La Horde de la Kirin partie 01

I :

Le bruit du brasier dans le port d'Haetosagare n'arrivait pas à couvrir les hurlements de douleurs des hommes en train de brûler dans les bateaux en flammes. La chaleur se faisait étouffante et l'air chargé de cendres, de fumée ainsi que d'une odeur de graisse de poisson brûlé devenait irrespirable. Nakichi, samouraï du clan Fu, commençait à peiner en transportant encore un seau d'eau pour éviter que le feu ne se répande dans toute la ville.

— Dépêchez-vous ! Hurla-t-il à l'intention des ashigarus occupé à lutter contre le feu.

Il ne savait pas comment l'incendie avait démarré et le temps qu'il arrive du quartier des plaisirs où il s'occupait de la surveillance, presque tous les navires à quais étaient la proie des flammes. Le feu avait pris et s'était étendu à une vitesse surnaturelle, dévorant tout ce qu'il croisait sans laisser le temps aux hommes endormis dans les navires de fuir à son avancée implacable.
Il traquait chaque flamme, chaque début de feu qui prenait sur les bâtiments entourant le port. C'était trop tard pour les navires et les hommes, ils devaient laisser le feu se consumer et tout brûler.

— Rompez les amarres !

Nakichi se redressa, cherchant des yeux l’homme qui avait donné cet ordre. Il attrapa le bras d'un ashigaru prêt à obéir. L’empêchant d'accomplir ce geste qui ne ferait qu'empirer les choses.

— Arrêtez, bande d'idiots ! Ordonna-t-il aussi fort qu'il le pouvait.

Les Ashigarus s’arrêtèrent dans leur mouvement, ne sachant pas à qui obéir, préférant attendre plutôt que d'énerver un samouraï. Nakichi vit un homme s'approcher de lui, son visage déformé par la colère, son kimono de couleur bleu azur avec des dessins d'un blanc pur maculé par la cendre et la terre. Il reconnut Satsuna, le samouraï qui avait pour mission de garder le port.

— Comment oses-tu me contredire ? Il hurlait, la main déjà sur son katana.

Nakichi laissa échapper un grognement. Satsuna était au-dessus de lui dans la hiérarchie du clan. Il pouvait lui mener la vie difficile pour oser discuter ainsi ses ordres, mais il avait tort et Nakichi n'avait pas le temps d'essayer de le convaincre dans les formes.

— Si les bateaux partent à la dérive, ils vont s'écraser sur les autres pontons, voire pire : les murailles et le feu prendra alors dans toute la ville.

Nakichi avait parlé sans respirer et assez fort pour que d'autres samouraïs présents puissent l'entendre. Il s'était incliné, mais sa main était prête à saisir son katana pour parer une attaque éventuelle de Satsuna.

— Obéissez, chien ! Hurla Satsuna. Coupez les amarres !

Nakichi se redressa, priant un bref instant ses ancêtres pour que le pire ne se produise pas. Les bateaux commencèrent doucement à reculer, emportés par le va-et-vient des vagues. Les hommes qui avaient lutté contre le feu semblaient avoir arrêté de respirer jusqu'à ce que le premier bateau passe entre les portes grandes ouvertes du port. Un hurlement de joie se fit entendre, mais Nakichi resta silencieux. Le deuxième bateau passa près d'une des tours de la porte, les flammes léchèrent le bois. Puis le troisième bateau percuta la tour de plein fouet. Les pilotis tinrent bon, mais le feu prit rapidement, trop rapidement pour que ce soit naturel, sur le bois. Si les choses n'avaient pas été aussi graves, Nakichi n'aurait sans doute pas pu s’empêcher de sourire. Les autres bateaux s'écrasaient les uns contre les autres, quelques-uns mirent le feu à d'autres navires jusque-là épargnés et le brasier reprit de plus belle. Ce soir, les ancêtres n'étaient pas avec eux.
Nakichi regarda un bref instant Satsuna. Comme lui, il savait que le seigneur Haetosagare ne pardonnerait jamais une telle erreur. Nakichi lui tourna le dos, hurlant de nouveau des ordres pour essayer de lutter contre le feu qui commençait à courir le long des murailles. Ils devaient faire vite, sinon ils allaient être totalement débordés par les flammes.
Il fallut encore trois heures pour que les efforts des ashigarus et des samouraïs réussissent à venir à bout du feu, ne laissant plus que les restes d'un bateau qui avançait doucement vers l'horizon en finissant de se consumer. Nakichi essayait de retrouver sa respiration, sa gorge lui faisait mal à cause de toute la cendre et la fumée qu'il avait respirées. Il aurait aimé aller se reposer quelques heures auprès de sa femme, mais il fallait s'assurer que le chaos sur le port ne touche pas le reste de la ville et surtout le quartier dont il était responsable. Il n'avait plus rien à faire ici, c'était à Satsuna de réparer ses erreurs.
Nakichi fit signe à ses hommes de le suivre et il retourna vers le quartier des plaisirs. Cette fois-ci, il ne put s’empêcher de sourire. Satsuna allait tomber en disgrâce, peut-être que le seigneur Haetosagare lui demanderait sa vie pour restaurer son honneur. Dans ce cas, il serait en bonne position pour gravir quelques échelons et se rapprocher de la cour du seigneur de la ville. Nakichi s’arrêta, se retournant vivement pour s'adresser à Hagi, l'un des ashigarus. Ce n'était qu'un heimin, mais il était plutôt débrouillard et surtout prêt à tout pour plaire à son maître.

— Je veux que toutes les maisons de passe, les tavernes et les fumeries soient fermées pour le reste de la nuit, commença Nakichi. Hors de question de laisser traîner les habitants dehors après ce qui s'est passé. Vous avez aussi intérêt à vous faire propre.

Hagi s'inclina autant qu'il le pouvait, avant de se retourner et de commencer à donner quelques ordres rapides. Nachiki regardait l'ashigaru couvert de suif et de sueur essayer de paraître sûr de lui. La dizaine d'ashigarus commença à se séparer, allant rapidement transmettre les ordres de Nakichi aux habitants de la ville. Le samouraï devait prendre le temps de réfléchir. Le seigneur Haetosagare allait sûrement convoquer tous les magistrats chargés de la surveillance de la ville, pour savoir ce qui avait pu se passer et Nakichi avait bien l'intention de servir à son seigneur autre chose que des excuses et des promesses.