Pour un ciné
Ce soir, ça fait onze semaines que je le connais. Ça fait combien, ça ? Quatre et quatre = huit, trois fois quatre = seize... presque trois mois. Cela me paraît tellement court... et tellement long à la fois.
Il y a presque trois mois, il m'a invitée au cinéma. J'ai attendu notre rendez-vous toute la semaine, impatiente. Il est arrivé avec dix minutes de retard, on a failli louper le début du film. Je lui avais fait plaisir devant le guichet, parce que je ne voulais pas aller voir ce film de la seconde guerre mondiale. Cet énième film de la seconde guerre mondiale. J'aime pas la guerre. Finalement j'avais vu le bon côté des choses : je me cultivais, et j'étais avec lui.
Ensuite, on a déambulé pendant presque une demi heure dans les petites rues du centre ville pour trouver un restaurant pas trop cher, convivial, discret.
C'est court, trois mois... et pourtant si long. Au début on n'était que « partenaires de ciné » : chacun accompagnait l'autre pour voir ces films qui n'intéressent personne. Et puis on est devenus bien plus que cela. A force de passer toutes ces soirées ensemble. A force de se connaître. A force de...rêver peut-être.
Ça doit être ça. J'ai dû trop rêver. Les filles sont naïves. Tout le monde le sait, elles le savent, je le sais. Et pourtant, à chaque fois elles tombent dans le panneau. Je suis tombée dans le panneau.
Il a fallu que je le voie de mes propres yeux pour le croire. Je le sentais, mais c'était plus fort que moi : je fermais les yeux pour ne pas l'admettre.
Cela a commencé par un
sms : « Largue la, vi1, ma coloc é partit ». Je suis restée plusieurs secondes à fixer son téléphone. Le temps que je réussisse à déchiffrer, il était sorti de la douche. Je lui ai demandé de qui cela venait, il a changé de sujet.
Finalement quand j'y repense, j'ai envie de rire. Se faire avoir comme ça, par une fille comme ça. En fait je n'en veux même pas à cette fille, ni à lui d'ailleurs. Je n'y arrive pas. J'essaie d'être en colère, mais je n'y arrive pas. J'ai envie de pleurer, mais je n'y arrive pas.
Quand je l'ai vu embrasser cette fille sur le pas de sa porte d'entrée, j'ai voulu lui sauter dessus. Le frapper. Fort. Mais je n'ai pas pu.
Je ne sais pas quoi faire. Demain, il m'appellera. Il me proposera d'aller voir le dernier film d'un réalisateur islandais inconnu. Moi, je nous avais prévu une sortie en amoureux, pour aller voir l'adaptation d'un roman que j'adore. Mais maintenant, je ne sais plus quoi faire.
...
Ah, si. Demain, j'irai à la librairie. J'achèterai un dictionnaire. J'ajouterai un
bled conjugaison-grammaire aussi. Ensuite, j'irai poser tout ça sur le pas de la porte d'entrée de l'autre.