Lettres de retour [Cali]

Me voilà de retour, pour vous jouer un mauvais tour!
Non, pardon pour la référence. J'espère que ce n'est pas un mauvais tour que je vous joue en postant ma dernière née.
Ca faisait longtemps que j'avais pas écrit ! J'espère que ma plume ne s'est pas trop rouillée...
C'est un peu plus long que d'habitude, j'espère que cela ne vous découragera pas.




Marie composa le code du bâtiment où elle logeait, franchit la lourde porte, et ouvrit sa boîte aux lettres en attendant que l'ascenseur descende. Pas beaucoup de courrier aujourd'hui : une facture, une pub', et... une lettre de lui.
La jeune femme soupira et entra dans l'ascenseur. En arrivant dans son appartement du cinquième étage, elle balança son sac et ses clés sur le canapé, puis rejoignit la table où elle posa les trois lettres.
Évidemment, elle savait ce qui l'attendait dans la dernière. Et elle ne voulait pas y arriver. Pas tout de suite. Elle avait passé une plutôt bonne journée, après tout...

En venant en Argentine, elle avait accompli un de ses rêves. Les autres la faisaient sourire : son objectif de toujours avait été de se marier avec un homme d'une nationalité différente de la sienne, dans un pays étranger, et d'avoir chacun de ses enfants – deux, trois ? - dans un pays différent. Cela serait certainement plus difficile... Enfin, qui sait, comme le lui répétait sa meilleure amie, peut-être qu'elle trouvera un gentil Argentin...
Marie adorait son job ici. Elle allait dans pleins d'entreprises différentes pour servir d'interprète. De la viande à la sculpture en passant par le tourisme.
Côté social, disons que Marie avait ce dont elle avait besoin. Elle connaissait beaucoup de gens, mais ne gardait que quelques amis proches. Elle s'était mise en colocation avec une américaine, ce qui créait parfois des situations intéressantes : étant française, parlant anglais à l'appartement et espagnol en dehors...
Marie avait eu quelques aventures depuis son arrivée. Rien de sérieux. Le bel Argentin n'avait pas encore frappé à sa porte...

Cette dernière pensée la ramena là où elle était : assise devant cette table, cette lettre dans les mains. Cette lettre qu'elle redoutait. Elle l'ouvrit soigneusement et sortit délicatement ces deux feuilles entre-pliées de papier blanc.
Elle survola l'écriture, et une phrase l'arrêta.

« Écoute, Marie, quand tu reviendras... »

Marie n'en lut pas plus. Elle replia la lettre d'un geste rapide et bouleversé, la rangea dans l'enveloppe, et la jeta sur la table. Pourquoi parlait-il de son retour ?

Elle l'avait quitté huit mois auparavant. Pour beaucoup de raisons, et sans raison à la fois. La principale était qu'elle partait. Définitivement. Enfin, plus ou moins.
Sur le moment, elle s'était dit qu'elle était à l'aube d'une nouvelle vie. Tout effacer, tout recommencer.
Alors tout s'était passé comme tout se passe toujours. Elle avait hésité, s'était torturée l'esprit pendant plusieurs semaines alors qu'ils se voyaient toujours; et il voyait bien, lui, que quelque chose n'allait pas. Elle se montrait distante malgré elle. Comment s'investir à fond avec la personne qu'on aime si l'on n'est pas sûr de soi ? Il avait fini par lui demander, elle avait fini par lui avouer.
Comme toujours et pour tout le monde, la situation était restée floue pendant encore plusieurs semaines. Elle n'était pas sûre, il était là, et c'était tellement facile de retourner dans ses bras.
Puis il est parti en voyage, et tout s'est simplifié. Il allait rentrer deux jours avant son départ à elle. Ce serait tellement simple. Elle allait faire ses bagages sagement pendant ces deux jours et ne sortirait pas de chez elle.


A la longue, ca en a mit, du temps. Et oublier a pris encore plus du temps. Mais elle est finalement partie. Elle s'est immergée dans cette nouvelle vie qu'elle avait tant voulue. Et avec le temps, avec la vie, elle avait oublié. Oh, rien de négatif à cela, au contraire.

Et elle a finalement reçu cette lettre. Ce n'était pas la première, il lui en avait déjà envoyé plusieurs. Quel obstiné. Elle n'avait jamais répondu : à quoi bon ?

Mais ces lettres avaient fini par semer le doute en elle. Elles avaient ramené des souvenirs, habité ses pensées, et finalement dessiné des sentiments. Étaient-ils vrais, étaient-ils sincères ? Elle n'en savait rien, et la meilleure solution qu'elle avait trouvé était de les laisser dormir là-bas, loin, tout au fond d'elle-même.
Dans ses lettres, il lui parlait à chaque fois du futur, de son retour, d'eux. Pourquoi ? N'avait-il pas oublié, lui aussi ? Elle avait passé tous ces mois à oublier. Qu'avait-il fait, lui ?

Quelqu'un toqua à la porte et arracha Marie à ses sombres pensées. Sa petite américaine rentrait-elle déjà ? Cette idée la laissa indécise : si elle la voyait dans cet état, elle allait lui demander de déballer toute l'histoire. Mais en même temps, si Marie réussissait à passer à travers, son amie pourrait la distraire et emmener cette foutue lettre loin de son esprit.

Marie se détourna de la table pour aller ouvrir – et s'effondra en voyant celui qui l'attendait derrière la porte.

Pendant tous ces mois, il l'avait aimé. Il l'avait cherché, avait par miracle obtenu son adresse, avait envoyé six lettres à l'adresse donnée, n'étant même pas sûr que c'était bien la sienne. Mais il avait besoin de lui parler, et c'est ce qu'il avait fait en envoyant ces lettres, peu importait qui les lisait. Peu importait si elle l'écoutait ou non.

Il avait essayé d'oublier, lui aussi. Mais sans succès. Il ne comprenait pas. Pourquoi tout compliquer ? Pourquoi la distante empêcherait-elle l'amour ? Il était là, maintenant. Il en avait eu marre d'attendre. C'était aussi un peu pathétique de parler sans obtenir de réponse.

Il ne pouvait rester que deux, trois jours tout au plus. Mais il l'attendrait, et quand elle reviendrait, il serait là.

Elle lui sauta dans les bras, caressa ses cheveux, son visage, et l'embrassa.

- Tu es fou. Et je suis amoureuse d'un fou.

Belle histoire d'amour !

Rien ne remplacera une lettre pour la liaison des coeurs.