Pour situer un peu le texte, il s'agit (s'agissait) du prologue de mon "livre". C'est la troisième fois que je l'écris, et je n'en suis toujours pas satisfait. Non pas sur le contenu ou même sur la forme, mais il n'accroche pas assez pour ouvrir... J'en suis à un point où je pense que je vais tout simplement m'en passer (et l'integrer différemment plus loin dans l'histoire).
J'aimerais tout de même avoir votre avis.
Si cela vous interesse, je peux aussi vous mettre le 1er chapitre par la suite.
Merci d'avance pour vos commentaires et vos critiques.
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Immense et aride, tel était le désert d’Eerbie. D’aucuns chantaient sa beauté sauvage, d’autres sa cruauté, mais tous s’accordaient à dire que sa nature était inflexible. Le vent charriait, tel un présage de mort, le sable fin qui sculptait lentement les dunes. Le soleil s’abattait, inexorablement, sur ce paysage vide et creux, où nulle âme ne pouvait survivre. Dans cette chaleur aride, trois hommes progressaient difficilement, dans un combat incessant contre cette nature inhospitalière. A les voir ainsi, habillés de l’étoffe caractéristique que prisent les voyageurs du désert, on pourrait les penser semblables, mais il n’en est rien. L’un d’eux était un mercenaire originaire du nord de l’Arhanta, une contrée où la glace régnait sans partage. L’homme qui avait requis ses services était un érudit âgé qui avait, jusque là, dédié sa vie à l’étude et à la connaissance. Seul le plus petit, à la peau mate et aux traits facilement reconnaissables, était eerbien. Il guidait ses deux compagnons à travers les dunes et les montagnes abruptes et trouvait son chemin d’une manière presque surnaturelle dans ce lieu sans repère.
L’homme plus âgé vacilla soudain, et dans un geste las, posa un genou à terre. Les deux autres s’arrêtèrent et se tournèrent vers lui, l’observant en silence alors qu’il enlevait d’une main tremblante le tissu qui cachait une grande partie de son visage. Osgeïr, le mercenaire, s’adressa alors à lui, une pointe d’amusement dans la voix :
- Si j’étais vous, je ne ferais pas ça, Gaone. Le sable s’infiltrera dans votre bouche si le vent se lève, et vous n’aimerez pas ça !
- Le sable, le sable… répondit Gaone avec rage. Je n’en peux plus de ce sable, quand arriverons-nous à notre destination, Boubaker ? Dois-je vous rappeler votre promesse de nous mener à bon port en moins d’une lune ?
Le petit homme sec aux yeux fuyants et sournois lui répondit alors avec l’accent caractéristique des hommes du désert :
- Nous arriverons quand nous arriverons, le désert n’obéit pas à la volonté de l’homme.
Il s’agissait là d’une maxime des habitants de ces contrées, mais le ton de Boubaker était insultant, dévoilant le mépris qu’il entretenait pour Gaone. D’une manière générale, l’eerbien avait tendance à mépriser tout le monde, sauf lui-même. Du reste, le monde le lui rendait bien. Avec un sourire en biais, il reprit :
- J’ajouterais que les indications que vous m’avez fournies étaient, pour le moins… vagues.
- Pensez-vous qu’il soit aisé de localiser la capitale d’une civilisation disparue depuis des siècles ? Nul autre que moi n’aurait pu la trouver ! Et je vous paie pour m’y conduire, pas pour vous plaindre.
Gaone avait dit ces derniers mots d’un ton arrogant et les lèvres de Boubaker se rétractèrent en un rictus hargneux. D’un geste rapide, il porta la main au poignard qu’il portait à la ceinture, mais Osgeïr lui agrippa l’avant-bras, l’empêchant de dégainer. L’eerbien essaya de se dégager, mais la force du mercenaire était telle qu’il n’y parvint pas. Quand le mercenaire le relâcha, Boubaker haussa les épaules et s’éloigna en maugréant. D’un ton froid, tout en leur tournant le dos, il leur annonça :
- Si nous continuons de progresser comme nous le faisons, nous arriverons dans quatre ou cinq jours.
Puis, sans regarder s’ils le suivaient, il repartit d’un pas lent et mesuré. Osgeïr poussa un soupir de soulagement, puis aida un Gaone grincheux à se relever. Ensemble, ils suivirent leur guide.
* * *
Ils atteignirent effectivement leur destination cinq jours plus tard. Au fur et à mesure qu’ils approchaient, la ville grandissait devant eux, dévoilant peu à peu sa déchéance. Les bâtiments, immenses, gisaient, victimes des assauts répétés du vent. Le temps avait également prélevé son tribut, et les colonnes, autrefois fièrement dressées, s’étaient écroulées en de nombreux morceaux sans vie. Malgré cela, il se dégageait encore de ces ruines un sentiment de magnificence et de noblesse. Prudemment, ils se mirent à arpenter les rues d’un pas respectueux, sans oser élever la voix, de peur de briser le silence endeuillé qui recouvrait ces lieux depuis si longtemps.
Ils établirent leur campement dans une bâtisse un peu moins détruite que les autres. Gaone, qui ne tenait pas en place, s’exclama d’une voix rendue tremblante par l’excitation :
- Nous y sommes ! Toute ma vie j’ai attendu ce moment ! Pouvez-vous seulement imaginer tout ce que nous pourrons trouver ici ! Grâce à mes recherches, tout le monde saura ce qui est advenu des Révolus et comment leur civilisation a disparu !
Osgeïr le regardait avec une légère appréhension, comme s’il craignait que le vieil homme ne s’écroule sous l’effet de son agitation et de sa fatigue. Pourtant, il pouvait comprendre les sentiments de son compagnon : il avait lui-même dédié sa vie à la guerre et au combat, aussi il respectait sa passion et sa joie d’avoir atteint le but qu’il s’était fixé. L’enthousiasme de Gaone était contagieux, et le mercenaire sourit. Sa bonne humeur retomba lorsqu’il vit la mine sombre de Boubaker, qui les ignorait totalement. Ils étaient arrivés au terme de leur voyage, mais il avait le sentiment que quelle que soit la conclusion de leur expédition, elle ne serait probablement pas heureuse.
* * *
Le soir venu, ils s’étaient rassemblés dans leur abri, autour d’un petit foyer qui les protégeait quelque peu de la nuit glaciale du désert. En silence, ils regardaient les flammèches qui, lentement, dansaient sur le bois sec. Afin de briser cette ambiance lugubre, Osgeïr demanda à Gaone :
- As-tu trouvé ce que tu cherchais dans ces ruines ?
- Comment le pourrais-je, répondit avec excitation le vieil homme, il y a tant à voir, tant à comprendre… La moindre fresque, le moindre objet est un trésor inestimable, une avancée considérable de nos connaissances.
- J’espérais trouver ici des trésors plus… matériels, répondit Boubaker d’une voix mielleuse.
L’érudit lui lança un regard méprisant et chacun s’enferma dans ses pensées. Au bout d’un moment, Boubaker et Gaone se levèrent pour se coucher aux deux coins opposés de la pièce.
Le regard songeur, Osgeïr réfléchissait : il avait vécu suffisamment de situations dangereuses pour savoir en reconnaitre une. De nombreuses années de combat et de guerres avaient aiguisé son instinct et il lui accordait une confiance aveugle. Or, dans la situation présente, il savait que les choses ne pouvaient que mal tourner : Boubaker n’était là que par appât du gain, et lorsqu’il aurait trouvé suffisamment d’objets à revendre, il quitterait la ville, les abandonnant sans arrière-pensée. Dans le pire des cas, il assassinerait Gaone avant de partir, mais quoi qu’il arrive, Osgeïr se retrouverait perdu au milieu du désert, sans moyen de s’en échapper. Sa seule chance était d’arriver à suivre Boubaker lorsque celui-ci se déciderait à passer à l’acte… Connaissant l’eerbien, cela serait aussi difficile que de suivre un serpent qui se faufile dans le sable… Démoralisé, le mercenaire s’étendit, mais le sommeil fut long à chasser ses sombres pensées.
* * *
Plusieurs jours étaient passés et les trois hommes étaient désormais tous très tendus. Gaone pestait à longueur de journée, ne trouvant pas les réponses qu’il cherchait en fouillant la ville. Il suffisait d’un regard sur le visage de Boubaker pour comprendre que les recherches de l’eerbien ne progressaient pas mieux que celles de son compagnon. Osgeïr, quant à lui, était attentif à tous les signes qui lui permettraient de prédire un changement de situation : il savait la patience de leur guide à bout, et ne doutait pas que rapidement, avec ou sans trésor, celui-ci déciderait de retourner à Al Nakkri. Il ne pouvait pas se permettre de rester en arrière lorsque cela arriverait, même si cela impliquait d’abandonner le vieil homme qui avait loué ses services dans une auberge miteuse du premier cercle de la capitale eerbienne. A bout de nerfs, les trois hommes prenaient soin de s’éviter tant que possible, ne restant ensemble que lorsque la nuit tombait.
Un matin, un évènement étrange se produisit : par hasard, Gaone découvrit une cache secrète dans un palais presque entièrement détruit. Dans l’alcôve se trouvait un manuscrit, très bien conservé, écrit dans la langue des Révolus. Ivre de joie, il se vanta longuement de sa découverte auprès de ses compagnons, puis entreprit d’étudier le livre avec soin. Ses deux compagnons ne le virent plus de la journée et, alors que la nuit tombait, Osgeïr, inquiet, partit à la recherche du vieil homme. Après avoir arpenté les rues et les bâtiments en criant son nom, il le trouva étendu dans la poussière, brûlant de fièvre. L’érudit tenait toujours dans sa main le manuscrit et sur son bras à la peau claire étaient parsemées d’étranges plaques de la même couleur que le sable. Sans oser le toucher, le mercenaire chercha Boubaker afin de lui demander assistance. D’un œil critique, ils examinèrent le malade qui respirait avec difficulté. Osgeïr interrogea son compagnon :
- Que devons-nous faire, selon toi ? Tu connais le désert. As-tu déjà vu pareils symptômes ?
- Je ne suis pas médecin, lui répondit l’eerbien d’une voix sèche. Quoi qu’il arrive, je ne m’approcherais pas de lui. Libre à toi d’essayer de le soigner, moi je refuse de le toucher.
Osgeïr reconnut le signe qu’il attendait depuis leur arrivée dans la ville : il pouvait presque entendre le cerveau de leur guide réfléchir et calculer à toute vitesse. Aucun doute : le lendemain matin, Boubaker serait reparti vers Al Nakkri. Ce dernier confirma ses pensées lorsqu’il ajouta :
- Je vais dormir ailleurs cette nuit, rien ne nous dit que son mal n’est pas contagieux.
Puis, sans un regard en arrière, l’eerbien s’enfonça d’un pas rapide dans la nuit glaciale. Osgeïr regarda le corps tremblant de Gaone et marmonna quelques mots, d’excuses peut-être, ou de justification. Ensuite, il se leva et, lentement, suivit l’homme qui représentait sa seule chance de survie dans ce désert.
Il trouva son guide en train de fouiller des maisons, dans une dernière tentative désespérée pour trouver un objet de valeur avant de quitter les lieux. L’homme au teint mat lui lança un regard vif, puis sourit avec mépris. Une vague de chaleur réchauffa les joues du mercenaire et son cœur se serra brusquement sous l’effet de la honte. Son compagnon avait compris qu’il avait choisi d’abandonner Gaone pour survivre. Qu’à cela ne tienne, Osgeïr avait depuis longtemps appris à ignorer son orgueil lorsqu’il était question de survie. Aussi, sans dire un mot, il se mit également à farfouiller dans les décombres. Jamais, depuis qu’ils étaient arrivés dans la ville, il n’avait autant souhaité quitter rapidement cet endroit mort depuis des siècles.
La nuit était bien avancée lorsque le mercenaire découvrit une trappe dissimulée sous un tas de gravats. Les deux hommes échangèrent un regard et un sourire d’excitation, puis ils dégagèrent la porte. Difficilement, ils réussirent à en ouvrir les battants aux gonds usés. En dessous, ils trouvèrent un escalier abrupt, et même l’obscurité dans lequel il était plongé ne put diminuer leur enthousiasme. Lentement, Osgeïr s’enfonça sous la terre, suivi de près par Boubaker. Un couloir long et sombre les mena dans une salle ronde aux dimensions gigantesques.
Au centre de la pièce se trouvait un autel sur lequel était posé quelque chose de brillant. Comme hypnotisés, ils s’approchèrent d’un pas égal, tiraillés entre l’exaltation et la crainte. L’objet se révéla être une dague d’une beauté presque trop parfaite, au pommeau recouvert de joyaux et à la lame recourbée. Dans un état second, les deux compagnons tendirent la main et touchèrent l’arme en même temps. A ce moment là, comme frappés par une vision, ils comprirent.
La bouche d’Osgeïr se figea dans un rictus effrayé, alors que de la gorge de Boubaker sortit un rire sinistre et dépourvu d’humanité. D’un même geste, ils se retournèrent et examinèrent le plafond : sans comprendre comment, ils savaient exactement où se trouvait Gaone. Précipitamment, ils s’élancèrent vers le couloir. Comme si elle attendait ce signal, la terre se mit à vibrer lentement, puis de plus en plus fort. Le temps d’arriver à l’escalier, ils pouvaient à peine tenir debout, tant le sol était agité de convulsions violentes. Les deux hommes avançaient en criant, se bousculant pour aller plus vite. Dans un état second, ils franchirent la trappe à quatre pattes, les mains blessées par les gravats.
Soudain, tout s’arrêta. Ils se regardèrent, les yeux exorbités et remplis d’une terreur profonde puis s’élancèrent vers le désert, car ils savaient que ce calme n’était que temporaire. Comme l’instant chargé d’électricité qui précède la tempête, tout paraissait attendre : le temps, suspendu, n’était troublé que par la course effrénée des deux hommes.
Puis tout explosa, dans un horrible vacarme : les bâtiments qui tenaient encore debout s’écroulèrent, et Osgeïr avançait les bras repliés devant son visage pour se protéger. Le sable projeté semblait animé d’une vie propre, dansant et formant des silhouettes qui se dressaient sans cesse face aux deux fuyards. Des murs se brisaient en morceaux alors que d’autres se créaient : le désert semblait vouloir leur mort. Dans l’air chargé de poussière et de débris, un rire aigu et dément retentit soudain. Ils progressaient en trébuchant, sans tenir compte du sang qui coulait des nombreuses blessures qui recouvraient leur peau. De l’écume recouvrait les bords de leur lèvres et ils n’étaient plus conscients d’eux-mêmes : ils ne pensaient qu’à quitter au plus vite cette ville maudite.
Enfin, ils sortirent de l’enceinte de la ville et échappèrent à la furie de la terre. Sans s’arrêter un instant de courir, ils s’enfoncèrent dans la nuit qui sembla les engloutir. Derrière eux, là où, auparavant, se trouvait la cité, une forme énorme et sombre dominait maintenant le désert. De la même couleur que le sable qui l’entourait, le bâtiment gigantesque ressemblait à une forteresse, mais dont les proportions inquiétantes dépassaient l’entendement humain. Le calme revint alors, et dans le silence absolu, la place forte attendit que son heure arrive.