Bonjour à tous et à toutes. J'entre doucement, sur la pointe des pieds et je dépose mon obole. Elle est modeste mais entrer dans les esprits ne se fait pas avec tambours et trompettes mais plutôt avec calme, douceur et volupté. Que la journée vous soit douce et, je l'espère, la lecture agréable.
Lorelei.
Extérieur vie.
Froideur de la nuit. De la buée recouvre la vitre qu'il frotte du bout du doigt, du plat de la main. Sifflement continu. Crissement du métal. La vacma claque.
Tous les jours, il prend le train.
Un rituel d'immobilité vagabonde, assis, sans bouger. Et pourtant il se déplace. Peu importe qui il est, d'où il vient, où il va. Dans cet espace là, il n'est rien. Electron d'un corps plus grand, mu par une improbable énergie cinétique. E=MC2. Mon amour ? Non, pas d'Amour dans tout cela. C'est peut être pour cela qu'il le cherche, l'Amour. Ou plutôt le sexe.
Cet homme est un voyeur.
Le long de la voie, à l'infini, défilent sous ses yeux les vies des autres. Par la vitre, il guette avidement les lumières allumées des maisons, petites lucioles noctambules, phares de son imagination. Il les connait bien ces maisons. Des années qu’il les regarde. Encadrées par les stations, toujours là, immuables, morceaux éternels de son monopoly personnel.
Il a vu, au cours du temps, les déménagements, les nouveaux arrivants, les enfants. Mais cette intimité là ne l’intéresse pas. Ce n’est pas cela qu’il veut, bien évidemment.
Lui, il veut des amants.
Voyage après voyage, il scrute la nuit et son attention ne se dément pas. Il épie. Il traque au travers des fenêtres dont on oublie de tirer les rideaux ou de fermer les volets des instants d’intimité volés.
Il est très souvent déçu. Les gens manquent cruellement d’imagination.
Il en voit défiler des petits déjeuners ou des repas entamés ou en train de se terminer. Des enfants que l’on berce et dont il aperçoit, l’espace d’un instant, les visages convulsés de pleurs. D’autres encore, plus grands, penchés sur des cahiers ou avachis devant l’incontournable télé. Elle en berce du monde, cette nounou cathodique. Du plus petit au plus grand. Dans chaque foyer éclairé, de l’aube au crépuscule, il y en a au moins une d’allumée.
Des éclairs sans fin de vies ordinaires qui strient son quotidien d’éclats de lumière, comme dans le kaléidoscope en carton dans lequel il regardait quand il était tout petit.
Et parfois, juste un instant, il y a ce qu’il espère. Juste quelques secondes, presque un arrêt sur image.
Cette vieille femme, debout au pied de son lit, penchée en avant, nue, chairs qui s’affaissent, qui dégrafe ses vieux bas couleurs chairs.
La vieillesse.
Cette petite fille à peine pubère, qui essaye le soutien gorge de sa mère ou de sa grande sœur. Une bretelle sur l’épaule, l’autre… Promesse d’une poitrine à peine turgescente.
L’enfance.
Ce couple adossé au mur, dans la cuisine. La mère tient un bébé endormi dans ses bras et le père, les mains en coupe autours de visage de la femme, l’embrasse, bouche vorace et gourmande.
La famille.
Cet homme entre deux âges, velu et adipeux, allongé nu sur son lit, qui se masturbe frénétiquement, les yeux écarquillés sur…. sur quoi d’ailleurs ? Un film porno, peut être….
La solitude.
Cette princesse, entrevue le temps d’un soir d’été, de trois quart sous sa douche, ruisselante, seins dressés, ventre plat, fesses pommées. Erection immédiate.
La beauté.
Ces deux là… Elle est inclinée en avant, appuyée sur le lavabo de la salle de bain, le visage penché est mangé par les cheveux sombres. Il est dans son dos, lui aussi et il la sodomise, crocheté à ses hanches. Juste le temps de deux ou trois va et vient…
L’envie.
Presque l’éternité…
Mais l’instant passe et pourtant il aurait tant aimé…
Chaque scène volée est gravée dans sa rétine, imprimée dans sa mémoire et parfois même, plus tard, inscrite dans les draps de son lit.
Il ne ferme jamais les yeux durant le trajet. Une peur obsessionnelle de manquer quelque chose lui maintien les paupières ouvertes et l’attention éveillée, aussi fatigué soit-il.
Les week end l’angoissent et les vacances sont son enfer.
Juste un fond de raison l’empêche de céder à son addiction et de prendre ce foutu train tous les jours de l’année.
Il résiste et considère ces interruptions comme une forme de rédemption. Il serre les dents et compte les jours. Et replonge ensuite avec une vénéneuse et coupable volupté dans ses trajets aux attentes insensées.
Froideur de la nuit. De la buée recouvre la vitre qu'il frotte du bout du doigt, du plat de la main. Sifflement continu. Crissement du métal. La vacma claque.
Il regarde avidement défiler la litanie de ces vies qui ne lui appartiennent pas.
Pour oublier.
Pour oublier sa vie.
Pour oublier sa vie qu’il ne vit pas.