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 Les petits vieux feraient mieux de rester chez eux

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jihel
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jihel


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MessageSujet: Les petits vieux feraient mieux de rester chez eux   Les petits vieux feraient mieux de rester chez eux Icon_minitimeJeu 19 Nov 2020 - 16:34


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Au moment précis où Jeanine tend la main pour pousser la lourde porte du bureau de poste, celle-ci s’ouvre à la volée.
Heureusement la vieille dame, qui prépare toujours ses gestes bien longtemps à l’avance, était encore tout juste hors de sa portée.
Le jeune homme qui se catapulte hors de l’établissement s’arrête net pour ne pas la percuter.
Il essaie un pas à droite tandis qu’elle tente une dérobade par la gauche. Loupé.
Elle rit d’un petit rire de souris qui rit et, confuse, tente de se garer à droite.
Mal lui en prend car le cavalier involontaire de ce pas de danse improvisé joue une nouvelle fois le reflet dans la glace et les voici encore face à face, hélas.
Jeanine choisit alors la meilleure tactique, elle reste immobile, se contentant de murmurer un « excusez-moi, Monsieur » qui s’englue dans son sourire gêné.
Lui lançant un regard noir, le type, au prix exorbitant d’un nouveau pas de côté, parvient enfin à s’esquiver.
Il roumègue un truc dans lequel on devine des considérations peu amicales pour ces « vieux débris qui feraient mieux de rester chez eux » puis se lance à grandes enjambées vers son horizon aventureux de jeune cadre dynamique surbooké et pas peu fier de l’être.
Jeanine, pas rancunière, le remercie dans son for intérieur de lui avoir démontré de manière incontestable que cette porte qu’elle comptait pousser doit au contraire être tirée pour remplir sa fonction d’huis.
Encore faudrait-il en avoir la force.
Jeanine se demande parfois si ces portes ne sont pas conçues spécifiquement pour décourager les petits vieux de s’entêter à aller sortir de l’argent liquide. Probable que certains d’entre eux, incapables de se souvenir où ils ont rangé leur carte bancaire, incapables de surcroît de se rappeler du code si – par hasard – ils la trouvaient, incapables aussi de remplir de leur main tremblotante un chèque suffisamment lisible, sans compter qu’ils s’y perdent entre les anciens euros et les nouveaux, ou alors c’était les francs peut-être ?
Jeanine, qui a laissé couler sa pensée, ne se rappelle plus quelle en était la source. Ah oui ! Probable que des vieux, donc, meurent devant la porte. D’épuisement et d’inanition. Sûrement, un service de la mairie évacue les corps pour ne pas faire désordre.
Si les vieux sont lents, c’est parce qu’ils pensent à plein de choses.
Et c’en est parfois une bonne. Comme aujourd’hui, car le temps qu’elle pense à tout ça, une matrone s’est présentée, l’a délicatement poussée sur le côté et a vaincu le monstre d’une traction impitoyable.
Un « allez-y ma p’tite dame, moi j’suis pas pressée, j’suis en vacances, c’est juste pour des cartes postales alors ça peut attendre un peu pourvu qu’elles arrivent avant nous, ahahah » plus tard, voilà Jeanine dans la place.
Il serait intéressant de raconter sa rencontre avec une préposée tout aussi serviable qu’éberluée (mais comment vous n’avez pas de carte bancaire ? tout le monde a une carte bancaire !). Toutefois, comme ce n’est pas notre sujet, nous nous en abstiendrons d’autant que les échanges furent relativement longs et, somme toute, un peu répétitifs ! Nous passerons de même sous silence l’intervention du directeur (mais comment vous n’avez pas de carte bancaire ? tout le monde a une carte bancaire !) appelé en renfort par sa collaboratrice  déboussolée par cette cliente insuffisamment affranchie voire un peu timbrée.
Et nous retrouvons donc Jeanine de l’autre côté de la lourde porte que la matrone se fait un plaisir de lui pousser, vu que le hasard a bien fait les choses et que notre vacancière a fini d’expédier ses quarante cartes postales au moment précis où Jeanine, enfin, a pu obtenir la somme longuement réclamée.
Somme qu’elle range soigneusement dans son grand sac cabas.
- Quand même, vous devriez faire attention, dit la matrone en observant l’action. Vu l’épaisseur de l’enveloppe, ça pourrait tenter des voyous.
- Oh, pensez vous, on ne tue pas les gens pour quelques centaines d’euros.
- Mais ne parlez pas si fort, s’alarme Madame « cartes postales » en jetant autour d’elles des regards inquiets.
Et il y en a des suspects dans cette rue.
Ce SDF au pied des marches qui fait la manche. Ces deux jeunes écervelés échevelés qui – sourire ironique aux lèvres - les regardent en se poussant du coude. Ce type mal rasé, mal peigné, mal vêtu et manifestement mal aimable qui leur lance un regard torve. Et même le boucher, de l’autre côté de la rue, qui, couperet sanglant à la main, semble les épier du coin de l’œil en faisant mine de regarder sa montre.
Moite d’inquiétude, la brave dame abandonne sa protégée d’un instant, non sans marmonner que, quand même, « les petits vieux feraient mieux de rester chez eux ».
Jeanine se met en route à petits pas.
Après avoir offert au SDF une petite pièce et un grand sourire, elle se met en chemin. Elle s’arrête chez le boucher au couperet qui la salue avec affection puis chez la couturière à qui elle a confié un petit travail que ses vieilles mains rechignent désormais à accomplir. Elle passe évidemment saluer le petit épicier arabe qui n’a pas de client à cet instant. Le salut se prolonge en longue conversation sur le temps, météo et celui qui passe si vite, les manifestations qui viennent  de prendre fin, celles qui vont bientôt débuter, le chômage, des nouvelles de la famille – nombreuse - du petit épicier, la santé –chancelante - de quelques habitants du quartier et le chat de Jeanine qui, lui aussi, est en petite forme.
Quand elle repart il est temps pour le soleil aussi de rentrer chez lui, sur la pointe des rayons pour ne déranger personne.
Soir qui tombe… Tous les cent mètres elle sort son enveloppe pour vérifier qu’elle est toujours à sa place.
Elle avait raison, cette gentille dame, l’argent ça attire parfois les gens mal intentionnés.
Et justement…
Elle voit le jeune homme derrière elle. Maigre à l’extrême, le cheveu gras et raide, il marche un peu voûté, sans se presser. La distance entre eux reste stable. Ses yeux sombres sont braqués sur elle.
Elle accélère.
Lui aussi.
Il la suit.
Inutile de courir. Il est forcément bien plus rapide qu’elle ne pourra l’être. Alors reste à espérer qu’elle se trompe, n’est-ce pas ?
Elle quitte la rue relativement animée pour emprunter une grande allée pavillonnaire. Déserte. Les braves gens sont devant leur télé, les devoirs des petits ou pas encore rentrés du travail. Dans ces rues on ne vit pas. Les maisons sont des sous-marins immergés en silence radio. Autour c’est l’océan froid et sans âme.
Bon, parfois le samedi matin quand Monsieur passe la tondeuse ou lave la voiture, quelques marins s’interpellent. « Ohé du navire, tout va bien à bord ? », « Oui ça va et chez vous ça va ? », « Oui ça va », « Alors ça va », « Oui, à la prochaine. Bonjour à Madame ».
Enfin bref, il n’y a personne, quoi.
Jeanine jette un coup de périscope en arrière. Le gars ne fait pas mine de s’approcher. Influencée par la matrone et l’apparence inquiétante de son pisteur, elle l’a sans doute suspecté à tort.
Ou alors…
Ou alors il la connaît.
Il la connaît et il sait qu’elle va devoir emprunter ce passage encore bien plus vide que cette grande allée vide. De hauts murs de chaque côté. Pas de fenêtre. Pas de lumière. Toujours l’océan, mais par en-dessous, noir et glacé.
C’est sûr, il attend la ruelle.
Que faire ? Pas d’autre moyen de rentrer chez elle. Une nouvelle fois Jeanine se résigne. Ce qui devra arriver…
Le destin attend là. Dans ce boyau juste à droite, aussi engageant que le couloir de la mort. En plus de lourds nuages ont fait la course avec la lune et, sans doute parce qu’elle est lourde et pleine, ils ont gagné !
Alors quand Jeanine s’y engage, c’est comme si quelqu’un avait tourné un interrupteur. Couvre feu !
Par réflexe, elle accélère la cadence.
Il a tourné dans la ruelle. Il accélère lui aussi et son moteur est manifestement plus puissant que celui de la vieille dame. Même, pour arriver si vite, il a dû parcourir les cent mètres qui les séparaient en courant.
Elle s’arrête, se retourne pour le regarder.
Le visage de l’homme est mort, sans émotions.
- Donne ton putain de sac et tout ira bien.
Elle serre l’objet contre elle, y plonge la main.
Lui a sorti quelque chose de sa poche, il l’ouvre d’un mouvement sec du poignet. C’est un de ces vieux rasoirs de l’ancien temps avec manche en corne et lame effilée.
- Pas la peine de cramponner ton enveloppe. Je vais la prendre de toute façon. Et je m’en tape que ce soit sur ton cadavre. T’aurais mieux fait de rester chez toi, la vieille !
Dans le ciel, la lune échappe aux nuages.
Une jolie lune.
Un joli reflet.
Une jolie lame.
Un joli jet.
De sang.


Jet d’eau claire pour nettoyer la lame ensanglantée.
Pensée furtive. Le corps git dans la ruelle, la tête tournée vers la lune que ses yeux ne voient plus.
Le sac cabas est posé sur la table de la cuisine, juste en face de l’étagère avec les cadres.
La photo de Manon, souriante, rayonnante de ses vingt ans, belle comme un cœur.
Cette photo, juste à côté du diplôme encadré, jauni, rendu anecdotique par quarante années de carrière. Tant de vies sauvées grâce à cette dextérité, ce coup de scalpel unique qui faisait d’elle l’une des meilleures chirurgiennes de l’hôpital, de la ville, même de la région sans doute.
Elle toise l’article de presse, encadré lui aussi, son titre racoleur. Les journalistes aiment les meurtres sanglants, surtout quand la victime était belle comme un cœur et qu’elle avait vingt ans. Ils aiment parler du sort cruel qui frappe une vie innocente, la nuit dans une ruelle sombre, pour un désir sordide.
Le regard de Jeanine glisse à nouveau vers la photo de sa fille, lui sourit triste.
- Ce soir j’en ai encore eu un autre.
Elle glisse le scalpel propre dans son sac, prêt pour la prochaine proie.
Elle quitte la pièce après avoir éteint la lumière et va se coucher.

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