Elle était là, assise, seule. Elle n’a pas toujours été seule, mais elle regrette. Elle a perdu la parole, mais ça ne l’empêche pas de penser. Elle est jeune, encore, pourtant son chemin touche à sa fin. Ses yeux se perdent dans le vague, déjà, son corps ne frissonne plus sous le froid, elle ne sent plus rien. Même le vent qui souffle en elle, cette tornade qui l’envoie dans les airs et la tue à petit feu, elle ne l’a sent plus. Elle est seule. Seule dans sa tête. Pourquoi n’a-t-elle jamais été comprise ? Elle qui a toujours voulu se mettre dans leurs moules. Dans un moule qui de toute manière, ne lui convenait pas. Un moule qui ne lui aurait jamais convenu. Elle était différente, elle faisait peur. Elle avait pourtant deux bras, deux jambes, un cœur. Elle était pourtant comme toutes les adolescentes de son âge. Le bourdonnement de fond résonne encore à ses oreilles quand elle se lève légèrement, difficilement. On dirait un oiseau… Privé de ses ailes. Elle sûrement dû savoir voler, un jour. Mais certainement cet oisillon n’avait pas eu de support pour retomber. Elle avait dû se crasher… Elle qui aurait pu faire un atterrissage si majestueux. Il y a peu encore, elle était admirée et détestée par beaucoup. Admirée pour sa fragilité, son corps fin et élancé. Haï pour sa prétention. Admirée par son assurance. Haï pour ses facilités… Elle aurait aussi pu avoir une belle vie. Elle était belle. Elle avait été belle. Et intelligente… Intelligence qui lui servait à quoi ? Cette rêveuse inconditionnée…
Sursaut.
Elle sent une main se poser sur son épaule. C’est son ami. Enfin… Une connaissance. Elle n’a pas d’amis. Un jour, elle a dû en avoir. Ou bien pensait-elle en avoir eu. Mais finalement, bien après, elle se rendait compte qu’une amitié, ça n’était rien. Que des liens qui se tissent entre des personnes. Des liens qui peuvent se briser. Aucun lien n’est éternel. C’est comme une pelote de laine… On tisse, on tisse, on tisse, et un jour on prend le ciseau. Et on coupe. On tisse, on tisse, on tisse, et puis un jour, on a plus de tissus. On n’a plus rien à broder. Et on s’éloigne, on se perds…
- Tu ne viens pas ?
Ses yeux qui s’étaient posés quelques secondes sur ce garçon, repartirent dans le vague. Sa folie était douce. C’est cruel, la vie. Vous ne trouvez pas ? On nait, on meurt… Et entre ces deux choses, entre la naissance et la mort, il y a cet horrible truc qu’on appelle vie. Une vie. C’est beau, c’est poétique, c’est harmonieux dit comme ça. Mais la vie, elle aussi le pensait, car pour elle, sa vie ne se résumait qu’à ça. Qu’à une suite de mots qui pulsaient en elle. Souffrance. Pour elle, la vie n’était pas plus qu’une existence non choisie. Solitude. On ne choisissait pas de vivre, on vit. Peur. Et puis l’instinct. Ce mot par lequel on désigne une tendance naturelle existante chez les individus de la même espèce. Il lui fait sourire ce mot. C’est à cause de lui qu’elle vit encore. Parce qu’il prend le pas sur sa volonté. Sa volonté… Elle est pourtant inébranlable. Elle sait tenir ses paroles, ses promesses, ses objectifs. Elle savait, du moins. Elle est seule. Dans la solitude, rien ne tient, on essaie juste de survivre et d’avancer encore un mètre ou deux. Dans la solitude, ni valeurs, ni principes ne tiennent.
- Pour quoi faire ?
Sa voix était chevrotante, fragile, faible. Triste à pleurer. A faire chavirer les défenses des plus grands manipulateurs. A faire fondre de désespoir la plus enjouée des petites filles.
Ses mains s’accrochèrent au mur, une inspiration… C’était une difficulté, de se lever… Il fallait avancer. Elle ne voulait pas avancer. Elle voulait mourir.
Un mot, unique, tournait dans sa tête. Tragédie. Sa vie ressemblait à une tragédie. Elle était calme, facile. Elle se déroulait tranquillement.
Ses yeux étaient toujours perdus dans le vague. Rêvait-elle éveillée ? Elle perdrait bientôt la vue… Pourtant, quelques mois plus tôt, sa bouche s’ouvrait encore, elle parlait facilement. Elle était épanouie. Elle époustouflait par sa bonne humeur autant que par la beauté de son sourire et de ses dents si blanches. Elle souffrait, mais elle encaissait. Elle avait toujours tout encaissé pour donner tellement aux autres. Et puis, tout avait implosé. C’est triste, non ? On donne, on donne, mais jamais on ne reçoit. Maintenant, elle était dans sa bulle. Amputée de sa joie de vivre. Piètre fille. Elle faisait presque pitié. Dans les yeux de ses camarades, de ses ex-amis, pourtant, les souvenirs rayonnait toujours autant. Ils voulaient retrouver et conserver la jeune fille qui portait avec elle le bonheur, ils ne voulaient pas d’une écorchée vive qui ne savait plus vivre. Ce n’était pourtant pas compliqué, de vivre, pensaient-ils, c’est inné. Pourquoi n’y arrive-t-elle pas ?
Elle n’était pas de celle à qui on disait « non » facilement, il y a 6 mois. Difficile de dire « non » à une fille qui venait vous voir avec son éternelle bonne heure et son magnifique sourire. Et ses yeux pétillants de vie et d’intelligence. Elle avait de bons résultats, et des capacités que beaucoup lui enviaient quand elle disait qu’elle ne touchait pas son sac du week-end… Oui, c’est vrai, elle avait tout ce qu’elle voulait. Il faut dire qu’elle n’était pas exactement ce qu’elle paraissait être. Ce « paraître » si fort et si inutile. C’est facile, de mentir. Facile de manipuler. Tout ça, elle, elle n’en avait pas conscience. Quelle bonne manipulatrice elle faisait, avec son insouciance feinte. Mais tout ça, elle l’ignorait. Elle, tout ce qu’elle voulait, c’était toucher le bonheur du doigt. Est-elle heureuse là où elle est maintenant, au pays des rêves, des milles étoiles, et où l’impossible devient possible ? Sait-elle qu’elle arrive au bout du chemin et que bientôt, il lui faudra revenir à la réalité pour le dernier saut ? Elle a toujours aimé ne rien savoir. Après tout, ne rien savoir, c’est pas si mal… Ne pas avoir le poids de faux pas sur ses épaules, le poids des conséquences et des choses que l’on pourrait dévoiler qui nous oblige à tenir la bouche fermée. Mais au final, sa bouche s’est clôt et toutes les commères qui l’entourait, oui, leurs langues à elles marchaient encore très bien. C’est ironique, le destin. C’est paradoxal, la vie. On fait tout ce qu’on peut pour ne pas faire quelque chose, pour ne pas avoir quelque chose, mais on finit tout de même par choper la merde que l’on voulait éviter. La vie est remplie d’injustices. Au moins, maintenant, elle le sait.
Tout lui paraissait si vaste et pourtant si étroit. Elle se sentait mal à l’aise entre les murs. Elle qui avait toujours rêvé de plaines, elle se retrouvait à gravir de malheureux escaliers, appuyée sur un gars qu’elle savait apprécier. Qu’elle savait apprécier. Elle était vide, l’orage qui avait grondé en elle quelque mois s’était éteint. Il avait tout dévasté en elle, laissant seulement une terre des sentiments infertiles. Mais qu’importe, désormais, la fin était proche. A bout de souffle, elle était arrivée en haut. Il ne lui restait plus qu’à sauter et ses supplices seraient finis… Le garçon lui pressa le poigné, lui indiquant le chemin. Elle n’avait pas de force… Elle voulait crier, hurler, elle voulait qu’ils l’entendent… Elle ne pouvait rien faire. Elle se laissait entraîner comme un brin d’herbe dans un torrent. Elle avait toujours aimé les torrents, mais maintenant qu’elle était plongée dans celui qui l’a mènerait vers la fin, naviguant au gré des courants dans l’eau sombre et glacée que les Hommes appellent vie. Une vie. On dit n’en avoir qu’une, et à quoi se limite-t-elle ? Un amas de cellules qui se reproduisent. Et quand elles cessent leur activité comme les abeilles arrêtent de butiner en hiver, paf, c’est la fin.
- Élodie ?
Elle tourna lentement la tête. Elle reconnaissait encore son prénom. Elle savait pourtant ne pas être la seule à le porter. C’est comique, un prénom. On dit être unique mais personne n’a un prénom seulement pour lui. Est-ce mettre en valeur l’unité ? Elle l’avait surement aimé ce prénom qui aujourd’hui la répugnait. Identité. Cette chose complexe que l’Homme essaie de conditionner derrière un nom, un prénom, des dates et des lieux. C’était donc ça, une identité ? Elle, elle ne savait plus ce qu’elle était. Ni qui elle était. Pourtant elle avait cette identité, sur cette chose appelée « carte d’identité ». Élodie Mendes. Née le 25 Mai 1995. A Marseille. Oh, oui, elle l’avait, cette identité, mais elle ne savait pas qui elle était.
Elle ne se sentait pas bien. Son corps partait en vrille, elle le savait. Tout pour elle n’était que souffrance. Le monde était souffrance. Joli mot pour une chose tellement moins belle… Mais elle, elle trouvait que souffrir était le seul moyen de savoir si elle était morte ou vivante. Du moins si la mort n’était pas la même chose que la mort. Après tout, qui sait si la mort n’est pas souffrance elle aussi ? Elle eut un haut-le-cœur. Son genoux, ses jambes, son ventre et son dos la torturaient
Elle ne savait pas où elle allait. Elle avançait juste à contre-courant. Ou peut-être ne savait-elle que trop bien où ce fleuve allait la mener. Après tout, sa seule issue, c’est la mort. Elle n’avait jamais demandé des choses folles, juste ces petits riens que tout le monde offrait. Que tout le monde recevait. Juste un peu d’amour, d’attention et d’affection. C’était pas grand-chose, pour le monde. Mais pour elle, ces mots et ces gestes qui pavent sa vie prennent pour elle tellement de sens et de signification qu’un simple « Je t’aime » lui aurait donné la larme à l’œil. Elle voulait pas grand-chose. On lui offrait tout ce dont elle n’avait pas besoin. L’Homme, cet être qui se croit supérieur mais qui oublie tout ce que la nature lui a apprit. Tout ce qu’elle a fait de lui. Il passait à côté des plus belles choses…