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 Les Ames de la Mort

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Salut
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Salut


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MessageSujet: Les Ames de la Mort   Les Ames de la Mort Icon_minitimeMar 8 Déc 2015 - 18:34

Je verrais bien cette histoire comme un "conte moderne" pour les enfants dont l'objectif premier serait de parler de la mort pour qu'elle fasse un peu moins peur (parce que moi elle m'a fait peur quand j'étais petite  Crying or Very sad ohlala). Aller, je fais de mon mieux! Wink
Bonne lecture!

Chapitre 1

À l'heure où les paupières des enfants, alourdies par le sommeil, se ferment, et qu'un monde aux couleurs merveilleuses ne tarde pas à s'ouvrir pour eux, un petit garçon arpentait seul les ruelles les plus sombres et désertes de la ville.

-Où tu vas ? murmura une légère voix, tout près de son oreille.
Étonné, le petit garçon se retourna. Il était seul dans la ruelle.
-Regarde plus haut ! ordonna la voix d'un ton espiègle.
Au-dessus de lui, une petite fille l'observait, penchée par une fenêtre ouverte.
Lentement, l'enfant se retourna à nouveau, scrutant le mince filet de béton qu'il arpentait, entre deux maisons. La nuit était sombre sans réverbères pour l'illuminer, il n'en avait cependant pas besoin pour savoir que personne d'autre que lui ne se cachait dans l'ombre. Le silence lui suffisait.
Il s'immobilisa. Pas un frémissement, pas un battement de paupières, surtout ne pas bouger. L'heure était grave. Au creux de sa main, son bâton était brûlant. « Ne la regarde pas ! s'ordonna-t-il. Elle va finir par t'oublier et par partir. »
-Mais qu'est-ce que tu fais ? s'étonna la petite.
Le garçon poussa un soupir d'exaspération, et bien obligé de constater que sa méthode ne marchait pas, s'autorisa à bouger normalement. Il croisa les bras.
-Tu peux me voir ?
La fillette rit, et si joliment, que l'enfant en dessous d'elle en oublia qu'elle l'énervait.
-Je suis pas aveugle, tu sais. Pourquoi je te verrais pas ?
Il réfléchit, marmonnant pour lui-même :
-Personne ne me voit jamais… Tu ne dois pas me voir ! affirma-t-il d'un ton sans appel.
-Pourquoi ?
-Parce que c'est comme ça. D'ailleurs, tu ne dois pas me parler non plus.
-Mais qu'est-ce que je peux faire alors ?
-Rien. Si ! Tu dois dormir. Les humains dorment.
-Non.
-Quoi non ?
-Pas tout le temps.
-Presque tout le temps.
-D'accord. Presque tout le temps.
Elle ne partait pas. Elle continuait de l'observer, penchée sur le rebord de sa fenêtre. Ses cheveux dorés flottant autour de son visage rose. Lui, n'avait qu'à partir. Voilà, c'est ce qu'il allait faire.
-Je pars.
-Tu reviendras ?
-Non, certainement pas.
-Tu n'es pas un peu petit pour faire des promenades la nuit ?
L'enfant se vexa.
-Parce que toi tu es assez grande ?
-Maman dit que non, mais moi, j'aimerais bien me promener avec toi.
-Moi je n'aimerais pas. Au revoir.
Agrippant toujours son bâton, il disparut dans l'obscurité.

******

La porte était grande ouverte. On l'attendait.
Léger comme une ombre, il en franchit le seuil .
Un couloir sombre lui fit traverser un salon illuminé de petites bougies pour lequel il n'eut pas un regard. Il n'était pas vraiment nerveux, juste curieux de voir ce qui allait se passer. Curieux de voir si cela allait marcher. Le jeune garçon ne doutait pas de ses capacités, il avait été bien formé, cela ne faisait aucun doute, son Maître y avait veillé. Seulement, il n'en demeurait pas moins illégitime, un simple apprenti encore en formation, juste un souffle de vent là où on attendait une tempête.
« On verra bien. » pensa-t-il en pénétrant dans la chambre. S'il ne tromperait pas la Mort ce soir, peut-être abuserait-il au moins le mort.
L'enfant se dirigea droit au chevet du corps froid allongé dans le lit.
Livide, les yeux fermés de force, le visage encore marqué par les tourments de l'existence, le mort hurlait. Le cri résonnait dans sa tête, emplissant tout l'espace, et rendant, pour un temps, le petit garçon sourd. Il y avait dans ce cri toute la force qu'avait possédée l'homme, avant. Toute sa vie ne se résumait maintenant plus qu'à cet hurlement, toutes ses joies, toutes ses déceptions, toutes ses colères, toutes ses pensées, tout son amour, toutes ses frustrations, s'exprimaient, une dernière fois.
La femme qui pleurait, agenouillée près du lit, ne l'entendait pas. Tout comme elle ne voyait pas l'enfant qui se penchait, lentement, au-dessus du visage de son mari.
Répétant fidèlement les gestes de son maître, le garçon déposa un baiser sur le front du défunt.
Plusieurs choses se produisirent alors en même temps.
Le cri se tut, le visage du mort se détendit, et une esquisse de sourire apparut même sur ses lèvres… et l'enfant fut projeté en arrière. Son crâne vint frapper avec force le mur.
La tête lui tournait, sensation qu'il n'était pas habitué à ressentir. Il se sentait vide et à la fois proche de l’écœurement. Il se retint de vomir. À l'intérieur, quelque chose voulait à tout prix sortir. Le petit garçon se força au calme, et ferma obstinément la bouche, luttant de toutes ses forces pour résister à la pression qu'elle exerçait contre lui.
Finalement, usée par l'échec, il la sentit abandonner et s'offrir entièrement à lui.
L'enfant ferma les yeux, et se laissa profiter, pendant quelques minutes, de cette nouvelle sensation. Elle l'habitait !
Cela avait marché. Était-il une Âme à présent ?
« Maître, pensa-t-il, où que tu sois, j'espère que tu es fière de moi. Ne t'inquiète pas, je ne t'oublie pas. Je n'abandonne pas ma quête, je continuerai de te chercher, et ne cesserai avant de t'avoir trouvé. C'est promis. »

******

Mona jouait silencieusement avec ses Barbies, accroupie sur le sol de sa chambre. Malignement, elle avait recouvert sa lampe de chevet allumée avec un foulard pour atténuer la lumière et ne pas alerter ses parents qui la pensaient couchée.
Elle n'avait pas sommeil, elle ! Juste parce qu'ils étaient grands, ils pouvaient regarder la télé et se coucher très très tard ! La petite trouvait ça injuste.
Un bruit du côté de la fenêtre lui fit tourner la tête.
Elle ne cria pas, mais de surprise, tomba sur les fesses.
Un garçon se tenait plié en deux sur le rebord de sa fenêtre ! Non, pas un garçon, le garçon ! Celui qui était tout seul dehors, celui qui ne voulait pas lui parler !
Mais qu'est-ce qu'il faisait là ? fronça-t-elle les sourcils en s'approchant. Il fallait savoir, soit il ne voulait pas lui parler, soit il venait lui rendre visite. Mais pas les deux !
Derrière la vitre, il dit quelque chose.
« Ouvre-moi. » comprit-elle.
Elle n'était pas si pressée que ça de le laisser entrer. Elle l'avait trouvé bien malpoli la dernière fois.
Croyant qu'elle n'avait pas entendu, il répéta, plus fort.
-Chhhhhht ! s'empressa-t-elle d'ouvrir la fenêtre. Papa et maman vont t'entendre !
D'un bon agile, il sauta à l'intérieur de la chambre.
Elle s'apprêtait à lui reprocher son sans-gêne et à lui rappeler que sa maison avait une porte, quand, sans prévenir, il se mit à crier.
-Chhhhhht, lui plaqua-t-elle une main sur la bouche, horrifiée. Ça va pas la tête ? Papa va venir nous gronder maintenant !
Mais, contre toute attente, le pas pesant de son père ne se fit pas entendre dans l'escalier. Au contraire, à part le léger murmure de la télé en bas, tout était calme.
Mona lâcha son invité.
-Pourquoi t'as fait ça ? le blâma-t-elle. Je t'ai dit de pas faire de bruit.
Sans répondre, il se mit à faire le tour de sa chambre, en observant tout son bric-à-brac. Dans sa main droite, il tenait un long bâton. Mona le reconnut. C'était un bâton de berger. Elle le savait parce qu'elle en connaissait des bergers. Elle les voyait quand elle allait en vacances chez sa mamie. Celui-là était moins grand, pile à la taille de l'enfant.
-Je voulais juste vérifier quelque chose, répondit-il finalement, en jetant un regard circonspect aux poupées.
-Si tu as perdu tes moutons, c'est pas ici que tu les trouveras, assena-t-elle en croisant les bras bien haut sur sa poitrine. Tu peux partir.
Il la regarda, étonné.
-Je n'ai pas perdu de moutons. J'ai perdu mon Maître. Et je croyais que tu voulais que je revienne, tu me l'avais demandé.
-Oui, mais ça c'était avant que tu dises non !
Il ne l'écoutait plus, complètement obnubilé par une boule à neige. Mona décida de bouder. Il serait bien obligé de lui reparler à un moment. Et là, il verrait qu'elle n'était pas contente.
Mais non ! Il semblait pouvoir se distraire indéfiniment en secouant l'objet. Agacée, elle le lui arracha des mains.
Il la regarda avec des yeux ronds. Mona était furieuse maintenant :
-Soit tu sors de ma chambre, cria-t-elle, oubliant totalement qu'elle devait rester discrète, soit tu m'expliques qui tu es et pourquoi tu es là !
Il ne pipa mot, fixant la neige qui voletait au creux de sa main.
Cette fois, son père montait les escaliers.
-Bien fait pour toi ! se félicita la petite. Papa va te mettre dehors.
La porte s'ouvrit.
-Mais qu'est-ce que tu fais Mona. Ça va pas de crier comme ça ? Tu devrais être au lit.
-Papa ! sauta-t-elle dans ses bras. Tout ça c'est sa faute à lui ! Il est entré par la fenêtre et il ne veut pas partir !
-Il est tard Mona, ce n'est plus l'heure de jouer. Il y a école demain. Va te coucher.
-Mais papa, le garçon !
-Si dans dix minutes tu n'es pas sous les couvertures, je vais m'énerver, prévint-il en poussant la porte derrière lui.
Elle se tourna vers l'enfant, stupéfaite.
-Comment tu as fait ça ?
-Comment j'ai fait quoi ?
-Comment tu es devenu invisible.
-Je t'ai déjà dit, normalement personne ne peut me voir.
-Mais moi je te vois très bien.
C'était vrai, elle le voyait bien. Il était un peu plus grand qu'elle mais pas de beaucoup. Il portait un long manteau noir sur un pantalon blanc. Ses cheveux marrons étaient en bataille, et ses yeux noirs, plantés dans les siens.
-Oui tu peux me voir, et c'est pour ça que je suis venu.
Il fronça les sourcils, et l'observa d'un air sévère :
-Tu as forcément quelque chose à voir dans cette histoire.
-On joue à un jeu ?
-Qui es-tu ? lui piqua-t-il la poitrine de l'extrémité de son bâton. Pourquoi tu peux me voir ? accentua-t-il la pression. Qu'est-ce que tu sais de mon Maître ?
-Quoi ? leva-t-elle les mains au dessus de sa tête, comme dans les films. Mais je sais pas moi, je le connais pas ton maître, on est même pas dans la même école !
-Tu n'es pas celle que tu prétends être, ou tu sais forcément quelque chose. Parle !
Mona pouvait lire la colère dans ses yeux, la véritable colère qu'elle lisait parfois dans ceux de sa mère.
-Parle ! appuya-t-il encore plus fort avec son bâton.
Elle se mit à pleurer. Et pas qu'un peu. Mona aurait bien voulu s'arrêter mais elle ne pouvait pas. Ses larmes dégoulinaient le long de ses joues sans qu'elle puisse rien y faire.
Il baissa son bâton de berger.
-Tu es méchant, chouina-t-elle, je ne connais même pas ton prénom. Je ne sais pas pourquoi je peux te voir moi ! C'est pas ma faute si tu es invisible !
-Bon, fit-il, toute trace de colère évaporée de sa voix. C'était juste une hypothèse.
Il s'assit sur son lit, le menton posé sur ses mains, elles-même posées sur le bâton.
-C'est qui ton maître, demanda Mona en s'essuyant les yeux, pourquoi tu crois que je le connais ?
-Mon Maître est une Âme, annonça-t-il fièrement, se redressant. Cela fait maintenant deux cent ans que je suis son apprenti, je devrais bientôt devenir Âme moi aussi.
Mona le fixait avec de grands yeux.
-Malheureusement, s'assombrit-il, il a disparu. Et je ne peux pas devenir une Âme sans son accord.
Bien que la petite n'ait aucune idée de ce qu'était une âme, elle se sentit triste pour lui. Cette histoire avait l'air de lui causer beaucoup de peine.
-Mon papa dit, que quand on veut très très fort quelque chose, ce quelque chose arrive toujours. Tu devrais continuer à chercher ton maître, rappelle-toi où tu l'as perdu, il ne devrait pas être bien loin. Moi, ça marche souvent avec mon doudou.
Il ne semblait pas convaincu.
-Dis ? demanda-t-elle, après un instant de silence. Tu as vraiment deux cents ans ?
-Je n'ai jamais dit ça, s'offusqua-t-il. J'ai huit ans, tu le vois bien !
-Mais tu as dit…
Il essuya ces paroles d'un geste de la main :
-Vous les humains, vous êtes si fermés d'esprit. C'est pour ça que je suis bien content que vous ne puissiez pas me voir. Et puis vous posez trop de questions.
Mona fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il avait lui à toujours la critiquer ? Elle n'arrivait pas à savoir si elle l'appréciait ou pas. Parler avec lui valait toujours mieux que dormir, mais qu'est-ce que c'était compliqué ! Les âmes, les humains, l'invisibilité, les bergers... La fillette commençait à avoir mal à la tête. Néanmoins, ce garçon au regard noir la fascinait. En l'écoutant parler, elle avait l'impression qu'il sortait d'un des grands livres de contes qu'elle feuilletait chez sa mamie, ceux avec les belles images. Mona adorerait vivre dans un conte elle aussi. Et de préférence, être une princesse !
-Dis, demanda-t-elle, tu viens me voir demain matin, à la récré ? Je pourrais t'aider, à le chercher ton maître !
Il afficha une moue dubitative, avant de hausser les épaules.
-Je ne sors jamais le jour.
-Pourquoi ?
Il leva de nouveau les épaules :
-Je sais pas trop.
Elle allait lui faire remarquer quelque chose mais se retint. Après, il allait encore la traiter d'humain. -Mais peut-être, reprit-il, que tu pourrais quand même m'aider. Je ne sais pas, il faudrait que je réfléchisse. Après tout tu peux me voir, alors peut-être qu'on pourrait s'associer.
Il se leva.
-Je reviens te voir demain soir, alors. C'est décidé.
Et sans plus de formules d'adieux, il s'éclipsa par la fenêtre.
La lune était pleine et l'illuminait tandis qu'il s'éloignait de la maison, son bâton faisant résonner le béton. Mona s'accouda devant la vitre et l'observa disparaître dans l'ombre.
« Je ne sors jamais le jour. »
Qu'est-ce qu'il était étrange quand même, son Berger de la Lune.

******


Dernière édition par Salut le Mer 20 Avr 2016 - 23:00, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: Les Ames de la Mort   Les Ames de la Mort Icon_minitimeDim 17 Avr 2016 - 0:15

Les néons agressifs, le carrelage immaculé, les murs trop blancs, les blouses des humains, tout ici abîmait son regard.
Il n'aimait pas cet endroit.
Pour y être déjà venu plusieurs fois avec son Maître, il savait que c'était là, plus que nulle part ailleurs, que la folie des Hommes se donnait le plus en spectacle. Disséminés aux quatre coins de la Terre, ces bâtiments emplis de naïves illusions humaines se ressemblaient tous. C'était en leur sein que les humains s'acharnaient à combattre l'inéluctable, c'était dans ces salles d'opérations qu'ils s'amusaient à défier la Mort.
Le garçon n'avait nullement besoin de consulter le plan de l'hôpital pour trouver la chambre qu'il cherchait. Lorsqu'il en poussa la porte, le bip sonore et régulier de la machine se changea en long gémissement aigu, sans plus début ni fin.
Il arrivait pile à l'heure.
Les humains étaient-ils idiots ou désespérés ? Comment pouvaient-ils croire un seul instant qu'ils faisaient le poids contre Elle ?
Ceux qui devaient partir partaient, et non pas à cause d'un soi-disant destin, non, ils partaient parce que, tout simplement, ils ne pouvaient plus rester. Et les machines, les engins, les médecins, les sciences, n'y changeraient rien.
Le garçon était presque une Âme désormais. Il savait mieux que quiconque ce que la Mort signifiait.

******

Il frappa à la fenêtre. La fillette vint lui ouvrir plus rapidement, c'était une bonne chose. Il n'avait pas vraiment l'habitude de l'escalade, et il se demandait ce qu'il adviendrait de lui s'il tombait. Son Maître volait parfois. Lorsque c'était extrêmement nécessaire. Lui ne l'avait jamais fait.
Peut-être s'y essaierait-il un jour, lorsque ce serait extrêmement nécessaire.
Il sauta à l'intérieur de la chambre. C'était la même que la veille, rien n'avait bougé.
Aussitôt, il se dirigea vers la commode, sur laquelle l'étrange boule était exposée. Il la saisit avec précaution, et alla s'asseoir sur le lit, pour l'observer confortablement.
Les humains étaient pleins de surprise. Ils possédaient des choses incroyables. La petite fille se rendait-elle compte, que sous la coupole de verre, se trouvait un autre monde ? Un autre monde où il neigeait en ce moment même sur le toit des maisons ? Le garçon se leva pour scruter l'extérieur par la vitre.
Il ne neigeait pas.
Il jeta un coup d’œil à la boule.
Il neigeait.
C'était incroyable !
    -Hum hum, toussota quelqu'un près de lui.
Il se retourna. La petite fille le fixait de ses yeux durs.
    -Tu vas encore m'ignorer ? demanda-t-elle. Je croyais que tu voulais que je t'aide à retrouver ton maître.
    -Oui, oui, répondit-il en retournant près du lit.
Il s'allongea. Se releva. Se rallongea.
    -Mais qu'est-ce que tu fais ! s'énerva-t-elle.
    -Rien. Je regarde ce que ça fait, c'est tout.
En vérité, l'enfant cherchait à gagner du temps. Il avait accepté son aide, c'était vrai, mais il ne voyait pas du tout en quoi elle pourrait se rendre utile.
-Bon, déjà, tu l'as perdu où ton maître ? Peut-être que cela nous donnera une piste.
-C'était de l'autre côté de la mer.
-La mer ? s'étonna-t-elle. Quelle mer ?
-Celle qui longe ta terre enfin ! Celle sur laquelle le soleil se couche.
Elle réfléchit.
-Attends, finit-elle par s'exclamer, je reviens tout de suite.
Elle sortit de la chambre en courant pour réapparaître deux minutes plus tard, toute essoufflée.
-Mona ! criait son père, de l'étage inférieure. Va te coucher !
La petite ne semblait pas s'en émouvoir. Elle tenait serré entre ses deux petits bras un grand rouleau de papier.
-Elle était dans les toilettes, expliqua-t-elle en le déroulant sur le lit. Tadam ! C'est une carte du monde ! Alors, c'est laquelle ta mer ?
L'enfant se plongea sur le dessin. C'était incompréhensible pour lui, seulement des traits et des couleurs. Puis enfin, l'impénétrable document s'éclaira :
-Mais tu l'as mise à l'envers !
Il retourna le papier, et le dessin prit tout son sens. C'était bien une reproduction de la Terre qu'il connaissait, mais tous ces traits, toutes ces couleurs venaient tout gâcher.
-Tiens. C'est celle-là.
La fillette grimpa sur son lit, et se pencha sur le dessin.
-Tu regardes à l'envers, la prévint-il encore.
-J'essaie de lire idiot. C'est toi qui regardes à l'envers. Océan altantique, finit-elle par annoncer fièrement. Tu es vraiment idiot, c'est un océan pas une mer.
Il haussa les épaules.
-On était là quand il a disparu.
Il pointait un point sur la carte.
-Mexique, déchiffra la fille. Vous étiez au Mexique.
Il haussa une nouvelle fois les épaules.
-Je n'ai jamais entendu ce nom là.
-Mona !
La porte de la chambre s'ouvrit avec force.
-Mona ! Il est l'heure de dormir. Maintenant. Qu'est-ce que tu fiches avec ça ?
Le père de la fillette leur arracha la carte des mains avant de quitter la chambre en trombe, en éteignant au passage la lumière.
Plongés dans le noir, l'enfant demanda :
-C'est quoi mona ?
La fillette rigola.
-Tu es stupide ou quoi ? C'est mon prénom ! Tu n'en as pas toi ?
Le garçon réfléchit.
-Non, finit-il par répondre.
-Décidément, tu es vraiment bizarre.
Comme la veille, elle alluma sa petite lampe de chevet, avant de la couvrir d'un bout de tissu.
-En fait, tu as vraiment de la chance que les grands ne te voient pas. Moi aussi j'aimerais être invisible quelques fois.
Il haussa les épaules.
-Je dois retrouver mon maître.
-Oui ! s'exclama-t-elle soudainement. On devrait réfléchir.
Elle s'allongea sur sa couette à housse rose pâle et ferma les yeux. Le jeune garçon se demandait si chaque action de chaque humains était toujours si surprenante quand elle les rouvrit d'un coup.
-Tu devrais retourner au Mexique ! Ton maître s'est peut-être retrouvé depuis le temps et il t'attend au dernier endroit où vous vous êtes vu. C'est toujours ce qu'il faut faire tu sais. Se donner un point de rendez-vous au cas où la foule est trop nombreuse.
-Je ne comprends absolument rien à ce que tu racontes.
-La foule, expliqua-t-elle, comme quand je me suis perdu à Disney. Tu te concentres un peu? s'agaçait-elle.
Le garçon ne l'écoutait pas.
« Le Mexique » pensait-il. Il se rappelait des cimetières colorés débordants d'agitation et de cris d'enfants, du fumet de la nourriture fraîchement concoctée, des sentiments confus et contradictoires qui habitaient le cœur des Hommes. Le jour des morts mettait son maître en fête, et c'est avec plus de passion encore que d'ordinaire qu'il lui avait offert son enseignement. L'enfant se sentit triste tout à coup.
-Quand mon maître a disparu, tout est devenu sombre, se mit-il à parler, sans vraiment réfléchir. Pas comme quand le soleil disparaît, non, comme quand tu as si peur, et que tout est si compliqué, que tu ne vois plus très clair. La ville et les humains autour de nous s'étaient arrêter, plus rien ne bougeait, plus rien ne faisait de bruit, seul mon maître hurlait. Mais je ne pouvais pas le voir. Il était déjà trop loin je crois. Quand tout est redevenu normal et que mes yeux fonctionnaient à nouveau, j'étais sur ta terre, avec ce bâton dans ma main.
Les symboles mystérieux qui le recouvraient l'avaient toujours intrigué, se souvint-il en le faisant tourner entre ses doigts. Le bois clair et ferme ne lui apprenait rien sur son âge mais les deux extrémités en étaient plus noircies… le garçon n'en faisait aucune déduction.
-Fais-voir !
Mona lui arracha le bâton des mains.
-Attention, la prévint-il. Je ne veux pas l'abîmer.
Elle se rapprocha de la lampe pour l'examiner minutieusement.
-Qu'est-ce que ça veut dire ça ? lui montra-t-elle les symboles.
Elle parlait fort, trouvait le petit garçon, il n'était pas sûr de supporter sa compagnie encore longtemps. Les humains, disait souvent son maître, en plus d'être un nid à problème, sont d'un ennui mortel. Dans sa bouche, c'était un trait d'humour.
-Je ne sais pas, répondit-il patiemment.
-C'est bon, se vexa-t-elle, tu pourrais être plus gentil.
Quoi ?!
Il se vexa à son tour, et récupéra vivement son bien.
-Tu sais quoi, je n'aurais pas dû revenir. De toute façon tu me sers à rien.
Sans prendre le temps d'observer la réaction de la petite fille, il sauta du lit, ouvrit la fenêtre, et s'enfuit.

******

À la vapeur blanche qui s'échappait de la bouche des humains, le petit garçon devinait qu'il faisait froid. Lui, ne sentait rien. Le froid, la chaleur, la maladie, ce genre de choses qui rythmait la vie quotidienne des Hommes, l'enfant ne les connaissait pas. Pour lui, chaque nouveau jour ne signifiait rien, il suivait juste la même ligne droite que d'ordinaire, sans pause ni détour.
La ville avait beau lui être inconnue jusqu'à il y a peu, il savait toujours où il allait. Les phares des voitures, les lampadaires, les enseignes lumineuses, les gens, les bars, les cris, les rires, rien ne pouvait le détourner de son chemin. Les regards glissaient sur lui comme sur du givre, et au milieu de tant de vie, il était comme absent.
La femme qu'il cherchait était elle aussi invisible. Comment expliquer sinon, que personne ne lui vienne en aide ?
Recroquevillée dans le renfoncement sombre d'une porte, ses mains crispées, inertes, sur une vieille couverture, son dos appuyé contre un grand sac de course, il était de toute façon trop tard pour que quiconque puisse lui être d'une quelconque aide.
Et le petit garçon se tenait dressé devant elle, la dominant exceptionnellement, son bâton sous le bras et son long manteau noir traînant par terre.
Il resta ainsi un moment, observant le visage de celle qui fut, s'interdisant le moindre geste.
Il songeait.
Cette âme serait sa troisième. La troisième qu'il prendrait alors qu'il n'en avait pas le droit. Sa volonté de devenir une Âme le plus rapidement possible était plus forte que tout, mais il n'avait pas le pouvoir de forcer les choses. Tant que son maître ne pourrait achever son enseignement, le jeune garçon demeurerait un apprenti. Un simple apprenti.
S'il avait cru après sa première âme que même en temps qu'apprenti il était à la hauteur, il n'en était plus aussi certain désormais. En effet, il se sentait un peu bancal ces derniers temps. Différent. Cela se passait à l'intérieur. À l'intérieur de lui. Il n'avait jamais ressenti ça. En fait, il n'avait jamais rien ressenti jusqu'à maintenant. Ressentir, il ne savait pas ce que cela voulait dire, et pourtant, les faits étaient là.
Penser à son maître, tout à l'heure, dans la chambre de Mona, lui avait comme déchiré le cœur. C'était étrange car bien aussi douloureux qu'un mal physique mais pourtant extrêmement dissemblable. C'était une douleur presque douce, latente, sans fin. Le petit garçon n'avait sut quoi faire de cette sensation mais il avait put lui donner un nom : tristesse.
Et puis il y avait Mona. Sa manière de lui parler, avec sa petite voix aiguë qui s'attardait sur les voyelles, son air de tout savoir, sa manie de l'empêcher de regarder la boule avec l'autre monde dedans, tout cela lui donnait envie de hurler. D'exploser. De tout casser. Il ne comprenait pas.
Ou plutôt si, pour avoir souvent observer le comportement des humains, il comprenait trop. Mais ce n'était pas lui. Ces ressentis, ces sentiments, cette colère, cette tristesse, ce n'était pas lui. Ça ne lui appartenait pas, il ne devrait pas être comme ça.
Tout comme il ne devrait pas faire le travail d'une Âme.
Cependant, le corps sans vie, devant ses yeux, ne semblait être là que pour lui, et le garçon se sentait irrésistiblement appelé par la mort qui s'était saisie de ce cœur.
Il s'approcha. Lentement. Le regard rivé sur le front découvert de la défunte. Se pencher doucement et aspirer l'âme prisonnière de son enveloppe. C'était déjà fini avant que l'enfant n'ait put décider s'il le voulait ou non.
Alors que le cadavre à ses pieds semblait miraculeusement se détendre et que l'âme, s'abandonnant, découvrait son nouveau logis, l'enfant se mit à rire. Irrésistiblement, franchement, sans plus pouvoir s'arrêter, une gaieté sans source ni raison s'emparait de lui.
Il rit longtemps encore, alors que la nuit avançait, et qu'il errait, comme fou, entre les barres d'immeuble muettes.

******
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