L'Héritier du Roi-Sorcier, Tome 1: Quête

          « Le Roi-Sorcier Marlan, Quatrième des Douze, Petit-fils d’Orlan Le Sage, Fils de Durlan Le Magnanime, Souverain de Nordcastel... »
          Le reste des titres ronflants et autres appellations pompeuses se perdirent dans les brumes de la somnolence qui assaillait le principal intéressé. Menacée de chute par la fatigue grandissante, sa tête n'était tenue en l'air que par la seule force de son bras accoudé sur son trône. Trône particulièrement inconfortable, songea-t-il.
          Les deux gardes à l'entrée donnèrent trois coups brefs sur le sol avec le manche de leurs lances. Les premiers paysans entrèrent en silence, comme écrasés par la présence de leur roi et par la majesté de la salle d'audience. Le seigneur des lieux daigna ouvrir un œil, parcourant du regard ladite salle.
          La maçonnerie antique, en granit sombre, s'élevait au point que la lumière des torches peinait à éclairer le plafond. Les murs ne comportaient nulle décoration et seul un tapis d'un bleu profond, allant de la lourde double porte en chêne au grand escalier menant au trône, apportait une touche de couleur dans ce paysage grisâtre. Le meuble de granit massif sur lequel il était assis était, quant à lui, orné de multiples gravures et sculpté pour représenter un gigantesque dragon prêt à s'envoler.
          Il observa la trentaine de citoyens rassemblés à l'entrée de salle et l'ombre d'un sourire se dessina sur son visage ridé : ce monument inspirait autant la crainte que le respect aux petites gens, car tous fixaient d'un air effrayé la créature de pierre si finement détaillée qu'on aurait pût la croire vivante. Les deux yeux de rubis qui luisaient dans la pénombre donnaient à la créature un regard étrangement réaliste.
          Avec un soupir de lassitude, il se redressa et prit la posture la plus droite que lui permettait son dos fatigué puis il fit signe au héraut de faire avancer le premier citoyen venu faire ses doléances. Une voix de velours liquide parla alors suffisamment fort pour que lui seul l'entende, le faisant frissoner :
          — Courage et patience mon roi. Ce sont les derniers pour cette lune.
          Marlan tourna la tête vers la personne debout à sa droite. C'était un homme d'une quarantaine de printemps, aux longs cheveux grisonnants coiffés en queue de cheval avec une fine barbiche et au visage tellement anguleux qu'on l'aurait cru taillé à la serpe.
          Sa peau burinée était couturée de multiples cicatrices blanchâtres, son nez crochu donnait l'impression d'avoir été cassé plusieurs fois et son visage était un masque n'exprimant aucune émotion. Ses vêtements étaient dissimulés à la vue du roi par une imposante cape noire.
          Il le fixait intensément à l'aide de son unique œil vert émeraude, l'autre étant caché par un bandeau noir. Le Roi-Sorcier frissonna, ayant soudain l'impression d'être un lièvre soumis au regard d'un faucon particulièrement affamé.
          L'homme détourna la tête et rajusta son chapeau à larges bords, occultant son visage dans l'ombre de ce dernier. Le roi passa une main lasse sur le visage et réajusta le fin cercle d'argent lui servant de couronne, puis il s'adressa à celui qui était debout à ses côtés.
          — Je sais bien mon bon Altar, mais cette tradition est lassante. Écouter leur plaidoirie me fatigue et plus les saisons passent, plus il devint difficile pour moi de rester éveillé. Je me fais vieux.
          Le dénommé Altar se garda bien de relever. Inutile d'accabler son souverain avec cette triste vérité.
          — Et cela est d'un ennui ! Je ne sais pas ce que je donnerai pour un peu d'action ! Continua le souverain.
          Altar esquissa un demi-sourire.
          — La dernière Croisade vous manque déjà ?
          Marlan balaya la réponse d'un geste de la main et caressa son menton barbu d'un air pensif.
          — Peuh ! L’Église et son armée d’incompétents ! Non, je regrette la dernière guerre contre Narzum. Ah... Le champ de bataille enfumé, le fracas des lames, le vrombissement des éclairs magique. Dit-il avec un brin de nostalgie. Une petite guerre entre Rois-Sorciers, voilà ce qu'il me faudrait.
          — Ça peut s'arranger. Souhaitez-vous que mes espions complotent contre Narzum ou Kojan ? Ils sont à fleur de peau en ce moment, je pensent qu’ils s’ennuient également.
          Marlan remarqua que le premier paysan était au bas de l'escalier, son chapeau de paille entre les mains. L'homme avait remarqué que son roi discutait avec le Premier Conseiller et attendait patiemment que les deux hommes aient fini.
          — Nous rediscuterons de tout cela après le dîner. Acheva le roi.
          Il se tourna ensuite vers le paysan au bas des marches et lui fit signe de monter.
          — Approche mon brave, je t'écoute.


          L'avant-dernier paysan remercia son roi d'une courbette et descendit les marches pour sortir de la salle d'audience. Le roi fit signe au dernier de s'avancer. Immédiatement, les sens d'Altar se mirent en alerte.
          Quelque chose clochait chez cet homme. Son dos était trop droit, ses vêtements étrangement neufs, ses mains trop propres et ses ongles trop bien entretenus. L’œil d'Altar se plissa, sa pupille se colora de bleu et sa vision bascula.
          Le monde lui apparut sous des nuances de bleus plus ou moins sombres, sauf à un endroit : la manche du paysan qui s'avançait. Une ombre jaune-orangée se dessinait nettement au milieu des vêtements bleu foncé. L'ombre se précisa, révélant la forme d'une dague.
          La pupille d'Altar reprit sa couleur vert émeraude, sa vision redevenant normale. Il se tourna vers son roi et parla suffisamment fort pour être entendu à la fois par Marlan et à la fois par l'homme qui montait les marches.
          — Mon roi, je dois m'absenter quelques minutes. Je vais voir un agent qui doit m'apporter des nouvelles.
          — Fais donc Altar, acquiesça le roi avec un signe de la main. Puis rejoins moi dans la bibliothèque, il faut que je t'entretienne de quelque chose, continua le souverain.
          — Bien mon roi, ajouta Altar en s'inclinant avant de commencer à descendre les marches.
          Alors qu'il croisait l'homme qui montait, ce dernier porta la main à sa manche et dégaina brusquement sa dague en hurlant :
          — AU NOM DE L'ÉGLISE, MORT À L'HÉRÉTIQUE !
          Puis il se jeta sur le roi assis dans son trône, qui le regardait d'un air incrédule.
          À peine l'assassin déguisé en paysan avait-il fait un pas en avant, qu'une sombre fumée apparut soudainement devant lui. Une main gantée de cuir noir surgit de la brume opaque, le saisissant à la gorge.
          L'infortuné se mit à beugler quelque chose d’inintelligible tandis qu'il était soulevé du sol sans aucun effort par un Altar émergeant de ce brouillard surnaturel, dont l’œil unique brillait de colère.
          La voix de velours liquide s'était transformée en une voix froide et parfaitement détachée :
          — Qui ? Demanda-t-il doucement.
          Le meurtrier secoua négativement la tête, tout en lâchant un borborygme étranglé.
          — QUI ?! Tonna Altar, faisant sursauter tout le monde.
          L'homme devint blême et poussa un gémissement effrayé, mais secoua de nouveau négativement la tête.
          — Comme tu voudras, cette fois ton Dieu ne te protégera pas, acheva Altar.
          Une peur absolue se lut dans les yeux de l'assassin et il ouvrit la bouche comme pour avouer, mais c'était trop tard. Le craquement sinistre d'une nuque brisée résonna en écho dans la salle.
          Le Premier Conseiller jeta au bas des escaliers le corps flasque, descendit deux à deux les marches restantes et se dirigea d'un pas rapide vers la porte. Il s'arrêta au niveau des deux gardes et leur désigna du doigt le corps :
          — Jetez-moi cette pourriture dans les douves !
          Les deux hommes casqués se regardèrent incrédules puis hochèrent la tête. Altar s'engagea dans le couloir, sa cape noire flottant comme un linceul derrière lui. Sa main droite se porta à son côté et le chant de l'acier frottant contre le cuir se fit entendre. La lame d'une épée bâtarde étincela à la lueur des torches.
          Il bifurqua à gauche et croisa quatre gardes en patrouille remontant le couloir. Il s'arrêta net à leur hauteur, les faisant légèrement sursauter.
          — Le Roi est dans la salle d'audience, escortez-le jusqu'à la bibliothèque et restez avec lui jusqu'à ce que je vous rejoigne.
          — Oui Premier Conseiller, acquiesça le sergent de la patrouille.


          L'ambassadeur Igniatus, représentant de l'Église en Nordcastel, fit couler la cire rouge d'une bougie sur l’enveloppe. Au loin il entendit des bruits de pas précipités dans le couloir, des ordres qu'on hélait. Il s'autorisa à sourire, son plan avait fonctionné et dès demain le Haut-Prête recevrait cette missive.
          Il allait apposer sa chevalière sur la tache de cire qui commençait déjà à sécher quand soudain, le monde autour de lui se transforma.
          Ses tympans se bouchèrent brusquement, sa fenêtre se transforma en une multitude d'éclats étincelants tombant dans le vide et sa porte fut pulvérisée par une explosion venue du couloir. Le contenu de sa chambre fut projeté au sol, y comprit son étude, sa bibliothèque ainsi que lui même.
          Face contre terre, il se mit sur le côté et tenta de se relever, regardant d'un air incrédule le chaos autour de lui. Il ne restait de sa porte qu'un bout de bois suspendu à un gond tordu, le reste était répandu en morceaux fumants au milieu de ses livres et parchemins. Les jambes flageolantes, il se raccrocha à une torchère pour éviter de tomber à nouveau.
          Son sens de l'équilibre lui revint, douloureusement, en même temps que ses tympans se débouchèrent. Il entendit alors distinctement le bruit de lourdes bottes ferrées, marchant doucement depuis l'entrée de sa chambre. Écrasant sans distinction ouvrages calcinés, morceaux de verre coloré, débris de bois encore incandescents. Ainsi qu'un bruit bien plus sinistre, celui d'un objet métallique raclant le sol de pierre.
          Igniatus, leva les yeux vers celui qui avançait d'un pas lent et mesuré, comme au ralenti. Une longue cape noire était rejetée sur son épaule droite, révélant à demi une tenue de cuir noir et de mailles argentées. Un baudrier de cuir ainsi qu'un assemblage de ceintures supportaient plusieurs petites sacoches et quelques fioles colorées.
          L'homme habillé de noir, le visage entièrement masqué dans l'ombre d'un chapeau à larges bords, semblait le regarder fixement. Sa main droite, gantée de cuir noir, tenait une longue épée dont la pointe touchait le sol. Il s'arrêta à quelque pas de Igniatus.
          Il sembla à ce dernier que l'homme aspirerait la lumière de la pièce et que la température de celle-ci se refroidissait de seconde en seconde. Même sans avoir besoin de voir son visage, l'ambassadeur avait reconnu les vêtements si caractéristiques de la personne en face de lui.
          — Sorcelame Altar... siffla Igniatus. Que signifie cette intrusi...
          — SILENCE !!! Tonna l'homme en noir tout en désignant Igniatus de la pointe de son épée.
          Une étincelle bleue crépita le long de la lame et instantanément Igniatus fut projeté en arrière par une force invisible, percutant violemment le mur derrière lui.
          Altar avança d'un pas et la flamme d'une torche encore allumée dissipa les ombres sous son chapeau. Son visage était impassible, mais son œil unique semblait lancer des éclairs.
          L'ambassadeur se releva en toussant du sang et regarda le Sorcelame d'un œil mauvais. Un sourire forcé se dessina sur son visage et il cracha une dent ensanglantée sur le sol avant de se redresser péniblement. Sa main droite dessina une petite arabesque et une flamme bleutée y apparut en même temps que ses pupilles se coloraient de la même couleur.
          — Vous ne savez pas à qui vous avez à faire, engeance du démon ! Cracha l'ambassadeur.
          — Non... Je crains que ce ne soit le contraire... dit doucement Altar.
          L'œil du Sorcelame pulsa d'un vert malsain et la flamme dans la main d'Igniatus fut soufflée comme la flamme d'une chandelle.
          La main gauche d'Altar jaillie de sous sa cape et claqua des doigts. Le bras droit de l'ambassadeur fut pris de convulsions et d'horribles craquements se firent entendre dans la pièce, chaque articulation se brisant l'une après l'autre.
          Igniatus tomba au sol en poussant des hurlements de damné. De l'épaule jusqu'au bout des doigts, son bras disloqué était tout en angles peu naturels.
          — Vous... Je... L'Église... vous... fera... payer... cet... affront... dit l'ambassadeur en hoquetant de douleur à chaque mot.
          Altar franchit la distance les séparant, empoigna la robe de bure blanche d’Igniatus, le souleva sans peine et le cloua contre le mur, lui arrachant un cri de douleur.
          — L'Église... Altar éclata d'un rire franc. Dois-je vous rappeler le sort des quinze précédentes croisades ? Non, je vois dans vos yeux que c'est inutile. En revanche j'ai lu votre nom dans ceux de votre assassin... Juste avant que je ne lui brise la nuque...
          — Il... commença Igniatus, d'un air abasourdi.
          — N'a pas réussi, oui, acheva Altar avec un sourire malsain.
          L'épaule encore valide de l'ambassadeur s’affaissa d'abattement. Un sourire contrit se dessina sur son visage.
          — Vous allez me tuer, je suppose...
          Le sourire d’Altar se mua en quelque chose de diabolique et Igniatus commença à frémir.
          — Vous enfoncer 36 pouces d'acier dans le corps serait très probablement fort distrayant, mais votre statut d’ambassadeur officiel vous protège contre ce genre de petits désagréments. Croyez bien que je le regrette...
          Altar lâcha l'ambassadeur et ce dernier s'affaissa sur le sol comme une poupée de chiffon.
          Le Sorcelame rengaina son épée et réajusta sa cape, dissimulant complètement sa tenue et son équipement.
          — En ma qualité de Premier-Conseiller du Roi-Sorcier Marlan, Quatrième des Douze, je révoque votre statut d'ambassadeur officiel. Vous avez une heure pour quitter le château et trois jours pour quitter le royaume. Si vous dépassez l'un de ces délais, vous serez considéré comme un intrus sur ces terres et je me verrai dans l'obligation d'appliquer la sentence ad hoc.
          Sur cette dernière phrase lourde de sous-entendus, Altar tourna les talons et se dirigea vers la porte. Il s'arrêta sur le seuil et tourna la tête vers un Igniatus encore étonné d'être encore en vie.
          — Je vous charge également de transmettre un message à votre Haut-Prêtre. À la prochaine tentative, quelle qu’elle soit, envers mon souverain, je m'occuperais de son cas... Personnellement...
          — De quel droit osez-vous mena...
          La suite mourut dans la gorge de l'ex-ambassadeur sous le regard inquisiteur d'Altar.
          — Dans le même ordre d'idée, je vous annonce officiellement que le royaume de NordCastel vient de suspendre ses relations diplomatiques avec l'Église. Je pense qu'il est inutile de vous rappeler que désormais vous ne disposez plus d’aucun personnel diplomatique au sein des Douze Royaumes, acheva le Premier Conseiller avant de franchir le seuil de la pièce ravagée.


          Marlan était assis d'un fauteuil molletonné de velours rouge dans l'immense bibliothèque du château. Accoudé et les mains jointes devant lui, il semblait pensif.
          Autour de lui, des ouvrages recouvraient l’intégralité des murs et des échelles sur rails permettaient d'accéder au rayonnage les plus en hauteurs.
          À ses côtés se trouvaient deux gardes en armures, tandis que deux autres se trouvaient dans le couloir, gardant la double porte fermée. Le bruit d'un gantelet frappant le battant se fit alors entendre à trois reprises. Les deux battants s'ouvrirent simultanément, manœuvrés par les deux gardes en faction dans le couloir, livrant le passage à un homme drapé de noir. Le roi se tourna alors vers le sergent de patrouille qui se trouvait à sa droite.
          — Vous pouvez nous laisser sergent, merci, dit-il doucement.
          L'intéressé s'inclina brièvement.
          — Mon roi, ajouta-t-il en faisant un signe de la main à ces hommes.
          Il se dirigea vers la sortie de la salle et adressa un signe de tête respectueux à l'homme en noir qui se tenait toujours à l'entrée. Une fois que le sergent eu franchit le seuil, en compagnie de l'autre homme d'armes, les deux gardes dans le couloir refermèrent la porte d'un même mouvement. Le bruit de pas cadencés de la patrouille résonna dans le couloir, avant de s'estomper.
          L'homme en noir ôta alors son chapeau et sa cape puis les suspendit à un meuble en bois prévu à cet effet. Il ôta ses gants et les accrocha à l'une de ses ceintures, dévoilant des mains parcheminées ainsi qu'une impressionnante cicatrice à la main gauche. La tache rougeâtre partait du moignon de l'auriculaire, couvrait une majeure partie du dos de la main et s'achevait au niveau du poignet.
          — Est-il mort ? demanda Marlan en rompant le silence.
          — Non mon roi, répondit Altar en s'asseyant dans un fauteuil en face de Marlan.
Le roi haussa un sourcil, légèrement surpris.
          — Il fut un temps où tes décisions étaient plus expéditives. Te ramollirais-tu avec l'âge ? continua le souverain avec un sourire amusé.
          Altar eut un demi-sourire.
          — Pas exactement, à mon avis son bras va le faire souffrir pendant quelque temps.
          Marlan eu un rire bref.
          Le Premier Conseiller fouilla dans une de ses sacoches et en extirpa une longue pipe en os. Du coin de l'œil, il aperçut que son roi en avait sorti une similaire d'un petit tiroir dissimulé dans le fauteuil. En silence, les deux hommes entreprirent de bourrer leur pipe respective puis les allumèrent en claquant simplement des doigts.
          — J'ai cru comprendre que vous souhaitiez me parler de quelque chose d'important, dit Altar en lâchant un rond de fumée.
          Marlan demeura étrangement pensif et silencieux pendant de longues secondes, relâchant de temps à autre quelques bouffées.
          — Oui... finit-il par dire. C'est exact... Et les évènements d'aujourd'hui n'ont fait que confirmer mes soupçons.
          Altar sentait de la mélancolie dans la voix de son souverain et il sut désormais que la suite n'allait pas lui plaire.
          — Te rappelles-tu quand est mon anniversaire ?
          Altar fut légèrement décontenancé par la question, mais il hocha la tête.
          — À la prochaine pleine lune, le jour de l’équinoxe du printemps. J'ai peur de ne pas comprendre où vous voulez en venir mon roi.
          — Patience mon brave Altar. Rappelle-moi donc quand est la prochaine pleine lune.
          L'œil unique du Premier Conseiller se vrilla dans ceux de son roi. Il pouvait y lire que son souverain connaissait parfaitement la réponse, mais que le vieil homme souhaitait simplement l'entendre de la bouche de son plus fidèle ami.
          Altar fouilla dans une poche située sur son torse et en sortit un disque argenté, large comme sa paume et relié à la poche par une petite chaine. Il appuya sur un petit bouton et un couvercle se souleva, révélant un complexe mécanisme d'horlogerie. Plusieurs aiguilles rotatives ainsi que des illustrations, indiquaient diverses informations, telles que l'heure, la position du soleil dans le ciel ou encore le cycle lunaire actuel. Altar lut ce qui l'intéressait et referma le disque.
          — Dans huit jours mon roi, dit-il en remettant le disque dans la poche adéquate. Et cela vous fera un total respectable de soixante-neuf printemps, ajouta-t-il, en anticipant la question qui se lisait dans les yeux de son souverain.
          — Soixante-neuf printemps... répéta Marlan d'un air pensif. Il tira sur sa pipe et lâcha un fin rond de fumée. C'est déjà beaucoup, ne crois-tu pas qu'il serait temps que je passe la main ? continua-t-il.
          Altar fronça les sourcils. La reine Alissa était morte voilà déjà une vingtaine d'hivers, mais son ventre n'avais jamais pût accueillir la vie, malgré les talents d'alchimiste d'Altar.
          — Je vois que tu ne saisis pas, dit Marlan d'un air amusé. Dans la situation actuelle, si je venais à disparaître, en tant que Premier Conseiller tu te devrais d'assurer la régence du royaume. Et en l'absence d'héritier reconnu, la couronne te reviendrait de facto au bout de quatre saisons et une lune. Mais tu sais aussi bien que moi, que...
          — Les Sorcelames ne peuvent revendiquer aucun trône, quel qu'il soit, acheva Altar.
          Il y eut un instant de flottement pendant lequel les deux hommes se regardèrent, en tirant pensivement sur leur pipe. Non, décidément, Altar sentait que la suite n'allait vraiment pas lui plaire.
          Marlan retira la pipe de sa bouche et désigna Altar avec l'embout de celle-ci, comme pour le pointer du doigt.
          — Ce que je te demande, mon brave Altar, c'est de partir à la recherche de mon héritier.

          — Je vous demande pardon ? demanda Altar en reposant lentement sa pipe sur l'accoudoir.
          — Tu sais très bien ce qui se passerait à l'issu de la période de régence. Le Conseil serait convoqué pour débattre sur le partage de mon royaume entre les onzes Rois-Sorciers restant.
Le roi se leva puis marcha d'un pas lent vers une des fenêtre avant de perdre dans la contemplation de ce qu'il voyait en contrebas. Finalement, il tourna la tête vers Altar.
          — Je refuse catégoriquement que cela se produise. Un royaume frontalier avec l'Église, s'il venait à tomber entre des mains aussi belliqueuses que celles d'Angar, nous conduirait droit vers un désastre.
          — Les Frontaliers Gerfroy, Malkag et Thistam, bien plus tempérés, n'auront jamais assez de poids au Conseil, pas sans vous en tout cas.
          — Malheureusement. Même si le Traité de Non-Ingérence ne m'interdis pas de léguer le royaume à l'Ordre, je préférais éviter d'en arriver à cet extrémité.
          — Les Sorcelames refuseront tout net, soyez-en sûr. Il ne prendront pas le risque de confier les clés du royaume à quelqu'un qui n'est pas l'un des nôtres.
          — Et cela vous attirerais très certainement l'hostilité de certains membres du Conseil et pas les plus tendres, malheureusement...
          — Nous n'en avons pas besoin effectivement.
          Il y eut un instant de silence entre les deux hommes.
          — Te souvient-tu de la fois où Durlan m'a envoyé en voyage initiatique ? continua le roi.
          — Votre père était un homme sage, ce fut honneur de le servir.
          Marlan fit un geste agacé de la main.
          — Épargne moi ce genre de flatterie et répond plutôt à ma question.
          — Oui je m'en souvient effectivement, vous êtes partis bien plus longtemps que votre père ou votre grand-père.
          — De combien était mon retard exactement ? demanda le roi d'un sourire amusé.
          — Environs 8 ou 9 mois mais je ne voi...
Altar se leva brusquement de sa chaise pour marcher d'un pas rapide vers roi.
          — Vous n'avez pas osé ? souffla t-il une fois arrivé en face de son roi.
          — Je craint que si, confirma Marlan.
          — Mais vous étiez déjà marié avec Alissa à cette époque !
          — Je sais, mais j'étais jeune et rebelle à cette époque.
          — Mais cela ne vous excuse en rien ! Le savais t-elle ?
          — Oui je lui en ait parlé, bien des années après. Elle ne m'a pardonné que sur son lit de mort.
          — Pourquoi ne m'en parler que maintenant ? Qui sait comment l'accident d'aujourd'hui aurait-pu tourner ?! Vous êtes à la limite de l'inconscience !
          — Je comptais t'en parler aujourd'hui même, dit le roi d’un air contrit devant la remontrance d’Altar. J’étais loin de me douter de ce qui allait se passer, continua t’il en allant se rasseoir.
          Altar resta un instant près de la fenêtre, constatant avec satisfaction que deux gardes escortait sur le pont-levis une forme en tenue blanche, ayant visiblement du mal à marcher droit. Il rejoignit ensuite son fauteuil.
          — Alors, pourquoi maintenant ?
          — Pour la sécurité de ma descendance évidemment. Nos lois sont strictes en matière de bâtards, qu'ils soient royaux ou non. Père l'aurait traqué jusqu'aux Jungles s'il l'avait fallu.
          — Pourtant ces mêmes lois ne vous ont guères empêché d'en concevoir un.
          — J'étais en conflit permanent avec mon père. Transgresser la règle de chasteté du voyage initiatique était pour moi comme un mauvais tour supplémentaire à lui jouer.
          — Et dire que c'est cet enfant qui va sauver le royaume de NordCastel... Qui est la mère ?
          — Une fille de ferme, d'une beauté à nulle autre pareille.
          — Une roturière en plus ! Effectivement, Durlan nous aurait probablement mis le continent à feu et à sang, rien que pour retrouver la mère. Alors l’enfant...
          — Elle m'a séduit alors que j'étais sur le chemin du retour. Il n'as suffit que d'une seule nuit.
          — Je suis surprit que vous soyez resté. Était-ce par amour ?
          — Pas vraiment, au petit matin j'ai sentit à la lisère de mes perceptions magiques que la vie s'éveillait dans son ventre. Alors j’ai demeuré auprès d’elle, feignant les sentiments. Pour la protéger, je ne lui ait rien avoué. Après huit mois et j'ai chargé un vieil ami à mon père de s'occuper de cacher l'enfant.
          — Dematerius je suppose.
          — Tu suppose bien. Par sécurité je ne lui ait jamais demandé de nouvelles, de peur que les espions de mon père ne tombent sur une correspondance indiscrète.
          — Sage décision. Et ensuite ?
          — Ensuite je suis partis, en pleine nuit, sans dire au revoir, sans même voir la naissance de mon enfant, continua Marlan d’un air abattu. Je suis un bien mauvais père.
          — Aviez vous vraiment le choix ?
          Marlan resta silencieux, ne préférant visiblement pas répondre à cette épineuse question. Altar sentait bien qu’il était rongé par les remords.
          — Bien, dit Altar en se levant. Quand dois-je me mettre en route ?
          — Tu quittera le château à la tombée de la nuit, annonça Marlan en reprenant sa pipe.
          Altar rangea rapidement la sienne dans une de ses sacoches et se dirigea vers le porte-manteaux pour reprendre son chapeau et sa cape.
          — Vipère se chargera de votre sécurité pendant mon absence, dit-il en se rhabillant.
          — Ce petit homme me fiche une frousse de tout les diables, tu le sait bien, dit le roi en tirant sur sa pipe.
          — Il n'a certes pas l'étoffe d'un diplomate et son apparence peut être déstabilisante mais c'est le meilleur assassin que je connaisse, continua Altar en posant sa main sur la poignée de la double porte. Mon roi, lâcha t-il avant de franchir le seuil.


          Une fois parvenu au sommet de la tour nord, une grosse clé argenté surgie des replis de la cape d'Altar. Il l'enfonça dans la serrure et au moment de la tourner, quelque chose émergea des ombres du palier.
          — Vous voilà sur le départ Maître Altar, susurra la forme en apparaissant progressivement dans la lumière des torches.
          Sans être surpris le moins du monde, Altar suspendit son geste et tourna la tête vers son interlocuteur.
          — Les nouvelles vont vite à ce que je vois.
          Le Sorcelame entreprit de détailler le petit homme en face de lui. Guère plus d'un mètre cinquante, le visage triangulaire, crayeux, émacié et étrangement plat, deux yeux rouges comme la braise, une longue chevelure grisâtre coiffée en tresses et un sourire jusqu'au oreilles, dévoilant une double rangée de dents taillées en pointes. Il était vêtu d'une robe de bure marron, le capuchon relevé et les manches jointes.
          — N'est ce pas là le travail que vous m'avez confié ? Tout voir et tout entendre...
          — Épargne moi tes sarcasmes Vipère. Je ne goûte guère à ce genre d’humour, répondit Altar avec agacement.
          Le petit homme sembla légèrement vexé et darda une langue bifide avec un petit sifflement.
          — As-tu ce que je t’ai demandé au moins ? continua le Sorcelame en fronçant les sourcils.
          — Oui bien sûr Maître Altar, le délai était court mais j’ai réussi.
          Une main blanchâtre et squelettique, ne comportant que trois doigts étrangement articulés, émergea alors d’une des larges manches de Vipère. Il tendit alors à Altar un petit flacon translucide, contenant un liquide violet. Le Sorcelame s’en saisit et le porta à ses yeux pour l’observer.
          — Tu est sûr que ça fonctionnera ? demanda t’il sans cesser d’observer le contenu.
          — Absolument pas, je suis alchimiste et maître empoisonneur, pas magicien ou sorcier, rétorqua Vipère d’un air outré. Si la formule que vous m’avez confié n’est pas bonne, alors ça ne marchera pas. Mais si ça peut vous rassurer, le liquide n’est pas mortel.
          Le visage d’Altar resta impassible, pesant le pour et le contre de ce que venait de dire Vipère. Finalement il tendit le flacon au petit homme. La main tri-digtale s’en saisit et disparue avec son butin dans la large manche.
          — Tu sais ce qu’il te reste à faire.
          — Êtes-vous sûr Maître Altar ? Cet hériter va peut-être changer la donne. Il serait probablement plus sage de...
          Vipère se tut sous le regard inqusiteur d’Altar.
          — Il me semble t’avoir donné un ordre non ? dit ce dernier d’une voix froide.
          — Oui Premier Conseiller, acheva le petit homme avec une légère révérence, avant de se retirer dans les ombres.
          Altar marqua un temps d’arrêt, il avait juré l’espace d’un instant apercevoir un appendice caudal dépasser de sous la robe du bure. Il secoua légèrement la tête et fixa pendant un instant l’endroit obscur où Vipère semblait s’être évaporé.
          Le Sorcelame savait pertinemment qu’il n’y avait qu’un mur plein à cet endroit mais pourtant le Maître Empoisonneur parvenais à apparaître et disparaître dans les endroits les plus incongrus, un peu partout dans le château, tout en échappant aux perceptions magiques d’Altar.
          Ce type est un mystère à lui tout seul, songea t’il en tournant la clé dans la serrure. Il plaqua ensuite sa main ganté sur le panneau et un glype bleuté apparu sur le bois avant de s’estomper avec un léger son grave. La serrure émit un bruit mécanique et la porte s’entrouvrit d’elle même.


          La salle circulaire était percée de deux meurtrières, une de chaque coté et d’une seule fenêtre en face de la porte. Très peu de meubles, une bibliothèque, un bureau et un lutrin. Le plus surprenant étant l’absence de lit et de décorations quelconque. Un simple tapis noir se trouvais au centre de la pièce ainsi qu’un brasero posé à même le sol, entre le tapis et la fenêtre. L’ensemble étant d’une simplicité déconcertante.
          Altar ôta son chapeau, sa cape et ses gants puis posa le tout sur la chaise devant le bureau. Il claqua des doigts et la chandelle posé dessus s’alluma dans un crépitement. Il pointa le lutrin avec le doigt et fit un petit geste. Le marque-page de tissu rouge se mit tout seul en place, l’ouvrage posé sur le meuble se referma et rejoignit le rayonnage en lévitant doucement.
          Le Sorcelame se frotta les mains d’un air pensif, s’attardant sur sa cicatrice. Finalement il se dirigea vers la fenêtre et à quelques pas d’elle, ses mains tracèrent une arabesque complexe dans le vide, laissant une traînée de fumée verdâtre là où passait ses doigts. L’air sous la fenêtre se mit à vibrer et un coffre de bois sculpté apparu alors. La fumée se dissipa aussi vite qu’elle était apparue.
          Altar s’agenouilla et souleva le couvercle. Il en sortit alors plusieur objet. Le premier objet était une spalière faite de cuir et renforcé de plates d’un métal argenté. Il se releva et la fixa sur son épaule droite, le système de sangles s’adaptant parfaitement à celui de son baudrier. La plaque de métal couvrant le muscle pectoral était gravé d’un symbole représentant une croix patée aux branches fines, incluse dans un annelet, le tout surmontant un écu.
          Le second objet fut également une pièce d’armure: un grand gant de cuir noir remontant jusqu’au coude et à la partie supérieure recouverte de plaques de métal articulées. Altar l’enfila sur son bras gauche et remua les quatre doigts du gant pour vérifier que l’ensemble bougeait correctement. Il enfila également un autre gant simple en cuir noir posé à coté.
          Le troisième objet fut surprenant de simplicité, une fine chaîne d’argent, comportant un pendentif taillé dans une pierre noire aux veines blanches et reprenant la forme du symbole de la spalière, l’écu en moins. Il se le passa autours du cou, avant de le dissimuler à l’intérieur de son col.
          Le quatrième objet fut un fourreau, laissant dépasser un manche très peu ouvragé d’une dague. Altar fit coulisser l’arme hors de son étui, dévoilant ainsi une lame longue d’environs sept pouces, à la forme très particulière: À dos et tranchant parallèle jusqu'à une brisure sur le dos formant un angle vif pour rejoindre le tranchant et ainsi former une pointe acéré. Si la pointe était aiguisée des deux cotés, le reste du dos était, de la brisure à la garde, en dents de scie. Le Sorcelame rengaina l’arme, puis il fixa le fourreau en biais sur son pectoral gauche, manche vers le bas.
          Le cinquième objet pris la forme d’un grimoire relié de cuir et de métal, grand d’environs onze pouces sur huit, épais d’une demi-douzaine de pouces et verrouillé par un fermoir. Altar le suspendit à sa ceinture à l’aide d’une chaîne passant à travers une série d’anneaux fixés sur le dos de l’ouvrage.
          Le sixième et dernier objet était un gros étuis de cuir semi-rigide, fixé sur une ceinture individuelle qui comportait également une petite sacoche. L’étui contenait un objet, apparemment massif et long d’une quinzaine de pouces, dont seul une crosse incurvé en bois sombre était visible. La sacoche quant à elle, contenait des objets qui produisait de légers sons métalliques en s'entrechoquant. Le Sorcelame se redressa et ajusta la ceinture, plaçant l’étuis sur son coté droit et la sacoche dans son dos.
          Altar fit alors une série de mouvements des bras et du torse, ajustant une sangle par ci ou une lanière par là entre chaque geste. Il dégaina alors brusquement son épée puis se lança dans une suite d'enchaînements d’escrime complexes et parfois bien trop rapide pour être suivis par l’oeil humain. Il s'immobilisa soudainement dans une position d’estoc parfaite, la pointe de son épée touchant légèrement le croisillon central de la fenêtre. Satisfait, il revient lentement à une attitude normale, salua son adversaire imaginaire et rengaina sa lame avec un sourire satisfait.
          Il s’agenouilla ensuite au centre du tapis et sortit d’une de ses sacoches, une poignée d’herbes rougeâtres qu’il plaça dans le brasero avant d’allumer le tout d’un simple geste. Une odeur douceâtre de mûrier, de laurier et d’encens embauma la pièce. Il joignit alors les mains, croisa les doigts, ferma son oeil unique puis entra en méditation.


          La lune, presque pleine, était déjà haute dans le ciel quand Altar traversa la cour du château, plongée dans une pénombre laiteuse. Il arriva d’un pas rapide jusqu’aux écuries, éclairées par la lueur de torches tenues par les palefreniers. Le roi était là, entouré de deux gardes, et discutant à voix basses avec le maître des écuries. Vipère n’était visible nulle part mais l’espace d’un instant, Altar cru entr'apercevoir deux yeux rougeoyants dans l’ombre d’un porche.
          Marlan suspendit sa conversation quand Altar arriva à sa hauteur. La cape du Sorcelame était rejeté derrière ses épaules, dévoilant tout son attirail. Le roi le détailla du regard pendant un court instant de silence, visiblement impressionné.
          — Diantre, souffla t-il. Je n’arrive même plus à ma rappeler de la dernière fois où je t’ai vu équipé de la sorte.
          — C’était à votre couronnement mon Roi, répondit Altar en s’autorisant un léger sourire. C’était il y a longtemps je vous le concède.
          — Vraiment ? Cela fait longtemps effectivement. À te voir harnaché de la sorte, je pense qu’il est inutile de te demander si tu as tout ce qu’il te faut.
          Altar se répondit rien et se contenta d’hocher la tête. Il y eu un toussotement discret et les deux hommes tournèrent la tête vers l’origine du bruit. Le maître des écuries venais de sortir d’un box, tenant par la bride un magnifique animal.
          Le cheval était trapu, massif, aux aplombs solides. Un bel exemplaire de destrier issu typiquement du nord des Douzes Royaumes. La robe était d'un noir de jais, sa queue, sa longue crinière et ses fanons était gris foncé. Il renacla et tira sur son licol mais se calma instantanément quand Altar vrilla son oeil émeraude dans ses grands yeux noisette.
          — Tout doux Herman, tout doux, lui souffla le Sorcelame en posant sa main ganté sur son museau. As-tu été sage ? demanda t’il d’un air amusé en faisant apparaître une petite pomme rouge dans son autre main.
          Le cheval de guerre émit un hennissement de satisfaction en gobant le fruit. Altar en profita pour faire le tour de l’animal, vérifiant les différentes sangles et éléments harnachés. Satisfait de son observation, il flatta l’encolure d’Herman et se tourna vers le maître des écuries.
          — Je l’ai ferré moi même après le souper Maître Altar, dit-il en anticipant la question du Sorcelame. Il est impatient depuis le début de l’après-midi et n’a pas cessé de battre le sol du sabot. Entre-nous, je suis soulagé que vous passiez, il commençait à rendre les autres bêtes nerveuses.
          Altar jeta un coup d’oeil en coin à sa monture et celle-ci se contenta de souffler bruyamment des naseaux en guise de réponse.
          — Merci de l’avoir préparé Burrer, j’espère qu’il n’a blessé personne.
          Le maître des écuries se fendit d’un sourire en secouant doucement la tête.
          — Non rassurez vous. Je vous prie de bien vouloir m’excusez Premier Conseiller mais il se fait tard et il me reste encore du travail, acheva t-il avec une courte révérence.
          Il se tourna ensuite vers les palefreniers qui commençait à somnoler et commença à aboyer des ordres avec de grands gestes de main pour réveiller tout ce petit monde. Altar se tourna vers le roi.
          — Avez-vous prévenu Dematerius mon roi ? dit-il en mettant le pied à l’étrier.
          — Je lui ait envoyé un corvus à la tombée du jour pour l’informer de ton arrivée, confirma le roi avec un hochement de tête.
          — Parfait, répondit le Sorcelame en se hissant sur sa selle.
          Altar joua des éperons fixés à ses bottes ferrés pour diriger lentement Herman vers le pont-levis, le roi marchant à ses cotés.
          — Dis moi Altar, qu’à tu dis à Vipère pour qu’il soit aussi avenant envers ma personne ?
          Altar haussa un sourcil.
          — Rien de particulier. Même s’il ne le montre pas, il vous estime énormément, après tout vous lui avez sauvé la vie.
          — C’est vrai, c’est vrai. Mais je sens que quelchose dans son comportement à changé.
          Le Sorcelame retint son souffle de manière imperceptible. Le roi eut un geste de la main devant son visage, comme pour chasser une mauvaise pensée.
          — Bah mon imagination doit me jouer des tours, acheva le souverain.
          Les deux hommes était arrivé à la limite de la barbacane percé dans le mur sud, conduisant à la porte principale. Arrivé au niveau de la herse et du pont-levis, Altar se dressa sur ses étriers pour observer le large chemin, partant de l'éperon rocheux et descendant en pente douce jusqu’à la ville en contrebas. Des torches était allumé tout du long et il put apercevoir qu’un chariot à boeuf entamais la montée. Il se tourna ensuite vers son roi qui s’était perdus dans la contemplation du ciel étoilé.
          — C’est une nuit magnifique pour chevaucher, dit Marlan sans détacher son regard de la voute céleste.
          — Magnifique en effet, confirma Altar en observant également le ciel.
          Après un instant de silence, le vieil homme se tourna vers son plus fidèle ami.
          — Il ne me reste qu’à te souhaiter bonne chance alors.
          — N’ayez crainte mon roi, je ramènerais votre héritier.
          — Merci Altar, merci, répondit Marlan avec une pointe de tristesse dans la voix. Sur ces dernier mots il se détourna et, toujours escorté par ses deux gardes, rejoignît la cour d’un pas lent.
          Le Sorcelame lui jeta un dernier coup d’oeil par dessus son épaule, rajusta sa cape pour masquer son équipement et dissimula son visage dans l’ombre de son chapeau. Après un coup d’éperon, Herman se mit en marche au trot et entama la descente.