Je verrais bien cette histoire comme un "conte moderne" pour les enfants dont l'objectif premier serait de parler de la mort pour qu'elle fasse un peu moins peur (parce que moi elle m'a fait peur quand j'étais petite
ohlala). Aller, je fais de mon mieux!
Bonne lecture!
Chapitre 1À l'heure où les paupières des enfants, alourdies par le sommeil, se ferment, et qu'un monde aux couleurs merveilleuses ne tarde pas à s'ouvrir pour eux, un petit garçon arpentait seul les ruelles les plus sombres et désertes de la ville.
-Où tu vas ? murmura une légère voix, tout près de son oreille.
Étonné, le petit garçon se retourna. Il était seul dans la ruelle.
-Regarde plus haut ! ordonna la voix d'un ton espiègle.
Au-dessus de lui, une petite fille l'observait, penchée par une fenêtre ouverte.
Lentement, l'enfant se retourna à nouveau, scrutant le mince filet de béton qu'il arpentait, entre deux maisons. La nuit était sombre sans réverbères pour l'illuminer, il n'en avait cependant pas besoin pour savoir que personne d'autre que lui ne se cachait dans l'ombre. Le silence lui suffisait.
Il s'immobilisa. Pas un frémissement, pas un battement de paupières, surtout ne pas bouger. L'heure était grave. Au creux de sa main, son bâton était brûlant. « Ne la regarde pas ! s'ordonna-t-il. Elle va finir par t'oublier et par partir. »
-Mais qu'est-ce que tu fais ? s'étonna la petite.
Le garçon poussa un soupir d'exaspération, et bien obligé de constater que sa méthode ne marchait pas, s'autorisa à bouger normalement. Il croisa les bras.
-Tu peux me voir ?
La fillette rit, et si joliment, que l'enfant en dessous d'elle en oublia qu'elle l'énervait.
-Je suis pas aveugle, tu sais. Pourquoi je te verrais pas ?
Il réfléchit, marmonnant pour lui-même :
-Personne ne me voit jamais… Tu ne dois pas me voir ! affirma-t-il d'un ton sans appel.
-Pourquoi ?
-Parce que c'est comme ça. D'ailleurs, tu ne dois pas me parler non plus.
-Mais qu'est-ce que je peux faire alors ?
-Rien. Si ! Tu dois dormir. Les humains dorment.
-Non.
-Quoi non ?
-Pas tout le temps.
-Presque tout le temps.
-D'accord. Presque tout le temps.
Elle ne partait pas. Elle continuait de l'observer, penchée sur le rebord de sa fenêtre. Ses cheveux dorés flottant autour de son visage rose. Lui, n'avait qu'à partir. Voilà, c'est ce qu'il allait faire.
-Je pars.
-Tu reviendras ?
-Non, certainement pas.
-Tu n'es pas un peu petit pour faire des promenades la nuit ?
L'enfant se vexa.
-Parce que toi tu es assez grande ?
-Maman dit que non, mais moi, j'aimerais bien me promener avec toi.
-Moi je n'aimerais pas. Au revoir.
Agrippant toujours son bâton, il disparut dans l'obscurité.
******
La porte était grande ouverte. On l'attendait.
Léger comme une ombre, il en franchit le seuil .
Un couloir sombre lui fit traverser un salon illuminé de petites bougies pour lequel il n'eut pas un regard. Il n'était pas vraiment nerveux, juste curieux de voir ce qui allait se passer. Curieux de voir si cela allait marcher. Le jeune garçon ne doutait pas de ses capacités, il avait été bien formé, cela ne faisait aucun doute, son Maître y avait veillé. Seulement, il n'en demeurait pas moins illégitime, un simple apprenti encore en formation, juste un souffle de vent là où on attendait une tempête.
« On verra bien. » pensa-t-il en pénétrant dans la chambre. S'il ne tromperait pas la Mort ce soir, peut-être abuserait-il au moins le mort.
L'enfant se dirigea droit au chevet du corps froid allongé dans le lit.
Livide, les yeux fermés de force, le visage encore marqué par les tourments de l'existence, le mort hurlait. Le cri résonnait dans sa tête, emplissant tout l'espace, et rendant, pour un temps, le petit garçon sourd. Il y avait dans ce cri toute la force qu'avait possédée l'homme, avant. Toute sa vie ne se résumait maintenant plus qu'à cet hurlement, toutes ses joies, toutes ses déceptions, toutes ses colères, toutes ses pensées, tout son amour, toutes ses frustrations, s'exprimaient, une dernière fois.
La femme qui pleurait, agenouillée près du lit, ne l'entendait pas. Tout comme elle ne voyait pas l'enfant qui se penchait, lentement, au-dessus du visage de son mari.
Répétant fidèlement les gestes de son maître, le garçon déposa un baiser sur le front du défunt.
Plusieurs choses se produisirent alors en même temps.
Le cri se tut, le visage du mort se détendit, et une esquisse de sourire apparut même sur ses lèvres… et l'enfant fut projeté en arrière. Son crâne vint frapper avec force le mur.
La tête lui tournait, sensation qu'il n'était pas habitué à ressentir. Il se sentait vide et à la fois proche de l’écœurement. Il se retint de vomir. À l'intérieur, quelque chose voulait à tout prix sortir. Le petit garçon se força au calme, et ferma obstinément la bouche, luttant de toutes ses forces pour résister à la pression qu'elle exerçait contre lui.
Finalement, usée par l'échec, il la sentit abandonner et s'offrir entièrement à lui.
L'enfant ferma les yeux, et se laissa profiter, pendant quelques minutes, de cette nouvelle sensation. Elle l'habitait !
Cela avait marché. Était-il une Âme à présent ?
« Maître, pensa-t-il, où que tu sois, j'espère que tu es fière de moi. Ne t'inquiète pas, je ne t'oublie pas. Je n'abandonne pas ma quête, je continuerai de te chercher, et ne cesserai avant de t'avoir trouvé. C'est promis. »
******
Mona jouait silencieusement avec ses Barbies, accroupie sur le sol de sa chambre. Malignement, elle avait recouvert sa lampe de chevet allumée avec un foulard pour atténuer la lumière et ne pas alerter ses parents qui la pensaient couchée.
Elle n'avait pas sommeil, elle ! Juste parce qu'ils étaient grands, ils pouvaient regarder la télé et se coucher très très tard ! La petite trouvait ça injuste.
Un bruit du côté de la fenêtre lui fit tourner la tête.
Elle ne cria pas, mais de surprise, tomba sur les fesses.
Un garçon se tenait plié en deux sur le rebord de sa fenêtre ! Non, pas un garçon,
le garçon ! Celui qui était tout seul dehors, celui qui ne voulait pas lui parler !
Mais qu'est-ce qu'il faisait là ? fronça-t-elle les sourcils en s'approchant. Il fallait savoir, soit il ne voulait pas lui parler, soit il venait lui rendre visite. Mais pas les deux !
Derrière la vitre, il dit quelque chose.
« Ouvre-moi. » comprit-elle.
Elle n'était pas si pressée que ça de le laisser entrer. Elle l'avait trouvé bien malpoli la dernière fois.
Croyant qu'elle n'avait pas entendu, il répéta, plus fort.
-Chhhhhht ! s'empressa-t-elle d'ouvrir la fenêtre. Papa et maman vont t'entendre !
D'un bon agile, il sauta à l'intérieur de la chambre.
Elle s'apprêtait à lui reprocher son sans-gêne et à lui rappeler que sa maison avait une porte, quand, sans prévenir, il se mit à crier.
-Chhhhhht, lui plaqua-t-elle une main sur la bouche, horrifiée. Ça va pas la tête ? Papa va venir nous gronder maintenant !
Mais, contre toute attente, le pas pesant de son père ne se fit pas entendre dans l'escalier. Au contraire, à part le léger murmure de la télé en bas, tout était calme.
Mona lâcha son invité.
-Pourquoi t'as fait ça ? le blâma-t-elle. Je t'ai dit de pas faire de bruit.
Sans répondre, il se mit à faire le tour de sa chambre, en observant tout son bric-à-brac. Dans sa main droite, il tenait un long bâton. Mona le reconnut. C'était un bâton de berger. Elle le savait parce qu'elle en connaissait des bergers. Elle les voyait quand elle allait en vacances chez sa mamie. Celui-là était moins grand, pile à la taille de l'enfant.
-Je voulais juste vérifier quelque chose, répondit-il finalement, en jetant un regard circonspect aux poupées.
-Si tu as perdu tes moutons, c'est pas ici que tu les trouveras, assena-t-elle en croisant les bras bien haut sur sa poitrine. Tu peux partir.
Il la regarda, étonné.
-Je n'ai pas perdu de moutons. J'ai perdu mon Maître. Et je croyais que tu voulais que je revienne, tu me l'avais demandé.
-Oui, mais ça c'était avant que tu dises non !
Il ne l'écoutait plus, complètement obnubilé par une boule à neige. Mona décida de bouder. Il serait bien obligé de lui reparler à un moment. Et là, il verrait qu'elle n'était pas contente.
Mais non ! Il semblait pouvoir se distraire indéfiniment en secouant l'objet. Agacée, elle le lui arracha des mains.
Il la regarda avec des yeux ronds. Mona était furieuse maintenant :
-Soit tu sors de ma chambre, cria-t-elle, oubliant totalement qu'elle devait rester discrète, soit tu m'expliques qui tu es et pourquoi tu es là !
Il ne pipa mot, fixant la neige qui voletait au creux de sa main.
Cette fois, son père montait les escaliers.
-Bien fait pour toi ! se félicita la petite. Papa va te mettre dehors.
La porte s'ouvrit.
-Mais qu'est-ce que tu fais Mona. Ça va pas de crier comme ça ? Tu devrais être au lit.
-Papa ! sauta-t-elle dans ses bras. Tout ça c'est sa faute à lui ! Il est entré par la fenêtre et il ne veut pas partir !
-Il est tard Mona, ce n'est plus l'heure de jouer. Il y a école demain. Va te coucher.
-Mais papa, le garçon !
-Si dans dix minutes tu n'es pas sous les couvertures, je vais m'énerver, prévint-il en poussant la porte derrière lui.
Elle se tourna vers l'enfant, stupéfaite.
-Comment tu as fait ça ?
-Comment j'ai fait quoi ?
-Comment tu es devenu invisible.
-Je t'ai déjà dit, normalement personne ne peut me voir.
-Mais moi je te vois très bien.
C'était vrai, elle le voyait bien. Il était un peu plus grand qu'elle mais pas de beaucoup. Il portait un long manteau noir sur un pantalon blanc. Ses cheveux marrons étaient en bataille, et ses yeux noirs, plantés dans les siens.
-Oui tu peux me voir, et c'est pour ça que je suis venu.
Il fronça les sourcils, et l'observa d'un air sévère :
-Tu as forcément quelque chose à voir dans cette histoire.
-On joue à un jeu ?
-Qui es-tu ? lui piqua-t-il la poitrine de l'extrémité de son bâton. Pourquoi tu peux me voir ? accentua-t-il la pression. Qu'est-ce que tu sais de mon Maître ?
-Quoi ? leva-t-elle les mains au dessus de sa tête, comme dans les films. Mais je sais pas moi, je le connais pas ton maître, on est même pas dans la même école !
-Tu n'es pas celle que tu prétends être, ou tu sais forcément quelque chose. Parle !
Mona pouvait lire la colère dans ses yeux, la véritable colère qu'elle lisait parfois dans ceux de sa mère.
-Parle ! appuya-t-il encore plus fort avec son bâton.
Elle se mit à pleurer. Et pas qu'un peu. Mona aurait bien voulu s'arrêter mais elle ne pouvait pas. Ses larmes dégoulinaient le long de ses joues sans qu'elle puisse rien y faire.
Il baissa son bâton de berger.
-Tu es méchant, chouina-t-elle, je ne connais même pas ton prénom. Je ne sais pas pourquoi je peux te voir moi ! C'est pas ma faute si tu es invisible !
-Bon, fit-il, toute trace de colère évaporée de sa voix. C'était juste une hypothèse.
Il s'assit sur son lit, le menton posé sur ses mains, elles-même posées sur le bâton.
-C'est qui ton maître, demanda Mona en s'essuyant les yeux, pourquoi tu crois que je le connais ?
-Mon Maître est une Âme, annonça-t-il fièrement, se redressant. Cela fait maintenant deux cent ans que je suis son apprenti, je devrais bientôt devenir Âme moi aussi.
Mona le fixait avec de grands yeux.
-Malheureusement, s'assombrit-il, il a disparu. Et je ne peux pas devenir une Âme sans son accord.
Bien que la petite n'ait aucune idée de ce qu'était une âme, elle se sentit triste pour lui. Cette histoire avait l'air de lui causer beaucoup de peine.
-Mon papa dit, que quand on veut très très fort quelque chose, ce quelque chose arrive toujours. Tu devrais continuer à chercher ton maître, rappelle-toi où tu l'as perdu, il ne devrait pas être bien loin. Moi, ça marche souvent avec mon doudou.
Il ne semblait pas convaincu.
-Dis ? demanda-t-elle, après un instant de silence. Tu as vraiment deux cents ans ?
-Je n'ai jamais dit ça, s'offusqua-t-il. J'ai huit ans, tu le vois bien !
-Mais tu as dit…
Il essuya ces paroles d'un geste de la main :
-Vous les humains, vous êtes si fermés d'esprit. C'est pour ça que je suis bien content que vous ne puissiez pas me voir. Et puis vous posez trop de questions.
Mona fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il avait lui à toujours la critiquer ? Elle n'arrivait pas à savoir si elle l'appréciait ou pas. Parler avec lui valait toujours mieux que dormir, mais qu'est-ce que c'était compliqué ! Les âmes, les humains, l'invisibilité, les bergers... La fillette commençait à avoir mal à la tête. Néanmoins, ce garçon au regard noir la fascinait. En l'écoutant parler, elle avait l'impression qu'il sortait d'un des grands livres de contes qu'elle feuilletait chez sa mamie, ceux avec les belles images. Mona adorerait vivre dans un conte elle aussi. Et de préférence, être une princesse !
-Dis, demanda-t-elle, tu viens me voir demain matin, à la récré ? Je pourrais t'aider, à le chercher ton maître !
Il afficha une moue dubitative, avant de hausser les épaules.
-Je ne sors jamais le jour.
-Pourquoi ?
Il leva de nouveau les épaules :
-Je sais pas trop.
Elle allait lui faire remarquer quelque chose mais se retint. Après, il allait encore la traiter d'humain. -Mais peut-être, reprit-il, que tu pourrais quand même m'aider. Je ne sais pas, il faudrait que je réfléchisse. Après tout tu peux me voir, alors peut-être qu'on pourrait s'associer.
Il se leva.
-Je reviens te voir demain soir, alors. C'est décidé.
Et sans plus de formules d'adieux, il s'éclipsa par la fenêtre.
La lune était pleine et l'illuminait tandis qu'il s'éloignait de la maison, son bâton faisant résonner le béton. Mona s'accouda devant la vitre et l'observa disparaître dans l'ombre.
« Je ne sors jamais le jour. »
Qu'est-ce qu'il était étrange quand même, son Berger de la Lune.
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