Bonsoir à tous.
Parce que j'aime bien prendre les expressions populaires au pied de la lettre, si j'ose dire, et parce que, justement, je n'en avais pas trop à tuer du temps, j'ai eu envie de m'amuser un peu.
J'espère que vous me pardonnerez mon manque de sérieux .
Bonne lecture à vous (et j'espère que je n'ai pas laissé passer trop de fautes... ).Il faut tuer le temps.Il me reste quelques heures à tuer. C’est ce que Bill m’a proposé de plus marrant depuis bien longtemps.
« Tu veux quelque chose pour tuer le temps où ça ira comme ça ? »
« Ca ira comme ça » je lui ai répondu.
Des heures à tuer. Mon dernier crime, certainement. Quand j’avais ma liberté de mouvement, je n’aurais pas hésité. J’aurais foncé dans le tas et tchac : le Temps, éradiqué. Disparu. Plus d’heures ni de minutes. Plus de mois ou d’années. Plus de points de repère. L’absolue liberté pour moi. Et pour les autres, accessoirement. Un rêve. On m’aurait presque décoré pour ce crime là.
Maintenant, je dois être prudent. C’est ma dernière chance, je dois m’appliquer.
Je suis plutôt un sanglant. J’aime bien les couleurs. Je vais me faire plaisir et je vais le saigner, comme les autres. Comme tous les autres en fait. C’est la première fois que je vais tuer au masculin. Et que je vais éliminer un vieillard.
Moi, si j’étais aussi vieux, je me serais suicidé. C’est un service à rendre à ceux qui vous entourent. On ne sert plus à rien quand on a cet âge là. On n’a plus rien à amener à qui que ce soit.
En réalité, c’est un parasite, comme les autres. Quelque chose qui se greffe à votre quotidien. Vous suit sans jamais vous lâcher. Respire au même rythme que vous. On peut essayer de l’oublier mais cela se rappelle à votre bon souvenir quand on ne s’y attend pas. Et comme toutes les vermines, ça se nourrit de vous et ça devient de plus en plus gros, de plus en plus pesant au fur et à mesure où on avance dans la vie.
Ils n’ont pas voulu le comprendre mais tout ce que je faisais, c’était d’éliminer des sangsues.
Je dois me dépêcher, il ne me reste plus que deux heures.
D’abord, étudier mon ennemi, connaître son environnement, découvrir ses manies.
Il est sans arrêt en mouvement, c’est la principale difficulté. Pour le tuer, je dois l’immobiliser, le forcer à s’arrêter. Je crois que j’ai trouvé. Comme je suis sûr qu’il avance à mon rythme, c’est moi qui vais m’arrêter. Je vais essayer d’être aussi immobile, inerte qu’une statue. Je vais m’asseoir, inspirer profondément, fermer les yeux, inspirer encore.
Oui, ça va marcher. Je vais respirer doucement jusqu’à rendre mon souffle imperceptible. Contrôler les battements de mon cœur, mes pulsations cardiaques, l’entraîner vers le calme, l’immobilité absolue. Le faire descendre en moi comme dans un trou noir, un vide total qui va l’absorber. Et là, le maintenir suffisamment longtemps immobile pour que cela l’empêche de repartir. Que la pression du vide et du silence l’étouffe, coincé dans mon corps comme dans un cercueil, le fasse éclater comme un fruit trop mûr.
Cette fois, le sang de ma victime ne me tâchera pas les mains. Il va me remplir, combler les vides de tout ce que ce salaud m’a pris depuis que j’existe. Les rendez-vous manqués, les années perdues, tout ce que j’aurais voulu être et que je ne serais jamais. A cause de lui. L’enfoiré ! Il me doit bien ça.
« Il faut y aller maintenant Malcom.
Ouais, j’arrive. »
C’est le moment. Bill m’amène jusqu’à la pièce. Je m’assois bien au fond de la chaise pour être calé. Je ne dois pas tomber, ça foutrait tout en l’air. Ils ont l’air étonnés que je sois si calme. Ils ne savent pas ce que j’ai préparé. Ils vont être surpris.
Je m’assois. Je commence à inspirer et à expirer lentement et profondément. Je ferme les yeux pour faciliter ma concentration. J’inspire, j’expire. Je suis de plus en plus paisible. Je suis à l’écoute et, soudain, je le sens à côté de moi. Il est penché sur mon épaule, attentif à ce que je fais. J’essaye de faire le vide en moi. Je chasse toutes les pensées parasites et j’écoute les battements de mon cœur. Ils sont comme une horloge, un métronome. Et cette pulsation, c’est mon rythme et le sien, c’est le Temps qui est là, qui circule, qui s’écoule en même temps que mon sang. Je ralentis ma vie. Doucement, doucement. J’ai attrapé un petit morceau de lui. Alors je tire lentement, comme sur un fil qu’on dévide. Je l’attire, petit à petit dans mon vide, mon néant. Je le sens qui entre en moi. Une ombre dense et noire. Il m’investit lentement, il va être coincé, comme prévu. Le monde extérieur ne compte plus, je tire, je tire encore… Ca y est presque ! Je vais l’avoir ! Je vais tuer le Temps ! Je ….
La décharge électrique traverse le corps de l’homme sanglé sur son siège. Arqué en avant, puis agité de violents soubresauts, il retombe ensuite sur la chaise en acier. Ses paupières, fermées depuis qu’il était assis, se sont rouvertes, retournées sur les pupilles révulsées. Les dents grimacent un rictus, presque un sourire.
« Tension artérielle à zéro. Heure du décès : 8 heures 32 ».
Les constatations du médecin mettent un terme définitif à l’existence de Malcom et de sa victime imaginaire. Il a tué le Temps. Le sien. Par procuration.
Malcom T, assassin en série, condamné à mort par son pays et exécuté ce matin, par électrocution.
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