La suite :
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Gadrïm faillit dégainer une de ses épées courtes pour se défendre. Une main lui bloqua le poignet, tandis que celle sur son épaule l'obligea à se retourner. L'Elfe pivota et lâcha un soupir de soulagement : Thorgan se tenait face à elle. Un Thorgan en sueur et crotté, mais un ami tout de même.
−Tu en as mis du temps, lâcha-t-elle.
−Tu savais que je te suivais ?
−Pour un Elfe, les Humains sont aussi discrets qu'un troupeau de bœufs. Mais non, je ne t'avais pas repéré. Je n'en doutais, c'est tout.
−Ton frère ?
−En-dessous, répondit Gadrïm soudain ramené à la réalité. Mais, on a un gros problème !
−C'est-à-dire ?
−Il y a un Bakuor !
−Quoi ? fit Thorgan en jetant un coup d'œil en contrebas.
Il observa quelques instants avant de siffler entre ses dents. Il revint à l'abri du couloir en jurant tout bas.
−Tu vas bien ? demanda Gadrïm.
−Le Bakuor. C'est Sidhoray, le fils de pute qui m'a piégé à Barrowfield…
−Qu'est-ce qu'il fait là ?
−Aucune idée. Mais il a l'air de s'intéresser à ton frère. Pourquoi ?
−Et comment veux-tu que je le sache ?
Thorgan n'insista pas, mais il voyait bien dans les yeux de l'Elfe qu'elle redoutait quelque chose.
Sidhoray s'approcha de Ladrïn. Le prince releva mollement la tête et cracha du sang devant le Bakuor.
−L'un des chiens de Lizborg vient chercher la proie qu'on a rabattue pour lui ?
−Ne sois pas vulgaire, prince Ladrïn. Ce n'est pas judicieux de provoquer un mage qui te tient à sa merci.
−Mais, qu'est-ce que tu me veux à la fin ?
−Dis-moi où est la Pierre de la Terre.
−Va te faire foutre !
−Quel langage pour un prince de la glorieuse maison des Eldrïns ! Ton père ne t'a donc pas enseigné le respect ?
−Mon père était trop occupé à vous renvoyer dans la fange d'où vous êtes sortis !
−Puisque tu le prends comme cela…
Le mage noir s'approcha de Ladrïn et plaqua deux doigts sur ses tempes en récitant une courte litanie. L'Elfe rejeta la tête en arrière et poussa un long hurlement, les yeux révulsés. Son corps tout entier était agité de spasmes violents qui faisaient tinter ses chaines
A côté de Thorgan, Gadrïm se prit la tête à deux mains et étouffa un cri de douleur. Elle était tombée sur un genou, pliée en deux comme souffrant d'un mal inconnu.
−Tu vas bien ? demanda le Garthöm.
−T'occupes ! Va libérer mon frère de l'emprise de ce mage ! Que je puisse t'aider !
−Tu es sûre ?
−Oui ! Libère Ladrïn ! Je t'expliquerai. Bouge !
Thorgan s'élança dans la galerie et s'engouffra dans un escalier descendant au niveau inférieur. Ses pieds volaient au-dessus des marches. Il était poussé par une rage violente envers celui qui avait manqué de le faire mourir. Il était prêt à tuer, mais il gardait une lucidité implacable qui lui dégageait l'esprit des considérations de la peur et du doute.
Il allait tuer le Bakuor. Il devait tuer le Bakuor !
Arrivé en bas de l'escalier, il avança sur la pointe des pieds et s'approcha de la grande salle où les Gobelins avaient installé leur campement.
Ils formaient une ceinture autour du Bakuor et du prince eldrïn qui se tordaient toujours comme si son crâne le faisait souffrir. Le Garthöm imagina Gadrïm, un étage plus haut, courbé en deux, la tête entre les mains. Cette image suffit le motiver.
Il dégaina sa dague, et se servit d'un bloc de pierre comme tremplin pour lançait, en suspension, son arme en direction du Bakuor.
La lame siffla dans l'air au-dessus des têtes des Gobelins. Elle filait à toute allure vers sa cible. Elle allait l'atteindre. Mais, au moment où elle allait frapper, Sidhoray se retourna, leva la main et immobilisa l'arme.
Thorgan retomba au sol. Il éprouva une fureur indescriptible que le mage noir ait déjouait sa tentative. Et puis, il vit le visage enfin libéré de Ladrïn et il se réjouit pour l'Elfe. L'essentiel était assuré, Gadrïm pouvait lui venir en aide.
Sidhoray suivit la trajectoire de l'arme et ses yeux tombèrent sur Thorgan. Un sourire malsain illumina ses lèvres.
−Tiens donc. Tu as survécu.
−De toute évidence, ordure ! Et maintenant, c'est l'heure de payer !
−Pour un voleur, tu compte très mal : tu es seul dans une pièce rempli d'une vingtaine de guerriers gobelins, ainsi que d'un frère du Xaihir, et tu as la prétention de me menacer.
−Vous savez ce qu'on dit ? Si on n'a pas de plan, il faut avoir des amis !
Le Bakuor secoua la tête, condescendant, avant d'ordonner à ses hommes de tuer le Garthöm.
Vingt lames furent tirées des fourreaux en crissant et les guerriers marchèrent pesamment sur Thorgan. Celui-ci savait que sa survie dépendait entièrement de Gadrïm. Si la princesse ne se remettait pas rapidement de la douleur qui l'avait assaillie, il ne donnait pas cher de sa peau.
Alors que le premier Gobelin arrivait à son niveau et levait son épée pour le frapper, une flèche siffla dans l'ai et vint se planter en travers de sa gorge. Il cracha du sang en tentant de retirer le projectile avant de s'écrouler sur les dalles couvertes de lichen.
Avant que les autres aient eu le temps de réagir, trois ou quatre autres flèches fendirent l'air et ablatirent leur cible. Profitant du léger instant de relâchement, Thorgan contre-attaqua et fendit en deux le crâne d'un Gobelin, éclaboussant de sang et de cervelle un mur à proximité.
Les flèches de Gadrïm pleuvaient toujours sur les Gobelins, trois autres étaient encore tombés. Thorgan en avait fendu deux autres de son côté, mais il commençait à reculer sous les assauts répétés de ses adversaires qui, le premier moment de surprise passé, s'étaient abrités au niveau des angles morts de la position de Gadrïm. Il lui fallait une nouvelle solution s'il ne voulait pas finir cloué sur un mur, il avait besoin d'un deuxième épéiste. Il asséna un coup de pommeau à un adversaire afin de se dégager un passage jusqu'à Ladrïn. Dans son dos, un Gobelin fut fauché net par une flèche.
Le voleur sauta sur la plate-forme où était enchainé Ladrïn. Du coin de l'œil, il repéra Sidhoray qui préparait un sort. Thorgan fit sauta l'attache qui maintenait les chaines et sauta prestement en arrière. Au-dessus de sa tête, une langue de feu vint s'écrasait contre le mur opposé avec un fracas ahurissant.
A l'abri derrière un gros bloc de granit, Thorgan jeta un coup d'œil autour de lui. La pierre le protégeait de la magie du Bakuor et il était séparé des Gobelins par l'espace découvert où ils encouraient la mort.
Ladrïn, libéré de ses entraves, se dégagea rapidement des chaines et roula jusqu'à Thorgan en esquivant plusieurs attaques magiques de Sidhoray.
−C'est gentil d'être venu, dit l'Elfe.
−On a fait aussi vite que possible, répondit Thorgan.
−"On" ? Connaissant ma sœur, ça m'étonnerait qu'elle se soit accommodée de la vitesse de déplacement d'un humain.
−Oui, c'est vrai. Elle est partie en première et je l'ai suivi. Mais, elle ne m'a précédé que d'une demi-journée.
−Impressionnant, fit Ladrïn. Mais, pour notre problème actuel, tu as une idée ?
−À part foncer dans le tas en priant les Dieux de ne pas finir griller par le mage noir ?
−À part ça, oui…
−Rien de concret, non.
−Fais chié ! jura Thorgan.
Thorgan capta soudain une grande clameur sur sa droite. Il tourna alors la tête et cru que ses yeux lui jouaient des tours…
Les Gobelins se battaient entre eux ! Il ne pouvait expliquer comment cela était possible, mais ils se battaient entre eux ! En fait, à bien en juger, l'un d'entre eux se battaient contre ses compagnons. Il en avait déjà égorgé deux par surprise et résistait vaille que vaille aux huit autres, jouant de coups de pied et de poing autant que de sa lame.
Profitant d'un instant d'inattention du Bakuor, Thorgan jaillit de la cachette, traversa l'espace découvert et se jeta dans la mêlée sans vraiment se préoccupait de savoir pourquoi un des Gobelins avait trahi ses compagnons.
Il fendit, de l'épaule à la hanche, l'un des guerriers et, dans la continuité, en décapita un autre. Son allié providentiel en étendit un autre.
Du coin de l'œil, le Garthöm vit Sidhoray s'avançait, toujours à l'abri de Gadrïm, et tendre les deux poings dans le but manifeste d'en finir avec eux. Exterminé quelques alliés au passage ne semblait pas vraiment lui poser de problème. Mais au moment où il s'apprêtait à relâcher son pouvoir, une flèche empennée de vert lui transperça l'épaule.
Gadrïm avait volé au secours de ses compagnons. Elle se tenait à l'entrée de la salle et venait de neutraliser Sidhoray. Elle encochait une nouvelle flèche et visa de nouveau le Bakuor.
−Non ! hurla Ladrïn. On a besoin de lui vivant !
−C'est trop tard, cracha ce dernier en se tenant l'épaule. Ta sœur m'a dit tout ce que je voulais savoir.
Et sur ces mots, son image se brouilla et il disparu. La flèche de Gadrïm traversa du vent et glissa sur les dalles du sol.
Bonne lecture !
J'en vois presque le bout !