Femme ou Louve ? [Titre non-définitif]

La douleur ravageait mon corps et je laissais échapper un hurlement alors que je m'effondrais nue sur le sol de la cave. Chacun de mes muscles, chacun de mes os, chacune de mes articulations me faisaient souffrir. Je sentais les organes à l'intérieur de mon corps se déplacer, accompagnée de bruits de succions et des craquements sinistres. Je respirais difficilement tout en essayant de bouger le moins possible en attendant que cette torture cesse enfin. Je hurlais quand je sentis mon crâne commencer à changer de forme. Le cri d'abord parfaitement humain se mua en celui d'une bête alors que ma mâchoire poussait vers l'avant pour devenir plus pointue.

— Ma chérie, tiens bon, c'est bientôt fini.

La voix de ma mère m'arrivait étouffée par la lourde porte en métal qui me coupait du reste de la maison. L'entendre me rassurait, elle était toujours là quand je devais me transformer. Je ne pouvais déjà plus parler et j'étouffais un hurlement pour ne pas lui faire davantage peur. Elle avait beau en avoir l'habitude, ma mère s'inquiétait toujours pour moi.

Je sentais mes dents bouger et changer de forme, mes oreilles pousser et remonter sur le sommet de mon crâne. Mes ongles durcissaient et ma langue devint plus grande. Mon cou s'épaissit jusqu'à ce que le collier en acier que je portais soit parfaitement ajusté.

Je me redressais sur mes bras quand je sentis ma queue jaillir de mon coccyx puis je m'effondrais haletante alors qu'une fourrure brune, me poussa sur tout le corps, remplaçant mes cheveux. C'était enfin terminé, une femme avait laissé sa place à une louve. Une louve qui n'était qu'un amas de douleur et maintenue enchaînée dans la cave de sa mère.

D'ici quelques dizaines de minutes, ma souffrance aurait diminué et je pourrais me redresser pour attendre en silence le moment de ma transformation dans le sens inverse. Une longue nuit qui se préparait.


— Rachel, mon ange, ça va mieux ?

Je ne me sentais pas encore parfaitement assurée sur mes jambes, mais je trouvais la force de marcher jusqu'à la table de la cuisine et de m'effondrer sur une chaise.

— C'est bon, grimaçai-je. La douleur est presque partie.

Un sourire Mi-joyeux, mi-triste sur le visage, ma mère déposa devant moi une assiette pleine de viande et de pommes de terre. J'avais toujours une faim de loup, si j'ose dire, après mes transformations. J'avalais rapidement le contenu de mon assiette alors que ma mère préparait une deuxième fournée.

— Il faut pas que tu tardes, nous avons du trajet à faire pour arriver à Sun Valley, dit-elle le dos tourné.

— Maman, ne t'en fais pas, soupirai-je. On a toute la journée pour aller à l'université.

Ma mère était du genre à s'inquiéter de tout enfin tant que cela me concernait. Il faut dire aussi que l'idée de me voir partir étudier dans l'une des plus grandes villes de la région et accessoirement la plus dangereuse, n'avait rien pour la rassurer. Sans parler de mon petit problème particulier.

— Je sais bien, mais je veux être sûre que tu sois correctement installé, dit-elle en me resservant.

Ma mère était un petit bout de femme de quarante-cinq ans. Elle portait ses cheveux courts, pour se faciliter la vie comme elle n’arrêtait pas de le dire et ses yeux verts étaient cachés derrière de lunette à monture carrée qui lui donnait un air sévère.

Nous vivions toutes les deux depuis ma naissance dans une petite ville perdue en plein milieu de la campagne : Den Hill. Maman étant la seule médecin généraliste à plusieurs dizaines de kilomètres, elle ne manquait jamais de consultation. Ce qui nous avait assuré un train de vie confortable sans rouler sur l'or non plus. Je finissais mon assiette, avalant au passage le café de ma mère dès qu'elle avait le dos tourné, avant de me précipiter à l'étage pour prendre une douche.

Je me débarrassais rapidement de mon T-shirt trop grand avec un dessin de vil coyote dessus, un cadeau de ma mère après mes premières transformations, et de mes sous-vêtements pour filer sous l'eau. Après mes changements, j'étais toujours couverte de sueur, de sable et un peu de sang, même si je n'avais jamais trouvé de blessure ou de cicatrice sur mon corps.

Sortie de la douche, je croisais mon reflet dans le miroir juste au dessus du lavabo. Ma transformation m'avait laissée dans un état pitoyable. Je n'étais certainement pas un canon de beauté, mais d'habitude j'étais tout de même au moins mignonne. Là je ressemblais à un fantôme. Ma peau était tellement pâle que j'avais l'air exsangue et d'immenses cernes soulignaient mes yeux verts qui me paraissaient presque ternes. Quant à mes longs cheveux blonds, ils me semblaient filasse et sales, même après m'être lavée. Heureusement pour moi, je récupérais rapidement, sans doute un effet secondaire de ma condition.

Je ne sais pas grand-chose de qui je suis, de ce que je suis. Il n'y a pas si longtemps j'étais une adolescente normale, bien qu'un peu renfermé et un soir de pleine lune l'année de mes dix-sept ans, je suis devenue un animal, une louve en plein milieu de la cuisine. Depuis, trois nuits par mois : la vieille, le jour de la pleine lune et le lendemain, je me couvrais de fourrure et marchais à quatre pattes. Heureusement pour moi, la nuit dernière était celle de ma troisième transformation, j'avais donc un peu moins d'un mois pour trouver une solution afin de me changer en sécurité à Sun Valley ou revenir ici pour trois jours.

Pourquoi aller aussi loin ? Déjà pour mes études, l'université d'art de Sun Valley était plutôt renommée dans l'état. Ensuite, je voulais retrouver mon père. Ma mère ne devenait pas une louve et si la majorité des animaux me fuyaient, je n'avais jamais été mordue par un loup. Je ne pensais pas non plus avoir été maudite par un sorcier indien ou quoi que ce soit d'autre. Alors, nous avions conclu qu'il y avait de grandes chances que cela vient du côté paternel de ma famille.