Le carnet voyageur

Cidael s’assit sur son tabouret. Comment allait-il se sortir de ce bourbier ?

Le roi lui avait demandé un enchantement extrêmement compliqué et dangereux, et, en bon servant de la cour, Cidael lui avait assuré qu’il le ferait. Cependant, il serait ardu de réussir une telle prouesse avec un talent comme le sien.

Il était entré au service du roi douze années auparavant, suite à la mort du puissant mage Ardal. Ses expériences lui avaient valu d’enflammer sa hutte à huit reprises et de faire effondrer une tour du mur d’enceinte. Il s’était aussi illustré en faisant passer le visage d’une servante de la reine du rose poupin au vert émeraude en voulant guérir d’une vilaine toux. Par chance, cette même toux l’empêcha d’enguirlander la mage bien longtemps.

Cidael devait maintenant enchanter une épée pour qu’elle soit capable de fendre une roche en deux sans s’émousser ou se briser. Ce sort existait, il fallait enduire la lame d’une potion, qui, en pénétrant le métal, rendait l’épée indestructible. L’effet, par contre, ne durait que quelques mois, mais s’il y parvenait, le roi consentirait à le laisser rester au château, dans le cas contraire…

Cidael frissonna à cette pensée. Il chercha durant un jour et une nuit complète dans les grimoires d’Ardal, lorsqu’il tomba sur un carnet qu’il n’avait jamais vu.

Rouge avec des reliures dorées, le carnet l’intriguait, l’attirait, l’invitait. Il était griffonné sur des dizaines de pages noircies, les autres totalement vierges, comme si l’auteur avait été interrompu.

— Est-ce là les notes de mon prédécesseur ? s’interrogea Cidael.
De l’encre apparue et se mit à danser sur la page devant lui, elle virevoltait jusqu’à former des lettres, des mots puis :
— Non, tu vois bien que les langues et les écritures sont totalement différentes !
Le mage recula, une fiole tomba et se brisa au sol. Il jura et reporta son attention sur le carnet.
— Quel type de magie est-ce là ?
L’encre se mit à nouveau en mouvement.
— Une que tu ne comprendrais pas, mais la liste est longue je crois.
— Hé le calepin, j’ai un feu qui pourrait faire un joli travail sur ta belle couverture rouge !

Les pages frémirent, l’encre forma des dessins, d’abord incompréhensibles, puis un visage devint distinct, celui de Cidael. Le portrait devint plus petit et tout le corps du mage apparut. Il se vit entouré d’une foule agenouillée, c’était une cérémonie, une consécration où le mage gagnait le respect de tous. Une phrase apparue en bas de la page :
— Je peux t’aider.

Cidael verrouilla la porte de sa hutte, une action pour le moins inutile compte tenu du trou de l’autre côté qui pouvait largement accueillir un homme, ou même un petit ours.
Il passa de nombreuses heures à suivre les instructions du carnet, d’abord méfiant, il constata rapidement que quelques conseils lui évitèrent une nouvelle flambée incontrôlée de sa demeure.

Après plus de trente heures sans dormir, il finit par s’écrouler, épuisé, affalé sur son bureau, le visage collé au carnet. À son réveil, ses souvenirs étaient flous.

Le carnet ! Il avait disparu, Cidael le chercha partout et déplaça plusieurs fois tout son fatras, de sorte que la hutte parue mieux ranger après qu’il est tout retourné. Au cours de sa recherche, il passa devant un miroir. La marque sur sa joue ! Il l’examina et reconnut les décorations qui ornaient la couverture du carnet. Tout ceci n’était donc pas qu’un simple rêve.

Il finit par se résigner, ce satané bouquin avait mis les voiles ! Le mage sortit pour s’aérer les idées, en ouvrant la porte, il tomba nez à nez avec le roi.

Il déglutit avec difficulté.

Il sentit un poids dans son estomac, ses intestins commencèrent à se manifester. Tradition matinale. C’est à ce moment qu’il sentit quelque chose dans la poche intérieure de sa tenue de mage. Il sortit une petite fiole pleine d’un liquide blanc et sourit.