîter le pas à l’homme céda sous la curiosité. Un agriculteur qui semblait le connaître, lui et sa situation ! Malgré son aversion nouvelle pour l’humain, qu’il ne fit que mettre en suspens, il acquiesça et le suivit. L’homme formait une brèche dans la foule, dans laquelle Jean se glissa. Il pouvait ainsi avancer sans jouer des coudes. D’ordinaire, Jean se retrouvait souvent compressé entre quelques masses de muscles, et ce nouvel avantage le fit sourire. Encore une raison de plus de suivre l’agriculteur.
Le personnage l’emmena dans l’auberge la plus réputée de Sinum. Jean commença à soupçonner que l’homme prenait l’allure qui lui convenait dans les rues, car aussitôt dans le bâtiment luxueux il se redressa, cessa de traîner ses pieds et abandonna totalement la démarche chaloupée qu’il avait adoptée.
Ils entrèrent dans une chambre… À cet endroit était assemblé un comité d’accueil. Un vieil homme respectable se leva. « Jean, tu es l’homme le plus compétent que nous ayons pu trouver. Nous devons faire vite, car de nombreux ennemis sont sur nos traces. Il faut que tu récupères le Catatron. Je pense que tu en as déjà entendu parler. C’est le métal le plus précieux de tout Rès, il transforme son porteur en génie, mais les Majeurs n’en ont délivré que quelques grammes lorsqu’ils ont créé la planète. Tu auras comme compagnon dans ton périple… »
Hélas, les quelques instants qui avaient suffi à Jean pour échafauder une aventure improbable s’écoulèrent et ils pénétrèrent réellement dans une pièce. L’attribut le plus remarquable de cette salle était ses murs peints aux couleurs du meau. Par on ne savait quel prodige, leur couleur variait selon l’endroit et le temps. L’homme s’assit sur une chaise et Jean en fit autant, mais sans attendre d‘invitation.
– Bien, murmura le personnage. Tu ne respectes pas toutes ces règles aussi futiles qu’idiotes.
Puis il éleva le ton et proféra : « Je suis un sorcier. »
Les pensées de Jean, préalablement bien agitées, prirent leur essor et tourbillonnèrent dans son esprit en lui donnant au passage le tournis. Il se serait volontiers isolé afin de prolonger le plus longtemps possible cet instant. Pourtant, quoiqu’il pensât, il n’en laissa rien paraître. Il lorgna avec indifférence le sorcier, comme s’il s’agissait de l’être le plus banal au monde. D’ailleurs, n’était-il pas humain ? En quelque sorte, cela le mettait dans le même panier que les autres car, dans le fond, tous les hommes se ressemblaient. Jean s’était attendu à mieux de la part d’un sorcier.
Le personnage se leva, tourna dans la pièce et renversa une chaise par maladresse. Tu vois, se dit Jean, il ne se situe même pas au-dessus des autres humains.
– Bon, pour la majesté, je repasserai, fit-il.
Il y eut un silence, au cours duquel Jean put détailler le sorcier. Il possédait une forte ossature et devait provenir d’un milieu agricole car une telle envergure d’épaules ne venait pas en se contentant de jeter des sorts. Un agriculteur ? Un sorcier agriculteur ? Comment cela pouvait-il être possible ? (D’autre part, songea Jean, je ne suis guère mieux placé qu’un paysan. Espérons que les sorciers peuvent prendre des gens de basse extraction comme apprentis.) Une toge noire recouvrait la plus grande partie de son corps, nouée au bassin par une ceinture soutenant un fourreau d’où dépassait un pommeau en bois d’hirem ouvragé. Ses cheveux formaient une touffe compacte et ses larges mains semblaient pouvoir broyer du métal.
– C’est bon ? Tu t’es fait une opinion sur moi ? demanda le sorcier.
– Oh… Excusez-moi si j’ai été un peu trop…
– Rien de bien grave. Je me nomme Esdel Hopart. Montre-moi ta main.
Jean obéit sans discuter. Esdel l’empoigna sans ménagements et tordit violemment le poignet de l’adolescent. Jean se retint de hurler et s’exclama :
– Vous êtes fou !
– Inutile de m’insulter. Il te faut savoir que les sorciers vivent dans la douleur, par conséquent tu dois pouvoir la réprimer. Maintenant donne-moi ton autre main.
Jean la lui tendit malgré tout, pensant qu’il ne recommencerait pas son petit jeu.
– J’aurais dû te tordre le poignet encore une fois, afin que tu apprennes à ne jamais montrer deux fois la même faiblesse, mais au diable les convenances. Que penses-tu de ce que je ferai avec cette main ?
– Trouver la fonction de mon matron ?
– Pas du tout. Je voulais voir jusqu’où allait ta crédulité. Il n’y a nullement besoin de toucher les autres dans la sorcellerie.
– Mais je ne pouvais pas le savoir ! protesta Jean
– Tu aurais pu le deviner.
– Puis-je donc savoir la fonction de mon matron ?
– Pas encore. Cela ne détermine que l’élément dans lequel tu es le plus à l’aise. Tu n’en auras pas besoin avant de créer un sort, autant dire pas maintenant.
Esdel jubilait. C’est bien lui, songeait-il. Quelle chance j’ai eu, de le trouver avant tous, avant même ces idiots de Préleveurs ! Il ne faut surtout pas le tuer. Ce serait gâcher un des plus beaux destins de tout Rès. Ah, ces crétins de Confréristes pensaient que je ne pourrais jamais avoir d’apprenti ! Trop timide, trop silencieux ! Je ne devais pas assez participer à leurs orgies… Eh bien, j’aurai le meilleur élève de tous les temps. Avec lui, un Majeur est à mes côtés. Tout est une question d’équilibre. Il faut absolument que je parvienne à le contrôler, ou sinon…Mais ne pensons pas au pire maintenant.
– Veux-tu être mon apprenti, Jean ?
Jean ne répondit rien. Il voyait déjà des milliers d’avenirs héroïques se matérialiser devant lui. Mais il remarqua Esdel le regardant fixement et revint s’ancrer dans la réalité. Un jour, je finirai bien par partir dans mes rêves sans jamais en revenir. Il ne remarqua pas que le sorcier connaissait jusqu’à son nom et marmonna d’un air absent :
– Euh… Oui ?
– Parfait. Tu n’en connais même pas les risques, mais parfait. Il en sera ainsi.
– Et… Il n’y a rien d’autre ? Pas de serment, de… Vous voyez ce que je veux dire ?
Esdel éclata de rire. « Non, rien de tout cela ! Il te faut simplement savoir qu’à présent, comme tu es mon apprenti, chaque sorcier sera ton ennemi. »
Je lui mens, songeait Esdel. Mais il ne doit surtout pas savoir que, comme je suis un Confrériste, il devrait faire partie de la Confrérie. Ils n’auront pas mon apprenti ! Jean combattra tout aussi bien la Confrérie que les Préleveurs ou les Trimeurs.
– Alors nous les provoquerons en duel ? demanda Jean
– Ne sois pas si pressé ! Pour le moment, quittons Sinum.
Et ils repartirent dans les rues, munis d’un sac de vivres. Je m’embarque dans une vie passionnante ! pensa Jean. Malheureusement, il ne savait pas que, dans la plupart des cas, passionnant avait pour synonyme douloureux. Il se voyait sorcier, il se voyait prendre une revanche sur la Duchesse de Sinum. Il était tellement heureux qu’il ne se demanda même pas pourquoi Esdel le choisissait, lui, un pauvre bouffon, comme apprenti. Il trouvait que cela allait dans l’ordre des choses.
– Je t’emmène en bulle, fit Esdel. Tu n’apprendras à te servir des bulles que vers la fin de ton enseignement. Il s’agit d’un des sorts les plus puissants et les plus difficiles à réaliser, étant donné que c’est le seul ayant pour élément le meau. Chaque apprenti est toujours pressé d’obtenir le secret des bulles, mais nous avons toujours procédé ainsi de mémoire de Confrérie.
– Qu’est-ce que la Confrérie ? demanda naïvement Jean.
– Ah… C’est vrai qu’il faut partir de zéro. Je crois que j’ai tout autant à apprendre à enseigner que toi à étudier. Il y a trois principaux clans de sorcellerie sur Rès : la Confrérie, les Préleveurs et les Trimeurs. Je fais partie de la Confrérie. C’est la première association à avoir vu le jour. Les autres sont bien plus faibles. Nous nous opposons souvent, chaque clan croyant qu’une certaine partie de la pratique de la sorcellerie devrait être effectuée autrement. C’est un peu complexe et je t’expliquerai plus tard ce sur quoi nous différons. Mais il doit exister en tout bien plus de courants que ces trois-là, car, tu l’apprendras, la magie est bien complexe.
Ils parvinrent au port de Sinum. Jean emmagasinait tous les renseignements qui passaient à portée de son oreille pour mieux les retourner dans sa tête le soir venu. Pour la première fois il remarqua la plateforme construite spécialement pour les sorciers. Esdel et son nouvel apprenti sinuèrent entre les marchandises qui jonchaient le sol pour l’atteindre. Le sorcier s’assit sur le ponton et découvrit sa manche. Alors seulement Jean remarqua le nombre incroyable de cicatrices présentes sur son bras. On ne voyait presque plus la peau sous les marques. Majeur ! songea Jean. C’est donc si douloureux que cela, la vie de sorcier ! Puis Esdel sortit un poignard des replis de sa toge et l’appliqua sur son avant-bras.
– Qu’est-ce… commença Jean.
– Pas un mot. Tu auras des explications, fit brièvement Esdel.
Il enfonça la lame dans la peau. Le sang perla. Le sorcier ne disait mot. En regardant aux alentours, Jean se rendit compte que chacun s’efforçait de ne pas remarquer les deux silhouettes. Puis les yeux d’Esdel se fermèrent et il poussa un râle bref. Sa respiration se fit régulière. Cela dura quelques minutes tout au plus, après quoi il rouvrit les paupières et se mit debout, toujours sans un son. Il fronça les sourcils, étira ses lèvres et murmura : « Ça y est. ». Quelques secondes passèrent encore et soudain le meau s’agita, se souleva, puis juste sous la surface l’on put voir apparaître une immense masse transparente. Jean s’y attendait : en effet, que pouvait être une « bulle » sinon ceci ? Néanmoins, il eut le souffle coupé. Même prévisible, ce spectacle était de toute beauté.
La bulle affleurait la surface et ne bougeait plus, comme en attente. Elle devait mesurer dans les dix mètres de circonférence. Personne ou presque ne savait d’où provenaient les bulles, si ce n’était du fond des meaucéans, et l’on constatait de nombreux sites à bulles naturelles sans cesse perturbés par les remous. Pourtant, les sorciers pouvaient faire surgir une bulle à chaque endroit sur Rès où se trouvait du meau.
La masse d’air creva la surface du meau. Un trou apparut sur son sommet. Esdel s’avança et, sans la moindre inquiétude, sauta par l’ouverture. Il fut absorbé par la bulle. Jean, ne sachant quelle attitude adopter (ou bien par manque d’imagination ?) fit de même. Il y eut une petite chute, puis ses pieds touchèrent une surface douceâtre et molle et il se retrouva affalé dans un endroit aux nombreux reflets. Il avait plongé sous la surface du meau !
Esdel le releva sans ménagements. Ils étaient dans une sorte de chambre ronde sans aucun son, aux parois étrangement mobiles et ondulantes. À travers ces murs filtrait une clarté diffuse qui projetait de nombreux éclats lumineux. Le tout donnait une impression de calme et de sérénité sans égales. Jean sentit toutes ses appréhensions s’envoler.
– Ne te fie pas à tes impressions, déclara Esdel. Si je ne maintiens plus la cohérence de cette bulle qui ne devrait pas être présente, elle aurait tôt fait de disparaître. La première chose qu’il te faut savoir, c’est que la magie est le contraire exact de la nature : elle fait surgir des choses là où elles n’ont rien à faire, à part servir les intérêts du sorcier. Si tu veux faire apparaître des objets là où ils peuvent se trouver, c’est une perte de temps et d’énergie que d’utiliser la magie. C’est pour cela que la sorcellerie n’est pas naturelle : elle nous permet, à nous autres humains, de contrebalancer les forces du monde. En conséquence de quoi nous devons chaque jour lutter pour maintenir la magie vivante. Si les sorciers venaient à disparaître, la sorcellerie les suivrait dans la tombe.
Dans la bulle, la luminosité diminuait peu à peu ainsi que les reflets. Jean supposait qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs, mais les parois étaient trop opaques pour permettre de le vérifier.
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeLun 2 Juil 2007 - 14:07

Euh...

Encore ?
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeLun 2 Juil 2007 - 14:23

Attends, attends, pas trop vite, on arrive bientôt au deuxième chapitre que je n'ai pas terminé... lol!
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeLun 2 Juil 2007 - 14:27

Ok ok, je me refrene et je recommence à écrire de mon cote
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeLun 2 Juil 2007 - 18:08

Hey!! tu sais que c'est pas mal du tout?! que dis-je "pas mal"..c'est tout simplement super et vivement que tu nous postes la suite

Mad a écrit:
Les pensées de Jean, préalablement bien agitées, prirent leur essor et tourbillonnèrent dans son esprit en lui donnant au passage le tournis. Il se serait volontiers isolé afin de prolonger le plus longtemps possible cet instant. Pourtant, quoiqu’il pensât, il n’en laissa rien paraître. Il lorgna avec indifférence le sorcier, comme s’il s’agissait de l’être le plus banal au monde. D’ailleurs, n’était-il pas humain ? En quelque sorte, cela le mettait dans le même panier que les autres car, dans le fond, tous les hommes se ressemblaient. Jean s’était attendu à mieux de la part d’un sorcier.
Le personnage se leva, tourna dans la pièce et renversa une chaise par maladresse. Tu vois, se dit Jean, il ne se situe même pas au-dessus des autres humains.
– Bon, pour la majesté, je repasserai, fit-il.
l'écriture de ce passage me fait un peu penser au style de l'auteur de H2G2 (oups..j'ai oublié son nom..).tu l'as lu,peut-être?
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeLun 2 Juil 2007 - 20:36

Ah non je n'ai absolument pas lu l'auteur de H2G2, donc si ça ressemble c'est une coïncidence. La suite demain... avec la fin du chapitre je pense ! Un grand merci aux courageux qui lisent mon texte Very Happy
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeLun 2 Juil 2007 - 20:59

On a pas beaucoup de mérite tu sais... J'arrive pas à lacher...
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeMar 3 Juil 2007 - 9:54

La suite !

Dernièrement dans Stargate, les Disparus... heu... hem hem... Les Majeurs... a écrit:
Dans la bulle, la luminosité diminuait peu à peu ainsi que les reflets. Jean supposait qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs, mais les parois étaient trop opaques pour permettre de le vérifier.

– La première règle à savoir, c’est qu’on ne peut jamais toucher au corps humain, continuait Esdel.
– Tous ceux qui ont essayé sont morts, c’est cela ?
– Tu te fais des idées bien romanesques. Non, que nenni. On ne peut tout simplement pas modifier le corps humain. Il est trop complexe. Il y a une seule exception : pour analyser le matron, on peut parvenir à déchiffrer quelques informations évidentes provenant du corps.
Ici, l’on avait l’impression que se presser ou prendre son temps n’avait aucun sens. Jean sentit comme une masse peser sur sa tête. Il avait une perception aiguë du temps et de la distance qui passaient : d’après lui, ils s’étaient assez éloignés de Sinum pour ne plus voir la ville. Esdel décida de remonter à la surface.
– Que voulez-vous donc faire là-haut ? demanda Jean.
– Tu verras en temps voulu.
– Et puis, une autre question me tabaude…
– Taraude, petit, le corrigea Esdel. N’écorche pas la Langue Verte. Le Pourfendeur d’Azur serait choqué de t’entendre.
– Qui est-ce ?
– Un autre sorcier de la Confrérie.
– Je croyais que tous les sorciers étaient ennemis ?
Un instant, Esdel parut confus. Puis il se ressaisit.
– Il peut y avoir certaines alliances… Alors, qu’était ta question ?
– Avez-vous déjà rencontré des êtres vivants sous le meau ? fit Jean sans insister sur ces alliances mystérieuses.
– Ah, la grande quête de la vie… Si de tels êtres existent, ils seraient bien assez malins pour se dissimuler à nos regards.
La lumière pénétrait de nouveau à flots dans la bulle. Esdel s’était roidi et ne parlait plus. Sa silhouette sombre se profilait sur le fond illuminé et quelques éclats passaient sur lui tels de nombreuses lames luisantes. Un silence s’établit, un silence que l’on ne trouve que dans de vastes étendues désertes où chaque son est étouffé comme si on craignait leur présence.
Puis, comme après une longue apnée, ce fut une explosion, le bruit, l’air que l’on inspire goulûment. La bulle surgit à la surface de l’eau, ses parois se volatilisèrent, et ils furent projetés avec force sur une surface dure. Le temps de se relever, Jean avait déjà détaillé l’endroit. Ils étaient à la frontière d’une vaste forêt composée d’arbres plats formés d’un gros tronc horizontal atteignant difficilement deux mètres de hauteur. Leurs racines formaient un réseau si entremêlé que l’on ne distinguait plus le meau au-dessous. La forêt s’arrêtait brutalement à l’endroit où ils avaient atterri.
– Il s’agit de bois d’hirem, fit Esdel. C’est ce bois que l’on exploite pour les villes-galère, mais seules les racines sont utilisées : elles sont si étendues qu’elles s’ancrent au fond du meau ! Nous serons tranquilles ici. Au fait, nous sommes situés sur la forêt de Hasca, qui est l’une des plus grandes forêts de bois d’hirem.
Jean s’avança sur le rebord de l‘enchevêtrement de racines. Tout n’était que meau, à perte de vue. On ne voyait même pas trace des champs de Sinum. Le soleil bas dans le ciel dessinait une traînée orange sur le meaucéan qui se transformait en brasier ardent. Pourquoi n’arrivons-nous pas à imposer notre volonté au meaucéan ? se demanda Jean. Le soleil le peut bien, lui : il change le meau en feu. Peut-être en serai-je capable lorsque je deviendrai un sorcier. L’air était tiède, sans plus, et le resterait encore tout la nuit. Esdel vint à ses côtés. « Nous n’avons pas le temps de rêvasser, Jean. ». Jean se retourna et esquissa un sourire.
– Je vais te débiter d’une traite tout ce que tu auras besoin de savoir, déclara Esdel. Les questions sont pour plus tard. » Il s’assit à même le « sol ». En faisant de même, Jean s’aperçut que les arbres tanguaient légèrement, mais n’émettaient aucun grincement, contrairement aux villes-galère qui en regorgeaient. « Premièrement, il ne faut pas se méprendre sur le mot magie, reprit Esdel. La magie n’est pas exécutée au hasard. Il n’y a rien de surprenant ou d’incongru. Tout est parfaitement logique.
« Vois-tu, le matron produit une drogue en permanence. Lorsque tu la libère, elle… comment dire… Elle affranchit l’esprit du corps. Tu vois ce qu’aucun œil ne pourrait apercevoir : le tissu du monde. Enfin, je dis voir, mais c’est complètement différent.
« Dans ce tissu du monde, tu peux apercevoir des défaillances. Ce sont de petites déchirures à peine visibles. Ce que je te dis doit te paraître bien abstrait, mais tu verras de quoi il retourne lorsque tu y pénétreras toi-même. Ces défaillances sont présentes à tout endroit et tu devras te souvenir de l’emplacement de l’une d’elles. Après quoi il te faut retourner dans ton corps. C’est le plus difficile. Il est très tentant de rester dans la douceur du tissu du monde. Mais dans cet endroit tu perds la faculté de t’exprimer, donc en un sens tu n’existes plus que pour toi-même. En passant, c’est l’endroit rêvé pour les égoïstes. J’espère pour toi que tu n’en es pas un.
À ce stade, Jean pensa qu’il s’agissait d’un endroit magnifique : il serait définitivement débarrassé des autres humains ! Mais sa nouvelle vocation de sorcier l’enthousiasmait à un tel point qu’il ne songea pas un seul instant à rester dans le tissu du monde.
– Pour revenir, il faut posséder ce qui fait vivre chacun, mais à un sens encore plus développé : la volonté. Je ne m’attarderai pas là-dessus. Des questions ? Non ? Tant mieux. Les poseurs de questions sont des empêcheurs de tourner en rond, si tu veux mon avis. Ah, encore une précision : nous appelons drogue le produit du matron car, en un certain sens, après sa consommation tu es dépendant à un produit : la bonne nourriture. Tu t’en rendras rapidement compte, la magie te force à ne manger que le meilleur. Ce n’est pas un vice trop grave, dirais-tu. Mais cela t’oblige à passer beaucoup de temps sur le choix de tes mets. Beaucoup de sorciers ont un cuisinier spécialisé.
– Pourtant, vous ne semblez pas très porté sur la nourriture.
– C’est parce que… Je suis un peu différent des autres, voilà tout.
Esdel arrêta son monologue et se releva. Le meau prenait sa revanche sur le soleil : on voyait l’astre se noyer lentement sous la matière intelligente. Jean était fasciné par ce spectacle. Il ne resta bientôt plus qu’un demi-cercle, puis un point rouge. Enfin dans un dernier rayon verdâtre l’astre disparut sous le meau. Là-bas, sur ces meaucéans inconnus dont Fressale lui avait appris l’existence, un nouveau jour se levait. Comment le soleil pouvait-il à la fois mourir et naître ? Mystère total. C’était une affirmation de Fressale. Mais qu’en savait-elle ? Jean était sûr de ne plus pouvoir lui faire confiance.
Le soleil entraînait Jean avec lui dans sa mort quotidienne. Il ne sentait plus aucune force dans ses membres. Mais il décida de rester éveillé encore un peu pour retourner tous les ouragans de sensations de la journée au plus profond de lui-même et les revivre indéfiniment. Il s’assit.
– Je t’ai déjà dit que nous n’avions pas le temps de prendre du temps, fit sèchement Esdel. La nuit est faite pour dormir. L’endroit n’est guère confortable, je sais, mais j’ai quelques couvertures dans mon sac. Tu ne veux pas te sentir fatigué dès demain, tout de même ?
– J’aimerais quand même vous poser une question, quitte à passer pour un empêcheur de tourner en rond, comme vous dites, insista une dernière fois Jean avant de partir se coucher. Que faisiez-vous avant de devenir sorcier ?
– Je t’ai demandé la couleur de ton vêtement préféré ? répondit sèchement Esdel avec une voix aiguë. Dors !
Puis il marmonna dans sa barbe : « J’aurais dû l’éduquer à l’ancienne. Les élèves respectaient les professeurs, dans ce temps-là ! ».
Jean sourit. À en croire les humains, l’« avant » était toujours mieux que le « maintenant ». Il se demanda si le summum se situait au temps des premiers pas de l’homme sur Rès.
C’est un véritable monstre ! pensait Esdel de son côté. Il trouve immédiatement le point faible des hommes et ne se gêne pas pour mettre le doigt dessus. Malgré ses efforts pour détourner son esprit de son enfance, les images revinrent, occultant ses vaines tentatives afin de songer à autre chose. Les champs dont il s’occupait chaque jour, son frère le battant, lui faisant exécuter le travail de deux personnes, le sorcier qui, repérant ses nombreuses blessures, l’avait choisi comme apprenti, devinant qu’Esdel savait endurer la douleur mieux que quiconque.
Esdel rumina ses sombres pensées sans mot dire. Jean le laissa régler ses problèmes de conscience et s’éloigna lui aussi. Il ne rentra pas profondément dans la forêt, mais partit assez loin toutefois pour ne plus voir le meau rougeoyant qui obsédait ses pensées. Les arbres, assez bas, le faisaient plier la tête, mais en la relevant il constata que le niveau des branches les plus basses se situait encore au-dessus de lui.
Lorsqu’il quitta le royaume des songes le matin, Jean sentit un étrange poids sur son estomac. Il déplaça sa main sans ouvrir les yeux et rencontra une plaque. En tâtonnant, il découvrit un rectangle fait dans une matière qui devait être du bois, mais étrangement souple et peu résistante. Il devinait de petites rainures à sa surface. Puis il se décida à lever les paupières. Il s’agissait bien d’un morceau de bois. Les rayures, après examen, constituaient un texte écrit. Il se passa un long moment avant que Jean ne discerne à l’intérieur quelques mots ressemblant à du langage Utinam, une langue ancienne dont il avait entrevu les rudiments dans les notes de Fressale.
Oh, je crois que je vais devoir me lever, se dit Jean lentement car le matin était pour lui un véritable écueil à pensées. Il faut que je montre cette plaque de bois à Esdel. La journée démarre bien rapidement…
Le sorcier ronflait puissamment sur une sorte de petit nid fait de branchages. Jean jongla avec l’idée de le réveiller, puis le laissa tranquille, pensant qu’il avait peut-être eu une nuit agitée. Ainsi le soleil prenait déjà un malin plaisir à brûler la peau lorsqu’Esdel rejoignit le monde réel.
– D’habitude, ou au moins dans certains livres, c’est le maître qui se réveille avant l’élève, dit Jean.
– Quel serait l’intérêt de ton apprentissage s’il se déroulait comme dans les livres ? répondit Esdel, l’esprit vif et la réplique prompte dès son éveil, ce qui n’était absolument pas le cas de Jean.
– Puisque vous semblez si frais et dispos, j’ai trouvé ceci à côté de moi ce matin.
Et de donner la planche de bois à Esdel. Celui-ci la fixa intensément comme s’il pouvait en faire sortir les mots et les observer sous tous les angles.
– Cela semble être du langage Utinam, murmura Esdel, mais en même temps c’en est très éloigné, comme si cette langue provenait du langage Utinam mais avait évolué.
– Pouvez-vous le déchiffrer ?
– En partie. Voici ce que j’ai trouvé : …vous, ……Musique vous …. Le dernier mot se rapproche de terminer ou de prendre. Je ne peux rien dire du reste.
– Vous, musique vous prendre ? Hum, il me semble qu’une bande de plaisantins nous a joué une farce.
– Ne fait pas toi-même le plaisantin. Je n’avais jamais soupçonné qu’il puisse y avoir une vie dans les forêts. Je ne m’y arrête que pour dormir, et je suppose que les autres sorciers font de même. Personne, à vrai dire, ne les explore maintenant. Je croyais que cela avait été fait il y a longtemps. C’est étrange comme aucun humain n’a jamais eu l’idée de les parcourir…
– Peut-être des ermites se sont-ils installés ici il y a longtemps ?
– Hmm…
Puis Esdel secoua la tête et l’apprentissage reprit. En haussant les épaules, Jean sortit les inscriptions sans queue ni tête de son esprit.
– Je vais t’aider à libérer la drogue de ton matron, fit le sorcier en passant du coq à l’âne, presque un peu trop rapidement. Hier, lorsque j’ai formé une bulle, tu m’as vu le faire.
– C’est donc ça ! Si je comprends bien, il faut se faire saigner ?
– Que nenni. Il suffit juste de se faire souffrir. En passant, c’est là que les Préleveurs s’opposent à nous : pour eux, il faut se couper un membre. Tu penses bien qu’ils ne lancent donc jamais beaucoup de sorts dans leur vie.
Jean sentit l’appréhension lui nouer l’estomac. Ainsi, pour devenir sorcier, il fallait s’infliger à soi-même de la douleur. Cette vie ne lui apparaissait plus aussi plaisante, désormais. On parlait toujours des sorciers comme des paresseux qui détenaient beaucoup trop de pouvoir, mais absolument jamais comme des personnes qui souffraient chaque jour de leur existence.
– En fait, tu ne ressens pas vraiment la douleur. La drogue se libère dès l’instant où la souffrance s’infiltre dans ton esprit. Non, le pire vient après, lorsque tu réintègres ton corps et que tes blessures cicatrisent. Allonge-toi.
Jean obéit. Une fois à l’horizontale, il dut fermer les paupières en raison de la trop forte luminosité.
– Je vais t’aider à relâcher la drogue de ton matron. Tu n’auras donc pas à te mutiler toi-même, ce qui est tout de même bien mieux pour une première fois, tu l’avoueras. Par contre, une fois dans le tissu du monde, il faudra te débrouiller. Mais revenons à cette drogue. Elle est si puissante qu’après un certain nombre de passages dans le tissu du monde, tu commenceras à aimer la douleur. C’est là que cela se complique. Car, plus tu t’infliges volontairement des blessures, moins ton matron produit de drogue.
« Tout ceci doit t’ennuyer, je le reconnais. Passons à la suite. Il faut d’abord que tu trouves ton matron. Il te faut tout laisser de côté, y compris et surtout tes pensées. L’intelligence n’a rien à voir avec cette étape. Certaines personnes produisent plus de drogue que d’autres, mais je ne pense pas que tu aies de problèmes de ce côté-là.
« Le matron, c’est l’organe le plus mystérieux du corps. Il n’existe que lorsque tu en as besoin. On ne sait même pas jusqu’à présent s’il est bien matériel. Allez, maintenant, pars à sa recherche, si je puis dire.
– Comment puis-je le trouver si je ne connais même pas son type ? demanda Jean, provocateur.
– Tu-n’en-as-pas-besoin ! articula Esdel au comble de l’exaspération. Plus tard !
Il est vraiment malin, songeait Esdel. Il sent que je lui cache quelque chose. Combien de temps pourrai-je lui dissimuler ceci ? Je serai bien obligé de le lui dire lorsqu’il créera ses sorts. Comment va-t-il réagir ?


Finalement ce n'est pas encore la fin. Un peu de patience... devil2
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeMar 3 Juil 2007 - 10:10

J'attends ^^

Je commence à trouver Jean assez attachant, il est sympa à toujours poser des questions chi****
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeMar 3 Juil 2007 - 10:21

merci bien Smile
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MessageSujet: Re: Les Majeurs   Les Majeurs Icon_minitimeMar 3 Juil 2007 - 10:36

En fait je n'avais pas vu, il ne restait que quelques lignes, donc voilà la fin :

Il est vraiment malin, songeait Esdel. Il sent que je lui cache quelque chose. Combien de temps pourrai-je lui dissimuler ceci ? Je serai bien obligé de le lui dire lorsqu’il créera ses sorts. Comment va-t-il réagir ?
Jean n’insista pas et se détendit. Enfin, essaya de se détendre. Que devait-il faire, après tout ? Ne plus penser à rien ? Laisser ses muscles au repos ? De plus, l’air chauffé à blanc n’était guère propice au repos. Il ne réussissait pas à tout « laisser de côté ». Pire, plus le temps passait, plus il s’énervait et réduisait ses chances d’arriver à se reposer. Finalement il fit comme s’il se préparait à dormir.
Au fil du temps, Jean ressentit un petit frémissement au fond de lui. Il était sur le point de s’endormir en dépit même de la chaleur et fit de son mieux pour rester éveillé tout en se maintenant assez somnolent pour continuer à percevoir la légère sensation. D’ailleurs, il connaissait déjà ce frémissement. Il le ressentait chaque soir avant de s’assoupir, et n’avait jamais soupçonné qu’il s’agissait de son matron.
– Je crois que je l’ai trouvé, murmura-t-il le plus doucement possible afin de ne pas perdre le frémissement qui restait à la limite de la perception.
– Bien. Très bien. Ça n’a pas été bien long. Maintenant…
Jean entendit Esdel se lever. Un léger frou-frou se fit percevoir. Le jeune homme ne put empêcher son cœur d’accélérer et la sensation s’éloigna malgré lui. Il inspira le plus doucement possible. Le frémissement revint. C’était comme tenter de retenir du meau dans ses mains. La sensation s’éloignait, revenait, jouait avec les nerfs de Jean. Puis une vive douleur explosa dans son bras et il s’évanouit, ou du moins il crut s’évanouir.
Il reprit conscience accompagné d’une nette impression d’étrangeté. Il chercha ce qui n’allait pas, puis se rendit compte qu’il ne percevait aucune sensation. Mais autre chose encore plus étrange se produisait ici.
Puis il vit... Non, percevoir serait plus juste. Il percevait donc il ne savait comment l’espace autour de lui, la mer, l’air, le ciel, mais d’un angle plus qu’étrange. Chaque point de l’espace produisait une sorte de vibration changeant à chaque instant, toutes différentes les unes des autres. Elles ne se chevauchaient pas mais formaient un immense tableau clair composé de milliers d’ondes elles-mêmes formées d’autres ondes, ceci jusqu’à l’infini et au-delà. Chaque vibration traduisait sa fonction. Jean avait sous ses « yeux » un aperçu du monde dans son ensemble, jusqu’à sa moindre poussière.
Puis son « regard » tomba sous lui, enfin sur ce qui passait pour être le dessous puisque les directions n’avaient plus de sens à cet endroit. On pouvait apercevoir deux corps où, contrairement au reste du paysage, toutes les vibrations s’entremêlaient pour former un fouillis inextricable. Rien ne semblait plus complexe que le corps des hommes. Les ondulations modifiaient même le monde immédiatement alentour. L’être humain ressemblait à une erreur de la nature vu par le tissu du monde.
Petit à petit, Jean aperçut de petites altérations dans le tissu. Elles étaient présentes un peu partout. Étrangement, il sentait qu’elles faisaient même partie du monde. Pourquoi les appelait-on défaillances, dans ce cas ? Mais d’où proviennent-elles ? songea-t-il. Ont-elles toujours été là ? Il faudra que je demande à Esdel.
Jean ne se lassait pas d’un spectacle pareil. Il croyait même apercevoir Sinum à la limite de la vision. Qu’est-ce qui aurait pu, à part la ville-galère, former un réseau d’ondes si complexe ?
Il pourrait rester ici à tout jamais, ayant comme seule compagnie la plus agréable : lui-même. Cet endroit devait sûrement être un paradis pour les rêves. Aucune chance de réalisation de ces songes, bien entendu, mais combien avaient été confirmés jusqu’à présent ?
Puis il aperçut les pulsations formant Esdel qui se déplaçaient. Il songea alors qu’il devait rentrer. Mais comment puis-je faire ? se dit-il. C’est bien beau tout ça, mais je n’aimerais pas rester coincé ici ! Enfin, si, à vrai dire. Quand même, ce n’est pas une raison !
Il lutta contre la torpeur et la paresse qui endormaient son esprit et le forçaient à rester à cet endroit. Rien ne se produisait. Ah, l’apathie ! pensa-t-il. C’est la pire sensation que l’on puisse éprouver. Quand on est pris dedans, aucun moyen de s’en sortir.
Mais peu à peu la panique s’empara de ses sens. Qu’avait raconté Esdel, déjà, sur ceux qui restaient ici ? Je crois que ce n’était pas plaisant ! Cette fois-ci, il avait vraiment peur. Aussitôt les ondes disparurent et il retrouva les sensations, si matérielles mais si indispensables. C’est comme au sortir d’un rêve, pensa-t-il, mais en cent fois plus abrutissant encore.
Puis une première sensation parvint à travers des brumes de son cerveau : la douleur. Une douleur non pas vive, mais lancinante, longue et sans fin, de celles qui font voir le monde sous un voile sombre. Enfin le silence, le vide, l’inconscience.


Dernière édition par le Mar 3 Juil 2007 - 11:10, édité 1 fois
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