Petite nouvelle, inspirée d'un concept de jeu vidéo qui me trottait dans la tête.
Vers l’infini et à demainLa bataille a lieu demain. Tous, nous repensons aux raisons qui nous ont poussées à nous engager dans cette guerre. Pendant ce temps, le colonel nous récite son discours : j’imagine qu’il parle de courage, d’honneur et de dignité. Mais il ne va pas tarder à bifurquer, pour nous rappeler une dernière fois tout ce qu’il y a à savoir sur les Griffes du temps.
Car qui peut réellement comprendre tout ceci ? Déjà que le voyage temporel, dans son acceptation habituelle, c’est franchement le bordel. Alors le nôtre, qui agit selon certaines lois statistiques et dans un sens déterminé…
Petit, je rêvais de me rendre à l’époque des dinosaures et de chevaucher des diplodocus. Pas de voir des humains vieillir en quelques secondes, avant de disparaitre dans le néant.
Il débute les rappels techniques, tout ce dont on nous rabâche les oreilles depuis 6 ans. Dans les rangs clairsemés des vétérans, je vois des hommes trembler à l’évocation de ces affrontement inimaginables, traumatisés par les souvenirs de camardes redevenus bébés avant de disparaitre, ou d’amis transformés en poussière par un vieillissement instantané.
Parmi les survivants étalés devant mes yeux, certains sont vieux, bien trop vieux. Je suis obligé de détourner le regard, pour ne pas contempler ma plus grande peur devenue réalité, des années entières volées à cause d’une erreur de pilotage.
Maintenant, nous sommes obligés de rendre hommage aux allumés qui ont conçu le dispositif temporel : pourquoi ? La guerre était moins infecte quand on tirait des missiles. Pas de coups par derrière, et tiens que je te ramène à tes 4 ans pour te finir ! Sans oublier d’honorer les vaillants ingénieurs de l’armée, à l’origine des incroyables déflecteurs qui transfèrent l’anomalie temporelle vers le pilote du vaisseau. On est un petit groupe à penser que la démocratisation des Griffes dans les conflits galactiques a une cause financière : les hommes coutent moins cher que la technologie de pointe.
Et on continue sur la dichotomie fondamentale : laser bleu, retour vers le passé, laser rouge, retour vers le futur. Evidemment, pour éviter une modification par trop erratique du temps, les voyages du pilote se font par tranche de dix ans. Pourquoi dix ans ? C’est la première question que j’ai posée en arrivant. Sur quoi on m’a fourni la réponse la plus répandue dans l’armée : ce sont les ordres. Et aussi, pourquoi faire attention au continuum espace-temps ? Des millions de couillons qui créent des anomalies à plus soif, ce n’est pas suffisant pour le détraquer ?
Garde-à-vous ! Le discours est fini. On a l’air beau, crispés dans nos uniformes flambants neufs à l’aube probable de notre mort. Quoique, comme le prétendaient les vieux mages dans les films de mon enfance, il y a bien pire que la mort.
La non-existence par exemple
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Je rentre dans mon vaisseau, derniers réglages avant le décollage. Malheureusement, tout est en ordre, et je n’ai d’autre choix que de m’envoler avec le reste de l’escadron, une boule au ventre. Durant tout le trajet, je pleure comme un gamin. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas perdre des années de ma vie, juste parce que je n’ai pas pu éviter un foutu projectile rouge !
Je me reprends, essuie mes pleurs, et me positionne, prêt à l’attaque. Mes mains serrent les manettes jusqu’au sang, comme si j’essayais de faire disparaitre ma crispation dans la Griffe.
Et alors, j’aperçois la flotte adverse, dans l’espace infini. Nous allons mourir. Tous, dans les deux camps. Cette révélation me prend aux tripes, je reste tétanisé, incapable de me mettre en formation. Ce sont les cris essoufflés du colonel qui me font revenir à moi, et je me place comme prévu, dans la première ligne. L’attaque est lancée, et je m’engouffre dans la bataille, les mains tremblantes, le cœur tambourinant dans la poitrine.
Vrille, piqué, tir et esquive. J’évite de justesse une salve de bleuté, renvoie à l’adolescence plusieurs ennemis, et me place finalement un peu en retrait, pour analyser la situation. Mais à peine sorti de la mêlée, je suis assailli de toute part par les lasers à longue distance, qui quadrillent de rouge le vide cosmique. Vite, à nouveau au cœur de la bataille, pirouettes et acrobaties sur le fil, et tir, tir, tir. Jamais s’arrêter, continuer jusqu’à l’extermination totale. Je me suis habitué aux pleurs de bébés et aux râles de vieillards dans mes hauts parleurs. Tout entier, j’appartiens à la débauche de violence temporelle, je prends plaisir à annihiler des vies. Oui, je me sens bien, je suis devenu le bras de temps, je pourfends le tissu vital des ennemis avec ma Griffe !
Et ma main moite glisse sur le manche. Il ne me faut qu’un instant pour reprendre le contrôle, mais déjà c’est trop tard pour éviter la lumière bleue, elle est sur moi.
Eh merd...
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Boom boom ! Papapapapapa ! Ahaha, tu croyais que tu allais m’avoir sale enfoiré. Je ne possède pas tous les high scores de la ville pour rien ! J’adore ce jeu ! Réaliste, avec un vrai cockpit. Et ... prends ça ! Un super système de combat ! On se croirait dans l’espace, c’est fou. Je vais devoir dépenser tout mon argent de poche pour ce truc, c’est sûr.
J’ai les mains pleines de sueur, mais ce n’est pas ce qui va m’empêcher de jouer. Je suis le plus grand, j’esquive sans problème, je vise avec précision ! C’est tout ce que vous pouvez faire ? Débiles, crétins de bots, je vais tous vous exterminer jusqu’au dernier ! En avant. Petite esquive rapide, en plein dans le mille, retour en arrière et je pars en looping. Ah ! J’en ai dégommé trois ! C’est cool, ce système de laser de couleur, un peu comme Ikaruga. Le bleu marche mieux par contre. Crevez, crevez tous, vous pensez pouvoir m’abattre ? Je suis le maître des jeux vidéo, même avec une seule main je vous détruis totalement ! Gauche droite, motif moisi à éviter et je tire. Manque un peu d’explosions mine de rien. C’est plus gratifiant quand on a des Boom visuels. Ah, putain, c’est quoi cette salve. Merde, merde, merde, je n’aime pas ça, c’est plein de saloperies rouges ! Rah, non !
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Vite je stabilise la Griffe tout en abattant l’ennemi au loin. C’est pas passé loin. Encore heureux, je me défendais aux jeux vidéo. Mais je me sens encore plus mal, cerné par la mort de tous les côtés. La prochaine fois, je n’aurais peut-être pas la chance de me faire tirer dessus de la bonne couleur !
Maintenant, il faut repartir dans l’affrontement, continuer à se battre et à détruire des vies dans l’espoir que tout ceci prenne fin. Que l’horreur qui ronge mon faible courage n’ai pas raison de moi. Je reprends mes vieux réflexes de l’académie, mâtinés d’un peu de technique de salle d’arcade. Les pilotes disparaissent petit à petit, et j’ai finalement l’impression d’avoir nettoyé la zone de combat. Pas de hourra, tous mes compagnons de la première ligne ont disparus.
C’est alors qu’il apparait devant moi. Si j’étais toujours un adolescent, je l’appellerais surement le Boss. Mais pour l’adulte que je suis, c’est uniquement un risque de décès supplémentaire, et je tire sans hésiter. L’autre évite et vide un plein chargement de missiles sur moi. Je ne sais comment, dans ma surprise totale, j’arrive à ne pas me faire toucher. De vraies armes, du genre qui bousille le vaisseau, et toi avec ! Il vaut vite que je me reprenne, car cette fois, pas de deuxième chance : un coup dans l’aile, et c’est Game Over.
Le combat se déclenche entre nous, violent, presque solennel, ballet spatial de deux coucous à la dérive, salve après salve. Nous nous rapprochons, tirant et virant de bord, jusqu’à ce qu’on puisse se voir dans le blanc des yeux.
C’est un mioche. Un putain de mioche, avec ses petits yeux porcins, et cinq ballets au maximum. Cette saloperie de gamin essaye encore de me faire péter, mais ma Griffe est plus maniable, sans le poids supplémentaire des munitions. Je bout tellement de colère face à ce troufion que je me colle à lui, juste assez prêt pour que nos vaisseaux se frollent. Avec l’arrogance de son âge, il abat ma griffe. Trop tard pour lui, mon bleuté l’a déjà renvoyé dans l’utérus de sa mère. Mieux, je me retrouve aux commandes de son vaisseau, tandis que le mien fait boom. C'est un bug que j'ai trouvé pendant nos entrainements, une téléportation quasi instantanée basée sur une anomalie des déflecteurs.
Et Dieu merci, ça a marché du premier coup.
Au loin, je vois le reste de la flotte qui s'avance. Je suis probablement l'unique survivant de mon escadron, et je doute de pouvoir tenir encore une melée. Il me faudrait plus d'expérience, de maîtrise, de calme. J'observe incertain le gros bouton rouge, celui qui fait se tirer un rougé dessus.
Avec vingt années de plus au compteur, j'aurais peut-être une chance. Mais l'irrémmédiabilité de l'opération me bloque : après un vieillissement, on ne peut pas rajeunir à son age d'origine. Encore une règle complètement stupide, mais ici, d'après ce qu'on m'a dit, justifiée par l'essence même du temps. J'hésite encore . Mais la flotte fonçant sur moi me presse. Vingt ans de ma vie vont partir en fumée. Encore heureux, ce vaisseau a les même codes couleurs que ma Griffe. J''appuie, deux fois
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Ahah ! J'ai atteint le deuxième niveau ! Ramenez vous, je vais finir ce jeu !
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C'est beau. J'aime bien. Les étoiles, je crois que ce sont des fées. Des gentilles, comme la fée des dents. Maman, je peux aller regarder les dessins animés ? Maman ? … Papa ? Vous êtes où ?
J'ai peur. Il y a trop de bruit, et des machines bizarres sont là. Maman ! C'est toi derrière cette lumière bleue ? Je peux aller jouer dehors ?
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