— Que vous est-il arrivé Mr Chevalier ? Vous vous en souvenez ?
— Oui, je me rappelle parfaitement battre le rythme de « Highway to hell » sur mon volant. J’ai ensuite vu le camion que je doublais dans mon rétroviseur droit, juste avant qu’il ne touche l’arrière de ma voiture.
Je m’interrompis, pris à nouveau d’une forte douleur à la tête.
— Ma voiture a commencé à glisser, j’ai contre-braqué rapidement, mais le camion m’a percuté une deuxième fois et j’ai perdu totalement le contrôle, ensuite j’ai perdu connaissance et je me suis réveillé dans l’ambulance. La suite n’est pas très claire dans mon esprit.
— Vous avez reçu un choc à la tête et vous avez plusieurs fractures, ce genre de choses peut provoquer des pertes de mémoires.
— Non, je n’ai pas perdu la mémoire, mes souvenirs sont… Comment dire ; troublants. Tout ça n’a pas de sens.
— Vous parlez d’hallucination ?
— Probablement, mais tout m’a paru si réel.
— Je suis là pour vous aider, vous pouvez tout me dire.
— OK, alors voilà…
*
J’étais allongé sur un sol dur, froid et mouillé. Il pleuvait et le gris du ciel semblait couvrir la totalité de l’horizon. Au vu du nombre de bâtiments autour et le trafic, j’étais visiblement en ville. Et plus bizarre encore, il me semblait reconnaître cette ville. Je me suis relevé sans difficultés, étonné, alors que le souvenir de mon accident était frais dans mon esprit.
J’ai reconnu la place du Tocadero à Paris, où je m’étais rendu il y a quelques mois. Lorsque je me suis retourné, mon cœur s’arrêta quelques secondes : La tour Eiffel n’était pas là. À la place, je pouvais voir un jardin magnifique et luxuriant, mais aucune dame de fer.
Pris de panique, je regardais tout autour sans rien voir d’autre de perturbant. Les gens présents sur la place commençaient à trouver mon comportement étrange. Je décidai ainsi de me calmer et de quitter les lieux sans plus attirer l’attention.
L’avenue Kleber était bondée. J’avançais avec difficulté au milieu de cette marée humaine, déconnecté de la réalité par le choc. Mon œil était souvent attiré par un véhicule, un homme au téléphone ou une jeune femme qui fumait, appuyée contre un kiosque, sans que je ne sache pourquoi. Ce n’est qu’une vingtaine de minutes plus tard que je compris.
Je suis arrivé sur une place où trônait fièrement une immense statue, visiblement en bronze, d’un homme moustachu portant une sorte de képi. Le souvenir de mon dernier voyage à Paris me revint, j’étais sur la place du Général de Gaulle, l’arc de triomphe devrait se trouver là ! Je compris alors que le véhicule que j’avais vu plus tôt était d’une marque qui m’était inconnue, tout comme le téléphone portable de l’homme et la cigarette de la jeune femme.
Mon cœur a raté un battement et je suis tombé sur les fesses, groggy comme si je venais de recevoir un coup de poing de Mike Tyson ! Je suis resté là plusieurs minutes a fixé la statue de l’homme au centre de la place, un ballet incessant de véhicules inconnus devant moi.
*
Essoufflé par le souvenir, j’attrapais mon verre et le bu d’une traite. J’étais soulagé de pouvoir raconté tout cela, soulagement renforcé par l’expression de la femme qui m’écoutait attentivement, sans trace de moquerie sur le visage. Elle attendait patiemment que je reprenne mon récit.
Après plusieurs minutes, le brouhaha autour de moi sembla se calmer, ce qui me tira de mon état catatonique. Je regardai autour, dans un premier temps je ne remarquai rien d’étrange, puis je vis un homme qui m’observait. L’homme était de taille moyenne, il portait un costume avec un homburg sur la tête.
Je vis à la tête de la jeune femme qu’elle ne connaissait pas ce chapeau et lui décrivit donc les bords recourbés et le pli au centre puis reprit :
En continuant mon tour d’inspection de la zone, je remarquai un deuxième homme en costume avec le même chapeau caractéristique. Leur ressemblance me troubla tellement que je vérifiai qu’il ne s’agisse pas du même homme, mais non, le premier se tenait toujours là à me fixer.
Mal à l’aise, je me suis levé et je suis parti dans la direction opposée aux deux hommes lorsque je suis tombé nez à nez avec un troisième, le costume, le homburg, le kit complet du mec bizarre dans le coin on dirait !
La sensation de mal-être empli tout mon corps. Je me tenais droit comme un piquet sur ce trottoir à observer. Il n’y avait aucun doute possible, quand je ne les regardais pas, les hommes se rapprochaient doucement de moi. Mon instinct me criait de fuir.
La foule constituait ma meilleure échappatoire. Je me remis en marche en direction d’une rue qui vomissait constamment son flux de personne. Soudain, l’un des homburg-men compris mon intention et laissa tomber l’attitude James Bond. Il marchait à présent droit sur moi, bientôt imiter par les autres.
Je me jetai dans la marée humaine, obliger de jouer des coudes et des épaules pour me frayer un chemin et j’avançai comme cela pendant plusieurs minutes jusqu’à sortir de la foule. Sans perdre de temps, je courus sans me retourner, mais mon manque de condition physique se fit vite sentir. Je m’appuyai contre un mur, les mains sur les genoux, le temps de reprendre mon souffle. Cette petite rue était déserte. Et merde, mauvaise pioche, ces mecs m’avaient déjà retrouvé, et ils avaient appelé des amis. Je savais que j’avais perdu et j’attendis sans bouger les quelques secondes qu’ils mirent pour m’entourer. L’un d’eux se posta en face de moi, sa main droite sur mon épaule gauche :
— Comment es-tu arrivé là ?
— À pied, mais vous le savez déjà.
— Ne faites pas le malin avec moi, dit-il avec le visage passant du calme à la colère en une fraction de seconde.
Sa main se resserrait sur mon épaule, quelle poigne le blues brother !
Mon arrivée sur le sol de la place du Trocadero flottait dans ma tête et j’essayai encore une fois de savoir comment j’étais arrivé là-bas lorsqu’un éclair déchira le ciel dans un bruit assourdissant.
Par un réflexe purement débile, je fronçai les sourcils pour atténuer le son… et mon interlocuteur dit :
— Pourquoi fais-tu cette tête ? Tu es blessé ?
Je m’aperçus à ce moment-là, que personne n’avait réagis à l’éclair. Après quelques secondes, un deuxième éclair retentit et là encore, aucune réaction. Je me sentais nauséeux, mes jambes commençaient à vouloir se dérober sous mon poids. Le temps de reprendre un peu de contenance, un troisième éclair me vrilla la tête. Les homburg-men avaient disparu dans un océan de lumière aveuglante et je me suis réveillé sur la table d’opération, réanimé par l’équipe médicale.
*
La femme hocha la tête puis elle leva la main droite et je remarquai seulement à cet instant qu’elle tenait un petit appareil. Elle l’orienta vers sa bouche et dit :
— OK pour moi, il est à vous.
Elle se leva, remit sa jupe correctement en place dans un geste machinal et poursuivit :
— Monsieur Chevalier, nous en avons finis, des personnes vont venir vous poser d’autres questions. Et sans me laisser le temps de répondre elle ajouta, au revoir monsieur Chevalier.
Incrédule, je la regardai quitter la pièce. Elle laissa la porte entre-ouverte, si bien que j’entendais quelques voix, sans comprendre quoi que se soit. Quelques instants plus tard deux hommes entraient dans la pièce. Les deux portaient un costard banal, mais de bonne facture, le plus gras des deux resta en retrait et s’appuya contre le fauteuil. Le second, bien plus jeune et plus athlétique tendit une carte vers moi que je regardai sans la voir.
— Inspecteurs Archer et Lequit, DGSE, votre expérience nous intéresse monsieur Chevalier.
Devant mon air inquiet il ajouta :
— Rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul à avoir vécu ça